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     Date : 19990319

     T-477-99

E n t r e :

     SA MAJESTÉ LA REINE,

     demanderesse,

     - et -

     UCAR INC.,

     défenderesse.

     MOTIFS DE LA SENTENCE

     [prononcés à l'audience à Ottawa (Ontario)

     le jeudi 18 mars 1999]

    

LE JUGE McGILLIS

[1]      L'accusée UCAR Inc. (UCAR Canada) a plaidé coupable à l'accusation d'avoir commis l'acte criminel prévu au paragraphe 46(1) de la Loi sur la concurrence, L.R.C. (1985),

ch. C-34, modifiée.

[2]      Voici le texte de l'inculpation contenue dans l'acte d'accusation en réponse auquel UCAR Canada a reconnu sa culpabilité :

         [TRADUCTION]
         L'ACCUSÉE est inculpée :
         D'AVOIR, en tant que personne morale exploitant une entreprise au Canada, entre environ mai 1992 et juin 1997, à Welland, en Ontario, et à divers autres endroits au Canada, appliqué au Canada une directive ou une instruction ou un énoncé de politique ou autre communication provenant d'une ou de plusieurs personnes se trouvant dans un pays étranger qui étaient en mesure de diriger ou d'influencer les principes suivis par UCAR Inc., cette communication ayant pour objet de donner effet à un complot, une association d'intérêts, un accord ou un arrangement intervenu à l'étranger entre UCAR International Inc., une personne morale constituée sous le régime des lois des États-Unis d'Amérique, et une personne ou plusieurs personnes connues et inconnues pour empêcher ou réduire, indûment, la concurrence dans l'achat, le troc, la vente ou la fourniture d'un produit, en l'occurrence des électrodes de graphite, lequel complot, s'il était intervenu au Canada, aurait constitué une infraction visée à l'article 45 de la Loi sur la concurrence, L.R.C (1985), ch. C-34, modifiée..

[3]      Les faits admis par UCAR Canada sont relatés dans l'exposé conjoint des faits et des allégations, qui a été déposé sous la cote 1 dans la présente instance.

[4]      Sur le fondement des faits admis et du plaidoyer de culpabilité, j'ai reconnu UCAR Canada coupable de l'infraction précisée dans l'acte d'accusation.

[5]      En ce qui concerne la peine à appliquer, les avocats de Sa Majesté et de UCAR Canada, qui sont très expérimentés, ont d'un commun accord suggéré à la Cour que la peine qu'il convenait d'infliger eu égard aux circonstances entourant la perpétration de la présente infraction était une amende d'un montant de 11 000 000 $.

[6]      Au soutien de la proposition qui a été faite au sujet de la peine, le procureur de Sa Majesté a présenté des observations détaillées, tant oralement que par écrit. Le document intitulé [TRADUCTION] " Observations de Sa Majesté la Reine au sujet de la peine " a été versé sous la cote 2 au présent dossier. L'avocat de UCAR Canada a également présenté des observations à l'appui de l'amende proposée et a surtout insisté sur les circonstances atténuantes.

[7]      Pour décider si la peine recommandée dans les observations conjointes devrait être infligée à UCAR Canada, la Cour doit tenir compte des circonstances entourant la perpétration de l'infraction.

[8]      UCAR Canada est une filiale de UCAR International Inc. (UCAR International). UCAR International, représente, avec ses filiales, le plus important fabricant mondial d'électrodes de graphite et d'électrodes de carbone entrant dans l'élaboration de l'acier et de l'aluminium. Elle participe également à la production, à la distribution, à la vente et à la fourniture d'électrodes de graphite à l'échelle mondiale. Les électrodes de graphite servent principalement à l'élaboration d'acier dans des fours électriques à arc, la technologie d'aciérage employée par toutes les " mini-aciéries électriques ", et pour l'affinage de l'acier dans des fours-poches. UCAR International possède des usines de fabrication sur les cinq continents et elle vend ses produits aux industries de l'acier, du métal, du ferronickel et du phosphore thermique dans plus de soixante-dix pays. UCAR International emploie environ 5 500 personnes partout dans le monde, et son chiffre d'affaires totalisait 947 000 000 $ US en 1998.

