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Date : 20040702

Dossier : IMM-1662-03

Référence : 2004 CF 953

Ottawa (Ontario), le 2 juillet 2004

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE MOSLEY                            

ENTRE :

                                                          EVELYN EDNA BAISIE

                                                                                                                                       demanderesse

                                                                             et

                         LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                             défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Evelyn Edna Baisie, la demanderesse, sollicite le contrôle judiciaire de la décision que l'agent d'immigration D. Jonas (l'agent) a rendue le 19 février 2003 de rejeter sa demande d'être exemptée de l'exigence imposée par le paragraphe 11(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR). Elle demandait également qu'il lui soit permis de présenter une demande du statut de résident permanent de l'intérieur du Canada pour des raisons d'ordre humanitaire (la demande CH) en vertu du paragraphe 25(1) de la LIPR. La demanderesse sollicite une ordonnance annulant la décision et une ordonnance renvoyant sa demande CH à un autre agent pour réexamen.


LES FAITS

[2]                La demanderesse a 34 ans et elle est citoyenne du Ghana. Elle est venue au Canada en mars 1997 et a revendiqué le statut de réfugiée. Elle fuyait un ex-mari violent qui apparemment avait menacé de sacrifier l'enfant qu'elle portait alors à des féticheurs, conformément à la pratique religieuse bien connue appelée trokosi, pour racheter des fautes commises par sa famille. Sa demande du statut de réfugiée a été rejetée en 1998.

[3]                La demanderesse a deux fils qui sont nés au Canada en 1997 et en 1999. En janvier 2000, la demanderesse a marié un citoyen canadien, qui n'est pas le père biologique des enfants. La demanderesse n'a pas occupé d'emploi depuis qu'elle est au Canada. Elle a affirmé dans sa demande CH qu'elle avait l'intention de travailler comme adjointe administrative vu qu'elle avait suivi des cours dans ce domaine au Ghana de 1989 à 1991 et qu'elle y avait travaillé comme secrétaire pendant quatre ans.


[4]                Il appert qu'elle a demandé le statut de résidente permanente à titre d'épouse parrainée en 2001. Sa demande a été rejetée en raison de doutes quant à savoir si son mariage était véritable. Elle a alors présenté en septembre 2001 sa demande CH, qui comportait un engagement de parrainage de la part de son mari canadien. Dans cette demande, elle affirmait que, en plus des difficultés que lui causerait la séparation d'avec son mari et du fait qu'elle a deux enfants canadiens qui ont le droit de demeurer au Canada, son retour au Ghana lui faisait courir un risque personnel.

[5]                Dans sa lettre du 22 janvier 2003, l'agent d'ERAR a conclu que, en ce qui avait trait à la partie de sa demande CH fondée sur le risque, la demanderesse ne courait pas de risque si elle retournait au Ghana. L'agent d'ERAR a également conclu que, vu que la preuve documentaire montrait que les jeunes vierges étaient de préférence choisies comme esclaves trokosi des féticheurs, il était peu probable que la demanderesse elle-même ou ses jeunes fils puissent être sujets à ce genre d'esclavage.

[6]                La demanderesse a été invitée de faire des commentaires sur les erreurs ou les omissions du rapport sur le risque, ce qu'elle a fait en présentant des observations additionnelles. Ces observations insistent sur les difficultés auxquelles la demanderesse ferait face personnellement à son retour au Ghana comme proscrite au sein de sa collectivité, vraisemblablement pour avoir abandonné son ex-mari, mais cela n'est pas clair. Le risque de préjudice pour ses enfants est décrit comme corollaire du risque qu'elle courrait personnellement. En réponse aux observations de la demanderesse, l'agent a déclaré en partie ce qui suit :

[traduction] [...] Vu que l'intéressée est visée par une mesure de renvoi (ce qui n'est pas le cas de ses enfants canadiens), le risque n'est évalué que par rapport à elle-même. Je conserve donc mon opinion.


La décision contestée

[7]                L'agent a décidé que, en l'espèce, il n'était pas justifié d'accorder une exemption pour des raisons d'ordre humanitaire quant à l'exigence de présenter la demande de visa du statut de résident permanent à partir de l'étranger. Dans ses notes manuscrites qui, avec les notes du Système de soutien des opérations des bureaux locaux (SSOBL), forment les motifs de la décision en cause, l'agent déclare que :

[traduction]

L'intéressée est mariée à C.C. et a deux enfants nés au Canada (de père inconnu). Sans travail depuis son arrivée au Canada. Elle a travaillé comme secrétaire pendant quatre ans au Ghana et a affirmé qu'elle avait terminé un cours de sténographie au Ghana. Elle affirmé qu'elle souhaitait travailler au Canada comme adjointe personnelle ou administrative.

