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Date : 20200312


Dossier : IMM-5322-19

Référence : 2020 CF 370

Ottawa (Ontario), le 12 mars 2020

En présence de monsieur le juge Pentney

ENTRE :

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

demandeur

et

EDRON ANTOINE

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Le Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (le demandeur) demande le contrôle judiciaire d’une décision de la Section de la protection des réfugiés (SPR) datée du 7 août 2019 dans laquelle elle rejette la demande de constat de perte d’asile du défendeur, Edron Antoine. La demande de constat de perte d’asile est faite en vertu de l’alinéa 108(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR].

[2]  Le demandeur affirme que le défendeur s’est volontairement réclamé à nouveau de la protection d’Haïti, parce qu’il a obtenu un passeport haïtien et il l’a utilisé à plusieurs reprises pour retourner dans son pays d’origine. La SPR a rejeté la demande de constat de perte de réfugié, concluant que les gestes posés par le défendeur ne reflétaient pas une intention de se réclamer à nouveau et volontairement de la protection de son pays de nationalité. Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de cette décision.

[3]  Pour les motifs qui suivent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée, parce que la décision de la SPR est raisonnable.

I.  Contexte

[4]  Le défendeur est citoyen d’Haïti. Suite à son implication afin de faire élire son oncle comme député lors des élections de 2006 en Haïti, et son rôle comme mandataire du parti Alliance démocratique dans sa localité de Pignon, il est menacé par des Chimères. En octobre 2008, il quitte Haïti pour se rendre aux États-Unis et, en décembre 2008, il entre au Canada. Le 13 juillet 2011, le défendeur est reconnu comme réfugié par la SPR, et il obtient la résidence permanente le 16 novembre 2012.

[5]  Avant de devenir résident permanent, le défendeur avait un titre de voyage canadien. Il savait que ce titre de voyage était valide pour voyager à destination de tous les pays sauf Haïti. Selon le défendeur, lors de la signature de sa carte de résidence permanente, l’agent a laissé entendre qu’il n’avait plus besoin du titre de voyage. De plus, l’agent a indiqué que le titre de voyage n’était plus valide à partir du jour d’obtention de la résidence permanente.

[6]  Le défendeur a fait une demande auprès des autorités haïtiennes et a obtenu un passeport haïtien le 13 décembre 2012, valide jusqu’au 12 décembre 2017. Entre 2013 et 2016, le défendeur effectue des voyages en Haïti. Comme décrit ci-dessous, le nombre de voyages effectués est contesté, mais que le défendeur soit allé en Haïti au moins à trois reprises n’est pas remis en question : du 20 mars 2013 au 3 avril 2013; du 27 juillet 2013 au 9 août 2013; et du 6 avril 2016 au 13 avril 2016.

[7]  En mai 2016, le défendeur est informé qu’une démarche est en cours pour une possible demande de constat de perte de statut de réfugié. En réponse, il soumet une lettre de la part de son avocat, et avant l’audience devant la SPR, il soumet une autre lettre donnant des précisions. La demande est entendue par la SPR le 4 juillet 2019, et le 7 août 2019, la SPR rejette la demande de constat de perte de statut de réfugié.

II.  Question en litige et norme de contrôle

[8]  La seule question en litige est : est-ce que la décision de la SPR rejetant la demande de constat de perte du statut du réfugié en vertu de l’alinéa 108(1)a) de la LIPR est déraisonnable?

[9]  La norme de contrôle qui s’applique en l’espèce est la norme de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] ; Lu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1060 au para 19 [Lu]).

[10]  En appliquant la norme de contrôle de la décision raisonnable, selon le cadre énoncé dans Vavilov, une décision doit être fondée sur un raisonnement intrinsèquement cohérent et doit être justifiée à la lumière des contraintes juridiques et factuelles applicables (Vavilov au para 101; Société canadienne des postes c Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes, 2019 CSC 67 aux paras 29-33 [Société canadienne des postes]). Il incombe à la partie qui conteste la décision de convaincre la cour que « la lacune ou la déficience […] est suffisamment capitale ou importante pour rendre [la décision] déraisonnable » (Société canadienne des postes au para 33, citant Vavilov au para 100).

III.  Analyse

[11]  L’analyse de la décision en l’instance commence avec une considération des motifs de la SPR « compte tenu des contraintes factuelles et juridiques pertinentes » (Vavilov au para 101).

