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Date : 20200310


Dossier : T‑1787‑18

Référence : 2020 CF 360

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 10 mars 2020

En présence de monsieur le juge Zinn

ENTRE :

DENSO MANUFACTURING CANADA, INC.

demanderesse

et

MINISTRE DU REVENU NATIONAL

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

Introduction

[1]  Le ministre a refusé d’exercer le pouvoir discrétionnaire que lui confère le sous‑alinéa 156(4)b)(ii) de la Loi sur la taxe d’accise, LRC 1985, c E‑15 [la LTA], c’est‑à‑dire d’accepter la production tardive du choix fait par Denso Manufacturing Canada, Inc. [Denso Manufacturing] et sa société liée Denso Sales Canada, Inc. [Denso Sales], qui est la demanderesse dans le dossier connexe T‑1788‑18. Il s’agit là de la décision que contestent ces sociétés [collectivement, les sociétés Denso].

Le contexte

[2]  L’article 156 de la LTA permet aux sociétés étroitement liées de faire un choix conjoint en vertu duquel toute fourniture taxable effectuée entre elles est réputée être effectuée sans contrepartie. Par conséquent, il n’est pas nécessaire de percevoir la TPS/TVH sur les fournitures.

[3]  Denso Manufacturing et Denso Sales sont des sociétés liées admissibles au bénéfice de l’article 156 de la LTA sous réserve d’un choix conjoint.

[4]  Avant 2015, les sociétés pouvaient se prévaloir de l’article 156 en remplissant un formulaire GST25 et en l’archivant. Le formulaire n’était pas transmis au ministre du Revenu national. C’est ce que les sociétés Denso avaient fait, leur choix étant entré en vigueur le 1er avril 2007.

[5]  L’article 156 de la LTA a été modifié en 2014 par la Loi no 1 sur le plan d’action économique de 2014, LC 2014, c 20. À compter du 1er janvier 2015, le choix effectué en vertu de l’article 156 de la LTA devait être fait selon le nouveau formulaire prescrit, le formulaire RC4616, et être transmis au ministre du Revenu national.

[6]  En ce qui concerne l’année 2015, soit la première année qui a suivi la modification exigeant la production du choix, le ministre a annoncé que les personnes liées qui font le choix seraient autorisées à produire leur formulaire RC4616 avant le 1er janvier 2016; si le formulaire était produit, il engloberait toute l’année civile 2015. Les sociétés Denso n’ont pas produit leur formulaire RC4616 avant le 1er janvier 2016.

[7]  En novembre 2015, les sociétés Denso ont découvert une erreur interne dans leurs données comptables et l’ont signalée à l’Agence des services frontaliers du Canada [l’ASFC]. L’erreur a été corrigée et la TPS nette supplémentaire due à l’ASFC a été versée. Comme nous le verrons ci‑dessous, les sociétés Denso ont fait valoir au ministre que leur diligence à corriger cette erreur était un facteur dont le ministre devrait tenir compte pour prendre sa décision relative à l’exercice de son pouvoir discrétionnaire d’accepter la production tardive du choix.

[8]  En janvier 2016, l’unité de l’intégrité des vérifications de l’Agence du revenu du Canada a sélectionné les déclarations des sociétés Denso de novembre et décembre 2015 aux fins d’examen. Dans son affidavit, la directrice des finances et de l’administration de la demanderesse affirme que, le 11 février 2016, l’examinatrice chargée de l’examen, Susan Joseph, a demandé qu’on lui remette certains documents et [traduction« a également demandé à Denso de produire un formulaire RC4616 afin que Denso se conforme à l’article 156 de la Loi ». Elle affirme en outre que [traduction« Mme Joseph n’a donné aucune autre consigne quant à la façon de remplir ou de produire le formulaire RC4616 ».

[9]  À la date de cet appel téléphonique, soit le 11 février 2016, les sociétés Denso savaient qu’elles ne se conformaient pas à l’article 156 de la LTA et qu’elles étaient tenues de produire le formulaire RC4616.

[10]  Six jours plus tard, les sociétés Denso ont communiqué avec leur fiscaliste‑conseil, Ryan Tax Consultants [Ryan], pour s’informer quant à leur obligation de produire le formulaire RC4616 :

[traduction]

En ce qui concerne mon message vocal de ce matin, pourriez‑vous nous donner l’opinion de Ryan au sujet d’un choix « sans contrepartie aux fins de la TPS/TVH » et de la production du formulaire RC4616?