Les parents de l'intéressée demeurent tous deux au Ghana. Elle est originaire du Ghana et les coutumes et procédures locales devraient lui être familières. Ses enfants sont très jeunes et ils devraient donc pouvoir s'adapter à une nouvelle vie avec l'aide de leur mère. Elle a affirmé que son mari lui donne un soutien total et elle espère qu'il continuera à lui accorder ce soutien. Le ministère accorde la priorité au traitement des demandes des conjoints de Canadiens et, par conséquent, l'absence de l'intéressée du Canada ne devrait pas être excessive.


[8]                Dans un affidavit présenté dans le cadre de la demande d'un sursis qui a été accordé à la demanderesse, l'agent a témoigné qu'il avait pris des dispositions pour qu'un autre examen des risques soit effectué par suite de l'argument de la demanderesse que ses enfants couraient le risque d'être sacrifiés aux féticheurs au Ghana. Dans sa prise en considération des intérêts supérieurs des enfants, il a tenu compte de l'information selon laquelle les enfants ne couraient pas effectivement un risque de préjudice physique, qu'ils étaient très jeunes et dans les toutes premières phases de leur éducation, qu'ils ne semblaient pas avoir de problèmes médicaux et que les parents de la demanderesse, qui étaient demeurés au Ghana, pourraient l'aider si elle y retournait avec ses enfants.

LA QUESTION EN LITIGE

[9]                L'agent a-t-il commis une erreur susceptible de contrôle judiciaire en ne prenant pas adéquatement en considération les intérêts supérieurs des enfants canadiens de la demanderesse, qui sont affectés par la décision sur les considérations d'ordre humanitaire?

ANALYSE DES OBSERVATIONS DES PARTIES

[10]            La demanderesse allègue que, en vertu de l'arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, la décision raisonnable simpliciter est la norme de contrôle qui s'applique à une décision portant sur une demande CH. S'appuyant également sur Baker, la demanderesse affirme que l'agent doit rendre sa décision d'une façon qui démontre qu'il a été réceptif, attentif et sensible à l'intérêt des enfants affectés par la décision parce que les droits et les intérêts de ces enfants sont un facteur important pour la prise de cette décision.


[11]            La demanderesse souligne que la LIPR rend maintenant obligatoire la prise en considération des intérêts supérieurs des enfants affectés directement par une demande CH présentée en vertu du paragraphe 25(1). Elle allègue que les motifs de l'agent ne montrent pas qu'il a été réceptif, attentif et sensible aux intérêts de ses enfants et qu'ils donnent au contraire à penser que ces intérêts n'ont pas été un facteur important pour la prise de la décision.

[12]            La demanderesse affirme que sa situation est semblable à l'affaire Jack c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2000), 7 Imm. L.R. (3d) 35 (C.F. 1re inst.), dans laquelle les motifs de l'agent contenaient une brève remarque similaire, selon laquelle l'enfant de la demanderesse était jeune et pourrait s'adapter au changement. La demanderesse soutient que comme dans Jack, précitée, l'agent n'a fourni aucune évaluation de l'incidence qu'aurait sur les enfants la séparation d'avec leur mère, notamment sur leur rendement scolaire, vu que leur langue maternelle est l'anglais et non la langue parlée au Ghana.


[13]            Le défendeur soutient que l'agent a examiné adéquatement toute la preuve présentée par la demanderesse. Les préoccupations que la demanderesse a mentionnées concernant les risques que ses enfants courraient peut-être au Ghana ont été prises en compte lors de l'examen des risques par l'agent d'ERAR et l'agent de réexamen pouvait raisonnablement confirmer les conclusions de cet examen. La demanderesse n'a présenté aucune observation au sujet de la langue ou du rendement scolaire de ses enfants dans la demande qu'elle a présentée à l'agent. L'agent n'avait pas l'obligation de suppléer aux lacunes des documents que la demanderesse lui avait présentés. Sur ce point, le défendeur invoque la décision Owusu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2003] 3 C.F. 172 (1re inst.), confirmée par [2004] A.C.F. no 158 (C.A.) (QL).


