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Date : 20051104

Dossier : T-1519-04

Référence : 2005 CF 1503

Toronto (Ontario), le 4 novembre 2005

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE O'KEEFE

ENTRE :

GRANT GALE

demandeur

et

LE CONSEIL DU TRÉSOR

(Solliciteur général du Canada - Service correctionnel)

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire fondée sur l'article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7, visant la décision d'un arbitre nommé en vertu de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C., ch. P-35. Le demandeur demande que la décision de maintenir son licenciement rendue par l'arbitre en date du 16 juillet 2004 soit annulée et que les dépens lui soient accordés.

Le contexte

[2]                Le demandeur était agent de correction au pénitencier de la Saskatchewan jusqu'à ce qu'il soit licencié en novembre 1999 parce qu'il aurait harcelé sexuellement une collègue avec laquelle il travaillait à l'Unité des détenues sous responsabilité fédérale (l'UDSRP ou l'unité), une unité à sécurité maximale, le 19 mai 1999. Le demandeur a toujours nié l'allégation. Au cours de l'audience, l'arbitre s'est demandé où une autre employée, L. Mardell, se trouvait au moment de l'incident car la liste des employés semblait indiquer que celle-ci faisait partie de l'UDSRP, mais elle n'avait pas soumis de rapport d'incident. Le demandeur soutenait que, si L. Mardell ne faisait pas partie de l'unité au moment pertinent, cela confirmait ses dires selon lesquels tous les employés de l'unité à ce moment-là auraient réagi à l'incident et soumis un rapport et que, en conséquence, son témoignage était crédible.

[3]                La décision initiale de l'arbitre de maintenir le licenciement du demandeur a fait l'objet d'un contrôle judiciaire devant la Cour fédérale. La preuve par affidavit présentée à la Cour indiquait que l'arbitre avait soulevé la question de l'endroit où se trouvait L. Mardell au moment pertinent. N'étant pas en mesure de confirmer cette information à l'audience, le défendeur devait l'obtenir et la transmettre à l'avocat du demandeur, qui devait ensuite se charger de la communiquer à l'arbitre. Or, ce dernier a rendu sa décision sans avoir reçu l'information. La demande de contrôle judiciaire a été rejetée par la Cour fédérale et cette décision a fait l'objet d'un appel à la Cour d'appel fédérale.

[4]                La Cour d'appel fédérale a accueilli l'appel et a annulé la décision de la Section de première instance, de même que celle de l'arbitre au motif, que celui-ci l'avait rendue avant de recevoir l'information qu'il avait demandée et qu'il jugeait importante.

[5]                La Cour d'appel a dit :

L'appelant soutient que l'affaire devrait faire l'objet d'une nouvelle audition par un autre arbitre. L'intimé prétend pour sa part que l'affaire peut être renvoyée au même arbitre afin que celui-ci rende une nouvelle décision en tenant compte de la preuve relative à L. Mardell et des observations présentées à ce sujet par les avocats.

Nous sommes d'accord avec l'intimé que, dans les circonstances de l'espèce, l'affaire devrait être renvoyée au même arbitre. [...] Il n'est question ni de partialité ni de crainte raisonnable de partialité en l'espèce. [...]

C'est l'arbitre qui a soulevé la question exigeant l'obtention de la preuve en cause, et c'est lui qui est le mieux placé, après avoir examiné cette preuve, pour décider de son effet sur sa décision. Par conséquent, nous sommes d'avis de renvoyer l'affaire au même arbitre afin que celui-ci rende une nouvelle décision. L'arbitre devra tenir compte de l'information contenue dans la lettre de l'avocat de l'intimé du 17 août 2001 concernant L. Mardell et donner aux parties la possibilité de présenter des observations quant à l'effet de cette information sur sa décision. L'arbitre est libre d'établir sa propre procédure à tous les autres égards.

[6]                L'avocat du demandeur a ultérieurement remis à l'arbitre une copie de la lettre du 17 août 2001 et a indiqué qu'il souhaitait présenter des observations sur la question de savoir s'il était opportun que l'arbitre statue sur l'affaire. Le demandeur a sollicité la tenue d'une audience portant à la fois sur la question de la récusation et sur la question de fond, alors que le défendeur a plutôt demandé que des observations écrites soient déposées. L'arbitre a décidé de procéder par écrit et, le 24 mars 2004, après avoir reçu les observations écrites des deux parties, il a refusé de se récuser et a décidé que des observations écrites permettraient de trancher la question qui devait être examinée conformément à l'arrêt de la Cour d'appel. Les parties ont ensuite produit leurs observations dans les délais impartis.

