Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20200306


Dossier : IMM‑4645‑19

Référence : 2020 CF 343

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 6 mars 2020

En présence de madame la juge Roussel

ENTRE :

MOISES VERGARA BRAVO

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Contexte

[1]  Le demandeur, Moises Vergara Bravo, demande le contrôle judiciaire d’une décision rendue le 18 juin 2019 par la Section d’appel des réfugiés [la SAR]. Dans sa décision, la SAR a, en vertu du paragraphe 111(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR], rejeté l’appel et confirmé la décision rendue par la Section de la protection des réfugiés [la SPR] voulant que le demandeur n’est ni un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger au titre des articles 96 et 97 de la LIPR.

[2]  Le demandeur est un citoyen de la Colombie et propriétaire exploitant d’un petit atelier de menuiserie, dans un quartier résidentiel en Colombie. À titre de propriétaire de petite entreprise, il payait occasionnellement des frais d’extorsion aux Urabeños, un gang criminel qui contrôlait son quartier. En juillet 2014, deux membres des Urabeños se sont présentés à son atelier de menuiserie et ont exigé une somme excessive que le demandeur était dans l’impossibilité de payer. Lorsqu’il les a informés de son incapacité à payer cette somme, ils l’ont agressé avec une arme et ont l’on menacé de mort. Les deux hommes sont retournés à son atelier à deux autres occasions. Le demandeur leur a versé ce qu’il pouvait, mais il a de nouveau été agressé et menacé de mort. Craignant pour sa sécurité, le demandeur a quitté la Colombie en septembre 2014 et s’est rendu au Mexique. Il est ensuite entré aux États‑Unis, en novembre 2014. Il y est demeuré jusqu’à son arrivée au Canada en janvier 2017. En juin 2017, il a présenté une demande d’asile.

[3]  En octobre 2017, la SPR a rejeté la demande d’asile du demandeur. La SPR a conclu que le demandeur était crédible, et elle n’a tiré aucune conclusion défavorable de son défaut de présenter une demande d’asile aux États‑Unis ou de son retard à présenter une demande d’asile au Canada. La SPR a conclu que le demandeur n’avait pas établi de lien avec un motif de la Convention par rapport à ses origines afro‑colombiennes. Au lieu de cela, la SPR a conclu que les Urabeños avaient ciblé le demandeur pour des raisons économiques, car ils avaient la perception que ce dernier, en tant que propriétaire d’une petite entreprise, avait les moyens de payer les sommes exigées. La SPR a également conclu que le demandeur n’était pas exposé à un risque continu ou prospectif au sens de l’article 97 de la LIPR, étant donné que celui‑ci n’avait pas établi que les membres des Urabeños s’intéresseraient encore lui.

[4]  Le demandeur a interjeté appel de la décision de la SPR devant la SAR. Devant la SAR, le demandeur a soutenu ce qui suit : (1) il était encore exposé à des risques liés aux Urabeños ou à d’autres groupes criminels en Colombie; (2) la SPR a commis une erreur en concluant qu’il pouvait vivre en sécurité dans une autre partie de sa ville de résidence; (3) en tant qu’Afro‑Colombien, il correspond au profil des personnes à risque en Colombie.

[5]  Lorsqu’elle a rejeté l’appel, la SAR a conclu que le demandeur était une cible et une victime d’activités criminelles, et elle a conclu qu’il n’avait pas établi de lien entre sa crainte de persécution et l’un des cinq motifs prévus dans la Convention. La SAR a également conclu que le demandeur n’avait pas établi de risque de préjudice continu ou prospectif. La SAR a conclu que tout risque de la part des Urabeños auquel faisait face le demandeur était un risque auquel étaient généralement exposés d’autres personnes et propriétaires d’entreprise en Colombie, qui peuvent également être des victimes possibles des activités criminelles du gang.

[6]  Le demandeur, qui agit pour son propre compte, demande le contrôle judiciaire de la décision de la SAR.

