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Date : 20000705


Dossier : IMM-3390-00



ENTRE :


GRACE OGBEIFUN



demanderesse


et



LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION


défendeur



MOTIFS D'ORDONNANCE




LE JUGE LEMIEUX


[1]      Les présents motifs expliquent pourquoi j'ai accueilli, le vendredi 30 juin 2000, une demande visant à obtenir qu'il soit sursis à l'exécution d'une mesure de renvoi jusqu'à que la demande d'autorisation et de contrôle judiciaire soit entendue. J'ai entendu l'affaire d'urgence car le renvoi était prévu pour le dimanche 2 juillet 2000.



LE CONTEXTE

[2]      La demanderesse, Grace Ogbeifun, est une citoyenne du Nigéria qui est arrivée au Canada le 25 mars 1990 et dont la revendication du statut de réfugiée a été rejetée par la Section du statut de réfugié le 21 septembre 1994. Notre Cour a ultérieurement refusé de lui accorder une prorogation du délai applicable au dépôt d'une éventuelle demande d'autorisation et de contrôle judiciaire.

[3]      Il ressort du dossier que la demanderesse a tenté à un certain nombre de reprises, en vain, de demeurer au Canada. Par exemple, le 26 juillet 1995, la demande que la demanderesse avait présentée dans le cadre de la CDNRSRC a été rejetée; le 21 novembre 1995, la demanderesse a déposé une demande du droit d'établissement dans le cadre de la catégorie des immigrants autonomes, qui a été rejetée le 12 mars 1996; elle a présenté une deuxième demande dans le cadre de cette catégorie, qui a elle aussi été rejetée, le 4 mars 1997. En outre, le 5 mai 1999, on a refusé à la demanderesse l'accès au programme IMRED étant donné qu'en septembre 1998, elle avait été reconnue coupable d'infractions criminelles du fait qu'elle avait fait obstacle au travail des autorités policières et qu'elle avait été en possession de cartes de crédit volées.

[4]      En juin 1999, la demanderesse a présenté une demande de résidence permanente au Canada, cherchant à obtenir une dispense, sur la base de motifs d'ordre humanitaire, qui lui aurait permis de demeurer au Canada pendant le traitement de sa demande. La demanderesse a deux enfants âgés de 9 et 7 ans respectivement qui sont nés au Canada.

[5]      Le 10 août 1999, la demanderesse a reçu une lettre de Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) l'informant que sa demande de résidence permanente avait été transférée de Mississauga au centre d'Immigration Canada de Scarborough pour fins d'examen. La lettre disait que [TRADUCTION] « nous vous aviserons dans les douze mois de la décision prise dans votre cas » . Cette demande n'a toujours pas été tranchée.

[6]      Le 14 juin 2000, le centre de CIC du Toronto métropolitain chargé de l'application de la loi a convoqué la demanderesse, lui mentionnant qu'elle serait renvoyée du Canada le dimanche 2 juillet 2000. La demanderesse déclare, dans l'affidavit qu'elle a produit pour étayer la présente demande de sursis, qu'elle a reçu la convocation le 21 juin 2000.

[7]      Le 28 juin 2000, la demanderesse a retenu les services d'un avocat. On m'a expliqué qu'entre les 22 et 27 juin, la demanderesse avait communiqué avec l'agent d'immigration qui avait préparé sa demande fondée sur des motifs d'ordre humanitaire et que ce n'est qu'à ce moment-là qu'elle s'est rendue compte que cette personne ne pouvait faire d'observations devant la Cour vu qu'elle n'était pas avocate.

[8]      Il ressort du dossier que le 28 juin 2000, l'avocat de la demanderesse a communiqué avec l'agent chargé du renvoi de sa cliente et qu'il lui a suggéré de reporter le renvoi de celle-ci. Il a fait valoir trois arguments pour convaincre l'agent : 1) il a mentionné la demande en suspens fondée sur des motifs d'ordre humanitaire, qui datait d'environ un an; 2) il a souligné le fait que les passeports canadiens des enfants de sa cliente avaient expiré; et 3) il a dit qu'un agent de révision des revendications refusées n'avait pas fait une évaluation des risques.

[9]      Le 29 juin 2000, la demanderesse a présenté une demande d'autorisation et de contrôle judiciaire contestant la décision de l'agent chargé de son renvoi au motif qu'il n'avait pas respecté l'équité procédurale dans son cas.

