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Date : 20050816

Dossier : IMM-9302-04

Référence :  2005 CF 1119

Toronto (Ontario), le 16 août 2005

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BLAIS

 

ENTRE :

JOHANNA NILDA GYORGYJAKAB

demanderesse

 

 

 

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire, présentée en vertu de l’article 72 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR), de la décision rendue le 19 octobre 2004 par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission), dans laquelle elle a conclu que Johanna Gyorgyjakab (la demanderesse) n’était pas une réfugiée au sens de la Convention, ni une personne à protéger au sens des articles 96 et 97 de la LIPR respectivement.

 

LES FAITS

[2]               La demanderesse est citoyenne de la Roumanie et de la Hongrie. Elle prétend craindre avec raison d’être persécutée et être une personne à protéger en raison de ses origines ethniques (elle est en partie d’ascendance rom), de son orientation sexuelle et de la violence conjugale dont elle a été victime.

 

[3]               La demanderesse est née en Roumanie, mais elle s’est installée en Hongrie à l’âge de 15 ans, après avoir été battue par la police lorsque celle-ci a découvert qu’elle était lesbienne. Elle prétend que, en Hongrie, elle a été maltraitée en raison de son ascendance rom. Elle prétend aussi qu’elle a été violée par le fils de son propriétaire (Steve); cependant, à l’hôpital, on l’aurait accusée d’avoir inventé cette histoire d’agression et de viol, parce qu’elle voyait aussi un psychiatre à l’époque.

 

[4]               La demanderesse prétend en outre que Steve a aussi tenté de l’empoisonner ainsi que sa mère (son père avait divorcé et les avaient quittées plusieurs années auparavant). Même si sa mère a été tuée par le monoxyde de carbone, elle a échappé à la mort après avoir été traitée dans un hôpital local. Il a été conclu que le décès était accidentel et aucune accusation n’a été portée.

 

[5]               La demanderesse a continué de voir un psychiatre afin qu’il l’amène à devenir hétérosexuelle et à être attirée par les hommes, mais elle a noué une relation avec une autre femme. À la même époque, Steve a continué à faire pression sur elle pour la conquérir et en faire son « trophée ». Au début de 2000, sa petite amie est partie pour le Canada et elle a fait une dépression. Elle a ensuite appris que Steve avait des relations étroites avec la mafia locale et elle a simplement décidé de céder à ses avances. Elle a accepté de l’accompagner en lune de miel en Grèce et en Italie.

 

[6]               Elle a poursuivi son récit et prétendu que Steve avait eu des ennuis financiers, et qu’il l’avait offerte à ses créanciers comme objet sexuel. Elle prétend avoir été victime d’un viol collectif en échange de l’annulation de sa dette. Elle s’est présentée à la police pour signaler ces viols, mais on lui a dit qu’il n’y en avait aucune preuve et que l’on ne ferait pas d’enquête.

 

[7]               En mars 2002, la demanderesse a pu quitter la Hongrie et venir au Canada. Elle est arrivée le 19 mars 2002 et elle a fait une demande d’asile le 16 mai 2002.

 

LES QUESTIONS EN LITIGE

[8]               1. Le commissaire a-t-il commis une erreur lorsqu’il a refusé de se récuser afin de laisser une commissaire présider l’audience?

 

2. La Commission a-t-elle commis une erreur lorsqu’elle a conclu que la demanderesse n’avait pas établi qu’elle avait bien une ascendance rom?

 

 


ANALYSE

[9]               Le commissaire a fait état de nombreuses contradictions dans la déposition et les preuves produites par la demanderesse. La demanderesse ne conteste pas les autres conclusions défavorables tirées par la Commission quant à la crédibilité, mais elle fonde sa demande de contrôle judiciaire sur les deux points soulevés plus haut.

 

1.      Le commissaire a-t-il commis une erreur lorsqu’il a refusé de se récuser afin de laisser une commissaire présider l’audience?