[…]

Corrigez-moi si j’ai tort : le formulaire ci-dessous, rempli en 2007, demeure valide et en vigueur jusqu’à ce qu’il soit révoqué. Or, l’ARC m’a informé que DMCN et l’autre partie devraient produire le formulaire RC4616 en janvier 2016 pour les fournitures sans contrepartie.

Le formulaire RC4616 indiquait ce qui suit : « Les parties contractantes d’un choix déjà exercé qui a une date d’entrée en vigueur avant le 1er janvier 2015, et qui est toujours en vigueur le 1er janvier 2015, sont aussi tenues de produire le formulaire de choix. Cependant, elles étaient tenues de produire le formulaire de choix après 2014 et avant le 1er janvier 2016. »

Y a‑t‑il eu des changements dans la décision relative à la TPS/TVH quant au choix visant les fournitures sans contrepartie aux fins de la TPS/TVH après notre choix de 2007? Devons‑nous produire le formulaire RC4616? Si nous sommes tenus de produire le formulaire RC4616, quelles sont les conséquences de ne pas l’avoir fait au plus tard le 1er janvier 2016? Cela signifie‑t‑il que nous devons percevoir la TPS/TVH pour les ventes de janvier 2016 et la remettre à l’ARC? Devons‑nous modifier notre déclaration de TPS/TVH produite en janvier 2016? Y aura-t-il une pénalité pour cela? 

Veuillez nous aviser si nous devons produire le formulaire RC4616 pour chaque année civile à partir du 1er janvier 2016.

[11]  Ce message démontre que les sociétés Denso savaient qu’elles avaient dépassé la date limite de production et qu’elles avaient examiné le formulaire RC4616. Une partie des « Renseignements généraux » au verso du formulaire a été citée dans le message. Parmi les passages pertinents de ces Renseignements généraux, on retrouve ce qui suit :

Quel est l’effet du choix?

Lorsque toutes les exigences d’admissibilité sont [respectées] et qu’un membre déterminé d’un groupe admissible exerce un choix, à tout moment à compter du 1er janvier 2015, conjointement avec un autre membre déterminé du groupe, certaines fournitures taxables effectuées entre eux sont considérées comme ayant été effectuées sans contrepartie. Le choix entre en vigueur à compter du jour spécifié à la partie B de ce formulaire.

Lorsque toutes les exigences d’admissibilité continuent d’être [respectées] et [que] les parties contractantes d’un choix déjà exercé qui a une date d’entrée en vigueur avant le 1er janvier 2015, et qui est toujours en vigueur le 1er janvier 2015, continuent d’exercer [un choix] conjointement entre elles, certaines fournitures taxables effectuées entre elles après 2014 sont considérées [avoir] été effectuées sans contrepartie.

[…]

Les parties contractantes d’un choix déjà exercé qui a une date d’entrée en vigueur avant le 1er janvier 2015, et qui est toujours en vigueur le 1er janvier 2015, sont aussi tenues de produire le formulaire de choix. Cependant, elles étaient tenues de produire le formulaire de choix après 2014 et avant le 1er janvier 2016.

[non souligné dans l’original]

[12]  En réponse aux questions posées, Ryan a répondu ce qui suit le 18 février 2016 :

[traduction]

Pour faire suite à notre conversation d’hier, je n’ai rien trouvé parmi les publications de l’Agence du revenu du Canada qui porte sur les conséquences du non‑respect de la date limite de production du nouveau formulaire RC4616.

Toutefois, l’observation suivante est tirée du commentaire de David Sherman (le gourou de la taxe à la consommation) sur l’article 156 de la Loi sur la taxe d’accise :

Depuis le 1er janvier 2015, pour être valide, le choix doit être transmis à l’ARC à l’aide du formulaire RC4616. Les choix effectués avant 2015 à l’aide du formulaire GST25 sont valides en 2015 et, pour demeurer valides, ils doivent être consignés à l’aide d’un formulaire RC4616 produit d’ici la fin de 2015. En cas d’omission ou d’indisponibilité du choix, les frais intersociétés peuvent être admissibles en tant qu’« opérations fictives » à l’égard desquelles les intérêts […] peuvent être réduits à un taux fixe de 4 % de la TPS/TVH non remise. [non souligné dans l’original]

Compte tenu de cette observation, il semble que les transactions qui ont lieu pendant les périodes de vérification actuelles de novembre et de décembre sont protégées. Le seul risque auquel vous vous exposez concerne les transactions du mois de janvier advenant le cas où vous ne seriez pas en mesure de faire le choix d’ici la fin du mois lors de votre déclaration de TPS/TVH pour le mois de janvier.

