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Date : 20050125

Dossier : IMM-1211-04

Référence : 2005 CF 105

Ottawa, Ontario, le 25ième jour de janvier 2005

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE SHORE

ENTRE :

                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                         Demandeur

                                                                             et

                                                           Avtar Singh MANGAT

                                                                             

                                                                                                                                          Défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE                    

INTRODUCTION

[1]                Une décision ordonne, en elle-même, d'être motivée pour que la justesse du raisonnement se dévoile en soi. C'est au tribunal spécialisé de choisir ses propres moyens ; et de cette façon, de s'adresser au qui, ou, au quand, ou, au pourquoi, ou, au comment, en se référant à la preuve testimoniale et documentaire actuelle.


NATURE DE LA PROCÉDURE JUDICIAIRE

[2]                La présente demande de contrôle judiciaire, introduite en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés[1](Loi), porte sur une décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (Commission), rendue le 8 décembre 2003 et dont les motifs ont été signés le 15 janvier 2004. Dans cette décision, la Commission a conclu que le défendeur satisfait à la définition de « réfugié au sens de la Convention » à l'article 96 de la Loi.

FAITS

[3]                Voici les faits allégués par le défendeur, Monsieur Avtar Singh Mangat, citoyen de l'Inde. Dans le cadre des élections de février 2002, il s'est identifié et a appuyé le candidat du Akali Dal dans sa circonscription. Lors de ces élections, des individus ont tenté en vain de le forcer à appuyer le candidat du _ Congress Party _. Suite à ces élections, le _ Congress Party _ a été porté au pouvoir au Punjab et le refus de M. Mangat de collaborer avec les gens de ce parti durant les élections a coûté à ce dernier le harcèlement de la police, cinq arrestations et de la torture motivée par la vengeance. Suite à ces événements qui se sont échelonnés d'avril à décembre 2002, M. Mangat a quitté son pays et est arrivé au Canada le 3 juin 2003, où il a revendiqué le statut de réfugié.


DÉCISION CONTESTÉE

[4]                Après avoir reconnu l'identité de M. Mangat, la Commission a conclu que ce dernier était crédible et lui a donc accordé le statut de réfugié. Étant donné que l'analyse est plutôt courte, la Cour la reproduit en entier :

La question déterminante en l'espèce est la crédibilité.

Identité

Le tribunal reconnaît l'identité du demandeur d'asile comme citoyen indien sur la foi de son témoignage et de ses documents d'identité.

Crédibilité

Le demandeur a témoigné de manière directe. Et sur la base de ce qui lui a été donné d'entendre, le tribunal n'a identifié ni contradiction ni invraisemblance majeures qui auraient pu le conduire à tirer une conclusion défavorable dans ce dossier.

Le tribunal est d'avis que le fait d'être torturé dans un poste de police est en soi un acte de persécution. Dans le cas en l'espèce, il est lié à un des cinq motifs de la Convention : les opinions politiques imputées.

Par ailleurs, les allégations de torture des personnes arrêtées par la police sont corroborées dans la preuve documentaire, toujours abondante, souvent diversifiée.

S'agissant de la protection, le tribunal estime qu'étant donné le statut juridique des agents persécuteurs : la police, il serait déraisonnable de penser que le demandeur obtiendrait une quelconque protection.

Le tribunal en conclut que dans le cas en l'espèce, il existe une possibilité raisonnable de persécution en cas de retour du demandeur dans son pays.

QUESTIONS EN LITIGE

[5]                1. La Commission a-t-elle erré en ne traitant pas de la possibilité de refuge interne dans ses motifs ?


2. La Commission a-t-elle erré en concluant à l'absence de contradictions et d'invraisemblances majeures dans le témoignage du défendeur ?

ANALYSE

[6]                À titre de remarque préliminaire, M. Mangat a invoqué des vices de forme et de fond dans l'avis introductif d'instance déposé par le demandeur. Toutefois, ce dernier ayant obtenu par requête l'autorisation de la Cour le 3 juin 2004 de présenter une demande d'autorisation et demande de contrôle judiciaire amendée pour pallier à ces vices, le sujet est clos sur ce point.