 

[10]           La demanderesse prétend que le commissaire aurait dû se récuser, comme l’imposent les directives intitulées Revendicatrices du statut de réfugié craignant d'être persécutées en raison de leur sexe. En voici le passage pertinent :

D. PROBLÈMES SPÉCIAUX LORS DES AUDIENCES RELATIVES À LA DÉTERMINATION DU STATUT DE RÉFUGIÉ

 

Les femmes qui revendiquent le statut de réfugié font face à des problèmes particuliers lorsque vient le moment de démontrer que leur revendication est crédible et digne de foi. Certaines difficultés peuvent survenir à cause des différences culturelles. Ainsi,

 

1. Les femmes provenant de sociétés où la préservation de la virginité ou la dignité de l'épouse constitue la norme culturelle peuvent être réticentes à parler de la violence sexuelle dont elles ont été victimes afin de garder leur sentiment de « honte » pour elles-mêmes et de ne pas déshonorer leur famille ou leur collectivité. 28

 

2. Les femmes provenant de certaines cultures où les hommes ne parlent pas de leurs activités politiques, militaires ou même sociales à leurs épouses, filles ou mères peuvent se trouver dans une situation difficile lorsqu'elles sont interrogées au sujet des expériences de leurs parents de sexe masculin. 29

 

3. Les revendicatrices du statut de réfugié victimes de violence sexuelle peuvent présenter un ensemble de symptômes connus sous le nom de syndrome consécutif au traumatisme provoqué par le viol, 30 et peuvent avoir besoin qu'on leur témoigne une attitude extrêmement compréhensive. De façon analogue, les femmes qui ont fait l'objet de violence familiale peuvent de leur côté présenter un ensemble de symptômes connus sous le nom de syndrome de la femme battue et peuvent hésiter à témoigner. 31 Dans certains cas, il conviendra de se demander si la revendicatrice devrait être autorisée à témoigner à l'extérieur de la salle d'audience par affidavit ou sur vidéo, ou bien devant des commissaires et des agents chargés de la revendication ayant reçu une formation spéciale dans le domaine de la violence faite aux femmes. Les commissaires doivent bien connaître les Lignes directrices pour la protection des femmes réfugiées publiées par le comité exécutif du HCR.32

 

 

[11]           Nulle part dans les directives il n’est mentionné que le commissaire présidant l’audience ne devrait pas être un homme; il est simplement dit que l’on doit faire preuve d’adaptation. Cela dit, il n’y a rien dans la décision de la Commission tendant à indiquer que tel n’a pas été le cas. Au contraire, le commissaire a expressément dit que :

Au début de l’audience, le conseil de la demandeure s’est dit étonné, étant donné la nature de l’affaire, de constater que le commissaire était de sexe masculin.

 

Aux yeux du tribunal, l’étonnement du conseil ne justifie pas un changement de commissaire. Je souligne que le conseil est lui-même de sexe masculin. En outre, le tribunal est assisté par une agente de protection des réfugiés. Par ailleurs, aucune demande précise n’a été présentée avant l’audience afin que le choix se porte sur une commissaire. Enfin, tous les commissaires ont été sensibilisés aux questions liées au sexe et se conforment aux directives du président à cet égard.

 

[…]

 

Pour parvenir à sa conclusion, le tribunal a pris en compte les directives du président, Revendicatrices du statut de réfugié craignant d’être persécutées en raison de leur sexe. Même en se montrant tolérant vis-à-vis des lacunes dans son témoignage, le tribunal conclut que les aspects douteux de celui-ci et l’accumulation d’incohérences qui y ont été relevées enlèvent toute crédibilité à son récit.

 

(Page 5 de la décision de la Commission du 19 octobre 2004)

 

 

[12]           Ayant comparé les motifs de la décision et la transcription de l’audience, je conclus que la Commission a été sensible à la situation de la demanderesse, parce qu’elle n’a jamais demandé à la demanderesse de donner plus de détails au sujet des agressions dont elle aurait été victime, et qu’elle a rejeté sa demande en se fondant sur les nombreuses contradictions flagrantes que la demanderesse a été incapable d’expliquer; par exemple :

  • Même si son orientation sexuelle et la violence conjugale constituaient le fondement de sa demande, elle a omis de préciser ces éléments dans son premier exposé des faits; elle a prétendu qu’elle ne parlait pas anglais et son récit s’est arrêté à l’an 1996.