[13]  Le 22 février 2016, les sociétés Denso ont envoyé le formulaire RC4616 à l’ARC par télécopieur. Dans la case « Période de déclaration (incluant date d’entrée en vigueur du choix ou de la révocation) », elles ont indiqué que le choix est entré en vigueur le 1er janvier 2016.

[14]  Quatre jours plus tôt, dans une lettre du 18 février 2016, Susan Joseph avait informé Denso Manufacturing que l’ARC avait terminé son examen des déclarations de TPS/TVH pour novembre et décembre 2015 et [traduction] qu’« aucune modification ne serait apportée à la déclaration produite pour la période susmentionnée ». Elle a également informé Denso Manufacturing que [traduction« l’examen ne visait pas l’ensemble de [ses] activités et [qu’]une vérification pourrait être menée à une date ultérieure à l’égard de la période susmentionnée ».

[15]  De fait, une autre vérification a été effectuée par l’ARC. Dans une lettre du 7 juin 2017, Vinesh Bakhru, de la Division de la vérification de l’ARC, a informé Denso Manufacturing qu’une vérification de ses déclarations de TPS/TVH pour la période du 1er avril 2014 au 31 mars 2016 serait effectuée.

[16]  La directrice des finances et de l’administration de la demanderesse affirme que, [traduction« au cours de la période du 11 au 13 septembre 2017, M. Vinesh Bakhu s’est rendu dans les bureaux de Denso dans le cadre de ses activités de vérification […] et a demandé qu’on lui remette une copie du formulaire RC4616 de Denso. Il a déclaré qu’il croyait que le formulaire avait été produit tardivement ». Elle affirme qu’elle a ensuite consulté Deloitte au sujet du formulaire RC4616, puis communiqué avec l’ARC par courriel le 8 novembre 2017 pour lui transmettre une lettre (datée du 7 novembre 2007) et le formulaire RC4616 indiquant le 1er janvier 2015 comme date d’entrée en vigueur du choix. Elle a demandé à l’ARC d’accepter la production tardive du formulaire.

[17]  Dans la lettre de demande, il est mentionné que lorsque le formulaire RC4616 indiquant le 1er janvier 2016 comme date d’entrée en vigueur avait été produit en février 2016, l’ARC n’avait pas encore publié son énoncé de politique P‑255, « Production tardive d’un choix ou de la révocation d’un choix prévu à l’article 156 », qui est daté du 22 juillet 2016 et dont la date d’entrée en vigueur est le 1er janvier 2015.

[18]  L’énoncé de politique P‑255 prévoit qu’une « demande d’accepter la production tardive d’un choix ou de la révocation d’un choix prévu à l’article 156 sera examinée en fonction de chaque cas et dans le cadre des lignes directrices qui suivent ». Les lignes directrices prévoient notamment que la « demande écrite doit fournir une explication claire de la raison pour laquelle les membres déterminés ont produit en retard un choix ou une révocation » et que ceux‑ci « ne doivent pas avoir fait preuve de négligence ou d’imprudence par rapport aux dispositions de l’article 156 ». L’énoncé de politique prévoit que « la demande est généralement acceptée si la raison donnée pour expliquer la production tardive du choix montre que les parties n’ont pas fait preuve de négligence ou d’imprudence en se conformant aux dispositions relatives au choix ».

[19]  Dans la lettre dans laquelle elle demandait l’acceptation du formulaire de choix produit tardivement, Denso Manufacturing affirme que les sociétés Denso [traduction] « avaient l’intention de faire en sorte que ce choix entre en vigueur le 1er janvier 2015 » et explique comme suit pourquoi le formulaire n’a pas été produit à temps :

[traduction]

Veuillez noter que Denso Manufacturing et Denso Sales ont agi selon la directive de l’ARC en février 2016 et ont produit le formulaire de choix en indiquant le 1er janvier 2016 comme date d’entrée en vigueur. Si l’énoncé de politique P‑255 avait existé à ce moment‑là ou si l’ARC avait laissé entendre en février 2016 que les parties auraient pu produire un choix tardivement au titre du paragraphe 156(4), Denso Manufacturing et Denso Sales auraient présenté une demande relative à la production tardive d’un choix entrant en vigueur le 1er janvier 2015. Malheureusement, l’énoncé de politique P‑255 n’avait pas encore été publié à l’époque, et l’ARC n’a pas mentionné la possibilité de produire un choix tardivement en février 2016. [non souligné dans l’original]

