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     Date : 19990708

     Dossier : IMM-4009-98

Ottawa (Ontario), le 8 juillet 1999

En présence de M. le juge Pinard

Entre :

     Daljinder, KHERA

     (né le 04.05.52)

     3392-5795,

     demandeur,

     et

     LE MINISTRE,

     défendeur.


     ORDONNANCE


     La demande de contrôle judiciaire visant la décision rendue oralement le 2 juin 1998, et dont les motifs écrits portent la date du 18 juin 1998, par laquelle la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié a estimé que le demandeur est exclu de la définition de " réfugié au sens de la Convention " en vertu de l'alinéa 1Fa ) de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés, est rejetée.


YVON PINARD

JUGE

Traduction certifiée conforme


Laurier Parenteau, B.A., LL.L.




     Date : 19990708

     Dossier : IMM-4009-98


Entre :

     Daljinder, KHERA

     (DOB 04.05.52)

     3392-5795,

     demandeur,

     et

     LE MINISTRE,

     défendeur.


     MOTIFS DE L'ORDONNANCE


LE JUGE PINARD :


[1]      Le demandeur sollicite de la Cour le contrôle judiciaire d'une décision de la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) rendue oralement le 2 juin 1998, et dont les motifs écrits portent la date du 18 juin 1998, par laquelle la Commission a estimé que le demandeur est exclu de la définition de " réfugié au sens de la Convention " en vertu de l'alinéa 1Fa ) de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés (la Convention).

[2]      Âgé de 46 ans et citoyen de l'Inde, le demandeur prétend craindre avec raison d'être persécuté en Inde par la police et par des militants sikhs. Le demandeur est un Sikh qui faisait partie, depuis mai 1973, de la Punjab Police Force (la PPF). Il a fui l'Inde après avoir reçu l'ordre de témoigner au procès d'un gradé de la police. Le demandeur prétend que s'il était resté en Inde pour témoigner, il aurait fait l'objet de représailles.

[3]      Aux termes du paragraphe 1F de l'annexe à la Convention :

F. The provisions of this Convention shall not apply to any person with respect to whom there are serious reasons for considering that:

     (a) he has committed a crime against peace, a war crime, or a crime against humanity, as defined in the international instruments drawn up to make provision in respect of such crimes;
     (b) he has committed a serious non-political crime outside the country of refuge prior to his admission to that country as a refugee;
     (c) he has been guilty of acts contrary to the purposes and principles of the United Nations.

F. Les dispositions de cette Convention ne seront pas applicables aux personnes dont on aura des raisons sérieuses de penser :

     a) Qu'elles ont commis un crime contre la paix, un crime de guerre ou un crime contre l'humanité, au sens des instruments internationaux élaborés pour prévoir des dispositions relatives à ces crimes;
     b) Qu'elles ont commis un crime grave de droit commun en dehors du pays d'accueil avant d'y être admises comme réfugiés;
     c) Qu'elles se sont rendues coupables d'agissements contraires aux buts et aux principes des Nations Unies.

[4]      La définition de " crime contre l'humanité " figurant dans le Guide du HCR , est la suivante1 :

         ... l'assassinat, l'extermination, la réduction en esclavage, la déportation, et tout autre acte inhumain commis contre toute population civile, avant ou pendant la guerre, ou bien les persécutions pour des motifs politiques, raciaux ou religieux lorsque ces actes ou persécutions, qu'ils aient constitué ou non une violation du droit interne du pays où ils ont été perpétrés...


[5]      Les principes applicables pour déterminer si un demandeur de statut peut effectivement être exclu en vertu de l'alinéa 1Fa), se trouvent dans les arrêts Ramirez c. Canada (M.E.I.), [1992] 2 C.F. 306, Moreno et autres c. Canada (M.E.I.), [1994] 1 C.F. 298 and Sivakumar c. Canada (M.E.I.), [1994] 1 C.F. 433, tous trois rendus par de la Cour d'appel fédérale. Ces principes ont été bien résumés par ma collègue le juge Reed dans la décision Penate c. M.E.I. (26 novembre 1993), 93-A-292 :

             Dans les décisions Ramirez, Moreno et Sivakumar, il est question du degré ou du type de participation qui constitue la complicité. Il ressort de ces décisions que la simple adhésion à une organisation qui commet sporadiquement des infractions internationales n'implique pas normalement la complicité. Par contre, lorsque l'organisation vise principalement des fins limitées et brutales, comme celles d'une police secrète, ses membres peuvent être considérés comme y participant personnellement et sciemment. Il découle également de cette jurisprudence que la simple présence d'une personne sur les lieux d'une infraction en tant que spectatrice par exemple, sans lien avec le groupe persécuteur, ne fait pas d'elle une complice. Mais sa présence, alliée à d'autres facteurs, peut impliquer sa participation personnelle et consciente.
             Selon mon interprétation de la jurisprudence, sera considéré comme complice quiconque fait partie du groupe persécuteur, qui a connaissance des actes accomplis par ce groupe, et qui ne prend pas de mesures pour les empêcher (s'il peut le faire) ni ne se dissocie du groupe à la première occasion (compte tenu de sa propre sécurité), mais qui l'appuie activement. On voit là une intention commune. Je fais remarquer que la jurisprudence susmentionnée ne vise pas des infractions internationales isolées, mais la situation où la perpétration de ces infractions fait continûment et régulièrement partie de l'opération.
                             (non souligné dans l'original)


[6]      Il s'agit ici de savoir si la Commission, compte tenu des éléments de preuve dont elle disposait, s'est trompée dans la manière d'appliquer, à la notion de complicité, les principes exposés ci-dessus.

