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Date : 20200130


Dossier : IMM‑4019-19

Référence : 2020 CF 175

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 30 janvier 2020

En présence de madame la juge Kane

ENTRE :

OLAITAN EBENEZER OKUNOWO,

SAMUEL IREMIDE OKUNOWO (MINEUR)

et MOFIYINFOLUWA OPEMIPO OKUNOWO (MINEURE)

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeurs

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Les demandeurs, M. Olaitan Ebenezer Okunowo [M. Okunowo] et ses deux enfants, sollicitent le contrôle judiciaire de la décision du 30 mai 2019 par laquelle la Section d’appel des réfugiés [la SAR] a confirmé la décision rendue le 5 avril 2018 par la Section de la protection des réfugiés [la SPR], portant rejet de la demande d’asile qu’ils avaient présentée sur le fondement des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la Loi].

[2]  Pour les motifs dont l’exposé suit, la présente demande est rejetée. La Cour conclut que la décision de la SAR présente toutes les caractéristiques d’une décision raisonnable. La SAR a refusé à raison d’admettre les nouveaux éléments de preuve proposés, estimant qu’ils ne remplissaient pas les critères d’admissibilité énoncés au paragraphe 110(4) de la Loi. Elle a apprécié la preuve de manière indépendante et confirmé les conclusions de la SPR relatives à la crédibilité. Dans le raisonnement qui l’a amenée à conclure que les demandeurs n’avaient pas établi le risque de persécution de M. Okunowo en tant qu’homme bisexuel, la SAR a appliqué les Directives no 9 du président : Procédures devant la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada portant sur l’orientation sexuelle, l’identité de genre et l’expression de genre [les Directives sur l’OSIGEG]. Tout en reconnaissant la difficulté d’établir leur orientation sexuelle pour les personnes issues d’une culture où règnent à cet égard le secret et l’intolérance, la SAR a raisonnablement jugé que cette considération n’annulait ni n’expliquait les nombreuses conclusions défavorables sur la crédibilité.

I.  Les faits

A.  La demande d’asile

[3]  Les demandeurs sont citoyens nigérians. Ils sont arrivés au Canada en janvier 2017, munis de visas de visiteur. L’épouse de M. Okunowo est arrivée au Canada en même temps, sans toutefois y présenter de demande d’asile. Elle est retournée au Nigéria, mais elle a plusieurs fois rendu visite à sa famille au Canada.

[4]  Monsieur Okunowo déclare craindre d’être persécuté du fait de son orientation sexuelle. Selon sa version des faits, il est entré dans la clandestinité après que son voisin l’eut surpris chez lui en train d’avoir des rapports sexuels avec un autre homme; et ses enfants ont subi railleries et agressions à l’école lorsque la nouvelle de son orientation sexuelle s’est propagée dans la collectivité.

[5]  Toujours suivant ses dires, M. Okunowo a eu deux liaisons homosexuelles au Nigéria; la seconde de ces liaisons a duré de 2007 au 10 décembre 2016, date à laquelle son voisin l’a dénoncé; il a alors immédiatement pris la fuite pour se réfugier chez un ami, M. Abdul Olufemi [M. Olufemi], où il a vécu dans la clandestinité jusqu’à son départ pour le Canada en janvier 2017.

B.  La décision de la SPR

[6]  La SPR a conclu que M. Okunowo n’avait pas établi son orientation sexuelle selon la prépondérance des probabilités, parce que sa preuve comportait des omissions et des discordances. Appliquant les Directives sur l’OSIGEG, elle a reconnu qu’il était difficile pour les demandeurs d’asile d’établir leur orientation sexuelle, mais n’en a pas moins conclu que le témoignage et les autres éléments de preuve de M. Okunowo se révélaient évasifs, discordants ou contradictoires.

[7]  La SPR a également conclu que M. Okunowo avait produit un faux document au soutien de sa demande d’asile, à savoir l’affidavit de son ami, M. Olufemi.