A.  Cadre juridique

[12]  La cause en l’espèce soulève l’application de l’alinéa 108(1)a) du LIPR :

Demande de visa

Application for visa

108 (1) Sous réserve du paragraphe (5), si l’étranger présente, au titre de la catégorie des investisseurs (Québec), de la catégorie des entrepreneurs (Québec), de la catégorie « démarrage d’entreprise », de la catégorie des travailleurs autonomes ou de la catégorie des travailleurs autonomes (Québec), une demande de visa de résident permanent, l’agent ne peut lui en délivrer un ni à quelque membre de sa famille qui l’accompagne à moins qu’ils satisfassent aux exigences prévues au paragraphe 70(1) et, s’il y a lieu, aux exigences suivantes :

108 (1) Subject to subsection (5), if a foreign national makes an application as a member of the Quebec investor class, the Quebec entrepreneur class, the start-up business class, the self-employed persons class or the Quebec self-employed persons class for a permanent resident visa, an officer may only issue the visa to the foreign national and their accompanying family members if they meet the requirements of subsection 70(1) and, if applicable,

a) dans le cas de l’étranger qui présente une demande au titre de la catégorie des travailleurs autonomes et des membres de sa famille qui cherchent à s’établir au Canada, ailleurs que dans une province ayant conclu avec le ministre, en vertu du paragraphe 8(1) de la Loi, un accord visé au paragraphe 9(1) de la Loi selon lequel cette province assume la responsabilité exclusive de la sélection, l’étranger obtient le nombre minimum de points visé au paragraphe (4);

(a) in the case of a foreign national who has made an application under the self-employed persons class and their accompanying family members, who intend to reside in a place in Canada other than a province whose government has, under subsection 8(1) of the Act, entered into an agreement referred to in subsection 9(1) of the Act with the Minister under which the province has sole responsibility for selection, the foreign national is awarded the minimum number of points referred to in subsection (4); and

[13]  L’article 108 de la LIPR reprend le principe énoncé dans l’article premier, section C de la Convention relative au statut des réfugiés, selon lequel une personne peut perdre son statut de réfugié lorsque ses actes indiquent qu’elle n’a plus de raison de craindre d’être persécutée dans le pays dont elle a la nationalité ou que la protection de substitution d’un autre pays n’est pas nécessaire. Le résumé que fait le Juge Simon Fothergill dans l’affaire Abadi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 29 [Abadi] fournit le contexte de l’analyse par la SPR :

[16]  À mon sens, la SPR a appliqué correctement le critère relatif au point de savoir si l’on s’est réclamé à nouveau de la protection du pays de sa nationalité, et c’est de manière raisonnable qu’elle a conclu que M. Shamsi n’avait pas réfuté la présomption voulant qu’il eût l’intention de se réclamer à nouveau de la protection de l’Iran en se faisant délivrer un passeport iranien et en se rendant dans ce pays. Le réfugié qui demande et obtient un passeport du pays dont il a la nationalité est présumé avoir eu l’intention de se réclamer à nouveau de la protection diplomatique de ce pays; voir Guide et principes directeurs sur les procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut des réfugiés au regard de la Convention de 1951 et du Protocole de 1967 relatifs au statut des réfugiés, au paragraphe 121 [le Guide relatif aux réfugiés]; et Nsende c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 531, au paragraphe 14. La présomption que le réfugié se réclame à nouveau de la protection du pays dont il a la nationalité est particulièrement forte dans le cas où il utilise son passeport national pour se rendre dans ce pays. Selon certains juristes, ce fait rendrait même la présomption irréfragable; voir Guy Goodwinn‑Gill et Jane McAdam, The Refugee in International Law, 3e édition, à la page 136.

[17]  Cependant, l’opinion dominante est que la présomption susdite peut être réfutée par une preuve contraire; voir le Guide relatif aux réfugiés, au paragraphe 122. La charge pèse sur le réfugié de produire des éléments de preuve qui suffisent à cette réfutation; voir Canada (Citoyenneté et Immigration) c Nilam, 2015 CF 1154, au paragraphe 26 [Nilam], où l’on cite le paragraphe 42 de Li c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 459.

