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Date : 20040226

Dossier : IMM-1504-03

Référence : 2004 CF 289

Toronto (Ontario), le 26 février 2004

EN PRÉSENCE DE Madame la juge Mactavish

ENTRE :

                                           FRANCISCO MAWAKA LUSWA

et MARIE OKITAPENGE-OPUNGA MAWAKA

                                                                                                                                               

                                                                                                                            demandeurs

                                                                       et

                                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                               défendeur

                          MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE


[1]                Francisco Mawaka Luswa et Marie Okitapenge-Opunga Mawaka sont des conjoints qui viennent de la République démocratique du Congo (la RDC). La demanderesse est arrivée au Canada au mois d'août 2001 et le demandeur est venu au pays environ six mois plus tard. Ils ont tous deux demandé l'asile en invoquant leur présumée crainte d'être persécutés du fait de leurs opinions politiques et de leur appartenance à un groupe social, à savoir en tant que membres du Parti démocratique et social chrétien (le PDSC). La demanderesse a également fondé sa demande sur son appartenance à une famille se livrant à des activités politiques.

[2]                La Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié a rejeté la demande d'asile des demandeurs, en concluant qu'ils n'avaient pas fourni d'éléments de preuve crédibles montrant que le demandeur était dans la RDC pendant la période où il aurait censément été persécuté. La Commission a donc conclu qu'il n'était pas un réfugié au sens de la Convention ou une personne à protéger. Étant donné que la demanderesse avait fondé sa demande sur celle de son conjoint, la Commission a dit que cette demande devait également être rejetée.

[3]                Les demandeurs cherchent maintenant à faire annuler la décision de la Commission, en affirmant que les conclusions que la Commission a tirées au sujet de la crédibilité du demandeur étaient déraisonnables et que la Commission y était arrivée d'une façon inéquitable. Les demandeurs affirment en outre que la Commission a exclu à tort la demanderesse d'une partie de l'audience et qu'elle n'a pas examiné sa demande indépendamment de celle de son conjoint.


Historique

[4]                Le demandeur a étudié en Allemagne du mois de février 1989 au mois d'août 1998; il affirme être alors retourné dans la RDC. La demanderesse allègue avoir toujours vécu dans la RDC avant d'arriver au Canada, au mois d'août 2001.

[5]                Les deux demandeurs affirment être membres du PDSC. Le demandeur déclare s'être joint au parti au mois de mars 1995 et, lorsqu'il est retourné dans la RDC en 1998, être devenu secrétaire national du parti. En plus d'être membre du PDSC de son propre chef, la demanderesse affirme également venir d'une famille qui se livre à des activités politiques.

[6]                Le demandeur dit que, lorsqu'il est retourné dans la RDC, il est allé travailler comme directeur technique pour l'entreprise « JMB » . L'employeur avait conclu un contrat avec les forces armées congolaises. Au mois de mai 2001, il y a eu une explosion dans un dépôt de la marine; le demandeur allègue avoir été interrogé dans le cadre de l'enquête qui a été menée à la suite de l'explosion. Le demandeur affirme qu'après une manifestation violente, au mois de juillet 2001, il a été appréhendé et qu'il a été accusé de collaborer avec les ennemis du gouvernement. Le demandeur déclare s'être caché après cet événement.

[7]                Les deux demandeurs ont tenté de quitter le pays le 7 août 2001, mais le demandeur a été appréhendé par les autorités de l'Immigration et il a été emprisonné. La demanderesse est venue au Canada de son propre chef.

[8]                Le demandeur dit qu'après avoir été mis en liberté en secret, il a quitté le pays le 30 janvier 2002 et qu'il est venu rejoindre sa conjointe au Canada.

[9]                La demanderesse n'a pas témoigné à l'audience, si ce n'est pour corroborer le témoignage de son conjoint.

La décision de la Commission

[10]            La Commission a conclu que la crédibilité du demandeur posait des problèmes réels. Ces problèmes étaient suffisamment sérieux pour laisser planer un doute sur tous les autres aspects de son histoire.

[11]            Le demandeur a pu fournir de nombreux documents officiels se rapportant aux études qu'il avait faites en Allemagne, mais il n'a produit aucun document à l'appui de l'assertion selon laquelle, de 1998 à 2002, il était dans la RDC.

[12]            Lorsque, pendant l'audience, le président du tribunal a exprimé des préoccupations au sujet de l'absence de documentation établissant que le demandeur était présent dans la RDC au moment en question, celui-ci a spontanément produit des billets d'avion et une carte d'embarquement qu'il affirmait avoir utilisés pour sortir de la RDC au mois de janvier 2002. La Commission a conclu que les billets d'avion était fort suspects, étant donné que le nom du passager avait été effacé. Le « frontispice » du billet était au nom de « MAWAKA/AIME » . Or, dans le Formulaire de renseignements personnels (le FRP), le demandeur a déclaré qu'Aimé Mawaka est son fils. Selon le FRP, Aimé Mawaka est encore dans la RDC.