[20]  Je souligne que, contrairement à ce qui est avancé dans cette lettre, l’ARC n’a jamais exigé que la demanderesse produise un formulaire RC4616 indiquant le 1er janvier 2016 comme date d’entrée en vigueur. Je souligne également que, même en l’absence de l’énoncé de politique P‑255, le paragraphe 156(4) prévoit clairement que le formulaire RC4616 doit être présenté au plus tard à la date qui y est prévue ou « à toute date postérieure que fixe le ministre », ce qui démontre clairement que la production tardive peut être acceptée par le ministre. Ainsi, la loi prévoyait clairement que la production tardive était une option pour les sociétés Denso, l’acceptation de celle‑ci étant toutefois assujettie à l’exercice par le ministre de son pouvoir discrétionnaire. Enfin, je souligne que bien que l’énoncé de politique P‑255 énonce les facteurs dont l’ARC tient compte pour accepter la production tardive d’un formulaire, la demanderesse n’a pas présenté de demande de production tardive avant novembre 2017, soit environ 14 mois après la publication de l’énoncé de politique, en juillet 2016.

[21]  L’explication que la demanderesse a donnée pour la production tardive a été modifiée à la suite d’un appel de Vinesh Bakhru. Cette explication plus complète et sans doute plus exacte est énoncée dans un courriel du 4 décembre 2017 :

[traduction]

La présente fait suite à votre message vocal d’aujourd’hui.

1) Le formulaire RC4616 n’a pas été produit à temps parce que DENSO Manufacturing Canada (DMCN) et DENSO Sales Canada (DSCN) n’étaient pas au courant du nouveau règlement relatif au formulaire RC4616.

2) La date d’entrée en vigueur n’est pas 2015 car notre fiscaliste‑conseil Ryan ne nous a pas informé que la date d’entrée en vigueur devait être 2015. En février 2016, Ryan, notre fiscaliste‑conseil, n’a trouvé aucune publication de l’Agence du revenu du Canada sur les conséquences du non‑respect de la date limite de production du nouveau formulaire RC4616. Selon Ryan, le seul risque auquel nous nous exposions concernait les transactions du mois de janvier 2016, advenant le cas où nous ne serions pas en mesure de produire le choix au plus tard à la fin de février 2016 dans le cadre de notre déclaration de TPS/TVH pour le mois de janvier. Par conséquent, DMCN et DSCN ont produit le formulaire RC4616 en indiquant le 1er janvier 2016 comme date d’entrée en vigueur et l’ont soumis à l’ARC le 22 février 2016. [non souligné dans l’origianl]

[22]  Ce message explique clairement pourquoi le formulaire RC4616 n’a pas été produit en 2015 : les sociétés Denso ne savaient pas que ce nouveau formulaire devait être produit. Apparemment, elles ignoraient la modification qui avait été apportée à l’article 156 de la LTA. Lorsque les sociétés Denso ont été informées par Susan Joseph, en février 2016, que le formulaire RC4616 devait être produit, elles l’ont produit, en indiquant le 1er janvier 2016 comme date d’entrée en vigueur, puisque Ryan ne les avait pas avisées que la date d’entrée en vigueur devait être le 1er janvier 2015.

[23]  Vinesh Bakhru a terminé sa vérification et a déclaré ce qui suit dans une lettre du 23 avril 2018 :

[traduction]

Nous avons examiné attentivement la lettre du 7 novembre 2017 signée par Michelle Dermody, directrice des finances, dans laquelle on demande que la date d’entrée en vigueur du choix indiquée dans le formulaire RC4616 produit tardivement (reçu le 22 février 2016) soit modifiée au 1er janvier 2015 au titre du paragraphe 156(4) de la Loi sur la taxe d’accise (la LTA). Nous avons également examiné votre courriel subséquent du 4 décembre 2017 dans lequel vous expliquez pourquoi le choix n’a pas été produit à temps. L’Agence du revenu du Canada (l’ARC) est d’avis que, d’après les renseignements et les explications fournis au sujet du choix indiqué dans le formulaire RC4616 produit tardivement par Denso Manufacturing, il n’existait aucune circonstance atténuante qui vous aurait empêché de présenter votre choix à temps, conformément à l’article 156 de la LTA.