L'ANALYSE

     a)      La question grave

[10]      À mon avis, la présente demande soulève un certain nombre de questions graves :

     1)      La première de ces questions est celle de savoir si, dans les circonstances, on a omis de respecter l'équité procédurale du fait qu'on a convoqué la demanderesse par la poste en vue de son renvoi, sans qu'on lui accorde l'entrevue à l'occasion de laquelle on informe la personne visée par une mesure d'expulsion que CIC procédera à l'exécution de son renvoi. À cette occasion, l'intéressé peut soulever des questions portant sur le moment de l'expulsion. En l'espèce, si une telle entrevue avait eu lieu, on aurait pu traiter de la question de l'expiration des passeports canadiens des enfants.
     2)      La deuxième question litigieuse est celle de savoir si CIC a omis de respecter une politique interne qui prévoit que l'intéressé doit être avisé au moins quatorze (14) jours avant la date de son expulsion. L'avocat de la demanderesse a mentionné l'existence de cette politique.
     3)      La troisième question grave porte sur la demande fondée sur des motifs d'ordre humanitaire qui n'a toujours pas été tranchée et sur le fait qu'elle est en suspens depuis près d'un an. La Cour a mentionné à l'avocate du défendeur l'existence d'une politique dans certaines autres provinces selon laquelle les personnes dont la demande fondée sur des motifs d'ordre humanitaire est en suspens depuis plus de six mois ne sont pas renvoyées du pays. L'avocate du défendeur m'a dit qu'une telle politique n'existait pas en Ontario. Outre la question du manque d'uniformité, au Canada, de l'exécution des mesures d'expulsion, les faits de la présente affaire soulèvent une question grave du fait qu'on a indûment retardé à traiter la demande fondée sur des motifs d'ordre humanitaire que la demanderesse a présentée.
     4)      Quatrièmement, l'exigence d'une évaluation des risques plus à jour soulève une question grave (compte tenu du fait que l'époux de la demanderesse, qui faisait preuve de violence à son égard, vit présentement au Nigéria). L'agent chargé du renvoi de la demanderesse n'a accordé à l'avocat de celle-ci qu'un très court délai pour expliquer pourquoi sa cliente avait une crainte objective de retourner au Nigéria contre son gré.

     b)      Le préjudice irréparable et la prépondérance des inconvénients

[11]      La demanderesse craint d'être renvoyée au Nigéria, et on n'a pas fait d'évaluation des risques à jour concernant sa crainte. De plus, elle serait expulsée sans ses jeunes enfants, dont les passeports ont expiré. Ces deux facteurs à eux seuls m'ont convaincu que la demanderesse subirait un préjudice irréparable. Pour ce qui est de la prépondérance des inconvénients, il s'agit de déterminer laquelle des deux parties subira le plus grave préjudice si l'on accorde ou refuse le sursis de l'exécution de la mesure de renvoi. J'ai tenu compte de l'intérêt public que le ministre doit respecter en appliquant la loi. Dans les circonstances, malgré le fait que la prépondérance des inconvénients soit favorable à la demanderesse, comme l'a souligné l'avocate du défendeur, la demanderesse n'a pas présenté suffisamment de preuve pour établir sa véritable identité, comment elle s'est établie au Canada, et si elle a de la famille au pays.

[12]      Pour ces motifs, la demande de sursis a été accueillie; elle est valable jusqu'à ce que la demande d'autorisation et de contrôle judiciaire de la demanderesse soit tranchée.

                                 « François Lemieux »

                                         JUGE


OTTAWA (ONTARIO)

Le 5 juillet 2000.


Traduction certifiée conforme


Bernard Olivier, B.A., LL.B.

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER



NO DU GREFFE :              IMM-3390-00

INTITULÉ DE LA CAUSE :          GRACE OGBEIFUN C. MCI


LIEU DE L'AUDIENCE :          OTTAWA (ONTARIO) et TORONTO (ONTARIO),                      DANS LE CADRE D'UNE CONFÉRENCE                          TÉLÉPHONIQUE

DATE DE L'AUDIENCE :          LE 30 JUIN 2000

MOTIFS D'ORDONNANCE EXPOSÉS PAR MONSIEUR LE JUGE LEMIEUX

EN DATE DU :              5 JUILLET 2000



ONT COMPARU :         

M. E. BRODZKY                          POUR LA DEMANDERESSE

S. THOMAS                              POUR LE DÉFENDEUR



AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :     

M. E. BRODZKY                          POUR LA DEMANDERESSE


M. Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada                  POUR LE DÉFENDEUR

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