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     IMM-4573-96

Entre :

     ANA MARIA RODRIGUEZ,

     ALVIN GUSTAVO MEDINA RODRIGUEZ,

     requérants,

     - et -

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     intimé.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE SUPPLÉANT HEALD

     Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision de la section du statut de réfugié au sens de la Convention de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) en date du 6 décembre 1996. Dans cette décision, la Commission a conclu que les requérants n'étaient pas des réfugiés au sens de la Convention.

Les faits

     La requérante principale, Ana Maria Rodriguez, était (au moment de l'audience) une citoyenne du Venezuela âgée de 23 ans. Le requérant mineur, son fils Alvin, également citoyen du Venezuela, était âgé de trois ans. Les requérants sont arrivés au Canada le 29 novembre 1993. Ils ont revendiqué le statut de réfugié en août 1994 en raison de leur relation avec le père du requérant mineur. La requérante principale a déclaré dans son témoignage que son [TRADUCTION] "conjoint était impliqué dans le trafic de la drogue dirigé par la mafia"1. D'après son témoignage, trois hommes armés se sont présentés chez elle et l'ont informée qu'ils avaient été "dénoncés" pour un paquet d'argent. Ils lui ont fait des menaces verbales et ont sorti leurs pistolets. Le lendemain matin, la requérante principale a signalé cet incident à la police. La police lui a conseillé de rentrer chez elle et d'attendre un agent de police. Aucun agent n'est venu chez elle. Le lendemain, les trois hommes sont revenus, ont forcé sa porte et fouillé sa maison, l'ont menacée de leurs pistolets et lui ont de nouveau demandé où se trouvait son mari. À ce moment, elle ne le savait pas. Ils ont continué de la menacer. Par la suite, les hommes ont détruit la maison et y ont mis le feu. Sa mère, son fils et elle ont cherché refuge chez un voisin. Après l'incendie, la requérante principale a de nouveau communiqué avec la police qui lui a encore une fois assurée qu'un agent se rendrait chez elle. Toutefois, aucun agent n'est venu. La requérante principale, sa mère et son fils sont ensuite demeurés chez des amis. Deux mois après, ils sont venus au Canada.

La décision de la Commission

     La Commission a conclu que le dossier en l'espèce n'établit pas de lien entre les problèmes du conjoint de la requérante et l'un des motifs énoncés dans la Convention relative au statut de réfugié. La Commission a ensuite examiné si une situation factuelle comme celle en l'espèce, dans laquelle une famille est menacée pour une raison quelconque, est suffisante pour établir qu'il y a un lien avec le motif énoncé dans la Convention concernant l'appartenance à un groupe social particulier.

     La Commission a déclaré ce qui suit2 :



     [TRADUCTION]         
     On peut vouloir protéger toutes les personnes qui risquent d'être persécutées pour une raison quelconque, mais les rédacteurs de la Convention et le législateur ont indiqué clairement, en énumérant des motifs précis, qu'ils n'avaient pas l'intention d'étendre la protection qu'ils réservent aux réfugiés au sens de la Convention à toutes les victimes de persécution, quelle que soit la raison de cette persécution.         

     Ensuite, à la page 16 du dossier de la requérante, on trouve ceci :

     [TRADUCTION]         
     Autrement dit, les difficultés des membres de la famille de ceux qui sont persécutés pour des motifs non énoncés dans la Convention - si ces difficultés se posent uniquement du fait de leur lien avec la cible principale - sont trop éloignées du genre de situations et des dangers contre lesquels le législateur canadien et les rédacteurs de la Convention avaient l'intention de protéger les réfugiés au sens de la Convention."         

     La Commission a ensuite cherché à déterminer si les requérants en l'espèce n'appartenaient pas à "un groupe social particulier" au sens de la définition de la Convention donnée dans Canada (Procureur général) c. Ward3. La Commission a reconnu que les membres d'une famille réunissent certaines des caractéristiques d'un groupe social particulier, selon la définition donnée dans Ward, précité. Toutefois, elle a été d'avis que la décision de Ward ne s'étendait pas aux faits de l'espèce. Dans Ward, le juge La Forest a refusé d'appliquer la définition d'une façon mécanique.