[7]      La Commission a en l'espèce rejeté la demande de statut déposée par le demandeur, estimant que celui-ci est exclu en vertu de l'alinéa 1Fa) au motif qu'il se serait rendu coupable de crimes contre l'humanité, étant donné que :

-      le demandeur était au courant des abus commis contre les Sikhs par la PPF, abus comprenant notamment des détentions et arrestations illégales, des tortures et des assassinats, et ce depuis le début de sa carrière au sein de la PPF, ainsi qu'en témoigne sa demande de se voir affecter à des tâches l'éloignant des opérations sur le terrain, car il avait connaissance de traitements que la police réservait aux jeunes Sikhs et ne voulait pas y être mêlé;
-      le demandeur a continué à exercer ses fonctions, qui consistaient à répartir les véhicules entre les divers postes de police, alors qu'il savait que ces véhicules étaient utilisés pour commettre des atrocités;
-      la documentation versée au dossier fait à maintes reprises état de crimes contre l'humanité commis par la PPF;
-      c'est de son plein gré que le demandeur s'est engagé dans la PPF et il est donc responsable de la situation dans laquelle il se trouvait;
-      bien que, matériellement, il n'ait pas lui-même commis de crime, il a aidé ceux qui ont commis des crimes contre l'humanité;
-      le demandeur savait que le rôle qu'il jouait dans la répartition des véhicules de la PPF avait des persécutions comme point d'aboutissement;
-      le demandeur n'a pas sollicité la protection de ses supérieurs hiérarchiques de façon à profiter de l'occasion de témoigner contre les exactions commises par la PPF.

[8]      J'estime que les conclusions exposées ci-dessus sont toutes confirmées par les éléments de preuve produits devant la Cour, savoir les faits exposés par le demandeur dans son formulaire de renseignements personnels, lors de son témoignage oral, ainsi que par les preuves documentaires. Il ressort de ces éléments de preuve que, bien que la PPF ait été une force de police régulière, et non pas un escadron de la mort, un groupe d'intervention antiterroriste ou une police secrète, il s'agissait tout de même d'une organisation ayant commis, de façon continue et régulière dans le cadre de ses opérations, des infractions au regard du droit international, notamment des tortures et des assassinats. Le demandeur faisait partie de cette organisation, à laquelle il avait adhéré de son plein gré en 1973, et au sein de laquelle il est demeuré pendant 24 ans. Il était munchie des chauffeurs, c'est-à-dire celui qui affecte les chauffeurs et répartit les véhicules entre les divers postes de police. Le demandeur savait que ces véhicules étaient utilisés, depuis 1984 surtout, dans le cadre de missions aboutissant à l'arrestation illégale, à la torture et à l'assassinat de Sikhs. Il le savait des chauffeurs qui en parlaient en revenant de leurs missions, l'apprenait dans les journaux et pouvait le déduire du fait que de 10 à 20 p. 100 des véhicules dont il assurait la répartition revenaient troués par des balles et maculés par le sang. Le demandeur n'a quitté la PPF que lorsqu'on lui a demandé de témoigner contre son supérieur hiérarchique, un gradé de la police bien connu pour son rôle dans les graves excès commis contre les Sikhs.

[9]      Il m'apparaît donc que le demandeur a sciemment contribué de façon pratique aux atrocités commises par la PPF contre les Sikhs, et qu'à tout le moins, pendant 10 ans, il a facilité ces atrocités en affectant les chauffeurs et en répartissant les véhicules servant à commettre ces abus. J'estime, ainsi que le fait valoir le défendeur, que le demandeur n'était nullement un simple spectateur.

[10]      Je considère par conséquent que, compte tenu des éléments de preuve qui lui étaient soumis et des principes de droit ci-dessus exposés, la Commission pouvait à bon droit conclure qu'il y avait de sérieuses raisons de penser, ainsi que le prévoit l'alinéa 1Fa) de l'annexe à la Convention, que le demandeur s'était rendu complice des crimes contre l'humanité commis par la PPF.

[11]      En conséquence, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.





YVON PINARD


JUGE

OTTAWA (ONTARIO)

Le 8 juillet 1999




Traduction certifiée conforme


Laurier Parenteau, B.A., LL.L.

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER



No DE GREFFE :              IMM-4009-98


INTITULÉ DE LA CAUSE :      Daljinder Khera (né le 04.05.52)

                     3392-5795

                     et

                     Le ministre


LIEU DE L'AUDIENCE :          Montréal (Québec)


DATE DE L'AUDIENCE :      le 3 juin 1999


MOTIFS DE L'ORDONNANCE DU JUGE PINARD

DATE :                  le 8 juin 1999



ONT COMPARU :

Me Mark Gruszczynski      POUR LE DEMANDEUR

Me Cristine Bernard      POUR LE DÉFENDEUR



AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Gruszczynski, Romoff                              POUR LE DEMANDEUR

Westmount (Québec)

Morris Rosenberg      POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

__________________

1      Guide du HCR, Genève, septembre 1979, page 97, article 6.

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