[18]  C’est seulement « dans certaines circonstances exceptionnelles » que le fait pour le réfugié de se rendre dans le pays de sa nationalité sous le couvert d’un passeport délivré par ce même pays n’entraînera pas la perte de son statut de réfugié; voir le Guide relatif aux réfugiés, au paragraphe 124. M. Shamsi avance, en se fondant sur le paragraphe 125 dudit Guide, que la visite d’un parent âgé ou souffrant peut se définir comme l’une de ces « circonstances exceptionnelles » qui suffisent à réfuter la présomption que l’on s’est réclamé à nouveau de la protection du pays de sa nationalité. Cependant, le paragraphe 125 du Guide relatif aux réfugiés concerne le réfugié qui se rend dans le pays de sa nationalité sous le couvert d’un titre de voyage délivré par son pays d’accueil, et non d’un passeport délivré par le pays dont il a la nationalité; voir Nilam, au paragraphe 28.

B.  Les observations des parties

[14]  Le demandeur affirme que la SPR a erré en déterminant que le défendeur n’avait pas l’intention de se réclamer à nouveau de la protection d’Haïti, parce que la preuve n’est ni crédible ni suffisante pour démontrer des circonstances exceptionnelles pouvant réfuter la présomption selon laquelle il avait demandé à nouveau cette protection.

[15]  Selon le demandeur, la SPR a ignoré les contradictions relatives au nombre de voyages effectués par le défendeur en Haïti. La SPR a indiqué que trois voyages avaient été faits, mais il y a de la preuve au dossier, incluant les étampes dans le passeport du défendeur, indiquant qu’il a fait quatre voyages.

[16]  Ensuite, le demandeur soutient que le défendeur n’a pas établi de façon crédible le but de ses voyages. D’abord, le défendeur a indiqué vouloir présenter son épouse à sa famille lors de son premier voyage en 2013. Il y avait aussi des incohérences dans son témoignage devant la SPR concernant la date du voyage où le défendeur aurait amené son épouse en Haïti.

[17]  De plus, le demandeur affirme que le défendeur n’a pas fourni de preuve « officielle » quant à la maladie dont souffrait son père ni quant au décès de son père. En plus, d’autres membres de la famille du défendeur étaient en Haïti et pouvaient s’occuper du père du défendeur, et donc son retour ne constitue pas une circonstance exceptionnelle.

[18]  Le demandeur affirme que la SPR a aussi erré en citant Cerna c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1074 [Cerna], pour étayer sa conclusion. L’affaire Cerna ne s’applique pas en l’absence de preuve d’une compréhension subjective des avantages reliés au statut de résident permanent (Lu aux paras 54-55). Le défendeur n’a jamais invoqué une croyance subjective de bénéficier de la sécurité découlant de son statut de résident permanent ni une intention de maintenir un lien avec le Canada.

[19]  Finalement, le demandeur soutient que la SPR a erré en ne tenant pas compte du fait que le défendeur est retourné à plusieurs reprises à Pignon, où se trouvaient les Chimères, ses agents persécuteurs, et est demeuré dans la résidence familiale, où il aurait été facile de le retrouver. Ceci indique une absence de crainte subjective (Jing c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 104 aux paras 25-27 [Jing], Abechkhrishvili c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 313 au para 26).

[20]  Le défendeur affirme que la décision est raisonnable, parce que la SPR a tenu compte de la preuve et des observations des parties et, considérant le degré de retenue qui s’impose, il n’y a pas lieu pour cette Cour d’intervenir.

[21]  Le défendeur souligne que la SPR a conclu qu’il était crédible et qu’il avait établi que la raison de ses voyages était de visiter son père qui avait une santé précaire. La SPR a considéré l’argument du demandeur quant au fait que le but aurait plutôt été de présenter son épouse à sa famille et a accepté la précision que le défendeur a offerte à l’audience. Qui plus est, le fait que l’épouse du défendeur l’ait accompagné ne change pas le but du voyage. La SPR a aussi accepté la clarification par le défendeur quant à la contradiction sur le nombre de voyages qu’il a effectués.

[22]  Le défendeur indique qu’aucun élément de preuve auquel réfère le demandeur ne contredit le fait que son père était malade pendant la période pertinente, et le demandeur n’a posé aucune question sur ce point lors de l’audience.

[23]  Finalement, le défendeur affirme que la SPR a raisonnablement conclu qu’il n’avait pas l’intention de se réclamer à nouveau de la protection d’Haïti, et qu’il avait validement réfuté la présomption d’intention. Le défendeur a témoigné qu’il croyait ne pas pouvoir renouveler son titre de voyage canadien, et que personne ne l’avait avisé qu’il ne pouvait pas retourner en Haïti. Les intentions subjectives doivent être considérées. En l’espèce, le défendeur affirme que ses voyages étaient temporaires et de courte durée, dans le but de voir son père malade. La présence d’autres membres de sa famille en Haïti n’a aucune pertinence, considérant le but de ses voyages. Le défendeur a fait attention de résider à son domicile familial et de se déplacer dans un véhicule blindé avec l’aide d’un policier pendant ses voyages, démontrant sa crainte subjective (Peiqrishvili c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2019 CF 1205 au para 17 [Peiqrishvili]).