[7]                L'arbitre a rejeté la plainte du demandeur le 16 juillet 2004. C'est cette décision qui fait l'objet du présent contrôle judiciaire.

Les questions en litige

[8]                Le demandeur a formulé les questions suivantes :

1.         Quelle est la norme de contrôle qui s'applique à la décision d' un arbitre de la Commission des relations de travail dans la fonction publique?

2.         L'arbitre a-t-il omis d'observer les principes de justice naturelle ou d'équité procédurale, notamment le droit du demandeur à une audition impartiale et son droit d'être entendu?

            3.         L'arbitre a-t-il commis une erreur de droit ou de fait?

4.         Si la décision est manifestement déraisonnable, quelle est la mesure de redressement appropriée?

[9]                De son côté, le défendeur a formulé les questions suivantes :

1.          Quelle est la norme de contrôle qui s'applique à la décision rendue par l'arbitre sur le fond?

2.         L'arbitre a-t-il contrevenu aux principes d'équité procédurale ou de justice naturelle?

Les prétentions du demandeur

[10]            Question no 1 : La norme de contrôle

            Selon le demandeur, c'est la norme de la décision manifestement déraisonnable qui s'applique en l'espèce.

[11]            Question no 2 : Le manquement à l'équité procédurale

            Le demandeur soutenait que l'obligation d'un tribunal administratif d'agir équitablement comporte le droit d'être entendu et le droit à une audition impartiale (voir Therrien (Re), 2001 CSC 35, [2001] 2 R.C.S. 3). Il prétendait en outre qu'il avait droit à un degré élevé d'équité procédurale suivant les cinq facteurs exposés par la Cour suprême du Canada dans Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, pour déterminer l'étendue de l'obligation d'équité procédurale dans un cas donné.

[12]            Le droit à une audition impartiale

            Le demandeur soutenait que l'arbitre n'a pas agi de manière impartiale lors de la deuxième audience, mais qu'il a plutôt profité de l'occasion pour expliquer pourquoi il n'avait pas tenu compte de la preuve concernant L. Mardell dans la décision initiale. Il affirmait par conséquent qu'il existait une crainte raisonnable de partialité de la part de l'arbitre. Selon lui, la décision faisant l'objet du présent contrôle et le fait que l'arbitre a refusé de se récuser et a rejeté sa demande d'audience sans expliquer pourquoi montraient bien que celui-ci n'ait pas agi de manière impartiale.

[13]            Le demandeur faisait valoir que, malgré le fait que l'arbitre a soulevé la question de l'endroit où se trouvait L. Mardell au moment pertinent, qu'il s'est dit préoccupé par cette question et qu'il a demandé confirmation de l'information au défendeur, il a indiqué dans sa décision que le défendeur avait admis, lors de l'audience, où se trouvait L. Mardell et que, de toute façon, l'information n'était pas pertinente. En conséquence, il a maintenu ses conclusions initiales. Or, une personne qui demande une information avant de rendre une décision et déclare ensuite que l'information a été admise à l'audience et n'est pas pertinente agit de manière très incohérente.

[14]            Le demandeur soutenait que, au lieu de tout recommencer lors de la deuxième audience et de tenir compte de manière appropriée de la preuve relative à L. Mardell, l'arbitre semble avoir abordé l'audience avec ressentiment et de façon malveillante et avoir profité simplement de l'occasion pour justifier sa décision initiale en tentant de minimiser artificiellement l'importance de la preuve relative à l'endroit où se trouvait L. Mardell.

[15]            Le demandeur soutenait par conséquent qu'une personne bien renseignée qui étudierait la question de façon réaliste et pratique en arriverait à la conclusion, après avoir lu la décision de l'arbitre, que celui-ci n'a pas abordé l'affaire de manière impartiale, que ce soit consciemment ou inconsciemment, ce qui soulève une crainte de partialité et porte atteinte à son droit à une audition impartiale.

[16]            Le droit d'être entendu

            Le demandeur prétendait que la façon dont l'arbitre a traité la preuve relative à L. Mardell, dont il est question précédemment, a aussi porté atteinte à son droit d'être entendu. En outre, l'arbitre a refusé, sans expliquer pourquoi, de tenir une audience au cours de laquelle des observations pourraient être présentées au regard de la preuve relative à L. Mardell, comme le demandeur le souhaitait.