Par conséquent, l’ARC propose, pour l’année civile 2015, un rajustement de 30 098 952,56 $ pour Denso Manufacturing et de 308 617,34 $ pour Denso Sales, avec intérêt dans les deux cas.

[24]  Il y a eu par la suite un échange de correspondance et des rencontres entre les parties avant que le délégué du ministre ne rende une décision le 11 septembre 2018 et refuse d’accepter le formulaire RC4616 modifié, qui aurait changé au 1er janvier 2015 la date d’entrée en vigueur du choix conjoint des sociétés Denso. Le ministre a d’abord résumé la position des sociétés Denso :

[traduction]

1.  La Section de l’intégrité des remboursements a informé Denso de son obligation de produire le formulaire RC4616 en février 2016 pendant l’examen de la déclaration à solde créditeur de novembre 2015. La déclaration à solde créditeur a été approuvée intégralement sans qu’aucune modification n’y soit apportée, et Denso croyait que le choix fait antérieurement était valide. Lorsque la Section de l’intégrité des remboursements a informé Denso de l’obligation de produire le choix, Denso a communiqué avec son fiscaliste‑conseil de l’époque, RYAN, qui l’a informée que, selon elle, « si le choix était présenté avant la fin de février 2016, tout irait bien ».

2.  Le paragraphe 42.1.1.2 du manuel de la vérification et de l’examen de la TPS‑TVH de l’ARC de janvier 2016 prévoit qu’en ce qui concerne les choix, le processus normal de cotisation consécutive à une vérification devrait être suivi en l’absence de perte de revenu.

3.  Le personnel de Denso était monopolisé, à l’automne 2015, par la préparation d’une divulgation volontaire pour l’ASFC, ce qui constituait une circonstance extraordinaire.

4.  L’incidence potentielle de la cotisation sur Denso est disproportionnée et injuste, surtout au vu des circonstances.

[25]  Le délégué du ministre a écrit que les explications présentées ne démontrent pas que les sociétés Denso n’ont pas fait preuve de négligence ou d’imprudence en omettant de se conformer aux dispositions relatives au choix de l’article 156 de la LTA. Il a en outre écrit que la décision est fondée sur ce qui suit :

[traduction]

1.  La date limite pour présenter le choix était le 31 décembre 2015. La communication avec la Section de l’intégrité des remboursements et RYAN a eu lieu après la date limite. Il convient également de noter que la Section de l’intégrité des remboursements effectue seulement des examens de portée limitée et ne procède pas à des vérifications complètes.

2.  Le manuel de vérification ne s’applique généralement qu’aux petites et moyennes vérifications; la version actuellement accessible au public est datée de 2012. L’AC prévoit publier la version de 2015 cet automne et la version de 2018 en 2019.

3.  L’obligation de produire le formulaire RC4616 a fait l’objet de nombreuses annonces dans diverses publications de l’ARC :

Nouvelles sur l’accise et la TPS/TVH – Numéro 91 (mai 2014)

Numéro 94 (janvier 2015)

Numéro 95 (avril 2015)

Avis sur la TPS/TVH 290 (décembre 2015)

Rien n’empêchait Denso de présenter son choix avant l’automne 2015; en outre, la préparation d’une divulgation volontaire pour l’ASFC ne constitue pas une circonstance extraordinaire.

4.  Il est impératif que la loi soit appliquée uniformément à tous les inscrits, et, en l’absence de circonstances extraordinaires valides, il serait injuste envers les inscrits qui ont fait preuve de prudence et qui n’ont pas été négligents dans leurs affaires de ne pas établir une nouvelle cotisation à l’égard des inscrits non conformes.

Les questions en litige

[26]  Les sociétés Denso soulèvent un certain nombre de questions en litige dans leurs mémoires. Elles ont mis l’accent sur trois d’entre elles dans leurs observations orales. Je me propose de répondre à toutes les questions en répondant aux deux questions générales suivantes :

  1. Les sociétés Denso ont‑elles bénéficié de l’équité procédurale?

  2. La décision discrétionnaire de ne pas accepter le formulaire RC4616 produit tardivement était‑elle raisonnable?

Analyse

1.  L’équité procédurale

[27]  À mon avis, l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov], n’a pas modifié le droit en ce qui concerne l’équité procédurale; la norme de contrôle demeure celle de la décision correcte : Établissement de Mission c Khela, 2014 CSC 24, au paragraphe 79, et Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 43; voir également Garces Caceres c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2020 CF 4, au paragraphe 23; Ebrahimshani c Canada (Citizenship and Immigration), 2020 CF 89, au paragraphe 12; Ennis c Canada (Procureur général), 2020 CF 43, au paragraphe 18. La question de savoir si un processus particulier était équitable sur le plan procédural demeure « éminemment variable, intrinsèquement souple et tributaire du contexte » : Vavilov, au paragraphe 77. La Cour se penchera sur la question de savoir si le processus était équitable dans le contexte particulier de la décision, compte tenu des facteurs énoncés dans l’arrêt Baker : Vavilov, au paragraphe 23; Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69, aux paragraphes 40 et 54 à 56.

