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Date : 20000420


Dossier : T-2112-98



ENTRE :

                 RICHARD LIGHTNING,

     requérant,

                     et
                 GEORGE LESLIE MINDE,

     intimé,

                     et
                 LE CHEF ET LE CONSEIL DE LA
                 PREMIÈRE NATION D'ERMINESKIN,

     intervenants.



     ORDONNANCE ET MOTIFS

LE JUGE CAMPBELL




[1]          Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire fondée sur l'article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale à l'égard d'une décision du comité des appels en matière d'élections d'Ermineskin de 1998 (le « comité » ) au sujet de l'admissibilité de l'intimé comme candidat proposé, et subséquemment élu le 16 septembre 1998, en qualité de conseiller de la bande d'Ermineskin.




[2]          Le 2 septembre 1998, au cours d'une assemblée de mise en candidature, les noms de plusieurs personnes, dont le requérant et l'intimé, ont été proposés pour les postes de quatre conseillers.




[3]          L'élection a eu lieu le 16 septembre 1998 et s'est déroulée conformément à l'Ermineskin Tribal Election Custom (coutume électorale de la tribu d'Ermineskin).




[4]          D'après les résultats du second dépouillement qui a eu lieu le 17 septembre 1998, le requérant et l'intimé avaient obtenu 181 voix chacun, ce qui les plaçait sur un pied d'égalité pour le dernier poste de conseiller à combler. Lors du scrutin de ballottage, le requérant a obtenu 185 voix, tandis que l'intimé en obtenu 288.




[5]          Le 28 septembre 1998, le requérant a interjeté appel devant le comité et invoqué plusieurs raisons pour lesquelles les résultats de l'élection ne pouvaient être jugés valables, notamment le fait que l'intimé avait été démis de ses fonctions en qualité d'administrateur de réserve indienne en novembre1996 dans des circonstances qui le rendaient inadmissible à devenir candidat selon le sous-alinéa 2a)(iii) de la coutume électorale de la tribu d'Ermineskin.




[6]          L'alinéa 2a) du « By-law No. E86-01: Regulations Governing Ermineskin Tribe No.138 Tribal Election Custom » (révisé le 5 juillet 1995) (le « règlement » ) est ainsi libellé :

[TRADUCTION]
2.      Dans le présent règlement,
     a)      le mot « CANDIDAT » désigne une personne âgée d'au moins 21 ans qui était membre inscrit de la tribu d'Ermineskin avant juin 1985 ou qui, pour la période subséquente, peut fournir une preuve de filiation patrilinéaire conformément à la coutume et à la loi traditionnelle ainsi qu'aux règles d'adhésion de la tribu d'Ermineskin et qui a effectivement résidé sur la réserve d'Ermineskin ou sur la réserve de Pigeon Lake au moins pendant les douze (12) derniers mois précédant immédiatement l'élection.
         Le candidat sera jugé inadmissible et inhabile à se présenter comme candidat et à être élu dans l'un ou l'autre des cas suivants :
         i.      il a été reconnu coupable d'un acte criminel au cours des cinq dernières années, à moins d'avoir obtenu un pardon à ce sujet;
         ii.      il a été incarcéré par suite d'une infraction de cette nature;
         iii.      il a été reconnu coupable de manoeuvres de corruption en liaison avec les affaires de la tribu d'Ermineskin, de malhonnêteté ou d'un délit;
         iv.      il fait preuve d'instabilité en raison de la consommation abusive d'alcool ou de drogues1.



[7]          La présente demande concerne l'extrait suivant de la décision du comité :

[TRADUCTION]

Il semble que le chef et le conseil ont raison de conclure que Minde était en situation de conflit d'intérêts, parce qu'il s'est servi de sa position et de la connaissance qu'il avait des budgets à des fins personnelles

D'après le témoignage de Lightning, de Minde et du chef Gerry Ermineskin, en 1996, Minde a reçu une lettre l'avisant qu'il était démis de ses fonctions comme administrateur de réserve. Minde a admis l'existence de cette lettre. Toutefois, il a souligné qu'il n'en avait pas accepté le contenu. Son raisonnement était le suivant : [TRADUCTION] : « s'il était coupable, tous les autres l'étaient également » .