[17]            Question no 3 : L'erreur de fait ou de droit

            Le demandeur prétendait que la conclusion de fait erronée de l'arbitre selon laquelle l'endroit où se trouvait L. Mardell avait été admis à l'audience initiale l'a amené à commettre une erreur de droit en concluant que la preuve n'était pas pertinente, alors qu'elle l'était clairement au regard de la question de sa crédibilité. La Cour d'appel fédérale a mentionné que « [l]a question de la crédibilité était très importante en l'espèce, la plaignante alléguant avoir été victime de harcèlement sexuel et l'appelant niant cette allégation » .

[18]            Question no 4 : La mesure de redressement appropriée

            Le demandeur soutenait qu'il ne devrait pas être obligé de continuer à suivre un processus qui a déjà duré cinq ans. Au contraire, la décision devrait être annulée et il devrait réintégrer son poste au pénitencier de la Saskatchewan. Subsidiairement, l'affaire devrait être annulée et une nouvelle audience devant un autre arbitre devrait être ordonnée.

Les prétentions du défendeur

[19]            Question no 1 : La norme de contrôle

            Le défendeur soutenait que c'est la norme de la décision manifestement déraisonnable qui s'applique en l'espèce.

[20]            Les délais

            Le défendeur prétendait que le délai dans lequel le demandeur aurait pu remettre en question l'équité procédurale de la décision de l'arbitre au motif (i) que le même arbitre a entendu l'affaire après que celle-ci eut été renvoyée par la Cour d'appel fédérale et (ii) que l'arbitre a décidé qu'il n'y aurait pas de nouvelle audience et que les parties déposeraient des observations écrites était expiré. Ces questions ont été tranchées par une décision préliminaire rendue le 24 mars 2004. Le demandeur s'est concentré sur le fond de l'affaire et n'a déposé son avis de demande que le 19 août 2004, alors que le délai de trente jours prévu au paragraphe 18.1(2) de la Loi sur les Cours fédérales était expiré depuis longtemps (voir, par exemple, Canada (Procureur général) c. Purcell (1994), 86 F.T.R. 232, [1994] A.C.F. no 1649 (1re inst.) (QL), et Moulton c. HCQ Handling Inc., 2003 CFPI 762).

[21]            Question no 2 : L'équité procédurale

            Le défendeur faisait valoir que, si la Cour estime que la demande de contrôle judiciaire du demandeur n'est pas prescrite, ce dernier n'a pas démontré qu'il y a eu manquement à l'équité procédurale. En ce qui concerne la prétention du demandeur concernant le fait que l'affaire a été entendue de nouveau par l'arbitre, la Cour d'appel fédérale a ordonné que l'affaire soit renvoyée au même arbitre et non qu'elle fasse l'objet d'une nouvelle audition par un autre arbitre. Par conséquent, il n'y a pas eu manquement à l'équité procédurale à cet égard.

[22]            Le défendeur a rappelé que la Cour d'appel fédérale a ordonné à l'arbitre de donner aux parties la possibilité de présenter des observations quant à l'effet que la preuve relative à L. Mardell pourrait avoir sur sa décision. La Cour d'appel fédérale a ajouté : « L'arbitre est libre d'établir sa propre procédure à tous les autres égards. » L'arbitre a donné aux parties la possibilité de présenter des observations. Les principes d'équité procédurale n'exigent pas qu'une audience ait lieu dans tous les cas, notamment sur la question limitée renvoyée à l'arbitre pour qu'il rende une nouvelle décision.

[23]            Le défendeur a reconnu qu'un degré élevé d'équité procédurale était requis et que ce degré a été atteint en l'espèce puisque les parties ont compris la question non réglée et ont eu la possibilité d'y répondre.

[24]            Le fond de l'affaire

            Le défendeur soutenait que les prétentions présentées par le demandeur à l'appui de l'allégation selon laquelle la décision était manifestement déraisonnable reprenaient tout simplement les préoccupations exprimées dans les prétentions relatives à l'équité procédurale. L'arbitre a entendu la preuve et les arguments, notamment le témoignage du demandeur et de la plaignante, et a rendu une décision à laquelle il pouvait raisonnablement arriver compte tenu de la preuve et des arguments présentés.

[25]            L'admission par l'employeur

            Le défendeur soutenait que, malgré le fait que la question de l'admission concernant le lieu où se trouvait L. Mardell n'avait aucunement influencé l'arbitre, ce dernier et Bonnie Davenport, dans son affidavit, confirment que l'admission a effectivement été faite.

[26]            Le défendeur a demandé que la demande soit rejetée avec dépens.

