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Date : 20000228


Dossier : IMM-1321-99


OTTAWA (ONTARIO), LE 28 FÉVRIER 2000

EN PRÉSENCE DU JUGE EN CHEF ADJOINT


ENTRE :


JOSE EDUARDO PARAMO-MARTINEZ



demandeur


et


LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L"IMMIGRATION


défendeur



O R D O N N A N C E


     VU la demande de contrôle judiciaire que le demandeur a présentée contre la décision de la Section du statut de réfugié, datée du 6 janvier 1999, dont les motifs ont été signés le 17 février 1999;

     VU les observations écrites des parties et l"audition qui a eu lieu le 11 février 2000 à Vancouver (C.-B.);


     LA COUR ORDONNE

     Que la présente demande de contrôle judiciaire soit rejetée.



" Allan Lutfy "

                                         juge en chef adjoint










Traduction certifiée conforme


Bernard Olivier, B.A., LL.B.





Date : 20000228


Dossier : IMM-1321-99


ENTRE :


JOSE EDUARDO PARAMO-MARTINEZ


demandeur


et


LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L"IMMIGRATION


défendeur



MOTIFS DE L"ORDONNANCE


LE JUGE EN CHEF ADJOINT LUTFY


[1]      Jose Eduardo Paramo-Martinez, un citoyen du Mexique, cherche à obtenir le contrôle judiciaire d"une décision défavorable de la Section du statut de réfugié. Monsieur Paramo soutient qu"il est raisonnable d"estimer que les membres de la formation ont fait preuve de partialité, vu leur comportement abusif à l"audition de sa revendication du statut de réfugié.

[2]      Les faits sur lesquels M. Paramo a fondé sa revendication du statut de réfugié sont décrits dans son formulaire de renseignements personnels.

[3]      Le 10 novembre 1997, il a été témoin d"un meurtre. Les quatre contrevenants l"ont vu quitter le lieu du crime au volant de l"automobile de son employeur, qui portait l"emblème de la compagnie et d"autres logos.

[4]      Le 15 novembre 1997, M. Paramo, encore une fois au volant de l"automobile, a été intercepté par deux personnes qui lui ont fait subir de mauvais traitements physiques. Ses agresseurs connaissaient son nom et celui de son épouse. Ils savaient également que cette dernière était enceinte. Ils lui ont dit de ne parler à personne de l"incident dont il avait été témoin le 10 novembre 1997. Après s"être identifiés comme étant des membres de l"organisation Ejercito Zapatistata de Lieberacion Nacional (la EZLN), ils lui ont demandé de livrer certains documents pour eux.

[5]      Le 1er décembre 1997, en janvier 1998 et le 3 février 1998, on lui a encore demandé de livrer des documents pour le compte de membres de la EZLN. Ces demandes ont été faites par téléphone, à son lieu de travail.

[6]      Le 2 mars 1998, il a reçu un appel téléphonique lui enjoignant de retourner à sa résidence. Quand il y est arrivé, son épouse lui a raconté, en pleurant de façon hystérique, que quatre hommes armés étaient entrés de force dans la résidence familiale et lui avaient fait des menaces.

[7]      Le lendemain, M. Paramo a reçu un autre appel téléphonique lui demandant de livrer des colis pour le compte de la EZLN. C"est la dernière fois qu"il a suivi les directives de la EZLN et, le 14 avril 1998, il s"est rendu au Canada, où il a revendiqué le statut de réfugié quelques semaines plus tard.

[8]      Avant l"incident du 2 mars 1998, M. Paramo n"avait pas avisé son épouse qu"il avait été témoin du meurtre, vu qu"elle était enceinte à l"époque. Elle a donné naissance à leur quatrième enfant le 16 janvier 1998.

[9]      Monsieur Paramo n"a jamais dit aux autorités policières mexicaines qu"il avait été témoin du meurtre, parce que [TRADUCTION] " il est bien connu qu"elles sont corrompues et qu"elles s"adonnent souvent à des activités criminelles. Il se pouvait que les meurtriers étaient des membres de la police judiciaire. J"ai enfin décidé que la meilleure chose à faire était de ne rien faire du tout et d"attendre la suite des événements ". On lui a dit de ne pas faire part de ces incidents aux autorités policières; de toute façon, il a ajouté que [TRADUCTION] " les autorités policières ne m"auraient jamais cru ".

[10]      À l"audition, le demandeur a dit qu"il n"avait jamais mentionné à son superviseur au travail, à qui il faisait confiance, qu"il avait été témoin du meurtre et que les autres incidents s"étaient produits.

[11]      La formation était composée de deux membres. Aucun agent chargé de la revendication n"a pris part à l"audition. Le demandeur y était représenté par un stagiaire en droit.

[12]      L"avocat qui a représenté le demandeur devant notre Cour s"est fondé sur la transcription pour soulever un certain nombre d"incidents qui s"étaient produits à l"audition et qui, à son avis, établissent une crainte raisonnable de partialité.

