Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20001206

Dossier : IMM-5866-99

ENTRE :

                                            MANINDERJIT SINGH DHINDSA

                                                                                                                                        demandeur

                                                                         - et -

                LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                         défendeur

                                               MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE LEMIEUX

LES FAITS

[1]                 Maninderjit Singh Dhindsa (le demandeur), un jeune sikh du Pendjab en Inde, sollicite dans la présente demande de contrôle judiciaire l'annulation de la décision par laquelle la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (le tribunal) a, le 29 octobre 1999, rejeté sa revendication du statut de réfugié basée sur une crainte fondée de persécution en raison d'opinions politiques qu'on lui attribuait en tant que terroriste présumé.


[2]                 Le demandeur a indiqué dans son formulaire de renseignements personnels (FRP) que son frère faisait partie de l'All India Sikh Student Federation (AISSF), une organisation visant à la création d'un État indépendant pour le peuple sikh du Pendjab. Son frère était très actif au sein de l'AISSF lorsque'il était étudiant. Il osait souvent parler des abus commis par la police et a fini par devenir président de l'AISSF de son collège. En 1995, son frère a été appréhendé par la police à plusieurs occasions, détenu, interrogé et remis en liberté après que son père eut versé de gros pots-de-vin.

[3]                 Selon le demandeur, l'événement qui a entraîné sa fuite au Canada s'est produit le 2 décembre 1995 lorsque lui-même et son frère s'en retournaient à la maison sur leur scooter après avoir assisté à un grand rassemblement où son frère venait juste de prendre la parole. Le demandeur a écrit dans son FRP que des policiers les ont interceptés et ont enlevé son frère. Le demandeur est retourné à la maison et en a parlé à son père. Tous deux, en compagnie de membres du conseil du village, se sont rendus rapidement au poste de police pour trouver le frère porté disparu. Il a dit que, partout où ils allaient, on leur répondait que personne ne savait où se trouvait son frère.


[4]                 Le demandeur a dit être allé ensuite au bureau de l'AISSF où on lui a promis de faire le nécessaire pour trouver son frère porté disparu. Il a dit que la famille a également contacté diverses autorités administratives supérieures mais sans grand résultat. La famille a conclu que son frère avait été tué par les policiers puisque personne n'a pu le trouver.

[5]                 Le demandeur a écrit dans son FRP que les policiers ont commencé à le harceler en l'accusant de cacher son frère. Ils sont venus chez lui. Il a écrit qu'il croyait être harcelé parce qu'il accusait publiquement la police d'avoir tué son frère.

[6]                 Le demandeur prétend avoir été arrêté chez lui le 24 mars 1996 et amené au poste de police, où il a été l'objet de menaces en raison des efforts qu'il avait déployés pour trouver son frère et inculper la police. Il a prétendu qu'il avait été violemment battu et qu'on avait pris sa photo et ses empreintes digitales. Il a été relâché trois jours plus tard après que son père eut versé un pot-de-vin de 35 000 roupies. Après sa remise en liberté, il a porté plainte auprès du surintendant supérieur de la police, mais celui-ci n'a jamais pris contact avec lui.

[7]                 Il a prétendu avoir été arrêté de nouveau le 6 avril 1996 par des policiers qui l'ont averti de se tenir tranquille, sinon il pourrait subir le même sort que son frère. On lui a ensuite dit de partir pendant qu'il pouvait encore marcher. C'est à ce moment-là que les membres de sa famille ont décidé qu'il devait quitter l'Inde parce qu'ils étaient maintenant certains que les policiers avaient tué son frère.


LES CONCLUSIONS DU TRIBUNAL

[8]                 Le tribunal a déclaré au début de son analyse que, en raison des « contradictions importantes relevées dans le témoignage du demandeur, le tribunal l'a rejeté globalement, l'estimant dénué de toute crédibilité » . Le tribunal a énuméré ensuite les contradictions sur lesquelles était fondée sa conclusion quant à la crédibilité de ce témoignage.

[9]                 Premièrement, le demandeur a déclaré sous serment n'avoir jamais joint les rangs de l'AISSF parce qu'il « ne l'aimait pas » et préférait jouer au football. Cependant, comme l'a fait remarquer le tribunal, il a déclaré quelques minutes plus tard avoir aidé son frère dans ses activités liées à l'AISSF et rédigé entre 20 et 40 discours pour son frère. Le tribunal a conclu sur ce point :

Comment peut-il prendre une part aussi active en faveur d'une association qui l'intéresse pas et qu'il n'aime pas? Par « respect » pour son frère qui est plus âgé que lui, répond-il.

