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Date : 19991105


Dossier : IMM-5628-98

OTTAWA (ONTARIO), LE 5 NOVEMBRE 1999

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE NADON


ENTRE :



ALEXANDER HENRI LEGAULT


demandeur

                    

- et -


LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L"IMMIGRATION


défendeur




ORDONNANCE

     La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.


Marc Nadon

_______________________

JUGE


Traduction certifiée conforme


Philippe Méla







Date : 19991105


Dossier : IMM-5628-98



ENTRE :



ALEXANDER HENRI LEGAULT


demandeur

                    

- et -


LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L"IMMIGRATION


défendeur




MOTIFS DE L"ORDONNANCE

LE JUGE NADON

[1]      Il s"agit de la demande de contrôle judiciaire de la décision rendue le 17 septembre 1998 par la Commission de l"immigration et du statut de réfugié (" la Commission ") dans laquelle la revendication du statut de réfugié au sens de la Convention présentée par le demandeur a été rejetée.

[2]      Le demandeur, un citoyen américain, est arrivé au Canada en janvier 1982. En décembre 1993, il a revendiqué le statut de réfugié sur la base d"une crainte de persécution après avoir prétendument fourni des renseignements confidentiels sur la C.I.A. et des preuves préjudiciables à cette dernière.

[3]      Le demandeur a rapporté l"histoire suivante. Il a travaillé pour la C.I.A dans les années 70 tout en étudiant en France, et a signé un accord de confidentialité en raison de son emploi. Il s"est marié en août 1980. Sa belle-mère, Florence Langleben, a été une des victimes des expériences de contrôle de l"esprit entreprises à l"Institut Allan Memorial de Montréal pendant les années 50. Selon le demandeur, la famille de sa belle-mère savait, au moins depuis 1979, que ces expériences faisaient partie d'un projet financé par la CIA appelé MKULTRA et il a décidé de l"aider. À cet effet, le demandeur a déclaré qu"en 1980, il a fourni des renseignements confidentiels sur la C.I.A. et des preuves préjudiciables à cette dernière à Joseph Rauh, un avocat représentant certaines des victimes du projet MKULTRA aux États-Unis. Le demandeur croit que ces preuves ont mené au jugement rendu par la Cour fédérale du district fédéral de Columbia contre la C.I.A en 1988, ou pour le moins, y ont contribué de manière importante.

[4]      Le 14 mars 1986, un grand jury fédéral des États-Unis a rendu un acte d"accusation contre le demandeur pour diverses infractions impliquant la fraude " en particulier, la conspiration de commettre de la fraude télégraphique et postale, la fraude, la falsification de connaissement, et l"utilisation de faux noms. Basé sur cet acte d'accusation, la District Court américaine a émis le même jour un mandat d"arrestation du demandeur.

[5]      Par suite de l'acte d'accusation et au mandat d"arrestation, une ordonnance d"expulsion a été rendue contre le demandeur, le 10 décembre 1993. Le demandeur a, dès lors, entamé une instance en contrôle judiciaire et l"ordonnance d"expulsion a été annulée par la Section de première instance de la présente Cour. On a fait appel de cette décision devant la Cour d"appel fédérale, et cette dernière a annulé la décision de la Section de première instance et a confirmé l"ordonnance d"expulsion. La Cour suprême n"a pas autorisé l'appel du demandeur.

[6]      Le demandeur croit que M. Rauh doit avoir divulgué son nom à la C.I.A et que celle-ci a monté un faux dossier contre lui afin de le punir pour avoir divulgué des renseignements confidentiels de la C.I.A à M. Rauh. Il affirme qu'il est innocent de toutes les accusations et prétend que la C.I.A a monté un coup contre lui sur la base de fausses accusations et à l"aide de preuves fabriquées. En conséquence, le 8 décembre 1993, douze ans après son arrivée au Canada et cinq ans après le règlement de l"affaire MKULTRA, il a revendiqué le statut de réfugié.

[7]      Pendant son audience sur le statut de réfugié, le demandeur a témoigné que de nouvelles accusations criminelles ont été portées contre lui en Floride, en février 1997, et que celles-ci étaient également inventées de toutes pièces par la C.I.A pour le punir pour avoir, en 1980, divulgué à M. Rauh des renseignements préjudiciables.

[8]      La Commission a rejeté la réclamation du statut de réfugié du demandeur au motif que celui-ci n'avait pas satisfait aux exigences du fardeau de la preuve.

[9]      La Commission n"a pas conclu à la crédibilité du demandeur et a décrit son récit comme étant " incohérent et illogique ". Elle a caractérisé ses revendications concernant sa divulgation de preuves à M. Rauh comme étant des allégations fabriquées. La Commission a conclu qu"il était peu probable que le demandeur ait participé à la préparation du dossier de M. Rauh monté contre la C.I.A en 1980 puisque sa belle-mère a prétendu, dans sa déclaration contre la C.I.A, que ce n"est qu"en 1982 qu"elle a appris la participation de la C.I.A dans le projet MKULTRA. La position du demandeur à ce propos est qu'il n"a jamais dit que sa belle-mère connaissait le projet MKULTRA dès 1979, mais que seulement sa famille (c.-à-d., son mari, sa fille qui est également l"épouse du demandeur et son fils) connaissait le projet à cette date.