C.  Discussion

[24]  Le demandeur soutient que la SPR a erré en ne tenant pas compte des faits pertinents et des contradictions dans la preuve; en acceptant que de visiter un parent malade soit une circonstance exceptionnelle; en s’appuyant sur l’arrêt Cerna pour justifier sa conclusion, alors que l’arrêt ne s’applique pas en l’instance, car il y a absence de preuve concernant la compréhension du défendeur des avantages reliés au statut de résident permanent; et en ignorant la preuve qui démontre une absence de crainte subjective du défendeur. Le cœur de l’argument du demandeur est que la SPR n’a pas correctement appliqué le bon test juridique, tel que décrit dans Abadi au paragraphe 16: « La présomption que le réfugié se réclame à nouveau de la protection du pays dont il a la nationalité est particulièrement forte dans le cas où il utilise son passeport national pour se rendre dans ce pays. »

[25]  Je ne suis pas persuadé. Bien que la décision de la SPR ne soit pas parfaite, je soutiens que la décision est raisonnable en appliquant le cadre d’analyse de l’arrêt Vavilov.

[26]  La décision de la SPR analyse la loi et la jurisprudence qui s’applique, et note que la question déterminante est l’intention du défendeur, puisque le défendeur n’a pas contesté qu’il a obtenu un passeport de son pays d’origine, et l’a utilisé pour y retourner.

[27]  En ce qui concerne les questions liées au but des visites et le nombre de voyages en Haïti, la SPR a tenu compte des propos tenus par le représentant du ministre lors de l’audience, et les précisions du défendeur. Compte tenu des explications du défendeur, que la SPR a trouvé plausibles, la SPR soutient que « les voyages ont été organisés dans le seul but de visiter son père âgé et dont l’état de santé était précaire. »

[28]  La SPR a aussi constaté que le défendeur avait fait trois voyages en Haïti, mais n’a pas discuté de la preuve indiquant qu’il avait fait quatre voyages. Malgré l’absence de discussion sur ce point, il est évident que la preuve était devant la SPR, et durant l’audience la question du nombre exact des visites n’était pas un point primordial. En fin de compte, il n’est pas évident comment ce nombre exact est une question « suffisamment capitale ou importante pour rendre cette décision déraisonnable » (Vavilov au para 100).

[29]  Par rapport au fait que de visiter un parent malade n’est pas une circonstance exceptionnelle, je ne suis pas d’accord avec le demandeur. Chaque cause doit être examinée selon ses faits, et la SPR a traité des faits pertinents à considérer dans l’application de l’exception en l’instance.

[30]  Je suis d’accord avec le demandeur qu’il y a des décisions de cette Cour qui ont trouvé raisonnable la détermination de la SPR que le fait de voyager au pays d’origine pour rendre visite à un parent âgé ou malade n’est pas une circonstance exceptionnelle (voir, par exemple, Abadi au para 18). Dans Jing, la Cour a noté que les voyages du demandeur pour prendre soin de ses parents n’étaient pas nécessaires, compte tenu du fait qu’il a plusieurs frères et sœurs qui pouvaient le faire (au para 24). La Cour a aussi noté que chaque visite a duré environ deux mois, et que le demandeur n’a pas pris de mesures afin d’éviter les autorités chinoises (voir, aussi : Yuan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 923 aux paras 35-36).

[31]  Dans l’affaire Canada (Citoyenneté et Immigration) c Nilam, 2015 CF 1154 [Nilam] la Cour a cassé la décision de la SPR rejetant la demande du Ministre, relative à la perte d’asile. Dans ce cas, le défendeur avait fui le Sri Lanka et obtenu le statut de réfugié en 2009. Il est devenu résident permanent en janvier 2011. En juillet 2011, le défendeur a renouvelé son passeport sri lankais et s’en est servi pour retourner au Sri Lanka à deux reprises : (i) du 5 août au 2 décembre 2011 – pour voir sa mère qui était à l’article de la mort, et pour se marier, ce qu’il a fait en présence de quelque 300 personnes; et (ii) du 5 décembre 2012 au 1er mai 2013 – pour la réception de mariage, en présence d’environ 200 personnes, et pour obtenir des traitements à plusieurs centres médicaux. Il a aussi utilisé son passeport sri lankais pour se rendre en Australie et en Malaisie en 2014.