Le tribunal n'ajoute aucune foi à une telle explication qu'il estime dénuée de toute plausibilité, ce frère étant âgé d'à peine un an de plus que le revendicateur. De plus, l'allégation qu'il ait ainsi collaboré en faveur d'une association qu'il n'aime pas n'a aucun sens. [C'est moi qui souligne.]


[10]            Deuxièmement, le tribunal a dit que le revendicateur a ensuite déclaré n'avoir jamais assisté à aucun des discours prononcés par son frère alors que ce dernier était actif au sein de l'AISSF. L'agent chargé de la revendication a signalé que cette déclaration contredisait le libellé de son FRP selon lequel l'enlèvement de son frère par la police le 2 décembre 1995 était survenu pendant qu'ils revenaient d'une assemblée où il venait juste d'entendre son frère prononcer un discours. Le tribunal a fait observer que le demandeur a répondu que tel n'était pas le cas parce qu'il avait participé à un match de football ce jour-là et qu'ensuite il était allé chercher son frère en scooter. Il a mis le blâme sur l'interprète responsable de la traduction anglaise de son FRP pour cette erreur. Le tribunal a conclu :

Le tribunal n'en croit rien. D'abord, parce qu'il avait déclaré en début d'audience qu'il n'avait éprouvé aucun problème de compréhension avec cet interprète et qu'il était conscient du contenu de son FRP. Mais également parce qu'il a également témoigné que son texte avait été de nouveau traduit par un autre interprète une semaine avant l'audience. La traduction originale est sûrement adéquate puisqu'aucun amendement (mais seulement deux ajouts) n'a été apporté au texte de sa réponse à la question no 37 en début d'audience.

Le tribunal en conclut donc que cet incident n'a jamais eu lieu ce jour-là.

[11]            Troisièmement, le tribunal a dit que le demandeur avait été incapable de lui indiquer à qui il était allé se plaindre au sein de l'AISSF pour souligner la disparition de son frère. Il ne savait pas qui était la personne à qui il s'était adressé (secrétaire, réceptionniste ou autre responsable) et ne pouvait apporter aucune précision sur l'événement. La conclusion tirée était la suivante :

Le tribunal en conclut qu'il n'a jamais porté plainte auprès de l'AISSF.


[12]            Quatrièmement, le tribunal a dit que le demandeur a fait état de toute une série d'incidents nouveaux, au moment de l'audience, qu'il avait omis de mentionner dans sa réponse écrite à la question no 37 de son FRP. Le tribunal a cité comme exemple le fait qu'il avait ajouté que les policiers avaient pris sa photo et ses empreintes digitales lors de son arrestation du 24 mars 1996. Il avait également ajouté que, lors de son arrestation du 6 avril suivant, les policiers avaient exigé qu'il devienne délateur et leur fournisse des renseignements sur les militants sikhs de sa région, l'avaient forcé à signé un document en blanc et contraint à se rapporter au poste de police une fois par mois. Le tribunal a conclu :

Comment explique-t-il l'omission de tels éléments importants? À chaque fois il blâme l'interprète chargé de la traduction de son FRP. Le tribunal n'en croit rien et partage l'opinion du juge Teitelbaum émise dans l'arrêt Basseghi, selon laquelle « tous les éléments importants et pertinents d'une histoire doivent apparaître dans le FRP » . [Omission de la note en bas de page.]

[13]            Cinquièmement, le tribunal a écrit que le demandeur a été mis en présence des déclarations qu'il a faites à l'agent d'immigration lors de son arrivée au Canada et a jugé qu'il avait alors présenté une version tout à fait différente selon laquelle il était persécuté pour des raisons de religion et empêché de pratiqué sa foi. Il a également indiqué lors de son arrivée qu'il était accusé d'entretenir des liens avec des terroristes, chose qu'il n'a jamais mentionnée dans son FRP ni dans son témoignage, et que son frère était persécuté en raison de son enseignement religieux et parce qu'il était un prédicateur très actif. Le tribunal a tiré la conclusion suivante :

Comment explique-t-il deux versions aussi différentes? À son arrivée au Canada, sa crainte de persécution était basée sur sa religion. Au moment de l'audience, de même que dans son FRP, on ne retrouve pas la moindre allusion à la religion, que ce soit dans son cas ou celui de son frère. On est désormais dans le domaine des activités et des opinions politiques.