Analyse et décision

[27]            La norme de contrôle

            La norme de contrôle applicable à la décision rendue par un arbitre sous le régime de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique est celle de la décision manifestement déraisonnable (voir Green c. Canada (Conseil du Trésor), [2000] A.C.F. no 379, au paragraphe 7 (C.A.F.) (QL)).

[28]            Après que l'affaire eut été renvoyée à l'arbitre, le demandeur a demandé à ce dernier de se récuser à cause d'une possible apparence de partialité. Le demandeur a aussi revendiqué le droit de présenter des observations de vive voix. L'arbitre a refusé de se récuser et a ordonné que les prétentions soient présentées par écrit. Ces décisions ont été rendues le 24 mars 2004. La demande de contrôle judiciaire a été faite le 19 août 2004. Selon le défendeur, cette demande a été présentée en retard. Je suis aussi de cet avis, le paragraphe 18.1(2) de la Loi sur les Cours fédérales exigeant que la demande soit présentée dans les trente jours qui suivent la communication de la décision, sauf si la Cour proroge ce délai. Or, aucune requête en prorogation de délai n'a été présentée. Subsidiairement, si la demande n'a pas été déposée hors délai pour ces deux raisons, je suis d'avis que l'arbitre n'a pas commis une erreur susceptible de contrôle en ne se récusant pas ou en ordonnant que les observations soient présentées par écrit plutôt qu'oralement comme le demandeur le souhaitait.

[29]            Le demandeur prétendait que le libellé de la deuxième décision de l'arbitre confirmait l'existence d'une crainte raisonnable de partialité. Dans Therrien (Re), la Cour a indiqué au paragraphe 82 que l'obligation d'agir équitablement comporte deux volets :

L'obligation d'agir équitablement comporte essentiellement deux volets, soit le droit d'être entendu (règle audi alteram partem) et le droit à une audition impartiale (règle nemo judex in sua causa). La nature et la portée de cette obligation peuvent varier en fonction du contexte particulier et des différentes réalités auxquelles l'organisme administratif est confronté ainsi que de la nature des litiges qu'il est appelé à trancher : Syndicat des employés de production du Québec et de l'Acadie c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne), [1989] 2 R.C.S. 879, p. 895-896, propos cités avec approbation dans l'arrêt 2747-3174 Québec Inc. c. Québec (Régie des permis d'alcools), [1996] 3 R.C.S. 919, par. 22, et Ruffo, précité, par. 88. Ainsi, dans l'arrêt Baker, précité, par. 23-28, le juge L'Heureux-Dubé rappelait précisément que la jurisprudence reconnaît plusieurs facteurs pour déterminer les exigences de l'équité procédurale dans un contexte donné. Sans en dresser une liste exhaustive, elle mentionne : (1) la nature de la décision recherchée et le processus suivi pour y parvenir; (2) la nature du régime législatif et les termes de la loi en vertu de laquelle l'organisme en question agit; (3) l'importance de la décision pour les personnes visées; (4) les attentes légitimes de la personne qui conteste la décision; et (5) le respect des choix de procédure que l'organisme administratif a lui-même faits, particulièrement quand la loi lui en confie le soin. C'est dans cet esprit que j'examinerai maintenant les allégations de violation des règles de l'équité procédurale soulevées par l'appelant en l'espèce.

[30]            La Cour a indiqué au paragraphe 46 de Baker :

Le test de la crainte raisonnable de partialité a été exposé par le juge de Grandpré, dissident, dans l'arrêt Committee for Justice and Liberty c. Office national de l'énergie, [1978] 1 R.C.S. 369, à la p. 394 :

... la crainte de partialité doit être raisonnable et le fait d'une personne sensée et raisonnable qui se poserait elle-même la question et prendrait les renseignements nécessaires à ce sujet. [...] [C]e critère consiste à se demander « à quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique. Croirait-elle que, selon toute vraisemblance, [le décideur], consciemment ou non, ne rendra pas une décision juste? »

[31]            Je conviens que le renvoi de l'affaire au même arbitre ne suscite pas en soi une crainte de partialité.

[32]            La deuxième décision de l'arbitre doit cependant être également examinée pour décider s'il existait une crainte de partialité à son égard. Par souci de commodité, je reproduis une partie de la décision rendue par l'arbitre en date du 16 juillet 2004 :

J'aimerais formuler une observation au sujet de l'un des motifs apparents justifiant la révision de ma décision initiale du 17 août 2001.