[28]  Les sociétés Denso reconnaissent qu’elles ont eu l’occasion de présenter des observations écrites au directeur adjoint et aux membres de son équipe et de les rencontrer avant que la décision finale ne soit prise. Toutefois, elles soutiennent que le ministre a omis de divulguer tous les documents pertinents nécessaires pour leur permettre de comprendre les réserves du ministre et d’y répondre de façon cohérente avant que la décision ne soit rendue. Plus précisément, elles signalent un courriel envoyé par un conseiller principal en matière de programmes du Programme des grandes entreprises de la TPS/TVH à l’administration centrale de l’ARC, dans lequel l’analyste a recommandé à l’équipe de vérification de ne pas établir la cotisation proposée parce que les sociétés Denso avaient satisfait aux exigences de la politique P‑255. Ce document n’a été divulgué qu’en raison de l’application de l’article 317 des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106, et non par suite des demandes de renseignements présentées antérieurement par les sociétés Denso.

[29]  Les sociétés Denso ont également mentionné que le ministre n’avait toujours pas divulgué les renseignements pertinents qui les aideraient à comprendre le processus décisionnel. Malgré les demandes qu’elles ont présentées à un certain nombre d’analystes affectés au dossier en vue d’obtenir des renseignements et des documents qui, selon elles, existent, elles affirment que le ministre n’a fourni que des résumés sommaires de l’information. Cela a porté atteinte à leur capacité de comprendre le processus décisionnel et de réagir en conséquence.

[30]  Je conviens avec le ministre que le processus suivi était équitable sur le plan procédural. Il n’était pas nécessaire de divulguer le rapport de l’analyste principal avant que la décision ne soit rendue. L’analyste principal n’était pas le décideur final. Le dossier indique également que l’analyste principal a changé d’avis après avoir examiné tous les faits.

[31]  La décision faisant l’objet du contrôle a été prise par le délégué du ministre, soit le directeur adjoint de la Vérification, le 11 septembre 2018, et je suis convaincu que les sociétés Denso disposaient de suffisamment de renseignements pour connaître les réserves de l’ARC et la preuve qu’elles devaient réfuter. Les observations et la correspondance démontrent qu’elles étaient au courant des réserves du ministre concernant le fait que le formulaire RC4616 produit en février 2016 n’englobait pas l’année civile 2015. Elles ont eu de nombreuses occasions de répondre à ces réserves et d’expliquer pourquoi elles ont indiqué la date en question dans leur formulaire. Elles étaient également au courant de la politique P‑255 et de l’incidence que celle‑ci pourrait avoir sur leur cause avant que la décision finale ne soit rendue. Elles ont eu toutes les occasions d’expliquer en quoi elles ont respecté la politique en démontrant qu’elles n’avaient été ni négligentes ni imprudentes en ne produisant pas, en 2015, un formulaire RC4616 indiquant le 1er janvier 2015 comme date d’entrée en vigueur.

[32]  De plus, les sociétés Denso n’ont pas étayé leurs allégations selon lesquelles le ministre n’a pas respecté les obligations en matière de divulgation prévues à l’article 317 des Règles. Mis à part les notes de réunion, qui ne sont qu’un résumé d’une réunion à laquelle les sociétés Denso ont également participé, les sociétés Denso ne fournissent aucun autre exemple d’information exclue du certificat délivré au titre de la règle 317. De plus, après examen des documents divulgués, je suis d’avis qu’il ne manque aucun renseignement pertinent. Il incombe au demandeur de prouver une telle allégation, un fardeau dont les sociétés Denso ne se sont pas acquittées : Vavilov, au paragraphe 100.