 

  • Son tortionnaire n’était pas simplement le fils de son propriétaire, mais son futur conjoint de fait qui aurait été un criminel lié à la pègre et à la police.

 

  • En tant que Rom, elle n’a pas pu aller à l’école ou travailler; pourtant, la preuve a montré qu’elle a obtenu son diplôme d’études secondaires et qu’elle a travaillé jusqu'à ce qu’elle quitte la Hongrie.

 

  • Même si elle prétend craindre d’être persécutée si elle devait rentrer en Roumanie, elle est retournée dans ce pays de son plein gré à plusieurs reprises de 1999 à 2002.

 

 

[13]           Comme la Commission a conclu que la demanderesse n’était pas crédible en raison de ses nombreuses contradictions, invraisemblances et omissions, l’existence des directives ne pouvait lui redonner sa crédibilité. Comme la Cour l’a dit dans une affaire semblable, Hernandez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 643, [2001] A.C.F. no 974, au paragraphe 37 :

Le tribunal a déclaré à la page 2 de sa décision qu'il avait pris en compte les « Directives sur les revendicatrices du statut de réfugié craignant d'être persécutées en raison de leur sexe ». La décision de la Commission établit clairement qu'elle ne croyait pas la description faite par la demanderesse, Maria Trinidad Cortes Hernandez, de ce qui lui était arrivé à Mexico. Tel que je l'ai déjà mentionné précédemment dans la présente décision, la Commission peut tirer ce type de conclusion quant à la crédibilité dans la mesure où elle le fait d'une manière claire et détaillée. Le seul document qui m'a été soumis montre que la Commission a tenu compte des Directives. Par conséquent, aucune erreur susceptible de contrôle n'a été commise en l'espèce.

 

 

[14]           Pour ces motifs, je ne peux pas conclure que le commissaire a commis une erreur susceptible de contrôle lorsqu’il a continué à présider l’audience au lieu de se récuser et de laisser la place à une commissaire.

 

2.      La Commission a-t-elle commis une erreur lorsqu’elle a conclu que la demanderesse n’avait pas établi qu’elle avait bien une ascendance rom ?

 

[15]           Je conviens, avec la demanderesse, qu’il est intrinsèquement dangereux que des commissaires fondent leurs conclusions sur leurs observations des caractéristiques physiques du demandeur (Mitac c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] A.C.F. n1385; Pluhar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] A.C.F. n1318).

 

[16]           Cependant, en l’espèce, les commissaires n’ont pas conclu uniquement en fonction de leurs observations au cours de l’audience que la demanderesse n’était peut-être pas rom. La Commission a plutôt demandé à la demanderesse d’expliquer en quoi les autres la considéreraient comme rom, et c’est elle-même qui a déclaré que c’était son apparence physique qui la distinguait des non-Roms :

[TRADUCTION]

 

L’APR : Eh bien, vous avez fait état de plusieurs craintes. Istvan est une de vos craintes. Avez-vous d’autres craintes?

 

[…]

 

LA DEMANDEURE : Je suis gitane et c’est la deuxième raison, et aussi (inaudible).

 

L’APR : Pourriez-vous me donnez des renseignements au sujet du fait que vous êtes gitane? Que voulez-dire par là? […] Pourquoi seriez-vous perçue comme rom? Comment les gens pourraient-ils le savoir en Hongrie?

 

LA DEMANDEURE : Mes traits, ma façon de parler, parfois, je suppose, ma façon de m’habiller.

 

L’APR : Parlez-vous rom?

 

LA DEMANDEURE : Pas vraiment […] Je connais quelques mots, certains mots, mais je ne le parle pas.

 

[…]

 

L’APR : Vous dites votre apparence. En quoi votre apparence révélerait-elle à quiconque en Hongrie que vous êtes rom?

 

LA DEMANDEURE : Ma couleur de peau (inaudible) mes sourcils se rejoignent et je ne l’ai pas pour l’instant, mais c’est le cas.