1. La Commission a-t-elle erré en ne traitant pas de la possibilité de refuge interne dans ses motifs ?


[7]                Il est manifeste à la lecture du procès-verbal de l'audition que l'élément du refuge interne a été largement soulevé et traité, tant par l'avocat de M. Mangat, par l'agent de protection des réfugiés que par la Commission. Selon le demandeur, la Commission a commis une erreur de droit en ne traitant pas expressément de la possibilité de refuge interne dans ses motifs. Il cite à l'appui de ses dires l'arrêt Thirunavukkarasu c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration)[2] de la Cour d'appel fédérale. La Cour ne voit nulle part dans cet arrêt une mention de la nécessité pour la Commission de traiter expressément de la possibilité de refuge interne dans ses motifs.

[8]                Dans les cas où la Commission conclut qu'il n'existe pas de possibilité de refuge interne pour un revendicateur du statut de réfugié, celle-ci n'est pas tenue de traiter de cet élément dans ses motifs. Le principe général selon lequel il est tenu pour acquis que la Commission prend en considération et évalue tous les éléments de preuve présentés s'applique. Ce n'est que si la Commission conclut à l'existence d'une possibilité de refuge interne qu'elle est dans l'obligation de l'indiquer clairement dans ses motifs et d'indiquer pour quelles raisons elle en arrive à cette conclusion. La Commission n'a donc pas erré quant à la présente question en litige.

2. La Commission a-t-elle erré en concluant à l'absence de contradictions et d'invraisemblances majeures dans le témoignage du défendeur ?

[9]                Il est bien établi qu'en ce qui a trait à des questions de crédibilité, comme en l'espèce, l'erreur de la Commission doit être manifestement déraisonnable pour que la Cour intervienne [Aguebor c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (C.A.F.)[3] ; Pissareva c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)[4] ; Singh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)[5]].


[10]            La Commission déclare n'avoir relevé aucune contradiction ni invraisemblance majeures dans le témoignage de M. Mangat et a donc conclu que ce dernier était crédible. Avec égards, la Cour est d'accord avec le demandeur que le témoignage de M. Mangat contient un certain nombre de points douteux qui, considérés dans leur ensemble, rendent la décision de la protection à M. Mangat à l'étude. Voici les points en question :

1. M. Mangat dit avoir été arrêté cinq fois en raison de ses activités au sein du Akali Dal. Il serait très actif politiquement dans sa circonscription, serait le plus important de son village politiquement parlant au niveau de ses engagements, mais n'est même pas membre du parti. Il explique que cela n'était pas nécessaire car il était très près du candidat du Akali Dal. Son avocat, lui, argumente qu'il n'est pas rare, même au Canada, que des bénévoles aidant très activement des candidats politiques ne soient pas membres du parti en question. La Cour trouve tout de même cet argument peu probable.


2. M. Mangat témoigne que de 20 à 50 articles par jour parlent du harcèlement et de la persécution subis par les personnes appuyant Akali Dal, mais il n'en a déposé aucun en preuve. Par ailleurs, l'agent de protection des réfugiés indique également avoir fait une recherche exhaustive et n'avoir trouvé aucune preuve documentaire à cet effet, en particulier. La Cour estime que l'absence de preuve documentaire générale confirmant l'existence du type de persécution que M. Mangat prétend avoir vécu jette un gros doute sur la véracité des faits allégués. Il est certain que des cas isolés de persécution peuvent exister mais, en général, la persécution est attestée par une quelconque preuve documentaire quant à la situation dans le pays en question.

3. Le but de la persécution infligée à M. Mangat serait simplement la vengeance. Il aurait été plus logique qu'on le harcèle avant les élections et non pas après celles-ci puisque l'agent persécuteur, _ Congress Party _, est maintenant au pouvoir. L'avocat de M. Mangat rétorque que le fait que la persécution ait eu lieu après les élections n'est pas inconséquent puisque c'est par vengeance qu'elle a été perpétrée. La Cour trouve tout de même curieux le moment où la persécution est survenue.