2.  Le caractère raisonnable de la décision

[33]  L’arrêt Vavilov nous enseigne que toute méthode raisonnée de contrôle selon la norme de la décision raisonnable s’intéresse avant tout aux motifs de la décision, la cour de révision devant « examiner les motifs donnés avec “une attention respectueuse”, et chercher à comprendre le fil du raisonnement suivi par le décideur pour en arriver à sa conclusion » : Vavilov, au paragraphe 84. La cour de révision doit s’abstenir de substituer sa propre analyse ou la décision qu’elle privilégie et plutôt se pencher uniquement sur la question de savoir si le demandeur a suffisamment démontré que la décision, compte tenu à la fois du raisonnement suivi et du résultat obtenu, était déraisonnable : Vavilov, aux paragraphes 83, 100 et 116.

[34]  La norme de la décision raisonnable porte également sur le raisonnement suivi par le décideur et le résultat final : Vavilov, aux paragraphes 83 et 87. Les motifs n’ont pas à être parfaits; ils doivent toutefois expliquer adéquatement le fondement d’une décision : Vavilov, au paragraphe 91; Société canadienne des postes c Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes, 2019 CSC 67 [STTP], au paragraphe 30, citant Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, au paragraphe 18. Pour qu’une décision soit « raisonnable », elle doit être intrinsèquement cohérente et justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles qui ont une incidence sur la décision et tenir suffisamment compte des observations des parties pour démontrer que les aspects fondamentaux des préoccupations des demandeurs ont été pris en considération : Vavilov, aux paragraphes 101 à 107, et 127 et 128.

[35]  Pour les motifs exposés aux présentes, je conclus que la décision faisant l’objet du présent contrôle judiciaire est raisonnable et que la présente demande doit, par conséquent, être rejetée.

[36]  J’aborderai d’abord l’argument des sociétés Denso selon lequel le ministre a exercé son pouvoir discrétionnaire en acceptant le choix produit tardivement en février 2016. Je suis d’accord avec le ministre pour dire qu’à première vue, ce formulaire n’a pas été produit en retard. Celui-ci indique qu’il entre en vigueur le 1er janvier 2016, et il a été présenté au cours du mois suivant celui où les sociétés Denso étaient tenues de déclarer leur TPS/TVH de janvier 2016.

[37]  Les sociétés Denso soutiennent que le formulaire a dû être accepté comme englobant les mois de novembre et de décembre 2015, qui ont fait l’objet d’une vérification, car aucun rajustement n’a été effectué à cet égard par l’agente de révision. Cette prétention n’est pas soutenable pour deux raisons.

[38]  Premièrement, l’agente de révision a publié son rapport avant que Denso Manufacturing ne produise le formulaire de choix de février 2016. Logiquement, celui-ci ne peut donc avoir eu une incidence sur sa décision. Deuxièmement, le dossier ne démontre pas qu’elle était investie du pouvoir du ministre de prendre une décision quant à l’acceptation d’un choix produit tardivement. Les avocats des sociétés Denso ont laissé entendre que le supérieur de l’agente de révision détenait ce pouvoir. Même si c’était le cas, rien n’indique qu’en février 2016 les sociétés Denso demandaient au ministre d’exercer son pouvoir discrétionnaire d’accepter la production tardive du formulaire et souhaitaient que celui-ci s’applique à l’année 2015. Le document indique expressément le contraire. De plus, dans le courriel que Denso Manufacturing a transmis à Vinesh Bakhru le 4 décembre 2017, il est écrit ceci : [traduction] « La date d’entrée en vigueur n’est pas 2015 parce que notre fiscaliste‑conseil, Ryan, ne nous a pas conseillé d’inscrire 2015 comme date d’entrée en vigueur. » Il n’est tout simplement pas crédible de laisser entendre à cette étape-ci que ce formulaire produit en février 2016 constituait une demande d’acceptation de celui‑ci comme formulaire applicable à l’année 2015, ou qu’il a été considéré comme tel par le ministre.

[39]  Je rejette également l’argument des avocats des sociétés Denso selon lequel, si le ministre n’a pas exercé son pouvoir discrétionnaire d’accepter le formulaire produit tardivement en février 2016, alors le 1er janvier 2016 [traduction« représente une date qui y était inscrite par erreur, et il était déraisonnable de refuser d’accepter le choix produit tardivement en février 2016 ».

[40]  Premièrement, il n’existe aucune preuve étayant l’observation selon laquelle la date a été inscrite par erreur. Rien ne corrobore le fait qu’en février 2016, les sociétés Denso avaient l’intention que le formulaire porte la date d’entrée en vigueur du 1er janvier 2015. Leurs propres déclarations indiquent plutôt qu’elles avaient l’intention que la date d’entrée en vigueur soit le 1er janvier 2016, comme en fait état le formulaire. Deuxièmement, le formulaire produit en février 2016 ne constituait pas un [traduction] « choix produit tardivement », comme on le laisse entendre. Le choix a été fait en temps opportun en février 2016, le mois suivant la période de déclaration de la TPS/TVH de janvier 2016 des sociétés Denso, et devait entrer en vigueur le 1er janvier 2016.