[8]  Monsieur Okunowo a déclaré dans son témoignage que son ami, M. Olufemi, l’avait hébergé clandestinement chez lui dans l’État d’Ogun. L’adresse qu’avait fournie M. Okunowo a retenu l’attention de la SPR, car il a déclaré à l’audience que M. Olufemi habitait au 5, Old Ibadan, Iperu Road, à Iperu dans l’État d’Ogun, et ce, depuis au moins 20 ans. C’est aussi l’adresse qu’a donnée M. Olufemi dans son affidavit. Or, dans l’annexe A de son Formulaire de fondement de la demande d’asile [le FDA], M. Okunowo a déclaré qu’il avait vécu clandestinement à une adresse différente, soit au 4, Lotto Road, à Mowe, aussi dans l’État d’Ogun. La SPR a constaté que les explications de M. Okunowo au sujet de cette contradiction n’étaient pas satisfaisantes étant donné qu’il avait indiqué être resté caché à la première de ces adresses presque deux mois. Monsieur Okunowo s’est contenté de dire qu’il ne savait pas d’où venait l’erreur. La SPR a fait observer qu’elle attendait de lui des déclarations concordantes sur l’endroit où il avait pris refuge, puisque cette question touchait au fondement même de sa demande en tant qu’homme se disant bisexuel dont on aurait dévoilé le secret.

[9]  La SPR a examiné l’affidavit de M. Olefumi, signé devant un commissaire à l’assermentation, au siège d’une cour de magistrat de l’État d’Ogun. Monsieur Olufemi y déclare avoir en connaissance de cause aidé et abrité M. Okunowo, une personne bisexuelle, afin de lui éviter le lynchage public et l’arrestation en attendant qu’il puisse s’installer au Canada. La SPR n’a pas estimé crédible que M. Olefumi ait pu signer un tel affidavit devant un fonctionnaire et au siège d’un tribunal nigérian, puisqu’il risquait ainsi d’être poursuivi ou persécuté. Elle a conclu qu’il était peu vraisemblable qu’un Nigérian signe un affidavit au soutien d’une personne homosexuelle en raison de la criminalisation dont l’homosexualité fait l’objet au Nigéria. En outre, elle a tiré, touchant la crédibilité générale de M. Okunowo, une inférence défavorable de sa production d’un faux document au soutien de l’élément principal de sa demande d’asile.

[10]  Dans le cadre de l’analyse qui l’a menée à cette conclusion, la SPR a examiné le contenu d’une réponse à une demande d’information [la RDI] du cartable national de documentation [le CND], soit la RDI NGA105379.EF, intitulée : « Nigéria : information indiquant si un commissaire à l’assermentation ou un notaire public légaliserait une déclaration ou signerait un affidavit dans laquelle ou lequel une personne reconnaît être bisexuelle ou homosexuelle, ou être au courant de l’orientation sexuelle d’une autre personne; information sur la documentation recueillie par la police à la suite d’une arrestation pour relations sexuelles entre personnes du même sexe ». Selon la SPR, il était précisé dans la RDI que les membres de la famille seraient peut-être plus disposés à signer un tel affidavit « si on [leur] garantit la confidentialité ou la sécurité absolues ». Or, ajoutait la SPR, la signature d’un affidavit au siège d’un tribunal est le contraire même d’une « garanti[e de] confidentialité ou [de] sécurité absolues ».

[11]  La SPR a conclu à l’absence d’éléments de preuve crédibles tendant à établir que M. Okunowo ait vécu clandestinement chez qui que ce soit après le dévoilement de sa bisexualité.

[12]  S’agissant de l’allégation de M. Okunowo selon laquelle il aurait eu une liaison homosexuelle d’une durée de neuf ans, la SPR s’est demandé pourquoi il n’aurait pas en sa possession de photos, de lettres ou d’autres pièces attestant cette liaison, ou même représentant les deux amants dans un cadre par ailleurs non suspect, étant donné la longue durée de leur liaison et, plus particulièrement, compte tenu du fait qu’ils se seraient rencontrés par l’intermédiaire d’amis communs non homosexuels et du fait qu’ils auraient entretenu aussi une relation professionnelle.

[13]  La SPR s’est également étonnée que M. Okunowo et son partenaire homosexuel n’aient pas convenu d’un plan pour se prévenir l’un l’autre dans le cas où ils devraient annuler un rendez-vous afin d’éviter d’être surpris et démasqués par un membre de la famille ou une autre personne. Elle a constaté le caractère évasif des réponses de M. Okunowo et conclu à leur incompatibilité avec une crainte subjective de persécution, étant donné les lois nigérianes et l’homophobie sociétale régnant dans ce pays.