[9]      UCAR Canada vend et fournit des électrodes de graphite de divers diamètres à des producteurs d'acier, à des fonderies et à d'autres utilisateurs de fours électriques à arc ou de fours-poches au Canada et dans ses marchés d'exportation.

[10]      Au Canada, UCAR Canada et son principal concurrent, S.G.L. Canada Inc. (SGL), contrôlaient plus de 90 pour 100 du marché canadien des électrodes de graphite à grande puissance. Au Canada, le chiffre d'affaires total des électrodes de graphite au cours de la période de cinq ans qu'a duré le complot tournait autour de 440 000 000 $ CAN, soit 88 000 000 $ CAN par année. Le chiffre d'affaires de UCAR Canada relativement aux électrodes de graphite au cours des cinq ans qu'a duré le complot se chiffrait pour sa part à environ 214 000 000 $ CAN.

[11]      Vers le mois de mai 1992, des représentants de UCAR International, de SGL et d'autres fabricants d'électrodes de graphite se sont rencontrés et un complot, un accord ou un arrangement est intervenu entre eux (l'entente) pour réduire sensiblement la concurrence sur le marché canadien et ailleurs. À diverses reprises entre mai 1992 et au moins jusqu'en 1997, des représentants de UCAR International et de SGL ont eu des conversations et se sont rencontrés avec des représentants d'autres producteurs et fournisseurs d'électrodes en graphite pour mettre en application l'entente illicite.

[12]      L'entente a duré de mai 1992 jusqu'à au moins juin 1997. En voici les principales modalités :

         [TRADUCTION]
         i)      fixer et maintenir les prix et coordonner les hausses de prix relativement à la vente d'électrodes de graphite au Canada et ailleurs ;
         ii)      discuter et échanger entre elles des renseignements sur le volume de ventes des électrodes de graphite conclues ou à conclure par chacune d'entre elles au Canada ou ailleurs.

[13]      Au cours des rencontres qui ont eu lieu après celle de mai 1992, l'entente a été confirmée, modifiée et reconduite. Lors de ces rencontres, les parties ont également convenu de ce qui suit :

         [TRADUCTION]
         i)      exiger certains prix déterminés pour les électrodes de graphite et autrement hausser et maintenir les prix au Canada et ailleurs ;
         ii)      supprimer les remises sur le prix de vente fixé au Canada et ailleurs ;
         iii)      répartir entre elles le volume approximatif d'électrodes de graphite que chacune des personnes morales conspiratrices doit vendre au Canada et ailleurs ;
         iv)      répartir entre elles le marché par région et désigner dans chaque région une compagnie chargée de fixer le prix que d'autres personnes dans cette région devront respecter ;
         v)      restreindre la capacité de production d'électrodes de graphite et restreindre l'accès des compagnies à certaines technologies de fabrication d'électrodes ;
         vi)      employer des méthodes pour garder l'entente secrète, notamment en recourant à des noms de code ;
         vii)      échanger des renseignements au sujet des ventes et des clients en vue de contrôler et de surveiller l'exécution de l'entente ;
         viii)      publier des avis et des cotations de prix en conformité avec les modalités arrêtées.

[14]      Les parties à cette entente étaient certains cadres supérieurs des organisations en question. Ils ont gardé le secret au sujet de l'entente, de leurs rencontres et de leurs discussions. Pour garantir la confidentialité, des " noms de code " ont été attribués aux participants, des documents ont été détruits et peu de notes ont été conservées. Lors de leurs rencontres, les participants avaient des réunions " de travail " pour discuter de la mise en application de l'entente et pour résoudre des problèmes précis de prix, de commercialisation, de fourniture et de production. Il y a également eu des rencontres semblables entre des cadres supérieurs, dont Robert Krass, l'ancien président-directeur général de UCAR International, et Robert Koehler, son homologue de SGL.

[15]      Pour donner effet à l'entente intervenue au sujet des prix à demander au Canada et des politiques à mettre en oeuvre au sujet de l'absence de remises aux consommateurs, UCAR International a donné à UCAR Canada des directives, instructions ou énoncés de politiques (les directives). UCAR Canada a appliqué ces directives, faisant ainsi en sorte qu'un régime de prix uniforme existe au Canada entre UCAR Canada et SGL.