[7]  Lorsque le demandeur a omis de se présenter à l’audience sur la demande initialement prévue le 17 février 2020, l’agent du greffe a tenté de communiquer avec le demandeur au moyen des numéros de téléphone figurant dans divers documents de la Cour, mais en vain. L’audience étant prévue lors d’un jour férié en Colombie‑Britannique, cette situation a pu contribuer à un malentendu, et la Cour a ajourné l’audience à la semaine suivante. La Cour a rendu une ordonnance à cet effet le jour même et a ordonné au greffe de la Cour de faire parvenir l’ordonnance à l’adresse du demandeur par service de messagerie spécial. La Cour a également ordonné au demandeur de fournir au greffe de la Cour un numéro de téléphone valide qui pourrait être utilisé pour communiquer avec lui et confirmer sa présence à l’audience ou, s’il est incapable de se présenter, pour présenter une requête en vue d’un report de l’audience. Bien que cette ordonnance ait été remise à l’adresse du demandeur, celui‑ci n’a pas communiqué avec le greffe de la Cour.

[8]  Le demandeur ne s’est pas présenté à l’audition reportée au 28 février 2020.

[9]  L’article 38 des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106 [les Règles] permet à la Cour de procéder en l’absence d’une partie si la Cour est convaincue qu’un avis d’audience a été donné à cette partie en conformité avec les Règles. Étant donné les tentatives de communication avec le demandeur et son défaut de répondre après avoir reçu l’ordonnance de la Cour, j’étais convaincue que l’audience pouvait se poursuivre en son absence. Pour rendre ma décision, j’ai tenu compte des arguments écrits du demandeur.

[10]  Dans son mémoire des arguments, le demandeur n’a pas énoncé clairement les motifs de sa demande de contrôle judiciaire. Toutefois, il semble être en désaccord avec la conclusion de la SAR selon laquelle il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve pour démontrer qu’il a été ciblé personnellement pour extorsion, et ce, dans une mesure plus grande que celle vécue par la population en général. Il estime également que la SPR et la SAR n’ont pas compris la nature et l’ampleur de ses souffrances personnelles en raison des tentatives d’extorsion et de la violence physique et psychologique dont il a été victime en Colombie.

II.  Analyse

[11]  Avant la récente décision de la Cour suprême du Canada dans l’affaire Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov], les conclusions de la SAR et l’appréciation de la preuve étaient susceptibles de révision selon la norme de la décision raisonnable, voir la décision Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Huruglica, 2016 CAF 93, au paragraphe 35. En appliquant le cadre établi dans l’arrêt Vavilov, il n’y a pas lieu de déroger à la présomption selon laquelle la norme du caractère raisonnable est la norme de contrôle applicable aux décisions administratives (Vavilov, aux par. 10 et 16‑17). Aucune des exceptions décrites dans l’arrêt Vavilov ne s’applique en l’espèce.

[12]  En donnant des orientations sur ce qui constitue une décision raisonnable, la Cour suprême du Canada a expliqué qu’« [i]l incombe à la partie qui conteste la décision d’en démontrer le caractère déraisonnable » (Vavilov, au par. 100). La cour de révision doit s’intéresser à « la décision effectivement rendue par le décideur, notamment au raisonnement suivi et au résultat de la décision » (Vavilov, au par. 83) pour déterminer si la décision est « fondée sur une analyse intrinsèque cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Vavilov, au par. 85). Il faut accorder une attention particulière aux motifs écrits du décideur et les interpréter de façon globale et contextuelle (Vavilov, au par. 97). Il ne s’agit pas d’une « chasse au trésor, phrase par phrase, à la recherche d’une erreur » (Vavilov, au par. 102). Si « la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si la décision est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle‑ci » il n’appartient pas à la cour de révision de substituer le résultat qu’elle préférerait (Vavilov, au par. 99).

[13]  En l’absence d’un argument démontrant le contraire, je suis convaincue que la SAR a conclu de façon raisonnable que le demandeur n’avait pas établi de lien entre sa crainte de persécution et l’un des cinq motifs prévus dans la Convention.

[14]  En ce qui concerne le risque allégué par le demandeur au titre du paragraphe 97(1) de la LIPR, je ne suis pas convaincue que la SAR a commis une erreur justifiant l’intervention de la Cour.