4. M. Mangat a été arrêté, détenu et maltraité cinq fois sous de faux prétextes mais il est surprenant qu'il soit libéré à chaque fois plutôt qu'accusé faussement et emprisonné à plus long terme.

5. Si les problèmes de M. Mangat sont effectivement liés au fait que les membres du        _ Congress Party _ voulaient ses votes et son aide avant les élections, on se demande pourquoi la police l'aviserait maintenant de ne pas quitter le Punjab ? Au contraire, il serait logique de penser que les gens qui le harcèlent devraient être satisfaits que M. Mangat quitte le Punjab et qu'il ne travaille plus ainsi pour le Akali Dal de sa circonscription.


6. Également, le défendeur a omis un fait significatif dans son Formulaire de renseignements personnels quant au fait que son oncle est un _ gangster _ ; et selon le défendeur, il y en a des _ gangsters _ au _ Congress Party _, qui, avec l'instigation de son oncle, l'ont harcelé. Tout ceci à cause du fait que l'oncle avait un différend avec la famille du défendeur concernant une parcelle de terre qui appartenait à la famille du défendeur.

[11]            La Cour reconnaît qu'il s'agit en l'espèce d'un cas-limite. Elle est consciente de la norme de contrôle très élevée requise pour annuler une décision de la Commission sur une question de crédibilité, la Commission devant jouir d'une grande marge de manoeuvre en raison de son expertise et de l'avantage certain que représente le fait de voir et d'entendre les revendicateurs témoigner, avec tous les précieux renseignements que cela apporte. Toutefois, en raison de l'absence de preuve documentaire à l'audience, attestant la persécution des personnes appuyant Akali Dal et en raison du cumul des six points en question indiqués ci-dessus, la conclusion selon laquelle il n'y avait aucune contradiction ni invraisemblance majeure est déraisonnable au point de nécessiter l'intervention de la Cour puisque cette conclusion ne tient visiblement pas assez compte de la preuve testimoniale et documentaire présentée à l'audition. Cela dit, il reviendra à la Commission de réétudier l'affaire et de rendre sa décision motivée, avec références pertinentes à la preuve testimoniale et à la preuve documentaire émanant de sa spécialisation, qu'elle estimera appropriée, à la lumière de la preuve qui sera présentée.


CONCLUSION

[12]            Pour ces motifs, la Cour répond par la négative à la première question en litige et par l'affirmative à la seconde question en litige. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est accueillie.

                                                                ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que la présente demande de contrôle judiciaire soit accueillie et que l'affaire soit renvoyée à la Commission pour une nouvelle audition. Aucune question n'est certifiée.

_ Michel M.J. Shore _

                                                                                                                                                     Juge                          


                                                             COUR FÉDÉRALE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                     IMM-1211-04

INTITULÉ :                                                    LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

c.

AVTAR SINGH MANGAT

LIEU DE L'AUDIENCE :                              MONTRÉAL (QUÉBEC)

DATE DE L'AUDIENCE :                            LE 18 JANVIER 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE    

ET ORDONNANCE :                                    MONSIEUR LE JUGE SHORE

DATE DE L'ORDONNANCE         

ET ORDONNANCE :                                    LE 25 JANVIER 2005

COMPARUTIONS :

Me Édith Savard                                               POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

Me Jean-François Fiset                                     POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

JOHN H. SIMS                                                POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

Sous-procureur général du Canada

ME JEAN-FRANÇOIS FISET                        POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

Montréal (Québec)



[1]L.C. 2001, ch. 27.

[2][1994] 1 C.F. 589, [1993] A.C.F. no 1172 (QL) aux pages 592-593.

[3](1993) 160 N.R. 315, _1993_ A.C.F. no 732 (QL).

[4] (2001) 11 Imm. L.R. (3e) 233, _2000_ A.C.F. no 2001 (1ère inst.) (QL).

[5](2000) 173 F.T.R. 280, _1999_ A.C.F. no 1283 (1ère inst.) (QL).


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