[14]  Monsieur Okunowo a déclaré dans son témoignage participer aux activités du Centre 519, organisme qui prône l’inclusion des personnes lesbiennes, gaies, bisexuelles, transgenres et queers [la communauté des LGBTQ], et avoir même assisté à l’une de ces réunions deux semaines avant l’audience tenue devant la SPR. Or, selon le relevé de présences produit, sa dernière présence remontait à 2017. Il a expliqué qu’il avait oublié d’apporter le relevé mis à jour. La SPR, ayant fait observer que les demandeurs n’avaient pas pris de mesures pour produire après l’audience ce document mis à jour, en a tiré une inférence défavorable. La SPR a fait remarquer que même si la présence de M. Okunowo à ces réunions n’établissait pas son orientation sexuelle, ses réponses à cet égard étaient pertinentes pour l’appréciation de sa crédibilité.

[15]  En raison d’une contradiction entre la demande de visa canadien présentée par M. Okunowo – selon laquelle on ne lui avait jamais refusé aucun visa d’aucune sorte –, et sa déclaration en annexe A – laquelle faisait état de multiples refus de visa –, la Commission de l’immigration et du statut de réfugié [la CISR] lui avait auparavant demandé de produire des copies de toutes ses demandes de visa présentées au Canada, au Royaume‑Uni et aux États‑Unis. Or, il n’a produit aucun de ces documents. La SPR a fait remarquer qu’il a d’abord nié, en réponse à une question sur ce point, qu’on lui ait demandé ces dossiers, et qu’il a ensuite changé sa version des faits, expliquant qu’il n’avait pas cherché à produire ces documents parce qu’ils se trouvaient sur l’ordinateur de sa femme et que des imprimés d’ordinateur n’auraient pas l’apparence officielle voulue. La SPR a jugé cette explication insuffisante, relevant le caractère évasif et changeant de son témoignage.

[16]  Vu ses constatations répétées quant à la crédibilité, la SPR a conclu que, dans l’ensemble, M. Okunowo n’était pas crédible. Elle a souligné que cette absence de crédibilité s’appliquait à toutes les allégations de M. Okunowo et à tous les éléments pertinents de son témoignage.

[17]  Les demandeurs ont interjeté appel de la décision de la SPR devant la SAR.

II.  La décision de la SAR faisant l’objet du présent contrôle

[18]  Dans le cadre de leur appel devant la SAR, les demandeurs ont essayé de faire admettre de nouveaux éléments de preuve.

[19]  Les demandeurs ont ainsi cherché à faire admettre un avis juridique, daté du 11 mai 2018, établi par Me Itunu Sipe, avocate autorisée à exercer au Nigéria [l’avis juridique]. Cet avis portait sur l’authenticité des affidavits et visait, s’agissant de l’affidavit de M. Olufemi, à contredire les renseignements contenus dans la RDI auxquels la SPR a ajouté foi.

[20]  Les demandeurs ont aussi essayé de faire admettre les dossiers de visa du Canada et du Royaume‑Uni, qu’on leur avait auparavant demandés, ainsi qu’une lettre du Bureau de la citoyenneté et de l’immigration des États‑Unis, datée du 26 février 2018

[21]  La SAR a refusé, en application du paragraphe 110(4) de la Loi, d’admettre les nouveaux éléments de preuve présentés.

[22]  La SAR a conclu que les dossiers de visa du Canada et du Royaume‑Uni et la lettre du Bureau de la citoyenneté et de l’immigration des États‑Unis n’étaient pas de nouveaux documents et auraient normalement pu être présentés soit avant l’audience tenue devant la SPR, comme l’avait demandé la CISR, soit avant que la SPR ne rende sa décision.

[23]  La SAR a également conclu que l’avis juridique n’était pas un nouvel élément de preuve visé par le paragraphe 110(4), expliquant qu’il contenait des renseignements semblables à ceux qui avaient été versés au dossier pendant l’audience devant la SPR. La SAR a rappelé que la conseil des demandeurs avait présenté à l’audience devant la SPR des observations selon lesquelles la RDI, qui relevait le risque couru par les déposants, n’indiquait pas qu’il était impossible que des personnes puissent souscrire un affidavit de soutien pour des parents ou amis qui appartiennent à la communauté des LGBTQ. La SAR a ajouté que la conseil des demandeurs avait aussi fait valoir que les renseignements contenus dans la RDI devraient se voir accorder moins de poids parce qu’ils proviennent de représentants d’organisations de la communauté des LGBTQ au Nigéria qui n’étaient pas des professionnels du droit.

[24]  S’agissant de la crédibilité de M. Okunowo, la SPR a examiné l’ensemble des témoignages faits à l’audience devant la SPR, le FDA, les affidavits et les observations de la conseil.