Comme mentionné au paragraphe 5 de la décision de la Cour d'appel fédérale, supra, j'ai « [...] demandé pourquoi une autre employée, L. Mardell, qui était sur la liste des employés travaillant ce jour-là, n'avait pas assisté à l'incident avec la détenue » .

[...]

Si on a affirmé à la Cour d'appel fédérale qu'aucun délai n'avait été fixé pour me confirmer si L. Mardell travaillait le jour en question, cela est tout simplement faux. Il serait malencontreux que la Cour d'appel fédérale se soit fondée sur ce motif, entre autres, pour ordonner le réexamen.

Dans l'affaire qui nous intéresse, à la clôture de l'audience (12 juillet 2001), la seule question non réglée avait trait à la réponse à ma question, à savoir si L. Mardell travaillait ce jour-là. Les parties m'ont affirmé que, si les renseignements étaient disponibles, il serait possible de les obtenir en quelques semaines. Par conséquent, comme mentionné au paragraphe 6 de la Cour fédérale, Section de première instance, dans les motifs de l'ordonnance, supra :

[...] Il a donc été convenu que les avocats présenterait cette information conjointement à l'arbitre dans les quelques semaines à venir. On s'est entendu sur le processus suivant : l'avocat du défendeur enverrait l'information à l'avocat du demandeur, qui l'acheminerait ensuite à l'arbitre.

Cependant, l'avocat de l'employeur a admis, lors de l'audience d'arbitrage, que L. Mardell ne se trouvait pas dans l'UDSRF le jour en question. Comme mentionné au paragraphe 15 de la décision de la Cour fédérale, Section de première instance, supra :

[...] l'avocat du défendeur a admis, à la fin de l'audience, qu'il n'avait aucun problème à admettre que L. Mardell ne travaillait pas à l'UDSRP, mais était dans le pénitencier principal, comme l'avait affirmé le demandeur sous serment.

Après avoir attendu plus que « quelques semaines » , à la suite de l'issue de l'audience le 12 juillet, et en l'absence de nouvelles de l'une ou l'autre des parties quant à la communication des renseignements, j'ai rendu une décision sur la question importante du licenciement du fonctionnaire s'estimant lésé, le 17 août 2001. Par coïncidence, il s'agit de la date même où l'avocat du fonctionnaire s'estimant lésé a reçu les renseignements de l'avocat de l'employeur, à savoir que L. Mardell ne travaillait pas à l'unité le jour en question.

Ce qui devait m'être présenté par écrit, si l'information était disponible, était la confirmation que la déclaration de M. Gale au sujet de L. Mardell était exacte. L'employeur avait déjà accepté ce point à la clôture de l'audience! L'ironie réside dans le fait que la lettre n'aurait une incidence que dans la mesure où le témoignage de M. Gale était contesté. L'employeur avait déjà accepté ce point à la clôture de l'audience.

Le fait que L. Mardell ait travaillé ce jour-là ou non n'a pas pesé dans la décision initiale de maintenir le licenciement. L'avocat du fonctionnaire s'estimant lésé soutient qu'il s'agit d'un élément crucial pour rehausser la crédibilité du fonctionnaire s'estimant lésé. L'avocat de l'employeur prétend qu'il s'agit d'une échappatoire.

Lors de l'audience initiale, je devais essentiellement établir si l'incident de harcèlement sexuel s'était bel et bien produit. Comme je l'ai mentionné au paragraphe 2 de ma décision initiale, supra :

[...] Les parties étaient du même avis quant à la question de la sanction, à savoir que le résultat devrait être soit le rejet du grief (au cas où l'allégation serait prouvée) ou soit la pleine réintégration du fonctionnaire s'estimant lésé dans ses fonctions (au cas où l'allégation ne serait pas prouvée).

L'affaire reposait essentiellement sur les dires de l'un et les dires de l'autre. Mme X disait que l'incident avait eu lieu, alors que M. Gale le niait. Personne n'a été témoin de la scène entre les deux parties.

J'ai étudié l'ensemble de la preuve et j'ai conclu que je préférais le témoignage de Mme X à celui de M. Gale quant à l'incident présumé. Le licenciement a été maintenu.

Maintenant, l'avocat du fonctionnaire s'estimant lésé affirme que, comme l'employeur a admis que L. Mardell ne devait pas, selon son horaire, se rendre à l'unité, le 19 mai 1999, alors L. Mardell ne pouvait donc pas répondre lors de l'incident avec la détenue, ce qui concorde avec le témoignage de M. Gale. L'avocat a fait valoir, au paragraphe 35 de son observation écrite, que la déclaration de M. Gale était fondée.