     Après avoir évalué les faits dont elle était saisie et la décision de l'arrêt Ward appliquée aux faits de l'espèce, la Commission a conclu dans les termes suivants4 :

     [TRADUCTION]         
     Ainsi, quand         
     (i)      une personne est la cible principale d'oppresseurs;         
     (ii)      la raison de l'animosité des oppresseurs à l'égard de cette cible principale n'est pas visée par un motif prévu dans la Convention;         
     (iii)      un membre de la famille de la cible principale pourrait être maltraité par les oppresseurs;         
     (iv)      les mauvais traitements infligés au membre de la famille ne s'expliquent pas autrement que par la raison énoncée à l'alinéa (ii) et par son lien familial avec la cible principale, et         
     (v)      l'intention des oppresseurs, en maltraitant ce membre de la famille serait soit d'atteindre la cible principale ou d'exercer des pressions sur elle, soit de donner libre cours à sa colère contre la cible principale, alors         
     le membre de la famille ne sera pas considéré comme appartenant à un groupe social particulier au sens de la définition.         

     Autrement dit, la Commission a conclu que la requérante en l'espèce devait établir une sorte de lien entre la persécution dont elle a été victime et un motif énoncé dans la Convention. La Convention relative au statut de réfugié a pour but de protéger des personnes qui ont été persécutées et qui, en l'absence de la protection de l'État dans leur propre pays, doivent s'adresser à la communauté internationale pour obtenir une telle protection. À mon avis, la Commission a conclu à bon droit que, pour déterminer l'appartenance à un groupe social particulier, le contexte de la revendication doit être examiné ainsi que le but de la Convention.

     Par conséquent, pour qu'un revendicateur soit considéré comme appartenant à "un groupe social particulier", il doit démontrer qu'il est membre d'un groupe auquel le législateur avait l'intention d'assurer sa protection. La Convention ne protège pas toutes les personnes qui sont persécutées. La possibilité d'avoir recours à la protection assurée par l'État est aussi un élément essentiel.

     D'après les faits, la requérante semble faire partie des membres de la famille d'un groupe ciblé en raison de ses activités illégales liées à la drogue. Il s'agit d'un groupe privé et il n'y a pas de preuve au dossier indiquant que les membres des familles des narcotrafiquants sont ciblés.

     Par conséquent, je suis d'avis que, d'après le dossier, il était raisonnablement loisible à la Commission d'en venir à la conclusion contestée en l'espèce. La demande de contrôle judiciaire est donc rejetée.



Certification

     Aucun avocat n'a proposé de question grave de portée générale aux termes de l'article 83 de la Loi sur l'immigration. Je conviens qu'il n'y en a pas et, par conséquent, aucune question ne sera certifiée.

                         "Darrel V. Heald"

                                 Juge suppléant

Toronto (Ontario)

le 26 septembre 1997

Traduction certifiée conforme         
                                 François Blais, LL.L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     Avocats et procureurs inscrits au dossier

NE DU GREFFE :                  IMM-4573-96
INTITULÉ DE LA CAUSE :          ANA MARIA RODRIGUEZ ET AL.
                         - et -
                         LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
DATE DE L'AUDIENCE :              LE 25 SEPTEMBRE 1997
LIEU DE L'AUDIENCE :              TORONTO (ONTARIO)
MOTIFS DE L'ORDONNANCE PAR :      LE JUGE SUPPLÉANT HEALD
DATE :                      LE 26 SEPTEMBRE 1997

ONT COMPARU :

                         Roop N. Sharma
                             pour les requérants
                         Lori Hendriks
                             pour l'intimé

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

                         Roop N. Sharma
                         1-942, rue Gerrard Est
                         Toronto (Ontario)
                         M4M 1Z2
                             pour les requérants
                         George Thomson
                         Sous-procureur général du Canada
                             pour l'intimé

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

NE du greffe :      IMM-4573-96

Entre :

ANA MARIA RODRIGUEZ ET AL.,

     requérants,

     - et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION,

     intimé.

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

__________________

     1      Dossier de la requérante, p. 8

     2      Dossier de la requérante, p. 16

     3      [1993] 2 R.C.S. 689

     4      Dossier de la requérante, p. 18

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