[25]  La SAR a pris en considération et appliqué les Directives sur l’OSIGEG, relevant la difficulté pour les demandeurs d’asile d’établir leur orientation sexuelle en raison du caractère intime des relations en cause et de la nécessité de les dissimuler. Elle a reconnu que, souvent, la seule preuve de l’orientation sexuelle est le témoignage du demandeur d’asile. Cependant, compte tenu des préoccupations générales concernant la crédibilité de M. Okunowo, elle a conclu que son témoignage n’était pas suffisamment digne de foi ou probant pour établir, selon la prépondérance des probabilités, qu’il entretenait une relation homosexuelle.

[26]  La SAR a souscrit à l’appréciation générale donnée par la SPR de la crédibilité de M. Okunowo, selon laquelle il n’était pas un témoin crédible et n’avait pas produit suffisamment d’éléments de preuve dignes de foi pour établir sa bisexualité selon la prépondérance des probabilités.

III.  La question en litige et la norme de contrôle judiciaire

[27]  La question en litige est celle de savoir si la décision de la SAR est raisonnable. Il faut pour y répondre s’interroger sur le caractère raisonnable, d’une part, de son refus d’admettre les nouveaux éléments de preuve proposés, et d’autre part, de ses conclusions relatives à la crédibilité.

[28]  L’arrêt récent de la Cour suprême du Canada intitulé Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov], établit la présomption d’application de la norme de la décision raisonnable aux décisions prises par les décideurs administratifs. La jurisprudence antérieure à l’arrêt Vavilov avait aussi établi que la norme de la décision raisonnable devait être appliquée à l’examen sur le fond des décisions de la SAR, notamment à ses conclusions touchant l’admission de nouveaux éléments de preuve conformément au paragraphe 110(4) (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Huruglica, 2016 CAF 93, par. 30 à 35, 264 ACWS (3d) 2; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Singh, 2016 CAF 96, par. 29, [2016] 4 RCF 230 [Singh]; et Akanniolu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 311, par. 27, 305 ACWS (3d) 598).

[29]  Dans Vavilov, la Cour suprême du Canada a exposé en détail les caractéristiques de la décision raisonnable et formulé des directives applicables à l’exercice du contrôle judiciaire selon la norme de la décision raisonnable. La conformité aux critères de justification, de transparence et d’intelligibilité reste l’une des caractéristiques de la décision raisonnable. Dans le cadre de son analyse du caractère raisonnable d’une décision, la cour de révision doit d’abord examiner les motifs donnés avec une attention respectueuse, et chercher à comprendre le fil du raisonnement suivi par la SAR pour parvenir à sa conclusion. Est dite raisonnable la décision qui, d’une part, est fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle, et qui, d’autre part, est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti.

IV.  Les arguments des demandeurs

[30]  Le principal moyen des demandeurs est que la SAR a refusé à tort d’admettre l’avis juridique en preuve. Ils soutiennent que cet avis réfute directement la conclusion de la SPR selon laquelle l’affidavit de M. Olufemi serait un faux. Ils font valoir qu’ils n’auraient pas normalement pu présenter un tel avis à l’audience devant la SPR puisqu’ils ignoraient que la SPR remettrait en cause l’authenticité de cet affidavit, conclurait à sa fausseté et se fonderait dans une si grande mesure sur la RDI.

[31]  Les demandeurs soutiennent que la SAR n’a pas analysé l’avis juridique avant de l’écarter. Selon eux, elle aurait conclu à tort que cet avis contenait des renseignements semblables à ceux de la RDI (CND) et reproduisait les observations présentées de vive voix par leur conseil à l’audience devant la SPR. Les demandeurs avancent également que la SAR a eu tort de ne pas prendre en considération le fait que l’avis juridique était plus récent et fiable que la RDI, laquelle était fondée sur les renseignements obtenus de correspondants anonymes non spécialisés en droit.

[32]  Les demandeurs soutiennent en outre que la SPR a eu tort de conclure à la non-crédibilité de M. Okunowo sur la base de facteurs périphériques tels que le fait qu’il ait donné deux adresses différentes de la maison où il a vécu clandestinement, ce qui l’a amenée à ne pas retenir d’autres éléments de preuve, notamment les affidavits de sa femme et de M. Olufemi. Suivant les demandeurs, l’adresse importe peu : le point essentiel, c’est qu’il a dû rester dans la clandestinité jusqu’à son départ du Nigéria.