[15]  La première étape de l’examen d’une demande d’asile au titre de l’alinéa 97(1)b) de la LIPR consiste à déterminer la nature du risque auquel le demandeur d’asile est exposé. Pour ce faire, il faut déterminer si le demandeur d’asile serait exposé à un risque persistant ou à venir s’il retournait à son pays d’origine (Prophète c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CAF 31, au par. 7; Cao c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 231, au par. 38 [Cao]; Komaromi c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 1168 au par. 25 [Komaromi]; Portillo c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 678, au par. 40 [Portillo]).

[16]  Une fois que le risque a été correctement qualifié, il faut comparer le risque auquel le demandeur d’asile est exposé avec celui auquel est exposée une partie importante de la population de son pays pour déterminer si ces risques sont similaires de par leur nature et leur gravité. Si le risque n’est pas le même, le demandeur d’asile aura droit à la protection au sens de l’article 97 de la LIPR (Cao, au par. 38; Komaromi, au par. 25; Portillo, au par. 41).

[17]  En l’espèce, la SAR a bien décrit l’analyse qui doit être faite dans le contexte d’une demande fondée sur l’article 97. Elle a aussi souligné de façon raisonnable que l’appartenance à un secteur économique particulier – les propriétaires de petites entreprises – ne transforme pas un risque généralisé de violence criminelle en risque personnel. La SAR a ensuite examiné et analysé les risques auxquels le demandeur est actuellement exposé et à ceux auxquels il sera exposé dans l’avenir.

[18]  La SAR a souligné qu’il n’y avait aucune preuve laissant croire que les Urabeños avaient tenté de retrouver le demandeur après qu’il eut fermé son atelier en 2014 et déménagé dans une autre ville en Colombie. En outre, il n’y avait pas non plus d’éléments de preuve établissant qu’ils avaient tenté de blesser un membre de la famille du demandeur, y compris son cousin, qui demeurait toujours dans sa résidence, ou qu’ils avaient tenté de retrouver le demandeur depuis son départ de la Colombie. Comme le demandeur n’a pas déposé de rapport à la police contre les Urabeños lorsqu’ils l’ont agressé et qu’ils lui ont extorqué de l’argent, il n’y a pas non plus de question de représailles fondées sur cet élément. La SAR a souscrit à la conclusion de la SPR selon laquelle il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve démontrant que les Urabeños tenteraient encore de retrouver le demandeur en Colombie.

[19]  Après avoir établi qu’il était peu probable que les Urabeños ciblent le demandeur à son retour en Colombie, la SAR pouvait conclure que les risques que représentaient les Urabeños pour le demandeur étaient les mêmes que ceux auxquels étaient exposés d’autres citoyens de la Colombie qui vivaient et travaillaient dans les régions où les Urabeños menaient leurs activités criminelles (décision Komaromi, au par. 27).

[20]  Je conviens qu’une phrase, au paragraphe 20 de la décision de la SAR, peut être interprétée comme laissant entendre que la SAR, contrairement à la SPR, n’a pas tenu compte de la question de savoir si le risque auquel était exposé le demandeur était devenu personnel lorsqu’il a défié les Urabeños quand il se trouvait en Colombie. Toutefois, lorsque la décision est lue dans son ensemble, je suis convaincue que l’analyse qu’a fait la SAR du risque actuel et prospectif du demandeur était raisonnable. Avant d’annuler une décision, la cour de révision doit être convaincue que toute lacune ou déficience du raisonnement est suffisamment capitale ou importante pour rendre cette décision déraisonnable. Il incombe à la partie qui conteste la décision d’en démontrer le caractère déraisonnable (Vavilov, au par. 100). En l’espèce, le demandeur ne m’a pas convaincue que la décision devait être infirmée.

[21]  Pour les motifs qui précèdent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[22]   Aucune question d’importance générale n’a été proposée aux fins de certification, et je conviens que l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑4645‑19

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Aucune question de portée générale n’est certifiée.

« Sylvie E. Roussel »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 17e jour d’avril 2020.

Claude Leclerc, traducteur


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑4645‑19

INTITULÉ :

MOISES VERGARA BRAVO c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (Colombie‑Britannique)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 28 février 2020

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE ROUSSEL

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

Le 6 mars 2020

COMPARUTIONS :

Robert L. Gibson

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

Vancouver (Colombie‑Britannique)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.