[10]      De plus, la Commission n'a pas tenu compte de la preuve de quatre témoins experts produits par le demandeur en raison de sa conclusion concernant sa crédibilité.

[11]      Dans son mémoire, le demandeur prétend que son instance en contrôle judiciaire soulève les questions suivantes :

[TRADUCTION]
1. La Commission a-t-elle agi en dehors de sa compétence quand elle a cherché et ajouté des éléments de preuve après l'audiENCE ?
2. La Commission a-t-elle commis une erreur de droit susceptible de contrôle judiciaire en ignorant un élément de preuve corroborant pertinent qui était spécifique à la revendication du demandeur et qui étayait clairement sa position ?
3. La Commission a-t-elle commis une erreur de droit susceptible de contrôle judiciaire quand elle a mal interprété la preuve qui a menée à ses conclusions de l"existance de contradictions et d"invraisemblances dans la preuve du demandeur ?

[12]      Le demandeur prétend que la Commission a agi en dehors de sa compétence quand, après la clôture de la preuve, elle a renvoyé aux décisions de la Cour fédérale du Canada, de première instance et d"appel, et à la décision de la Cour suprême qui a refusé d"entendre son appel, et les a déposées au dossier. Le défendeur prétend que ces décisions ne sont pas reliées à la question en l"espèce, à savoir, la revendication du statut de réfugié du demandeur, et que, de plus, la Commission ne s"est pas appuyée sur ces décisions quand elle a refusé de lui accorder le statut de réfugié.

[13]      Le demandeur prétend également que la Commission a commis une erreur quand elle n'a pas tenu compte de la preuve corroborante d'un témoin expert au sujet des activités de la C.I.A. Le défendeur prétend que cet expert ne pouvait que parler des activités de la C.I.A en général et ne pouvait pas faire la lumière sur le prétendu rapport entre le demandeur et M. Rauh, qui était la question principale en l"espèce.

[14]      Enfin, le demandeur prétend que la conclusion de la Commission qu"il n"était pas crédible est basée sur une mauvaise interprétation des éléments de preuve et constitue donc une erreur de droit susceptible de contrôle judiciaire par la Cour. La position du défendeur est que la Commission n'a fait aucune erreur et que sa conclusion réfléchie ne démontre rien de déraisonnable en ce qui concerne son appréciation de la crédibilité du demandeur ou de l"absence de celle-ci.


ANALYSE

[15]      la Commission a conclu que le demandeur n"avait pas démontré qu"il était un réfugié au sens de la Convention. La Commission a basé sa conclusion sur plusieurs incohérences dans la preuve du demandeur. Par exemple, la Commission a rejeté la déclaration du demandeur suivant laquelle il a commencé à enquêter sur l'affaire MKULTRA en 1980, en faisant ressortir que sa belle-mère a indiqué dans sa déclaration qu'elle a appris la participation de la C.I.A dans le projet MKULTRA seulement en 1982. En conséquence, la Commission a conclu qu"il était peu probable que le demandeur ait fait ces enquêtes au moment où il prétend les avoir faites.

[16]      En réponse, le demandeur affirme dans son mémoire qu'il n'a jamais déclaré que sa belle-mère connaissait la participation de C.I.A. dans le projet MKULTRA en 1980, mais que seulement sa famille était au courant. Cependant, je note que dans son formulaire de renseignements personnels (" F.R.P. "), le demandeur déclare que sa belle-mère a engagé M. Rauh pour lancer une poursuite contre la C.I.A à l"automne 1980. Bien que ceci ait été ultérieurement modifié dans une annexe qui précise que sa belle-mère a joint la poursuite en 1983, je conclus tout de même que la Commission n'a pas mal interprété la preuve en ce qui concerne la crédibilité du demandeur et que sa conclusion n'était pas déraisonnable. Dans son F.R.P., le demandeur déclare qu'il s"est marié en août de 1980, et qu'à ce moment-là, il ignorait tout du conflit entre la famille de son épouse et la C.I.A. Cependant, plus tard dans sa déclaration, le demandeur rapporte qu'il a rencontré Sydney Williams au cours de l"été 1980, et qu'il lui a demandé d"enquêter au sujet du projet MKULTRA. Après lecture du F.R.P. du demandeur et de la transcription de son témoignage oral, je comprends facilement pourquoi la Commission est arrivée à la conclusion que le demandeur n'était pas crédible.

[17]      En ce qui concerne la question de la Commission " ajoutant " des éléments de preuve (à savoir les décisions de la Cour fédérale du Canada et le jugement de la Cour suprême au sujet du contrôle judiciaire de l"ordonnance d"expulsion) après la conclusion de l'audience sur le statut de réfugié, je suis d'accord avec la position de défendeur. Bien que la Commission ait renvoyé à ces décisions et les ait déposées au dossier, elle ne s"est pas appuyée sur ces dernières pour tirer sa conclusion qui, de manière significative, traite uniquement du manque de crédibilité du demandeur. En fait, l'évaluation par la Commission de la crédibilité du demandeur ou de l"absence de crédibilité n'a pas été, de quelque façon que ce soit, influencée par les décisions.