Dans ma décision initiale, je n'ai pas affirmé que l'on ne devait pas croire tous les propos de M. Gale. J'ai analysé les événements entourant l'incident présumé, ainsi que les souvenirs d'autres employés qui, bien qu'ils n'aient pas été témoins de l'incident, ont observé Mme X et lui ont parlé peu de temps après.

Comme je l'ai mentionné dans ma décision initiale (paragraphes 132 et 133) :

Les cas portant sur de sérieuses allégations sans autres témoins que les personnes directement concernées sont parmi les plus difficiles à trancher pour les arbitres. Des questions de crédibilité se posent souvent, et les arbitres se reportent souvent à la décision rendue par le juge O'Halloran, de la Cour d'appel de la Colombie-Britannique, dans l'affaire Faryna c. Chorney, [1952] 2 D.L.R. 354, qui est éclairante en l'espèce.

À la page 356 de sa décision, le juge O'Halloran dit ce qui suit :

[Traduction]

Si la conclusion du juge de première instance à propos de la crédibilité doit tenir uniquement à la question de savoir qui, à son avis, donne l'impression d'être le plus sincère à la barre des témoins, sa conclusion sera purement arbitraire et l'administration de la justice se fera en fonction des déclarations des personnes qui se sont révélées les meilleurs acteurs à la barre des témoins.

Mme X a témoigné à l'effet que M. Gale l'avait harcelée sexuellement à l'étage 1 de l'unité de travail, entre le moment de son arrivée, à 11 h 10, et 11 h 25, le 19 mai 1999. M. Gale a déclaré qu'il n'était pas à l'étage 1 à ce moment. Au paragraphe 139 de ma décision, supra, j'écris :

M. Gale déclare qu'il se trouvait à l'étage II, en train de dactylographier sa Déclaration à 11 h 00, et que cela lui a pris environ 45 minutes. [...]

La preuve présentée lors de l'audience démontrait qu'on avait demandé à Mme X de se rendre à l'étage 1 afin de remplacer une agente de correction, Mme Wilson-Demuth, qui menait une entrevue avec une détenue. Les parties n'ont pas contesté le fait que, selon la politique de l'employeur, un membre du personnel de sexe masculin ne peut pas demeurer seul en poste dans cette unité de travail.

Le registre indique que Mme Wilson-Demuth a commencé son entrevue avec la détenue à 11 h 10 et, quand Mme X est arrivée à l'étage I, elle a regardé dans la salle d'entrevue et a vu Mme Wilson-Demuth avec la détenue. Comme mentionné au paragraphe 138 de ma décision :

[...] Cela n'a pas été réfuté en contre-interrogatoire. [...]

Mme X soutient que l'incident s'est produit entre 11 h 10 et 11 h 25. M. Gale prétend qu'il n'était pas là à ce moment. Au paragraphe 140 de ma décision, supra, j'écris :

De ces deux versions, je préfère le témoignage de Mme X. [...]

Est-ce que le fait que L. Mardell n'ait pas travaillé à l'UDSRF, le 19 mai 1999, a influé sur ma conclusion? Absolument pas. Ma conclusion était fondée sur la preuve directe entourant les allers et venues présumés de Mme X et de M. Gale. J'estime que la présence ou l'absence de L. Mardell n'est pas pertinente.

De même, j'estime que le fait que L. Mardell ait travaillé ou non ce jour-là ne teinte nullement l'ensemble de la preuve dont j'ai tenu compte dans ma décision et qui est survenue après l'acte présumé de harcèlement sexuel.

L'avocat de l'employeur a déclaré que :

[Traduction]

La présence ou l'absence de L. Mardell constitue une échappatoire et n'a aucune pertinence.

Je suis d'accord. À mon avis, le fait que L. Mardell ait travaillé ou non le jour en question ne change rien.

Je ferai également des observations concernant un autre point soulevé au paragraphe 24 des observations écrites de l'avocat du fonctionnaire s'estimant lésé :

[Traduction]

L'ensemble de la preuve concorde pour dire que M. Gale a laissé Mme X entrer dans l'unité seulement une fois ce jour-là.

Plus loin au paragraphe 29, l'avocat du fonctionnaire s'estimant lésé écrit :

[Traduction]

[...] le témoignage de M. Gale [...] [était] qu'elle avait quitté à 11 h 30 et qu'une personne autre que M. Gale lui aurait permis d'entrer de nouveau à midi.