[13]      Avant le début de l"interrogatoire principal du demandeur, le président de l"audience s"est dit surpris qu"une personne se présentant comme un Mexicain ne savait pas ce qu"était une cedula . L"interprète est ensuite intervenu pour expliquer qu"une cedula était une pièce d"identité dont on se sert dans certains pays d"Amérique centrale, mais pas au Mexique. Il ressort de la transcription que cet échange n"a pas duré plus d"une ou de deux minutes. L"avocat du demandeur a renvoyé à cet incident en tant que début hostile de l"audition. Même en supposant que non seulement le membre de la formation faisait erreur, mais qu"il se disait également incrédule quant à l"ignorance de M. Paramo de ce qu"était une cedula , je constate que le dossier a été immédiatement rectifié. L"identité du demandeur, qui se disait citoyen mexicain, n"a jamais été vraiment mise en doute, et la confusion du président de l"audience sur l"utilisation d"une cedula au Mexique ne justifie pas l"intervention de notre Cour.

[14]      À une autre occasion, la formation a interrompu l"interrogatoire principal et confronté le demandeur avec son omission de faire part du meurtre aux autorités policières. Sa première réponse étoffée (aux pages 9 et 10 de la transcription) n"a pas convaincu les membres de la formation. Ils ont demandé que M. Paramo établisse un lien entre son allégation générale que [TRADUCTION] " la police judiciaire tue moyennant un certain prix " et ses expériences personnelles. C"est dans ce contexte que le président de l"audience est intervenu :

[TRADUCTION] Vous avez un permis de conduire. Traiter de votre propre cas et non de celui d"un autre paysan quelconque, mais vous, il s"agit de votre revendication. Parce qu"à moins que vous nous disiez que si vous n"aviez pas de permis de conduire, la police judiciaire vous abattrait, cela n"aurait aucun sens. [Non souligné dans l"original.]

Le président de l"audience a compris que le demandeur avait un bon emploi de voyageur de commerce au sein d"une importante société. Cependant, la réprimande, qui a été faite au demandeur, lui enjoignant de ne pas renvoyer à l"expérience " d"un autre paysan quelconque " n"était ni nécessaire, ni appropriée, même si la preuve documentaire renvoie aux abus dont certains paysans activistes, pauvres et autochtones, font l"objet au Mexique. Cependant, encore une fois, je ne suis pas convaincu que cette déclaration malheureuse, analysée dans le contexte de l"ensemble de l"audition, soit suffisante pour soulever la question de la partialité du membre de la formation.

[15]      L"avocat du demandeur fait également valoir que la façon agressive dont les membres de la formation ont interrogé son client en ce qui concerne l"omission de ce dernier de faire part du meurtre aux autorités policières ne tenait pas compte de la preuve documentaire concernant les pratiques de la police judiciaire. Après avoir examiné les rapports sur le pays sur lesquels le demandeur s"est fondé, je suis en désaccord. En outre, une lecture attentive de la transcription (en particulier des pages 9 à 15) m"a convaincu que la réponse initiale du demandeur, qui était décousue, a incité les membres de la formation à poursuivre l"interrogatoire de façon " énergique ".

[16]      Dans leur ouvrage intitulé Judicial Review of Administrative Action in Canada (Toronto: Canvasback Publishing, 1998) , les auteurs Brown et Evans disent, aux pages 11-29 et 11-30 :

[TRADUCTION] Les interrogatoires approfondis et " énergiques " par les membres d"une formation ne susciteront pas, à eux seuls, une crainte raisonnable de partialité. De plus, il est probable qu"on accordera une latitude particulière aux formations qui prennent part à un processus non accusatoire, telles les auditions de revendications du statut de réfugié, dans lesquelles personne ne comparaît pour s"opposer à la revendication. Par ailleurs, une expression d"impatience ou une perte de sang-froid momentanée de la part d"un membre d"une formation ne le rendra pas incapable d"entendre l"affaire dans les cas où il s"agit d"une simple tentative visant à contrôler la façon dont l"instance se déroule. De la même façon, une remarque sarcastique qui suit le refus d"une partie de témoigner, ou une phrase mal choisie ou dénotant un manque de sensibilité, n"entraînera pas, à elle seule, l"incapacité.
[Notes en bas de page omises.]