[32]  La SPR a constaté que le défendeur était un témoin crédible, signalant que la preuve documentaire appuyait son témoignage. La SPR a conclu que le défendeur avait réfuté la présomption selon laquelle il s’était de nouveau réclamé de la protection de Sri Lanka. La Cour a accueilli la demande de contrôle judiciaire du Ministre, parce que la SPR a ignoré les contradictions dans le témoignage sur le but des voyages, et n’a pas examiné la preuve concernant la crainte subjective du défendeur d’être persécuté dans le pays dont il a la nationalité. En ce qui concerne l’explication du défendeur voulant qu’il devait voyager pour voir sa mère malade, la Cour a constaté :

[29]  Même si M. Nilam a jugé subjectivement nécessaire de retourner au Sri Lanka la première fois pour voir sa mère malade et la deuxième fois pour s’acquitter des formalités liées à son mariage, la conclusion de la Commission selon laquelle M. Nilam n’avait pas voulu se réclamer de nouveau de la protection du Sri Lanka n’était pas raisonnable.

[33]  Étant donné que les visites du défendeur n’étaient ni brèves ni clandestines, qu’il n’avait pas pris de mesures afin d’éviter les autorités, qu’il était au Sri Lanka pendant neuf mois en tout, qu’il a assisté à des cérémonies de mariage auxquelles assistaient des centaines de personnes, et qu’il a utilisé son passeport à multiples reprises, la Cour a conclu que la décision de la SPR n’était pas raisonnable.

[34]  Cependant, je conviens que ces décisions doivent être traitées selon leurs faits particuliers, et qu’il y a des distinctions avec le cas en l’espèce, incluant le nombre de voyages, l’utilisation du passeport de nationalité pour voyager dans d’autres pays que celui d’origine, les motifs de retour au pays d’origine, et les mesures prises pour se protéger de ses agents persécuteurs.

[35]  En l’instance, la SPR a examiné la preuve, a fait référence aux représentations du demandeur, a déterminé que, dans cette cause, le défendeur avait établi que le but de ses voyages était de visiter son père âgé et malade, que les voyages étaient de courte durée et que les mesures de protection qu’il a prises indiquaient une crainte subjective de sa part. La SPR a accepté que ce fût une circonstance exceptionnelle.

[36]  Je soutiens que les faits en l’instance ne sont pas semblables à ceux dans la jurisprudence citée par le demandeur. Ainsi, en l’espèce, la conclusion de la SPR est justifiée par rapport aux contraintes factuelles et juridiques, contrairement aux décisions citées, comme Nilam. C’est plutôt une situation comme celle décrite par Lorne Waldman dans Immigration Law and Practice, 2e éd (feuilles mobiles) au para 8.499.8 :

Thus, the mere fact that a refugee returns to his or her country is not determinative. Rather, the refugee must return with the intent of obtaining the protection of his or her state and must actually receive it. When assessing these issues the tribunal must consider the conduct of the refugee and must determine whether the refugee actually sought the protection, whether his actions were voluntary and whether protection was obtained. Consideration must be given to the reason why the refugee returned. If he/she returned due to a family emergency and remained in hiding then the tribunal must take this evidence into account when assessing both the voluntariness of the conduct and whether protection was actually obtained. However, if there is no justification for the return and the refugee does not take steps to avoid the agents of persecution then the tribunal can reasonably conclude that the refugee voluntarily reavailed him/herself of the protection of his/her country of nationality.

[traduction] Ainsi, le simple fait qu’un ou une réfugié(e) rentre dans son pays d’origine n’est pas déterminant. Le ou la réfugié(e) doit plutôt retourner avec l’intention d’obtenir la protection de son état et doit effectivement la recevoir. En évaluant ces questions, le tribunal doit tenir compte de la conduite du ou de la réfugié(e) et doit déterminer si le ou la réfugié(e) a effectivement demandé la protection, si ses actions étaient volontaires et s’il ou elle a obtenu cette protection. Il faut tenir compte de la raison pour laquelle le ou la réfugié(e) est retourné(e). S’il ou elle est rentré(e) à cause d’une urgence familiale et est resté(e) caché(e), le tribunal doit tenir compte de ces éléments de preuve lorsqu’il évalue à la fois le caractère volontaire de la conduite et la question de savoir si la protection a été effectivement obtenue. Cependant, s’il n’y a pas de justification pour le retour et le ou la réfugié(e) n’a pas pris de mesures pour éviter les agents de persécution, alors le tribunal peut raisonnablement conclure que le ou la réfugié(e) s’est volontairement réclamé à nouveau de la protection de son pays de nationalité.