 

LE PRÉSIDENT DE L’AUDIENCE : […] Il n’y a pas vraiment de photographie de la demandeure elle-même, la photographie du passeport, au moins le hongrois, est en noir et blanc, et celle du passeport roumain est en couleurs, mais le tribunal remarque que la demanderesse a le teint clair, ses sourcils et ses cheveux semblent bruns, d’un brun clair. Pour les besoins de la cause uniquement, telles sont les observations du tribunal, tels sont ses traits.

 

L’APR : Qu’est-ce que vous - - je vous regarde et quelle est la couleur de vos yeux?

 

[…]

 

LA DEMANDEURE : Brun, noisette.

 

L’APR : Ils sont très clairs. Ils ont l’air verdâtre. Mais vous diriez qu’ils sont noisette?

 

LA DEMANDEURE : Noisette.

 

L’APR : Donc, à part vos yeux noisette, vous avez un teint, disons, clair et je me demande simplement de quelle manière votre peau, comme vous l’avez mentionné, indiquerait que vous êtes rom, puisque vous avez le teint clair? Ai-je tort de dire que vous avez le teint clair?

 

[…]

 

LA DEMANDEURE : Je ne peux pas vous indiquer des éléments précis, mais chez nous, lorsque l’on regarde une personne, chacun sait automatiquement qui est gitan et qui ne l’est pas.

 

(Voir la transcription de l’audience du 1er septembre 2004, aux pages 14 à 18)

 

 

[17]           Il était donc raisonnable de la part de la Commission de poser elle-même des questions sur l’apparence physique de la demanderesse puisque c’est elle qui a mentionné le fait que c’est son apparence physique qui révélait le mieux son origine rom. Néanmoins, la Commission ne s’est pas arrêtée à ce facteur; elle a aussi fait les observations suivantes :

  • Elle ne parlait pas la langue rom.
  • Elle a prétendu qu’elle n’avait pas été acceptée à l’école en raison de son ascendance rom; pourtant la preuve a montré qu’elle avait fréquenté l’école dès son arrivée en Hongrie jusqu’à l’obtention de son diplôme d’études secondaires.

 

  • Elle a aussi prétendu que, comme Rom, elle n’a pas pu trouver de travail en Hongrie. Cependant, elle a travaillé en qualité de secrétaire pour deux employeurs différents jusqu’au moment où elle a quitté la Hongrie pour le Canada.

 

  • Aucun élément de preuve n’indiquait que des membres de sa famille qui avaient vécu en Roumanie ont éprouvé des difficultés. En outre, la demanderesse, même si elle a prétendu avoir été persécutée en qualité de Rom et donc incapable de se rendre en Roumanie, y a fait plusieurs voyages de 1999 à 2002.

 

[18]           C’est le cumul de tous ces facteurs qui a mené la Commission à conclure que la demanderesse n’avait pas établi qu’elle était exposée à la persécution en raison de sa prétendue origine rom. Je ne peux pas conclure que, en tirant cette conclusion, la Commission ait commis une erreur.

 

[19]           Je suis donc d’avis que la Commission a correctement suivi les directives lorsqu’elle a évalué la demande de la demanderesse et qu’elle n’a pas commis d’erreur lorsqu’elle a conclu qu’elle n’était pas une personne à protéger, ni une réfugiée au sens de la Convention.

 

ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE :

            La demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question n'est certifiée.

 

« Pierre Blais »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

François Brunet, LL.B., B.C.L.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-9302-04

 

INTITULÉ :                                       JOHANNA NILDA GYORGYJAKAB

                                                            c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE

L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L'AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L'AUDIENCE :               LE 15 AOÛT 2005

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

 ET ORDONNANCE :                      LE JUGE BLAIS

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 16 AOÛT 2005

 

 

COMPARUTIONS :

 

 

George J. Kubes                                 POUR LA DEMANDERESSE

 

Lisa Hutt                                             POUR  LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

George J. Kubes                                                          POUR LA DEMANDERESSE

Toronto (Ontario)                               

 

John H. Sims, c.r.                                                         POUR  LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

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