Le revendicateur ne sait trop quoi répondre et allègue qu'il a également fait état de ces autres éléments dans son témoignage, ce qui est tout à fait faux comme le lui rappelle le président du tribunal. En fait, il n'a parlé de religion que lorsqu'il a été questionné sur le sujet par l'un des membres du tribunal et il n'a alors nullement mentionné qu'on l'empêchait de pratiquer.


Le tribunal estime que la contradiction est majeure et attaque la base même de la revendication. Il lui apparaît évident que ce témoignage a été fabriqué de toutes pièces. C'est pourquoi il n'y a nullement cru. [C'est moi qui souligne.]

[14]            Sixièmement, le tribunal a terminé ainsi son analyse des certificats médicaux et des photos déposés en preuve par le demandeur :

Compte tenu du fait qu'il n'accorde aucune crédibilité à cette histoire, le tribunal estime que les blessures et les cicatrices notées dans ces documents ne sont nullement liées au récit du revendicateur ni à l'un des éléments de la définition. [C'est moi qui souligne.]

[15]            Le tribunal a ensuite conclu que le demandeur n'était pas un réfugié au sens de la Convention et que, de plus, selon le paragraphe 69.1(9.1) de la Loi sur l'immigration, sa revendication manquait du minimum de fondement.

ANALYSE

(1)        Les arguments du demandeur

[16]            L'avocat du demandeur a soutenu que le tribunal a tiré cinq conclusions importantes relativement à la crédibilité du demandeur mais sans aucun fondement, proposition qu'il basait sur un examen de la transcription.

a)         Conclusion no 1 -- « N'aimait pas l'AISSF »


[17]            L'avocat du demandeur allègue que la conclusion du tribunal relativement à la plausibilité selon laquelle il rédigerait des discours pour son frère aîné par respect pour lui bien qu'il n'aimât pas l'ASSIF constituait une déduction fondée sur aucun élément de preuve mais plutôt sur de la pure spéculation.

[18]            L'échange suivant entre l'agent chargé de la revendication et le demandeur figure à la page 402 du dossier certifié :

[traduction]

Q.           Vous ne faisiez pas partie de l'All India Sikh Student?

R.            Non.

Q.            Vous n'avez jamais pensé à joindre les rangs de la fédération?

R.            Non.

Q.            Pourquoi pas?

R.            Je ne l'aimais pas. J'avais l'habitude de jouer au football. Je ne m'intéressais pas à ces choses.

Q.            Vous ne l'aimiez pas, mais vous dites avoir aidé votre frère.

                                                    . . . .R.                  Pourriez-vous répéter la question?

[19]            La page 411 du dossier certifié contient l'échange suivant entre le président de l'audience, le commissaire, l'agent chargé de la revendication et le demandeur :

[traduction]

LE PRÉSIDENT DE L'AUDIENCE(à la personne concernée)

Q.            Il y a seulement une chose que j'aimerais comprendre, Monsieur. Vous avez déclaré précédemment ne pas avoir joint les rangs de l'A.I.S.S.F. parce que vous ne l'aimiez pas. Ce furent vos paroles : « Je ne l'aimais pas » . Or, si vous ne l'aimiez pas, pourquoi avez-vous rédigé vingt (20), trente (30) ou quarante (40) discours? Pour quelqu'un qui n'aime pas ce groupe, je pense que c'est beaucoup de travail. J'essaie de comprendre tout cela.


R.            Parce que mon frère est plus âgé que moi. Je le respecte et je fais ce qu'il me demande. Il m'a dit de l'aider au sujet des discours et je l'ai aidé.

b)         Conclusion no 2 -- N'a jamais assisté à un seul des discours prononcés par son frère

[20]            L'avocat du demandeur soutient que le tribunal a mal interprété la preuve en tirant cette conclusion relativement à la crédibilité, qui est exposée à la page 3 de sa décision :

Le revendicateur a ensuite témoigné qu'il n'avait jamais assisté à un seul des discours prononcés par son frère dans le cadre de ses activités au sein de l'AISSF. L'agent chargé de la revendication (ACR) lui a fait remarquer que cette déclaration contredisait la version de son FRP, selon laquelle l'enlèvement de son frère par les policiers, le 2 décembre 1995, était survenu pendant qu'il revenait d'une assemblée où il avait justement été témoin d'un discours de son frère.