L'avocat de l'employeur a fait valoir que cette proposition était absolument inexacte. Je suis entièrement d'accord.

Il ne fait aucun doute que M. Gale a admis Mme X dans l'unité de travail pour la première fois autour de 11 h 00. L'avocat du fonctionnaire s'estimant lésé prétend que c'est la seule fois que M. Gale a laissé Mme X entrer à l'unité. Au cours du long contre-interrogatoire de Mme X, l'avocat du fonctionnaire s'estimant lésé ne l'a jamais avisé que sa version des événements survenus une fois qu'elle était entrée à l'étage 1, vers midi, après son déjeuner, divergeait du témoignage que ferait M. Gale. Il aurait dû lui donner un tel avis, conformément aux principes énoncés dans Browne c. Dunn, [1893] 6 R 67 (C.L.). Lors des procédures initiales, il n'a en aucun moment été question que M. Gale avait fait entrer Mme X une seule fois. Après avoir entendu et examiné la preuve, il ne subsiste aucun doute dans mon esprit que M. Gale a effectivement laissé entrer Mme X à l'unité de travail de l'étage 1 deux fois ce jour-là. Au paragraphe 88 de ma décision initiale, supra, j'ai écris :

Lorsqu'on lui a demandé s'il se souvenait d'avoir fait rentrer Mme X à l'unité, après le déjeuner, et lui avoir demandé si elle avait aimé cela, M. Gale a répondu qu'il ne se souvenait pas précisément de cela, mais que cela avait pu se produire.

Lors de l'audience d'arbitrage, Mme X a déclaré qu'après son déjeuner elle était retournée à l'UDSRF et, comme indiqué au paragraphe 24, « [...] elle a sonné à la porte et le fonctionnaire s'estimant lésé est venu ouvrir la porte; Mme X a témoigné qu'il lui a alors dit : [traduction] « Alors, comment c'était? »

Au paragraphe 148 de ma décision, supra, j'ai écris :

Pensant que M. Gale faisait allusion à son déjeuner, Mme X a répondu : « pas mal » . Cela n'a pas été contesté.

Mme X a répondu à une question de M. Gale à son retour du déjeuner. Je persiste à croire que M. Gale a laissé entrer Mme X et qu'il lui a parlé. L'affirmation suivante contenue dans les observations soumises par l'avocat du fonctionnaire s'estimant lésé (paragraphe 24), le 14 mai 2004, est tout simplement inexacte :

L'ensemble de la preuve concorde pour dire que M. Gale a laissé Mme X entrer dans l'unité seulement une fois ce jour-là.

En résumé, la question de savoir si L. Mardell travaillait à l'UDSRF le jour en question n'a aucunement influencé et n'influence toujours pas ma décision dans cette affaire.

Le fait est que la lettre que l'avocat de l'employeur a envoyé le 17 août 2001 à l'avocat du fonctionnaire s'estimant lésé confirme simplement ce que l'employeur avait admis lors de l'audience. Le fait que L. Mardell travaillait ou non à l'UDSRF n'avait aucun poids dans la balance. Les autres éléments de preuve cités dans ma décision initiale, supra, m'ont permis de conclure que, selon toute probabilité, M. Gale avait harcelé sexuellement Mme X.

Finalement, seules deux personnes savent, de manière absolue, si les événements exposés par Mme X se sont vraiment déroulés. À titre de juge des faits, après avoir pesé avec soin tous les éléments de preuve, y compris la lettre du 17 août 2001 confirmant l'absence de L. Mardell le 19 mai 1999 à l'UDSRF, je demeure convaincu que M. Gale a bel et bien commis l'acte de harcèlement sexuel qu'a dénoncé Mme X. Par conséquent, je ne vois aucune raison d'annuler ma décision, et le licenciement de M. Gale est maintenu.

[33]            Un examen de la décision révèle que l'arbitre a fait référence à l'un des motifs pour lesquels la Cour d'appel fédérale a cru bon de revoir sa décision initiale, à savoir qu'il a soulevé la question de savoir pourquoi une autre employée, L. Mardell, qui était inscrite sur la liste des employés ce jour-là, n'a pas assisté à l'incident. L'arbitre a indiqué que, si on a affirmé à la Cour d'appel fédérale qu'aucun délai n'avait été fixé pour confirmer où L. Mardell travaillait le jour en question, cela était « tout simplement faux » . La Cour d'appel a déclaré qu'aucun délai n'avait été fixé, alors que l'arbitre a mentionné que l'information devait être fournie dans les quelques semaines suivantes. L'arbitre a déclaré qu' « [i]l serait malencontreux que la Cour d'appel fédérale se soit fondée sur ce motif, entre autres, pour ordonner le réexamen » . Cette analyse ne concerne cependant pas la question que l'arbitre devait régler au regard de la lettre du 17 août 2001 concernant le lieu de travail de L. Mardell au moment pertinent.