Ni la lettre de destitution non plus que le dossier n'ont été produits à l'audience. Le chef Ermineskin a dit au cours de son témoignage que, lors d'une séance d'étude tenue en 1997 au cours de laquelle certains membres de la tribu ont occupé des postes d'administration, la lettre de destitution et le dossier dans lequel elle se trouvait ont disparu. C'est pourquoi il n'existe aucun document indiquant que Minde a été démis de ses fonctions parce qu'il s'est livré à des manoeuvres de corruption ou à des pratiques malhonnêtes ou qu'il a commis un délit.

Cependant, Minde a produit une copie d'un avis de licenciement dans lequel il est énoncé que cette mesure avait été prise en raison des [TRADUCTION] « difficultés financières que l'organisation éprouvait » . De plus, il a souligné qu'il a touché une indemnité de départ correspondant à six semaines de salaire. Voici le texte de la disposition des politiques sur le personnel qui concerne l'indemnité de départ :

     [TRADUCTION]
     Art. 18.1 L'employé permanent dont l'emploi prend fin pour des raisons autres qu'un licenciement motivé ou un départ volontaire et qui a travaillé pendant au moins un an a droit à une indemnité de départ en cas de cessation d'emploi.

En lui versant une indemnité de départ, le chef et le conseil n'ont pas agi d'une façon compatible avec les conclusions auxquelles ils en étaient arrivés à son sujet.

De plus, même si le chef Ermineskin a dit que le chef et le conseil avaient jugé Minde coupable de conflit d'intérêts et lui avaient fait parvenir une lettre de licenciement pour cette raison, il ne se rappelait pas bien le contenu de la lettre en question.

De l'avis du comité d'appel en matière d'élections, compte tenu de l'ensemble de la preuve, un organisme compétent a jugé Minde coupable de manoeuvres de corruption le rendant inadmissible à devenir candidat. Toutefois, cette preuve est réfutée par le souvenir imprécis de la lettre de destitution, par la lettre de licenciement subséquente et par le fait que Minde a touché une indemnité de départ.

Par conséquent, nous n'avons d'autre choix que de conclure que Minde était admissible à se porter candidat.

Conclusion

Pour les motifs exposés ci-dessus, nous sommes d'avis que l'appel n'est pas fondé. Par conséquent, les résultats de l'élection devraient demeurer inchangés.

Néanmoins, nous aimerions souligner qu'il appert des témoignages et de la preuve présentés à l'audience que Minde s'est parfois comporté de façon irrégulière lorsqu'il agissait en qualité d'administrateur. Habituellement, ces irrégularités lui auraient fait perdre le droit de devenir candidat à l'élection. Les raisons pour lesquelles nous jugeons l'appel non fondé sont des motifs d'ordre technique.

Même s'il appert du témoignage de trois personnes, y compris Minde, qu'une lettre de destitution avait été écrite, cette lettre n'a pas été produite parce qu'elle avait disparu par suite de circonstances qui n'ont pas été expliquées. En dernier lieu, si le chef et le conseil ne s'étaient pas conduits de façon contradictoire en destituant d'abord le requérant, puis en le licenciant et en lui versant une indemnité de départ, la conclusion aurait pu être différente. En raison de la nature de cette décision, nous recommandons que le cautionnement d'appel soit remboursé à Richard Lightning2. [non souligné à l'original]




[8]          Le principal argument que le requérant invoque au sujet de la décision est fondé sur une contradiction entre les conclusions formulées, laquelle contradiction constitue une erreur susceptible de révision. À cet égard, l'attention est attirée principalement sur une comparaison entre la conclusion du chef et du conseil selon laquelle l'intimé était coupable de manoeuvres de corruption et la négation de cette conclusion sur la foi de trois facteurs « non pertinents » , soit un souvenir imprécis, le licenciement subséquent et le versement d'une indemnité de départ.



[9]          Après avoir lu en entier et attentivement la décision du comité, je suis d'avis que cette description ne peut être retenue.