[18]      En ce qui concerne la preuve corroborante, je ne vois également aucun motif justifiant la modification de la décision de la Commission de ne pas tenir compte de la preuve d"experts. Les témoins ont témoigné sur des sujets relatifs à la C.I.A et ses opérations secrètes, mais ils n'ont eu aucune connaissance directe quant à savoir si et jusqu"à quel point ce demandeur en particulier a été impliqué dans l"affaire MKULTRA.

[19]      En ce qui concerne la preuve corroborante, je noterais qu'un tel témoin principal qui aurait pu être primordial dans l"affaire du demandeur était Sydney Williams, qui était, selon le demandeur, un autre employé de la C.I.A. Le demandeur a indiqué qu'il a rencontré M. Williams en 1980 et lui a demandé d"enquêter au sujet du projet MKULTRA et de lui en faire un rapport.

M. Williams a apparemment fait ces enquêtes, en a fait rapport au demandeur, qui à son tour, a divulgué les renseignements à M. Rauh. M. Williams a ultérieurement informé le demandeur que les avocats de la C.I.A l'avaient contacté et l'avaient interrogé au sujet du demandeur. La Commission a considéré cela comme d"autres inventions du demandeur. Si Sydney Williams avait été appelé comme témoin, la Commission aurait peut-être pu adopter une position différente. Cependant, il n"a pas été appelé et la Commission n'a pas cru le demandeur.

[20]      Pour ces motifs, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[21]      L'avocat du demandeur prétend que les questions suivantes devraient être certifiées:

1.      Le non-respect des règles de justice naturelle, consistant en l"admission d"éléments de preuve, ou de tout autre document duquel des inférences de fait peuvent être tirées, peut-il annuler la décision qui fait l"objet du contrôle ?
2.      La Commission doit-elle renvoyer à la preuve corroborante présentée par un témoin indépendant lorsque la solution d"une affaire repose sur la crédibilité?

[22]      Dans Liyanagamage c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l"Immigration) (1994), 176 N.R. 4, le juge Décary, pour la Cour d"appel, a clairement expliqué quand une question devrait être certifiée en vertu du paragraphe 83(1) de la Loi sur l"immigration. À la page 5, le juge Décary dit :

Lorsqu"il certifie une question sous le régime du paragraphe 83(1), le juge des requêtes doit être d"avis que cette question transcende les intérêts des parties au litige, qu"elle aborde des éléments ayant des conséquences importantes ou qui sont de portée générale [voir l"excellente analyse de la notion d"importance qui est faite par le juge Catzman dans la décision Rankin v. McLeod, Young, Weir Ltd. et al, (1986), 57 O.R. (2d) 569 (H.C.)] et qu"elle est aussi déterminante quant à l"issue de

l"appel. Le processus de certification qui est visé à l"article 83 de la Loi sur l"immigration ne doit pas être assimilé au processus de renvoi prévu à l"article 18.3 de la Loi sur la Cour fédérale ni être utilisé comme un moyen d"obtenir, de la Cour d"appel, des jugements déclaratoires à l"égard de questions subtiles qu"il n"est pas nécessaire de trancher pour régler une affaire donnée.

[23]      À mon avis, ni l'une ni l'autre des question proposées pour certification par le demandeur ne " transcende les intérêts des parties au litige ". Les questions sont, à mon avis, limitées aux circonstances particulières de l"espèce et abordent seulement les intérêts immédiats des parties. Comme la Cour l"a affirmé : " Une question certifiée ne se rapporte pas à l'affaire qui est entendue; elle vise à clarifier un point de droit de portée générale qui n'a pas été réglé " (voir Huynh c.Canada , [1995] 1 C.F. 633 (1re inst.) à la page 651, confirmé à [1996 ] 2 C.F. 976).

         [21]      Je ne suis pas donc disposé à certifier les questions proposées par le demandeur.


Marc Nadon

_______________________

JUGE

Ottawa (Ontario)

Le 5 novembre 1999


Traduction certifiée conforme



Philippe Méla








SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

DE LA COUR FÉDÉRALE DU CANADA


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

NO DU GREFFE :                  IMM-5628-98
INTITULÉ DE LA CAUSE :          ALEXANDER HENRI LEGAULT

                         c.

                         M.C.I.

LIEU DE L"AUDIENCE :              MONTRÉAL (QUÉBEC)
DATE DE L"AUDIENCE :              LE 3 AOÛT 1999
MOTIFS DE L"ORDONNANCE PAR :      MONSIEUR LE JUGE NADON
EN DATE DU :                  5 NOVEMBRE 1999

ONT COMPARU :                     

M. WILLIAM SLOAN              POUR LE DEMANDEUR

M. NORMAND LEMYRE              POUR LE DÉFENDEUR

                            

            

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :     

M. WILLIAM SLOAN              POUR LE DEMANDEUR

                            

M. MICHEL LECOURS                             

M. Morris Rosenberg                  POUR LE DÉFENDEUR
Sous-procureur général du Canada         

                            

                            

                            



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