[34]            L'arbitre a également mentionné que « la question de savoir si L. Mardell travaillait à l'UDSRF le jour en question n'a aucunement influencé et n'influence toujours pas ma décision dans cette affaire » . Je dois rappeler cependant que c'est l'arbitre qui a demandé l'information à la fin de l'audience car elle avait trait à la crédibilité. Il n'y a rien dans la deuxième décision de l'arbitre qui explique réellement pourquoi la preuve relative à l'endroit où L. Mardell travaillait avait perdu toute son importance. L'arbitre a simplement déclaré que cette preuve n'était pas pertinente aux fins de sa conclusion.

[35]            J'ai examiné attentivement la deuxième décision de l'arbitre et je suis d'avis que ce dernier s'est attardé davantage à la raison pour laquelle la Cour d'appel a renvoyé l'affaire et à la justification de sa première décision qu'à la preuve contenue dans la lettre du 17 août 2001.

[36]            Il ne fait aucun doute que c'est à l'arbitre qu'il incombe d'examiner cette preuve. La Cour d'appel fédérale lui avait ordonné de « tenir compte de l'information contenue dans la lettre de l'avocat de l'intimé du 17 août 2001 concernant L. Mardell et [de] donner aux parties la possibilité de présenter des observations quant à l'effet de cette information sur sa décision » .

[37]            L'arbitre a également indiqué dans sa deuxième décision que l'employeur avait reconnu, à la fin de l'audience, que L. Mardell ne travaillait pas à l'UDSRF le jour en question. Si tel était le cas, je ne comprends pas pourquoi il a indiqué également dans sa deuxième décision qu'il avait été convenu que les avocats lui communiqueraient l'information dans les quelques semaines à venir. Comme il l'a lui-même souligné dans sa deuxième décision : « à la clôture de l'audience (12 juillet 2001), la seule question non réglée avait trait à la réponse à ma question de savoir si L. Mardell travaillait ce jour-là » .

[38]            La décision a des conséquences très graves pour le demandeur. Si la Cour ne lui donne pas gain de cause, il perdra son emploi. Dans Therrien (Re), la Cour a indiqué que l'obligation d'agir équitablement comportait deux volets : le droit d'être entendu et le droit à une audition impartiale (règle nemo judex in sua causa). C'est sur ce dernier aspect que je me pencherai en l'espèce.

[39]            Je dois me demander « à quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique » (Baker, précité, au paragraphe 46). Je suis d'avis que la personne bien renseignée qui étudierait la question de cette façon conclurait qu'il est plus probable que l'arbitre n'a pas agi de manière équitable, que ce soit consciemment ou inconsciemment. Je me fonde à cet égard sur le ton de la deuxième décision et sur le fait que la preuve relative au lieu de travail de L. Mardell le jour en question n'a pas été examinée de manière réaliste.

[40]            Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est accueillie.

[41]            Le demandeur a droit à ses dépens afférents à la demande.

ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.          La demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision du 26 juillet 2004 est annulée et l'affaire est renvoyée afin de faire l'objet d'une nouvelle audience devant un autre arbitre.

2.          Le demandeur a droit à ses dépens afférents à la demande.

« John A. O'Keefe »

Juge

Traduction certifiée conforme

David Aubry, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                           T-1519-04

INTITULÉ :                                                          GRANT GALE

                                                                              c.

LE CONSEIL DU TRÉSOR (Solliciteur général du Canada - Service correctionnel)

LIEU DE L'AUDIENCE :                                    SASKATOON (SASKATCHEWAN)

DATE DE L'AUDIENCE :                                  LE 10 AOÛT 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                          LE JUGE O'KEEFE

DATE DES MOTIFS

ET DE L'ORDONNANCE :                                LE 4 NOVEMBRE 2005

COMPARUTIONS :

Heather Sherdahl                                                     POUR LE DEMANDEUR

Richard E. Fader                                                     POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Sanderson Balicki Popescul                                     POUR LE DEMANDEUR

Prince Albert (Saskatchewan)

John H. Sims, c.r.                                                    POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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