[10]          Après avoir souligné qu'à son avis, le chef et le conseil avaient eu raison de conclure que l'intimé était en situation de conflit d'intérêts, le comité s'est demandé si le conflit en question constituait une manoeuvre de corruption. Le comité a conclu à ce sujet à l'existence de certains éléments indiquant que le chef et le conseil avaient jugé l'intimé coupable de manoeuvres de corruption; cependant, le comité a également jugé que d'autres éléments atténuaient la valeur de cette conclusion, notamment la conduite contradictoire de la part du chef et du conseil au sujet du licenciement de l'intimé.



[11]          À mon sens, le comité a jugé que, si le conflit d'intérêts constaté avait véritablement constitué une manoeuvre de corruption, l'intimé n'aurait pas été licencié et n'aurait pas touché une indemnité de départ. Par conséquent, de l'avis du comité, la conduite illogique de la part du chef et du conseil devait être tranchée en faveur de l'intimé.



[12]          Il m'apparaît évident que le comité a transmis le message suivant dans la dernière partie de sa décision : en ce qui concerne l'admissibilité d'une personne à une élection, un conflit d'intérêts peut constituer une manoeuvre de corruption et, en pareil cas, le chef et le conseil ne devraient prendre aucune mesure visant à masquer l'importance de cette conduite.


     ORDONNANCE


[13]          Compte tenu de la façon dont j'interprète les motifs du comité, j'estime que la décision ne comporte aucune erreur susceptible de révision; par conséquent, la présente demande est rejetée.



[14]          Le requérant doit payer les frais de la présente demande, qui sont adjugés en faveur de l'intimé.

     ADDENDA


[15]          Au cours de l'audience, j'ai accepté de commenter une question accessoire qui a été soulevée.



[16]          Les intervenants m'ont demandé de donner mon avis au sujet de l'interprétation des règles électorales de la bande en ce qui concerne l'extrait suivant de la décision du comité :

[TRADUCTION] Aucune règle n'indique au comité des appels en matière d'élections s'il devrait en arriver à une conclusion d'inadmissibilité ou se fonder sur les conclusions d'un autre organisme compétent. Nous présumons qu'en l'absence de directives, nous devons nous prononcer au sujet de l'inadmissibilité en nous fondant sur les conclusions antérieures formulées par un autre organisme compétent en ce qui a trait à la culpabilité de la personne concernée. À notre avis, cet organisme n'est pas le comité des appels en matière d'élections, mais plutôt le chef et les membres élus du conseil, qui doivent décider en premier lieu si un candidat est ou non admissible.




[17]          Le règlement prévoit la nomination d'un directeur du scrutin chargé de surveiller le déroulement des élections. D'après ce que j'ai appris, selon la pratique actuellement en vigueur, le directeur du scrutin décide avant une élection si un candidat éventuel est inhabile au sens du sous-alinéa 2a)(i) du règlement parce qu'il a été reconnu coupable d'un acte criminel sans avoir obtenu de pardon au cours des cinq dernières années. Par conséquent, il me semble raisonnable de dire que, suivant le règlement, il appartient au directeur du scrutin et non au chef et au conseil de prendre, avant l'élection, une décision concernant tous les éléments de l'alinéa 2a), notamment ceux qui sont prévus au sous-alinéa 2a)(iii). Après l'élection, c'est le comité qui doit prendre cette décision, sur présentation d'une demande.


                         "Douglas R. Campbell"

                             Juge


Edmonton (Alberta)

20 avril 2000.


Traduction certifiée conforme


Martine Brunet, LL.B.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER


No DU GREFFE :                  T-2112-98

INTITULÉ DE LA CAUSE          Richard Lightning c. George Leslie Minde et al

        

ORDONNANCE ET MOTIFS

PRONONCÉS PAR:              le juge Campbell

                                        

EN DATE DU                  19 avril 2000.


ONT COMPARU :

Me Nicholas Baggaley              pour le requérant

Me James Dixon                  pour l'intimé Minde

Me David Holman

Me Cheryl Ann Merchant              pour les intervenants


PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

Ackroyd, Piasta, Roth & Day          pour le requérant

Edmonton (Alberta)

Dixon and Associates                  pour l'intimé Minde

Red Deer (Alberta)

Blake Cassells & Graydon              pour les intervenants

Calgary (Alberta)                         



__________________

1 Dossier de la demande du requérant, p. 44.

2 Ibid, p. 35-43.

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