Le revendicateur a répondu que tel n'était pas le cas, qu'il avait plutôt participé à un match de football ce jour-là et qu'après la fin de celui-ci, il était venu cueillir son frère en scooter. Il a blâmé l'interprète responsable de la traduction anglaise de son FRP pour cette erreur.

[21]            Dans son FRP, le demandeur dit ceci à ce sujet :

[traduction] Le 2 décembre 1995, mon frère et moi retournions à la maison sur notre scooter, après avoir assisté à un grand rassemblement où mon frère venait de prononcer un discours. [C'est moi qui souligne.]

[22]            Les pages 407, 408 et 409 du dossier certifié révèlent l'échange suivant entre l'ACR, le demandeur et le président de l'audience :

[traduction]

Q.            ... avez-vous jamais assisté à ces grands rassemblements et à ces grands rassemblements au collège et dans le village?


R.            Non.

Q.            Vous n'avez jamais assisté à l'un de ces grands rassemblements?

R.            Non.

Q.            Pourquoi dites-vous : le 2 décembre 1995, mon frère et moi retournions à la maison sur notre scooter après avoir assisté à un grand rassemblement où mon frère venait de prononcer un discours?

R.            Je suis allé à un match de football collégial à Jullundur, au Crewkobat (phonétiquement) Singh Stadium. Et mon frère m'avait dit que nous avions un grand rassemblement à 14 h et que, comme mon match se terminait à 17 h, je devrais ensuite aller le chercher. Il serait terminé avant 17 h, je devrais aller le chercher ensuite.

Q.            Or pourquoi dites-vous : je retournais à la maison sur notre scooter après avoir assisté à un grand rassemblement où mon frère venait de prononcer un discours? Ce n'est pas exactement vrai.

R.            Or ce que j'ai dit à l'avocat est que je revenais d'un match de football. Mon frère m'a dit que vers 16 h 30, 17 h, ou entre 16 h 30 et 17 h, mon grand rassemblement sera terminé et d'aller le chercher là, au grand rassemblement.

-              D'accord.

LE PRÉSIDENT DE L'AUDIENCE(à la personne concernée)

Q.            Bien, Monsieur, nous essayons de clarifier quelque chose en ce moment. Ce matin, vous dites n'avoir jamais assisté à un seul grand rassemblement de votre frère. Vous avez écrit que, ce jour-là, vous aviez assisté à un grand rassemblement où votre frère avait prononcé un discours. Or ce que nous essayons de comprendre, c'est pourquoi vous avez écrit avoir assisté à un discours ce jour-là ? Et pourquoi ce matin vous dites quelque chose d'autre? Nous essayons de clarifier tout cela.

R.            Je ne suis jamais allé à un grand rassemblement. Je suis seulement allé chercher mon frère.

Q.            Bien, pourquoi l'avez-vous écrit? C'est ce que nous essayons de comprendre.

R.            Je ne sais pas ce qui est écrit là. L'interprète ne m'a pas dit en panjabi ce qui était écrit dans le, là, de sorte que je n'en suis pas tout à fait certain.

-              Monsieur, je suis désolé, au début de l'audience je vous ai demandé précisément si vous étiez au courant du contenu de votre Formulaire de renseignements personnels, s'il vous avait été traduit, et vous m'avez dit que oui.


R.            Mais lorsqu'on me l'a dit en panjabi, c'est ce que j'ai cru comprendre, que j'étais allé au match de football et que je suis allé ensuite chercher mon frère.

-                 Je comprends donc qu'il n'est nullement question de football dans le texte. [C'est moi qui souligne.]

[23]            Sur ce point, l'avocat du demandeur dit que l'ACR et le président de l'audience du tribunal ont mal interprété le FRP du demandeur qui ne dit pas que celui-ci a entendu son frère parler au grand rassemblement. L'avocat dit que l'ACR et le président de l'audience ont fait dire à son FRP qu'il avait entendu le discours.

c)         Conclusion no 3 -- Ne connaît personne au sein de l'AISSF

[24]            Le tribunal a déduit que le demandeur n'avait jamais porté plainte auprès de l'AISSF au sujet de la disparition de son frère parce qu'il a été incapable de lui indiquer qui il était allé voir à l'AISSF pour souligner la disparition de son frère. Le tribunal a dit qu'il ne savait pas qui était la personne à qui il s'était adressé (secrétaire, réceptionniste ou autre responsable) et qu'il ne pouvait apporter aucune précision sur l'événement.