[41]  La seule observation des sociétés Denso qui mérite d’être retenue est celle selon laquelle elles n’ont pas fait preuve de négligence ou d’imprudence dans leurs obligations en matière de conformité et qu’il est donc déraisonnable de refuser de leur permettre de produire leur choix tardivement.

[42]  J’ai conclu que les sociétés Denso n’étaient pas au courant des modifications apportées à l’article 156 de la LTA et des exigences relatives aux choix en 2015. En effet, dans le courriel du 4 décembre 2017, il est admis qu’elles [traduction] « n’étaient pas au courant du nouveau règlement relatif au formulaire RC4616 ». Bien qu’elle soit habituellement énoncée dans un contexte de droit criminel, la maxime ignorantia juris non excusat s’applique également dans le présent contexte. Comme l’a fait observer le juriste anglais John Seldon (1584‑1654) dans un livre de 1689 intitulé Table‑talk traitant de ses aphorismes :

[traduction]

L’ignorance de la loi n’est pas une excuse. Non pas tant que tout le monde connaît la loi, mais du fait qu’il s’agit d’une excuse qu’invoquera toute personne, et que personne ne sera en mesure de réfuter.

[43]  Comme le ministre l’a souligné dans la décision faisant l’objet du présent contrôle judiciaire, les modifications apportées en 2015 ont été mentionnées dans un certain nombre de publications de l’ARC et dans la loi elle‑même.

[44]  Les sociétés Denso affirment que leurs actions n’ont pas été négligentes ou imprudentes, étant donné qu’elles avaient retenu les services d’une firme de fiscalistes‑conseils qui leur avait fourni des conseils erronés auxquels elles s’étaient fiés. En l’espèce, le ministre a estimé que le fait de se fier aux conseils d’un expert‑conseil ne suffisait pas à démontrer que les sociétés Denso avaient pris des mesures raisonnables pour se conformer à la LTA, étant donné que l’expert‑conseil a été contacté après la date limite, qui avait fait l’objet de nombreuses annonces, et uniquement après que les sociétés Denso ont été avisées de leur obligation en ce sens par l’agente de révision en février 2016. Il était loisible au ministre de conclure, comme il l’a fait, que les sociétés Denso n’avaient pas pris les précautions nécessaires pour se tenir au courant de leurs obligations en matière de conformité, ce qui constitue de la négligence et de l’imprudence. Il s’agit d’une conclusion raisonnée et justifiée au vu du dossier.

[45]  La présente demande contrôle judiciaire est rejetée. Contrairement aux affirmations des sociétés Denso, le ministre a rendu une décision équitable sur le plan procédural qui était à la fois justifiable et justifiée au vu du dossier.

[46]  Les parties ont communiqué avec la Cour après l’audience. Il a été finalement convenu que les dépens de ces deux demandes, fixés à 19 000 $, seraient adjugés à la partie qui obtiendrait gain de cause.

[47]  Une copie des présents motifs et jugement sera versée au dossier de la Cour T‑1788‑18, qui se rapporte à la demande produite par Denso Sales, laquelle est également rejetée.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER T‑1787‑18

LA COUR STATUE :

  1. La présente demande et la demande qui fait l’objet du dossier T‑1788‑18 sont toutes deux rejetées;

  2. Les dépens de la présente demande et de la demande qui fait l’objet du dossier T-1788-18, fixés à 19 000 $, sont adjugés conjointement au défendeur.

« Russel W. Zinn »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 6e jour de mai 2020.

Julie Blain McIntosh, LL.B., trad. a.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑1787‑18

 

INTITULÉ :

DENSO MANUFACTURING CANADA INC c MINISTRE DU REVENU NATIONAL

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 22 JANVIER 2020

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE ZINN

 

DATE DES MOTIFS :

LE 10 MARS 2020

 

COMPARUTIONS :

Randall Schwartz

Timothy Fitzsimmons

POUR LA DEMANDERESSE

Craig Maw

Hasan Junaid

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

PwC Law LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

POUR LA DEMANDERESSE

Procureur général du Canada

Ministère de la Justice

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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