[33]  Les demandeurs soutiennent enfin que la SPR a mal appliqué les Directives sur l’OSIGEG parce qu’elle a exigé des éléments de preuve corroborante visant à établir la liaison homosexuelle de M. Okunowo. Ils font valoir que M. Okunowo a expliqué qu’il avait gardé cette liaison secrète, comme il était normal dans les circonstances.

V.  Les arguments du défendeur

[34]  Le défendeur soutient que la SAR a effectué un examen approfondi des éléments de preuve et que sa conclusion selon laquelle M. Okunowo n’était pas crédible et n’est pas bisexuel était raisonnable.

[35]  Selon le défendeur, la SAR n’a pas commis d’erreur lorsqu’elle a refusé d’admettre en preuve l’avis juridique. Cet avis ne contenait pas de nouveaux renseignements. De plus, les demandeurs auraient dû normalement présenter une telle pièce devant la SPR, ou avant que celle‑ci ne rende sa décision, étant donné qu’elle avait clairement mis en question à l’audience l’authenticité de l’affidavit de M. Olufemi et que la conseil s’était exprimée sur ce point dans ses observations.

[36]  Le défendeur soutient enfin que la SAR aussi bien que la SPR ont appliqué les Directives sur l’OSIGEG. La SAR a examiné à la lumière de ces Directives les explications possibles touchant les conclusions sur la crédibilité et elle a jugé ces explications insuffisantes.

VI.  La décision de la SAR est raisonnable

A.  La SAR n’a pas refusé à tort d’admettre en preuve l’avis juridique.

[37]  Le paragraphe 110(4) est libellé comme suit :

(4) Dans le cadre de l’appel, la personne en cause ne peut présenter que des éléments de preuve survenus depuis le rejet de sa demande ou qui n’étaient alors pas normalement accessibles ou, s’ils l’étaient, qu’elle n’aurait pas normalement présentés, dans les circonstances, au moment du rejet.

4) On appeal, the person who is the subject of the appeal may present only evidence that arose after the rejection of their claim or that was not reasonably available, or that the person could not reasonably have been expected in the circumstances to have presented, at the time of the rejection.

[38]  Il n’appartient pas à la Cour de rendre une nouvelle décision sur le point de savoir si les nouveaux éléments de preuve auraient dû être admis en preuve. Elle doit plutôt statuer sur le caractère raisonnable de la conclusion de la SAR selon laquelle ces nouveaux éléments ne remplissaient pas les critères d’admissibilité. Les motifs par lesquels la SAR a justifié son refus d’admettre en preuve l’avis juridique témoignent d’une analyse cohérente, et justifiée au regard des faits ainsi que des critères formulés au paragraphe 110(4) de la Loi.

[39]  Les demandeurs invoquent l’arrêt Singh pour affirmer que la SAR a eu tort de ne pas prendre en considération le contexte d’un appel et de ne pas envisager avec souplesse l’admission de nouveaux éléments de preuve. Or cet argument dénote l’oubli des principes fondamentaux formulés dans l’arrêt Singh.

[40]  La Cour d’appel fédérale souligne au paragraphe 63 de l’arrêt Singh que la SAR ne peut passer outre aux critères explicitement formulés au paragraphe 110(4). S’il est vrai que les facteurs énoncés dans Raza c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CAF385, aux paragraphes 13 et 14, 162 ACWS (3d) 1013 [Raza] – à savoir la crédibilité, la pertinence, la nouveauté et le caractère substantiel –, restent applicables aux décisions de la SAR d’admettre ou non de nouveaux éléments de preuve, la Cour d’appel fédérale a tenu à préciser que seuls sont admissibles les éléments de preuve qui remplissent les critères formulés au paragraphe 110(4).

[41]  Il est de jurisprudence constante que les critères législatifs doivent être remplis avant que la SAR ne puisse se demander comment elle appliquera les facteurs prévus dans Raza dans le cadre d’un appel (Hassan c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2019 CF 459, par. 21, 305 ACWS (3d) 156; Majebi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 14, par. 19, 305 ACWS (3d) 156). Autrement dit, la souplesse sur laquelle s’appuient maintenant les demandeurs pourra être prise en compte qu’une fois remplis les critères législatifs.

[42]  En l’espèce, la SAR a suivi cette manière de procéder, précisant que si les éléments de preuve proposés remplissaient les critères législatifs, elle examinerait ensuite l’application des facteurs énoncés dans Singh et Raza.

[43]  La SAR a souligné dans ses motifs l’argument des demandeurs selon lequel ils n’auraient pu normalement présenter les éléments en question devant la SPR, au motif qu’ils ne pouvaient prévoir que la SPR mettrait en doute l’authenticité de l’affidavit.