[25]            L'avocat du demandeur soutient que la perception que le tribunal a de l'affaire n'est pas en coordination avec la preuve parce que le demandeur, même s'il ne connaissait pas le nom de la personne rencontrée à l'AISSF, savait effectivement que celle-ci faisait partie de la fédération.

[26]            L'échange suivant a eu lieu entre le président de l'audience, le demandeur et l'ACR et se trouve aux pages 415 à 417 du dossier certifié :

[traduction]

LE PRÉSIDENT DE L'AUDIENCE(à la personne concernée)

                                                       . . . .

Q.            Mais à qui avez-vous parlé exactement?

R.            Ils ont un bureau au collège de Lalpur (phonétiquement) et c'est là que nous sommes allés.

Q.            Mais à qui avez-vous parlé dans ce bureau?

R.            La personne qui était assise dans le bureau, c'est à elle que j'ai parlé.

Q.             Ouais, mais qui était-elle? Quel était son titre?

R.            Je ne sais pas si c'était un secrétaire ou quel était son titre.

L'AGENT CHARGÉ DE LA REVENDICATION(à la personne concernée)

Q.            Ou un réceptionniste ou...?

R.            Il l'était, il y a seulement des membres qui s'assoient là.

LE PRÉSIDENT DE L'AUDIENCE(à la personne concernée)

Q.            Mais Monsieur, avez-vous parlé à quelque autre membre de l'exécutif de l'A.I.S.S.F.?

R.            En ce qui concerne la personne qui était dans le bureau, je ne sais pas quel était son poste ou son rang. Je ne savais pas... Je ne sais rien de cela.

L'AGENT CHARGÉ DE LA REVENDICATION(à la personne concernée)

Q.            Serait-il possible que vous ayez parlé à l'homme de ménage.

R.            Non, il y avait trois (3) personnes à cet endroit lorsque nous y sommes allés.


LE PRÉSIDENT DE L'AUDIENCE(à la personne concernée)

Q.            Connaissez-vous leur nom?

R.            Non, je ne le connais pas.

Q.            Vous ne savez pas à qui vous avez parlé?

R.            Non. [C'est moi qui souligne.]

d)        Conclusion no 4 -- Omissions relevées dans le FRP du demandeur

[27]            Les trois omissions que le tribunal a relevées dans le FRP du demandeur étaient le fait que la police a pris une photo de lui, lui a demandé de devenir délateur et de se rapporter une fois par mois.

[28]            L'avocat du demandeur soutient que le tribunal a commis une erreur en retenant ces omissions contre lui parce qu'elles ont été versées en preuve lorsque le demandeur a modifié son FRP au début de l'audience.

[29]            Les modifications suivantes apparaissent à la page 390 du dossier certifié :

[traduction]

À la question no 37, ligne 36 de la page 1, il est dit : « J'ai été retenu durant trois (3) jours et battu très sévèrement » . Après cette phrase : « Ils ont pris mes empreintes digitales et des photos et je n'ai été relâché qu'après cela... » Donc nous devons ajouter les mots « ils ont pris mes empreintes digitales et ma photo » et.


J'ai le même problème à la ligne 5 de la deuxième page : « Il m'ont dit ensuite de partir pendant que je pouvais encore marcher mais à la condition que je devienne délateur et leur fournissent des renseignements sur les militants de notre région et sur leurs activités.

e)         Conclusion no 5 -- Motifs de persécution - religion ou opinion politique

[30]            Ainsi qu'il est mentionné, le tribunal a trouvé une contradiction importante entre le motif de persécution du demandeur au point d'entrée (religion) et celui déclaré dans son FRP et sa déposition (opinion politique) et en particulier le fait que son frère était persécuté en raison de ses enseignements religieux et était un prédicateur très actif.

[31]            L'avocat du demandeur soutient que le tribunal n'a pas tenu compte de la preuve parce que les notes prises au point d'entrée par l'agent d'immigration mentionnent que son frère et lui avaient été souvent harcelés par la police en Indie et que lui (le demandeur) avait été cueilli deux fois par la police parce que son frère avait été très actif au sein de l'All India Sikh Student Federation (voir pages 330 et 331 du dossier certifié).