[37]  En appliquant le cadre d’analyse de l’arrêt Vavilov, et à la lumière de la déférence accordée à la SPR, je ne crois pas qu’il y ait lieu d’intervenir sur ce point.

[38]  Par rapport à la pertinence de l’affaire Cerna, et de la question des intentions subjectives du défendeur, je suis d’accord avec le demandeur par rapport au fait qu’il n’y avait pas de preuve que le défendeur croyait bénéficier d’avantages découlant de son statut de résident permanent. Cependant, l’affaire Cerna discute aussi du fait qu’il faut considérer l’intention subjective avant de déterminer qu’une personne s’est réclamée à nouveau de la protection de son pays d’origine (Cerna aux paras 18-20; voir aussi Camayo v Canada (Citizenship and Immigration), 2020 FC 213 au para 43 [Camayo]). En l’espèce, la SPR a analysé d’autres éléments, tels que mentionnés ci-dessus, dont la courte durée des séjours en Haïti, la conduite du demandeur et sa compréhension quant à sa possibilité de voyager avec un titre de voyage.

[39]  À la lumière du dossier qui était devant la SPR, incluant le témoignage du défendeur, il ne semble pas y avoir d’éléments de preuve indiquant que le défendeur croyait jouir de sécurité découlant de son statut de résident permanent. Cependant, dans son analyse de l’intention, la SPR a regardé d’autres éléments dont la courte durée des séjours en Haïti.

[40]  En ce qui concerne l’absence de crainte subjective, la SPR a noté que le défendeur a pris des précautions quand il était dans son pays de nationalité. Le défendeur a affirmé s’être déplacé avec un ami policier, en voiture blindée, et uniquement quand il était nécessaire de le faire, lors de ses séjours en Haïti. Il ne s’est pas promené quand il était au pays, se limitant à visiter et à prendre soin de son père, et demeurant dans son domicile familial. Ce sont des considérations pertinentes quant à la détermination que la SPR doit faire (voir Peiqrishvili aux paras 19-24), et il est clair que les décisions de ce type dépendent des faits particuliers de l’affaire (Camayo au para 46).

[41]  En l’espèce, la SPR s’est donc fondée sur la preuve au dossier pour déterminer que les voyages étaient dus à une circonstance exceptionnelle et qu’il n’y avait pas d’intention de se réclamer de nouveau de la protection d’Haïti. Je conviens que la décision de la SPR n’était pas déraisonnable, quoique la SPR aurait pu arriver à une conclusion contraire (voir Okojie c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1287 aux paras 28-32; Peiqrishvili).

IV.  Conclusion

[42]  Pour tous ces motifs, je conviens que la décision de la SPR n’est pas déraisonnable, et qu’il n’y a pas lieu d’intervenir.

[43]  Selon le cadre d’analyse établi dans Vavilov, j’ai examiné la décision par rapport aux contraintes factuelles et juridiques pertinentes, et j’ai regardé la logique interne du raisonnement dans la décision. Je conviens que la décision est fondée sur un raisonnement intrinsèquement cohérent, et que la conclusion de la SPR est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles qui ont une incidence sur la décision.

[44]  Bien que c’est une affaire dans laquelle la SPR aurait pu arriver à une autre conclusion, compte tenu de la preuve et de la jurisprudence sur la question, ce n’est pas un motif, en soi, d’infirmer la décision.

[45]  La demande de contrôle judiciaire est rejetée. Il n’y a aucune question d’importance générale à certifier.


JUGEMENT au dossier IMM-5322-19

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Il n’y a aucune question d’importance générale à certifier.

« William F. Pentney »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-5322-19

INTITULÉ :

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION c EDRON ANTOINE

LIEU DE L’AUDIENCE :

MONTRÉAL (QUÉBEC)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 27 février 2020

JUGEMENT ET MOTIFS :

PENTNEY J.

DATE DES MOTIFS :

LE 12 mars 2020

COMPARUTIONS :

Me Thi My Dung Tran

POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

Me Laurent Gryner

POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

Laurent Gryner

Avocat

Montréal (Québec)

POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

 

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