[44]  Il appert que la SAR a rejeté cet argument, mais il ne s’agissait pas de la principale raison qui a motivé son refus d’admettre les nouveaux éléments de preuve.

[45]  La SAR a refusé d’admettre l’avis juridique en preuve au motif qu’il ne donnait pas de nouveaux éléments d’information, mais des renseignements semblables à ceux qui avaient été versés au dossier (la RDI) et au contenu des observations formulées par la conseil qui agissait pour les demandeurs devant la SPR. Cette conclusion se justifie à la lumière d’une comparaison de la RDI, des observations de la conseil des demandeurs et de l’avis juridique considéré.

[46]  À l’audience devant la SPR, la question de savoir si M. Olufemi avait eu peur de déclarer sous serment devant un commissaire, au palais de justice, qu’il était venu en aide à un homme bisexuel a été posée à M. Okunowo, et ses réponses étaient élusives. [traduction] « [O]n allait seulement écrire ça devant lui et il ne se passerait rien », s’est‑il contenté de déclarer.

[47]  En outre, la conseil des demandeurs a présenté à l’audience devant la SPR des observations détaillées sur la vraisemblance de souscrire un tel affidavit. Elle a voulu réfuter les renseignements contenus dans la RDI, notamment en faisant valoir qu’il ne s’agissait pas d’un avis juridique. Elle a demandé à la SPR d’accorder une valeur probante à l’affidavit de M. Olufemi ainsi qu’à celui de la femme de M. Okunowo. Toujours à l’audience devant la SPR, la conseil des demandeurs a fait valoir que la RDI n’avait pas été rédigée par des avocats, de sorte que la SPR ne devait guère lui accorder d’importance. [traduction] « [L]a RDI ne dit nulle part […], a‑t‑elle ajouté, qu’il serait impossible de souscrire un affidavit dans lequel l’auteur déclare ou précise l’orientation sexuelle de quelqu’un. »

[48]  La conseil des demandeurs a aussi fait observer que la RDI précisait que personne n’a besoin de tels affidavits au Nigéria, mais seulement à l’extérieur de ce pays.

[49]  La conseil des demandeurs a en outre fait valoir que, selon la RDI, [traduction] « il est possible d’obtenir de tels documents lorsque le secret est garanti aux déposants; ceux‑ci se présentent devant un commissaire à l’assermentation qui leur garantit le secret, ou a le pouvoir de le leur garantir ». (Autrement dit, il n’y aurait pas de risque, parce que le commissaire à l’assermentation garantirait le secret aux souscripteurs d’affidavit.)

[50]  La conseil des demandeurs a clairement renvoyé à la RDI dans ses observations, qu’elle a longuement exposées et de manière quelque peu décousue, et elle a manifestement tenté de faire ressortir que ce document ne soulevait que la difficulté, et non l’impossibilité, d’obtenir un tel affidavit.

[51]  Contrairement aux observations maintenant présentées par les demandeurs devant notre Cour, celles qu’a présentées leur conseil devant la SPR faisaient explicitement référence à la RDI, dénonçant même que la RDI était inexacte et qu’elle ne devrait donc se voir qu’une faible valeur probante.

[52]  La SAR a examiné le contenu de l’avis juridique, que les demandeurs voulaient faire admettre comme nouvel élément de preuve, à la lumière des éléments de preuve et des observations présentés devant la SPR.

[53]  L’auteure de l’avis juridique, évoquant la criminalisation de l’homosexualité, reconnaît d’entrée de jeu que certaines des conclusions de la SPR [traduction] « sont peut-être exactes ».

[54]  L’auteure de l’avis juridique conteste qu’il serait [traduction] « étrange » (comme l’estimait la SPR) ou inhabituel pour un commissaire à l’assermentation ou un notaire public d’authentifier au Nigéria un affidavit de la nature considérée. Elle expose les exigences procédurales applicables à l’assermentation, et fait remarquer qu’un affidavit dûment établi jouit d’une présomption de régularité et d’authenticité. L’auteure de l’avis juridique précise que tout citoyen nigérian est libre de souscrire un affidavit, et qu’il n’appartient pas au commissaire à l’assermentation ou au notaire public de [traduction] « faire arrêter le déposant » qui s’incriminerait. Elle ajoute que le souscripteur d’un faux affidavit encourt une peine, mais que ni le commissaire à l’assermentation ni le notaire public n’a l’obligation de livrer à la police quiconque avouerait un crime dans un affidavit. Enfin, l’auteure de l’avis précise qu’il serait contraire à la déontologie pour un avocat ou autre professionnel du droit de communiquer à qui que ce soit le contenu d’un affidavit, sauf obligation légale de le faire.