[32]            L'avocat du demandeur concède que le FRP du demandeur ne fait nullement mention de persécution religieuse mais il relève à la page 451 du dossier certifié que le demandeur, lors d'une question posée par le commissaire du tribunal, indique que son frère était très actif en matière religieuse et qu'il avait l'habitude de prononcer des discours au temple au sujet de ce qui arrivait aux Sikhs; il avait l'habitude de collecter des fonds pour le temple; de faire des travaux pour eux; de les aider.

[33]            De plus, l'avocat du demandeur a soutenu que le tribunal n'a tenu aucun compte de la preuve documentaire sur la nature du conflit au Pendjab.

(2)        Les arguments du défendeur

[34]            L'avocate du défendeur a soutenu que, même s'il ne s'agit pas d'une décision parfaite, il ressort de la preuve que le tribunal pouvait conclure comme il l'a fait. En outre, le défendeur allègue que le tribunal a soulevé chacune des incohérences qui le préoccupaient et a fourni au demandeur la possibilité de les expliquer. Il n'a pas trouvé les explications convaincantes.

[35]            Le défendeur a affirmé que l'incompatibilité entre le motif mentionné au point d'entrée (religion) et celui mentionné dans le FRP (opinion politique imputée) était inéluctable parce que le tribunal se trouvait en présence de deux histoires différentes.


[36]            Le défendeur a soutenu que le demandeur avait mal interprété le raisonnement du tribunal au sujet des omissions relevées dans son FRP. Il a soutenu que le tribunal n'a pas relevé de contradiction entre son FRP et sa déposition sur cette question mais plutôt que le demandeur n'avait pas indiqué ces éléments importants de son histoire lorsque son FRP a été déposé la première fois, c'est-à-dire pourquoi apporter des modifications aujourd'hui, ont-ils demandé.

[37]            Le défendeur a fait observer que les deux derniers changements étaient importants parce que sa photo prise par la police est la raison pour laquelle il craint de retourner dans son pays et que le fait d'être délateur venait étayer la conviction de la police selon laquelle il était un terroriste.

[38]            L'avocate du défendeur a fait également remarquer que ce qui troublait le tribunal était le fait que le demandeur n'avait présenté aucune preuve corroborante à l'appui de sa revendication. Par exemple, une lettre de l'AISSF au sujet de la participation et de la disparition de son frère aurait pu facilement en établir le bien-fondé.

ANALYSE

[39]            Le tribunal a rejeté la revendication du statut de réfugié du demandeur parce qu'il a pas admis sa déposition; il a estimé sa déposition peu fiable; il n'a pas cru le demandeur. De plus, le tribunal se préoccupait de l'absence de documents venant corroborer sa déposition orale; il n'y avait aucun document justificatif de nature personnelle.


[40]            Le tribunal a fondé sa conclusion quant à la crédibilité pour les raisons suivantes : (1) il a estimé non plausible l'explication du demandeur selon laquelle il aidait son frère à rédiger des discours pour l'AISSF; (2) il n'a pas accepté son explication concernant une contradiction apparente entre son FRP et sa déposition relativement au fait d'avoir assisté à un discours prononcé par son frère; c'est après ce discours que son frère a été arrêté et c'est au coeur de ce qui sous-tend sa revendication, à savoir le crainte de la police hindoue; (3) les omissions de son FRP; (4) son incapacité à apporter des précisions sur sa visite à l'AISSF pour porter plainte au sujet de la disparition de son frère; et (5) la contradiction entre son FRP et les notes prises au point d'entrée relativement au motif pour lequel il craignait d'être persécuté en raison de ses opinions politiques ou de sa religion.

[41]            Les conclusions quant à la crédibilité fondées sur des contradictions, des incohérences et des dissimulations internes sont au coeur du pouvoir discrétionnaire des juges des faits (Giron c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), (1992), 143 N.R. 238 (C.A.F.)) et le tribunal, qui est un tribunal spécialisé, a le plein pouvoir de juger de la plausibilité de la preuve (Aguebor c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, (1993), 160 N.R. 315 (C.A.F.).


[42]            La Cour ne doit pas revoir les faits et apprécier la preuve (Montréal (Ville) c. Syndicat canadien de la fonction publique, section locale 301, [1997] 1 R.C.S. 793, à la page 844).