[13]            La preuve que le demandeur a présentée au sujet du passeport frauduleux qu'il affirme avoir utilisé pour venir au Canada inquiétait également énormément la Commission. Le demandeur a témoigné qu'il voyageait à l'aide d'un passeport belge, mais il a déclaré ne pas savoir à quel nom était le passeport. La Commission estimait invraisemblable que quelqu'un voyage sur une longue distance en passant par un certain nombre d'aéroports différents où il risquait d'être interrogé, sans savoir quel nom figurait sur le passeport.

[14]            La Commission a également jugé suspect le fait que le demandeur ne disposait d'aucune preuve récente de sa présumée appartenance au PDSC.

[15]            Compte tenu de ces préoccupations, la Commission a conclu que le demandeur n'était pas dans la RDC pendant la période pertinente et elle a rejeté la demande. Étant donné qu'elle croyait comprendre que la demande de la demanderesse était entièrement fondée sur celle de son conjoint, la Commission a également rejeté cette demande.

Points litigieux

[16]            La présente demande soulève les questions ci-après énoncées :

1.          Les conclusions que la Commission a tirées au sujet de la crédibilité du demandeur ont-elles été tirées d'une façon inéquitable et étaient-elles manifestement déraisonnables?

2.          La Commission a-t-elle commis une erreur en omettant d'apprécier la demande de la demanderesse indépendamment de celle de son conjoint?

3.          La Commission a-t-elle commis une erreur en excluant la demanderesse d'une partie de l'audience?


Analyse

Les conclusions que la Commission a tirées au sujet de la crédibilité du demandeur ont-elles été tirées d'une façon inéquitable et étaient-elles manifestement déraisonnables?

[17]            La Commission de l'immigration et du statut de réfugié a une expertise bien établie en ce qui concerne la détermination de questions de fait, y compris l'évaluation de la crédibilité des demandeurs d'asile. De fait, pareilles déterminations sont au coeur même de la compétence de la Commission. En sa qualité de juge des faits, la Commission peut à bon droit tirer des conclusions raisonnables au sujet de la crédibilité de l'histoire d'un demandeur, en se fondant sur les invraisemblances, sur le bon sens et sur son caractère rationnel. Par conséquent, avant qu'une conclusion de fait tirée par la Commission soit annulée par la présente cour, il faut démontrer que cette conclusion est manifestement déraisonnable : Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982, paragraphe 40, et Aguebor c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1993), 160 N.R. 315 (C.A.F.).


[18]            Les demandeurs allèguent que les conclusions que la Commission a tirées au sujet de la crédibilité du demandeur étaient déraisonnables, et qu'elles ont été tirées d'une façon inéquitable. Plus précisément, les demandeurs soutiennent qu'il était inéquitable pour la Commission de se fonder trop fortement sur les effacements qui avaient été faits sur la carte d'embarquement et sur les billets d'avion et sur le fait que le « frontispice » du billet semblait être au nom du fils du demandeur sans informer le demandeur de ses préoccupations et sans lui donner la possibilité de fournir des explications. Les demandeurs soutiennent également que l'omission de la Commission d'inscrire le « frontispice » à titre de pièce porte un coup fatal à la décision. À cet égard, les demandeurs se fondent sur la décision qui a été rendue dans l'affaire Aquino c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), (1992), 144 N.R. 315 (C.A.F.).

[19]            L'examen des motifs de la Commission révèle que celle-ci a minutieusement analysé la preuve du demandeur. La Commission a comparé le témoignage que le demandeur avait présenté à l'audience avec les renseignements qu'il avait antérieurement fournis. Elle a noté que le témoignage du demandeur renfermait des incohérences, des scénarios invraisemblables et des explications non satisfaisantes et elle a fondé les conclusions qu'elle a tirées au sujet de la crédibilité du demandeur sur tous les éléments de preuve dont elle disposait. J'ai examiné la transcription, la preuve documentaire et le FRP du demandeur, et je suis convaincue que les conclusions que la Commission a tirées au sujet de la crédibilité sont tout à fait raisonnables. En outre, eu égard aux circonstances dans leur ensemble, je ne suis pas convaincue que le président du tribunal eût été obligé de faire part aux demandeurs, à l'audience, des préoccupations qu'il avait au sujet des documents.