[55]  Les différences entre l’avis juridique, la RDI et les observations présentées par la conseil devant la SPR ne sont pas des contradictions, mais témoignent plutôt d’une attention portée à des aspects distincts de la même information ou d’une information semblable, qu’on envisage de points de vue différents. La RDI met l’accent sur la personne qui veut signer l’affidavit, et non sur le commissaire à l’assermentation ou le notaire public. L’avis juridique porte principalement sur le rôle du commissaire ou du notaire. La RDI précise qu’il est « inhabituel » au Nigéria pour un commissaire à l’assermentation ou un notaire public d’authentifier un affidavit concernant la sexualité d’une personne, et qu’il serait « étrange » d’y voir quelqu’un déposer sous serment à ce sujet étant donné que l’homosexualité y est un crime. L’avis juridique ne conteste pas le caractère inhabituel d’une telle démarche. Selon la RDI, on ne signerait pas un tel affidavit au Nigéria de peur d’être dénoncé publiquement en raison de son association avec une personne homosexuelle. « L’homophobie et le fait que la bisexualité et l’homosexualité constituent un crime peuvent aussi faire en sorte que le notaire public ou le commissaire à l’assermentation […] refusent » son concours, ajoute la RDI. Celle‑ci ne dit pas qu’il serait impossible qu’une personne signe un tel affidavit, ni que le commissaire à l’assermentation ou le notaire public refuserait de l’authentifier, ni que sa signature entraînerait une dénonciation aux autorités.

[56]  La RDI dit en substance qu’il est peu probable qu’une personne signe un affidavit attestant le comportement homosexuel d’une autre personne en raison du risque ainsi couru par le déposant. En d’autres termes, les personnes à qui l’on demanderait de signer un tel affidavit y seraient peu disposées. Le point essentiel de l’avis juridique est que le commissaire à l’assermentation ou le notaire public n’est pas tenu de refuser d’authentifier un tel affidavit. Même si l’auteure de l’avis précise que le commissaire à l’assermentation ou le notaire public ne communiquerait pas le contenu de l’affidavit ni ne serait tenu de signaler la perpétration d’un crime aux autorités, elle ne réfute pas les éléments de la RDI, ni la conclusion de la SPR, comme quoi la signature d’un tel affidavit entraînerait des risques pour le déposant.

[57]  La SAR s’est demandé pourquoi M. Olufemi courrait le risque de révéler qu’il avait donné refuge à son ami bisexuel et le déclarerait sous serment devant un magistrat. L’auteure de l’avis juridique ne répond pas à cette question, pas plus qu’elle ne réfute la conclusion de la SPR. Qui plus est, en avançant l’argument que le CND relève seulement le caractère inhabituel de tels affidavits au Nigéria, les demandeurs oublient le fait que l’affidavit en question a été signé au Nigéria par un Nigérian.

[58]  En résumé, la SPR, se fondant sur la RDI, a refusé de croire que M. Olufemi aurait signé un tel affidavit dans un lieu public, devant un fonctionnaire, étant donné qu’il aurait ainsi pu se mettre en danger. Or l’auteure de l’avis juridique ne réfute pas les éléments d’information de la RDI sur lesquels s’est basée la SPR.

[59]  La preuve au dossier n’étaye pas le moyen actuel des demandeurs selon lequel ils n’auraient pas normalement présenté l’avis juridique devant la SPR, au motif qu’ils ne savaient pas que serait soulevé le point en cause. Or le fait que la SPR se soit référée à la RDI aurait dû faire comprendre aux demandeurs que la SPR avait des réserves à ce sujet, tout comme les questions posées par la SPR sur les risques que représentait pour les déposants la signature de tels affidavits. Les réponses de M. Okunowo se sont révélées évasives et non pertinentes. Comme je l’ai souligné plus haut, la conseil des demandeurs a formulé des observations détaillées sur la RDI à l’audience devant la SPR. Les demandeurs auraient pu annoncer qu’ils présenteraient à la SPR des observations postérieures à l’audience et demander le temps nécessaire pour ce faire. On ne peut reprocher à la SPR d’avoir prononcé sa décision dans un délai raisonnable après l’audience.