L"omission du demandeur de dire aux autorités policières qu"il avait été témoin d"un meurtre a laissé les membres de la formation sceptiques. Le demandeur n"a pas non plus révélé qu"il avait été par la suite harcelé par la EZLN. Comme il n"y avait pas d"agent d"audience, il était particulièrement convenable que les membres de la formation confrontent eux-mêmes le demandeur avec les réserves qu"ils avaient sur un aspect important des faits qui ont été décrits pour étayer la revendication : Bagdassarian c. Ministre de la Citoyenneté et de l"Immigration, [1999] J.C.F. no 343 (1re inst.), aux paragraphes 11 et 12; Osuji c. Ministre de la Citoyenneté et de l"Immigration, [1999] J.C.F. no 539 (1re inst.), aux paragraphes 21 à 23; et Hernandez c. Canada (Ministre de l"Emploi et de l"Immigration), [1993] J.C.F. no 680 (QL) (C.A.), au paragraphe 1.

[17]      Les membres de la formation ont effectivement posé des questions au demandeur, même pendant son interrogatoire principal. Cependant, je suis convaincu que le représentant de M. Paramo a pleinement eu l"occasion de compléter son interrogatoire (aux pages 19 à 40 de la transcription), avant la pause du milieu de la matinée, et après celle-ci. Chaque membre de la formation a longuement interrogé le demandeur après son interrogatoire principal. Le représentant du demandeur a ensuite eu l"occasion d"interroger son client de nouveau, avant l"heure du déjeuner, et après celle-ci.

[18]      L"avocat de M. Paramo a fait deux autres observations pour étayer sa position selon laquelle la formation a fait preuve de partialité. Il a soutenu que l"audition avait été ponctuée d"éclats de rire et de remarques sarcastiques de la part des membres de la formation. La transcription ne fait pas état de cela, bien qu"il soit clair que les questions qui ont été posées au demandeur étaient nombreuses et vigoureuses. Dans le cas où, comme l"a soutenu l"avocat, l"audition a effectivement été ponctuée d"éclats de rire et de remarques sarcastiques, il aurait été préférable d"obtenir un affidavit de l"interprète à cet effet, lui qui était intervenu au nom du demandeur au début de l"audition, au lieu de se fonder exclusivement sur les versions du demandeur et de son représentant. Une autre solution de rechange sur le plan de la preuve aurait pu être de produire l"enregistrement même de l"audition. Sur le fondement de la transcription que j"ai lue, je ne suis pas disposé à intervenir à l"égard de cette question en l"absence de toute preuve corroborante.

[19]      Le représentant du demandeur a également été réprimandé par les membres de la formation, qui ont laissé entendre que l"omission de divulguer à la S.S.R. avant l"audition que l"épouse et les enfants du demandeur s"étaient trouvés au Canada au cours des six semaines qui l"ont précédée, constituait un " abus de procédure ". Encore une fois, la Cour ne dispose pas d"éléments de preuve reposant sur des faits lui permettant de déterminer qui a raison à l"égard de cette question. Bien que l"incident ait pu être difficile pour le stagiaire en droit, on ne peut considérer qu"il soulève une crainte raisonnable de partialité.

[20]      En résumé, je suis d"avis, après avoir examiné la transcription et le formulaire de renseignements personnels, qu"il était loisible à la formation de ne pas croire le demandeur. Les motifs étayant la conclusion défavorable que la formation a tirée en matière de crédibilité sont exposés de façon claire et non équivoque, et ils ne sont pas incompatibles avec la preuve que fournit la transcription. Certaines des remarques que les membres de la formation ont faites en interrogeant le demandeur n"étaient pas salutaires. L"audition a été difficile, aucun agent d"audience n"y a pris part, et certains échanges vigoureux ont eu lieu entre les membres de la formation et le représentant du demandeur. Cependant, à mon avis, le demandeur n"a établi ni qu"il avait une crainte raisonnable de partialité, ni que " une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique " en arriverait à une telle conclusion : Committee for Justice and Liberty c. Office national de l"énergie, [1978] 1 R.C.S 369, à la p. 394.

[21]      Pour ces motifs, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée. Ni l"une ni l"autre partie n"a proposé qu"une question grave soit certifiée.



" Allan Lutfy "

                                         juge en chef adjoint


Ottawa (Ontario)

Le 28 février 2000.


Traduction certifiée conforme


Bernard Olivier, B.A., LL.B.



COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER



NO DU GREFFE :              IMM-1321-99

INTITULÉ DE LA CAUSE :      JOSE EDUARDO PARAMO-MARTINEZ

                     c.

                     MCI

LIEU DE L"AUDIENCE :          VANCOUVER (C.-B.)

DATE DE L"AUDIENCE :          LE 11 FÉVRIER 2000

MOTIFS D"ORDONNANCE EXPOSÉS PAR MONSIEUR LE JUGE EN CHEF ADJOINT LUTFY

EN DATE DU :              28 FÉVRIER 2000



ONT COMPARU :


LEE RANKIN                          POUR LE DEMANDEUR

PAULINE ANTHOINE                      POUR LE DÉFENDEUR


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :


LEE RANKIN                          POUR LE DEMANDEUR


SANDRA WEAFER

M. MORRIS ROSENBERG                      POUR LE DÉFENDEUR

SOUS-PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

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