[14]            Dans l'affaire Jack, précitée, la demanderesse avait un enfant né au Canada, âgé de 9 ans, pour lequel elle ne recevait aucun soutien du père. L'enfant n'avait guère de contact avec son père. En plus, la demanderesse avait deux autres enfants à la Trinité aux besoins desquels elle subvenait à partir du Canada. Il n'y avait rien au dossier qui montrait que l'agent d'immigration avait pris en considération les effets que le départ de la demanderesse aurait eu sur l'enfant né au Canada si elle avait décidé de ne pas l'emmener avec elle à la Trinité, ni les effets de la perte de ses moyens de subvenir aux besoins de ses enfants à la Trinité. Dans l'affaire Owusu, précitée, les enfants étaient nés et étaient demeurés au Ghana. Le juge Gibson (qui avait aussi entendu la demande dans Jack) avait conclu que la porté de l'exigence relative à « l'intérêt supérieur des enfants » établie dans l'arrêt Baker ne se limitait pas aux enfants nés ou résidant au Canada et que rien ne permettait d'affirmer au vu du dossier que l'agente s'était montrée « réceptive, attentive et sensible » (Baker, paragraphe 75) aux besoins des enfants. Toutefois, cette lacune était attribuable à l'omission inexcusable du demandeur de fournir une explication quant à la façon dont son renvoi affecterait leurs intérêts. Renvoyer l'affaire pour réexamen à partir des mêmes renseignements entraînerait le même résultat. Ainsi, bien que l'agente eût commis une erreur de droit, le juge Gibson avait refusé d'annuler la décision. La Cour d'appel fédérale avait confirmé la décision quant au résultat, mais avait conclu que l'agente n'avait pas commis d'erreur, parce que le demandeur n'avait pas adéquatement montré quel impact son expulsion pourrait avoir sur l'intérêt supérieur de ses enfants, de manière à créer pour l'agente l'obligation de prendre en considération cette question. La cour a conclu au paragraphe 12 :

Comme l'agente d'immigration n'a commis aucune erreur susceptible de contrôle en rejetant la demande pour des raisons d'ordre humanitaire de M. Owusu, la Cour ne saurait intervenir. Dans une demande de contrôle judiciaire, il n'appartient pas à la Cour de substituer son opinion sur le bien-fondé d'une demande pour des motifs humanitaires à celle du décideur prévu par la loi, même si, au vu du dossier, la demande de statut de résident permanent de M. Owusu, présentée au pays, pour des motifs humanitaires, pourrait s'avérer bien fondée.

[15]            À mon avis, vu le peu d'information que lui avait fourni la demanderesse, l'agent a adéquatement pris en compte les intérêts des enfants canadiens de la demanderesse dans son évaluation de la demande CH, conformément aux normes établies dans l'arrêt Baker, précité. Si la demanderesse avait informé l'agent qu'elle avait l'intention de laisser au Canada ses enfants, comme cela était leur droit d'y demeurer, l'agent aurait eu l'obligation d'examiner l'incidence sur eux de la séparation d'avec leur mère et de s'assurer que des dispositions avaient été prises pour subvenir à leur besoin au Canada, et de prendre ainsi en compte leurs intérêts supérieurs. Le dossier révèle, toutefois, que la demanderesse a dit à l'agent qu'elle emmènerait ses enfants avec elle au Ghana et, en fait, en fonction de cette intention, des dispositions ont été prises pour que le défendeur paye les frais de voyage des enfants. Dans ce cas, il était raisonnable que l'agent concentre son attention sur l'incidence que la réinstallation au Ghana avec leur mère aurait sur les enfants. Bien que ses motifs soient brefs, ils montrent bien qu'il a effectivement pris en compte un certain nombre de facteurs pertinents, tels que la possibilité que la demanderesse obtienne un soutien de la part de ses parents pour ses enfants et pour elle-même.

[16]            Vu que la demanderesse est maintenant mariée, qu'un citoyen canadien subvient à ses besoins et qu'elle a deux enfants nés au Canada qui sont maintenant tous les deux en âge d'aller à l'école, la Cour aurait bien pu en arriver à une conclusion différente sur le fond de la demande CH. Toutefois, il ne s'agit pas d'une raison suffisante pour conclure qu'il y a eu erreur susceptible de révision. Par conséquent, je rejetterai la demande. Ni l'une ni l'autre partie n'ont demandé la certification d'une question.

                                        ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE : La demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question n'est certifiée.

   « Richard G. Mosley »

     Juge

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                IMM-1662-03

INTITULÉ :               EVELYN EDNA BAISIE

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                     

LIEU DE L'AUDIENCE :                              TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                            LE 24 JUIN 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                    LE JUGE MOSLEY

DATE DES MOTIFS :                                   LE 2 JUILLET 2004

COMPARUTIONS :

Ricardo Aguirre                                                 POUR LA DEMANDERESSE

Michael Butterfield                                             POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

RICARDO AGUIRRE                                                  POUR LA DEMANDERESSE

Avocat

Toronto (Ontario)

MORRIS ROSENBERG                                              POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)


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