B.  Les autres conclusions relatives à la crédibilité

[60]  Contrairement à l’argument des demandeurs selon lequel l’avis juridique réfutait la conclusion de la SPR voulant que l’affidavit de M. Olufemi soit un faux et fournissait des éléments de preuve crédibles au soutien de leur demande d’asile, la SPR a tiré plusieurs autres conclusions sur la crédibilité, exposées plus haut, que l’affidavit n’aurait pas permis d’écarter.

[61]  Les demandeurs font valoir que l’affidavit de M. Olufemi confirmait l’adresse où M. Okunowo avait trouvé refuge après avoir été surpris avec son amant. Or, contrairement à cet argument des demandeurs, les conclusions relatives à la crédibilité tirées du fait que M. Okunowo ait donné des adresses différentes sont fondées sur la contradiction que la SPR a constatée dans les documents signés par lui et non sur l’adresse que précise l’affidavit de M. Olufemi. En outre, contrairement aux arguments des demandeurs, la différence des adresses données n’était pas une question sans importance. Les deux adresses étaient remarquablement différentes, et M. Okunowo n’a proposé aucune explication de ce fait. La SPR a fait observer qu’elle attendait de lui des réponses concordantes à ce sujet, étant donné qu’il affirmait avoir été hébergé clandestinement à cette adresse durant deux mois et que cet élément touchait à l’élément central de sa demande d’asile.

[62]  Je tiens à faire remarquer que même si l’affidavit de M. Olufemi avait été admis en preuve, il n’aurait pas établi l’orientation sexuelle de M. Okunowo, puisque M. Olufemi affirme seulement que M. Okunowo lui a révélé son secret au moment où il lui a demandé refuge, alors que les deux hommes auraient été amis depuis de nombreuses années. Qui plus est, l’affidavit de M. Olufemi ne concorde pas entièrement avec le récit de M. Okunowo.

[63]  L’affidavit de la femme de M. Okunowo ne pouvait pas non plus établir l’orientation sexuelle de ce dernier, puisque son auteure répétait la même information – à laquelle n’ont pas ajouté foi la SPR et la SAR –, ne reprenait que ce que lui avait dit son mari.

[64]  La SAR a confirmé plusieurs conclusions relatives à la crédibilité. La question de la réticence de M. Okunowo à produire les dossiers de visa demandés n’a pas été abordée. La SPR a souligné qu’elle avait jugé ses réponses évasives et peu éclairantes. Monsieur Okunowo n’a rien dit non plus au sujet de son défaut de produire des relevés de présences mis à jour du Centre 519. Il a en outre changé son témoignage concernant les dossiers de visa demandés. Ni la SAR ni la SPR n’ont ajouté foi à ses déclarations, dont ils ont constaté le caractère évasif, concernant sa liaison homosexuelle de longue durée. En outre, M. Okunowo a produit des éléments de preuve discordants sur le pardon que lui aurait accordé sa femme. Les motifs exposés par la SAR pour confirmer ces conclusions défavorables quant à la crédibilité sont justifiés.

[65]  Les observations des demandeurs concernant les conclusions de la SAR sur la crédibilité reviennent à demander à la Cour d’apprécier à nouveau la preuve, et la Cour suprême a récemment confirmé dans Vavilov, au paragraphe 125, que notre Cour devait s’abstenir de le faire.

C.  L’application des Directives sur l’OSIGEG

[66]  La SAR a pris en considération les Directives sur l’OSIGEG et reconnu la difficulté pour un demandeur d’asile d’établir son orientation sexuelle. Cependant, elle a jugé à raison que, vu les multiples conclusions sur la crédibilité, les éléments de preuve produits par M. Okunowo n’étaient ni dignes de foi ni probants et qu’il n’avait pas établi l’existence de sa liaison homosexuelle. Les conclusions sur la crédibilité se rapportent à des éléments essentiels de la demande d’asile des demandeurs. Les Directives sur l’OSIGEG ne sont pas une panacée contre de telles conclusions relatives à la crédibilité.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Il n’y a aucune question à certifier.

« Catherine M. Kane »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 1er jour de mai 2020

Linda Brisebois, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑4019‑19

 

INTITULÉ :

OBAITAN EBENEZER OKUNOWO, SAMUEL IREMIDE OKUNOWO (MINEUR) et MOFIYINFOLUWA OPEMIPO OKUNOWO (MINEURE) c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 22 JANVIER 2020

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :

LA JUGE KANE

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 30 JANVIER 2020

 

COMPARUTIONS:

Rafeena Rashid

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Alex Kam

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Rashid Urosevic, s.r.l.

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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