[20]            Quant à l'omission d'inscrire le « frontispice » du billet à titre de pièce à l'audience, je suis convaincue qu'il s'agissait d'une erreur de la part de la Commission, mais je ne suis pas persuadée que cette erreur justifie l'annulation de la décision de la Commission en ce qui concerne le demandeur. À cet égard, la décision que la Cour d'appel fédérale a rendue dans l'affaire Aquino peut faire l'objet d'une distinction, étant donné que le document en cause dans cette affaire était le FRP du demandeur, qui devait en vertu de la loi être déposé à l'audience relative au statut de réfugié. En l'espèce, il est clair que la preuve présentée par le demandeur renfermait maintes incohérences et invraisemblances. Je ne suis donc pas convaincue que cette seule erreur dans le traitement du témoignage du demandeur soit importante pour ce qui est du résultat.

La Commission a-t-elle commis une erreur en omettant d'apprécier la demande de la demanderesse indépendamment de celle de son conjoint?

[21]            L'examen de la décision montre clairement que la Commission croyait comprendre que la demande de la demanderesse était entièrement fondée sur les allégations de persécution avancées par son conjoint au sujet de ses propres activités politiques. De fait, le traitement de la demande de la demanderesse par la Commission est limité à la remarque suivante :

Ayant basé sa demande d'asile sur celle du demandeur principal, le tribunal arrive à la même conclusion en ce qui concerne madame Marie Okitapenge-Opunga Mawaka.


[22]            Le FRP de la demanderesse renferme un long exposé détaillé des raisons pour lesquelles celle-ci craint d'être persécutée. Le formulaire montre clairement que la demanderesse craint d'être persécutée dans la RDC compte tenu des activités politiques de son conjoint. Toutefois, la demanderesse affirme également avoir elle-même été membre du PDSC. Elle affirme en outre venir d'une famille qui se livre à des activités politiques dans la RDC. Cela étant, elle déclare craindre avec raison d'être persécutée du fait de ses propres convictions et activités politiques ainsi que de celles des membres de sa famille. Cet aspect de la demande de la demanderesse ne dépend aucunement du témoignage du demandeur.

[23]            Puisque la demanderesse avait décidé de ne pas témoigner, il était avec raison loisible à la Commission d'accorder peu de poids aux renseignements non vérifiés et non fournis sous serment figurant dans le FRP de la demanderesse. Toutefois, étant donné que cet élément de preuve était crucial quant à cet aspect de la demande, la Commission ne pouvait pas simplement omettre d'en tenir compte : Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1998), 157 F.T.R. 35 (1re inst.).


[24]            L'examen des renseignements sur la situation existant dans le pays, pour ce qui est de la RDC, révèle que les membres ordinaires du PDSC risquent d'être arbitrairement arrêtés, détenus sans subir de procès et maltraités pendant qu'ils sont incarcérés. Dans ces conditions, il incombait à la Commission d'apprécier le bien-fondé de la demande de la demanderesse indépendamment de celle de son conjoint. Puisqu'elle a omis de le faire, la Commission a commis une erreur susceptible de révision, et dans la mesure où elle concerne la demanderesse, la décision devrait être annulée.

[25]            Étant donné les conclusions que j'ai tirées au sujet de la première question soulevée par la demanderesse, il est inutile d'examiner la question de l'équité procédurale découlant de son exclusion de la salle d'audience.

Certification

[26]            Les demandeurs proposent une question à certifier par suite de l'exclusion de la demanderesse de la salle d'audience. Compte tenu des motifs pour lesquels j'ai accueilli la demande de la demanderesse, la question proposée ne règle pas l'affaire. Par conséquent, aucune question ne sera certifiée.


ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.          Pour les motifs susmentionnés, la demande de la demanderesse est accueillie et sa demande est renvoyée à un tribunal différent pour être réexaminée.

2.          La demande du demandeur est rejetée.

3.          Aucune question grave de portée générale n'est certifiée.

« A. Mactavish »

Juge

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad.a., LL.L.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                     IMM-1504-03

INTITULÉ :                                                    FRANCISCO MAWAKA LUSWA

et MARIE OKITAPENGE-OPUNGA MAWAKA

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                              TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                           LE 23 FÉVRIER 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE                  MADAME LA JUGE

ET ORDONNANCE :                                    MACTAVISH

DATE DES MOTIFS :                                   LE 26 FÉVRIER 2004

COMPARUTIONS :

Michael Crane                                                   POUR LES DEMANDEURS

Lorne McClenaghan                                          POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Michael Crane

Toronto (Ontario)                                              POUR LES DEMANDEURS

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)                                              POUR LE DÉFENDEUR


COUR FÉDÉRALE

                                                   Date : 20040226

                                      Dossier : IMM-1504-03

ENTRE :

FRANCISCO MAWAKA LUSWA

et MARIE OKITAPENGE-OPUNGA

MAWAKA

                                                          demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                             défendeur

                                                                            

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE

                                                                            

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