[43]            Les conclusions quant à la crédibilité tirées par le tribunal ne seront pas annulées par la Cour à moins qu'elles aient été manifestement tirées sans tenir compte de la preuve : Rajaratnam c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1991), 135 N.R. 300 (C.A.F.). Cela signifie que le demandeur doit prouver l'existence, selon la prépondérance des probabilités, d'une erreur manifeste qui influe sur l'évaluation des faits. La norme de révision au sujet de telles conclusions quant aux faits tirées par un tribunal administratif est une norme fondée sur la retenue : Ville de Montréal, précité. Autrement dit, il faut montrer que la preuve, ayant fait l'objet d'une révision raisonnable, ne peut pas venir étayer la conclusion de fait du tribunal (qui est la nature même des conclusions quant à la crédibilité) Conseil de l'éducation de Toronto c. Fédération des enseignants-enseignantes des écoles secondaires de l'Ontario, district 15 (Toronto), [1997] 1 R.C.S. 487.

[44]            J'ajouterai que ces formulations judiciaires sont comprises dans des critères établis par la loi et énoncés à l'alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur la Cour fédérale qui prévoit la norme de révision des conclusions de fait.


CONCLUSION

[45]            Le demandeur ne m'a pas convaincu qu'il a respecté les principes qui habilitent la Cour à intervenir dans la présente affaire en annulant les conclusions auxquelles le tribunal en est venu quant à la crédibilité. Ainsi que je vois les choses, il ne s'agit pas d'une affaire où il n'existait pas de preuves ou où il manquait de preuves à l'appui des conclusions tirées par la tribunal quant à la crédibilité. En l'espèce, le demandeur me demande essentiellement de me substituer au tribunal et d'apprécier de nouveau la preuve. Cela, je suis empêché de le faire. La question n'est pas de savoir ce que j'aurais décidé si j'avais été le juge des faits mais de savoir si la preuve présentée devant le tribunal, examinée de manière raisonnable, vient étayer ses conclusions. La preuve m'a convaincu qu'il y avait une contradiction importante entre le FRP du demandeur et les notes prises au point d'entrée par l'agent d'immigration sur les motifs mêmes de sa crainte de retourner en Inde. Les omissions relevées dans son FRP et soulignant l'intérêt que lui portait encore la police étaient importantes et, bien que son FRP ait été modifié à l'audience, la transcription révèle manifestement l'existence d'une explication non convaincante. Les déductions que le tribunal a tirées au sujet de la plainte du demandeur auprès de l'AISSF au sujet de la disparition de son frère, l'arrestation de son frère en 1995 lorsqu'ils retournaient à la maison après le discours et le fait qu'il n'aimait pas l'AISSF ne sont pas dénués de rationalité au point de justifier l'intervention de la Cour.


DISPOSITIF

[46]            Pour tous ces motifs, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question n'a été proposée à des fins de certification.

                                                                                 « François Lemieux »            

                                                                                                             Juge                         

OTTAWA (Ontario)

Le 6 décembre 2000

Traduction certifiée conforme

Yvan Tardif, B.A., LL.L.


                          COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                        SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                         AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

NO DE DOSSIER :                                IMM-5866-99

INTITULÉ DE LA CAUSE :    MANINDERJIT SINGH DHINDSA c MCI

LIEU DE L'AUDIENCE :                      TORONTO

DATE DE L'AUDIENCE :                    LE 8 SEPTEMBRE 2000

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DE MONSIEUR LE JUGE LEMIEUX

DATE DES MOTIFS :              LE 6 DÉCEMBRE 2000

ONT COMPARU :

Ronald Poulton                                        POUR LE DEMANDEUR

Andrea Horton                                        POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Ronald Poulton                                        POUR LE DEMANDEUR

Toronto (Ontario)

Morris Rosenberg                                                 POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada


Date : 20001206

Dossier : IMM-5866-99

OTTAWA (Ontario), le mercredi 6 décembre 2000

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE FRANÇOIS LEMIEUX

ENTRE :

                        MANINDERJIT SINGH DHINDSA

                                                                                                 demandeur

                                                    - et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                  défendeur

                                           ORDONNANCE

Pour les motifs déposés, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question certifiée n'est formulée.

                                                                                 « François Lemieux »            

                                                                                                             Juge                          

Traduction certifiée conforme

Yvan Tardif, B.A., LL.L.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.