[16]      Pour appliquer les directives, UCAR Canada et SGL ont, simultanément et à diverses reprises au cours du complot, annoncé à leurs clients canadiens respectifs des prix et des dates de mise en vigueur identiques relativement à leurs électrodes de graphite de 350 mm et de 600 mm, au prix annoncé de 2 645 $ la tonne métrique, à compter de juillet 1992 et au moins jusqu'au mois de juin 1997.

[17]      En 1997, UCAR International a constitué un comité indépendant de son conseil d'administration et l'a chargé d'examiner sa conduite pour déterminer si elle s'était livrée à des activités irrégulières ou illégales relativement à la commercialisation d'électrodes de graphite. À l'issue d'une enquête approfondie menée à l'échelle mondiale, les deux cadres de direction des échelons les plus élevés de UCAR International ont remis leur démission ou ont été destitués de la charge qu'ils occupaient au sein des organisations. Dans les quelques semaines qui ont suivi, UCAR Canada a entrepris des démarches auprès du Bureau de la concurrence pour entamer des pourparlers en vue de régler la question.

[18]      UCAR International et UCAR Canada ont déjà collaboré et ont promis de continuer à collaborer avec le directeur des enquêtes et des recherches dans le cadre de l'enquête menée au sujet de l'industrie des électrodes de graphite au Canada. En raison de la complexité de cette industrie internationale, la collaboration de UCAR Canada a facilité et facilitera le déroulement des enquêtes menées au sujet d'autres personnes physiques ou morales accusées d'avoir enfreint la Loi sur la concurrence en ce qui concerne la fabrication, la production, la distribution, la vente et la fourniture d'électrodes de graphite.

[19]      Les faits de l'espèce révèlent que UCAR Canada, une personne morale importante et sophistiquée qui contrôle un pourcentage important du marché canadien des électrodes de graphite à grande puissance, est depuis longtemps impliquée avec d'autres concurrents, de façon volontaire et délibérée, dans un complot international complexe visant à empêcher ou à restreindre indûment la concurrence internationale sur le marché des électrodes de graphite. L'entente anti-concurrentielle a été ourdie et mise en application par les cadres des échelons les plus élevés de UCAR International, notamment par son ancien président-directeur général et par son ancien chef des opérations. Au cours de la période qu'a duré le complot, UCAR Canada a réalisé un chiffre d'affaires tournant autour de 214 000 000 $ CAN. Le volume du commerce visé par le complot anti-concurrentiel était donc important et a nui à l'importante industrie canadienne de l'acier et de l'aluminium.

[20]      Malgré la gravité de l'infraction commise par UCAR Canada, il y a d'importantes circonstances atténuantes qui militent en sa faveur. En particulier, signalons que UCAR Canada a volontairement révélé sa participation au complot anti-concurrentiel et qu'elle a accepté de collaborer avec le Bureau de la concurrence dans le cadre de l'enquête en cours qui a été ouverte au sujet des agissements des autres présumés conspirateurs. Qui plus est, UCAR Canada a reconnu ses torts et a accepté la responsabilité de ses actes en plaidant coupable dès le début du procès, évitant ainsi un procès long, coûteux et complexe. Finalement, UCAR Canada a offert de réparer le tort causé à sa clientèle canadienne en versant des indemnités totalisant environ 19 000 000 $. Jusqu'à maintenant, UCAR Canada a versé des indemnités de 4 000 000 $ CAN.

[21]      Ayant considéré les faits sous-jacents à la perpétration de l'infraction et les facteurs dont il faut tenir compte en matière d'imposition de peines, notamment de l'effet dissuasif général et particulier, de la taille et de l'importance de la société inculpée, du rôle qu'elle a joué dans le complot, de la durée et de l'ampleur du complot, du caractère délibéré des actes criminels et de toutes les circonstances atténuantes, je suis convaincue que l'amende proposée par les avocats

constitue une peine juste et raisonnable à imposer à UCAR Canada.

[22]      Je condamne donc UCAR Canada à payer sans délai une amende d'un montant de 11 000 000 $ CAN.

                                 D. McGillis

                        
                                 Juge

OTTAWA

Le 19 mars 1999.


Traduction certifiée conforme


Martine Guay, LL.L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER


No DU GREFFE :                  T-477-d99

INTITULÉ DE LA CAUSE :          Sa Majesté la Reine

                         c.

                         UCAR Inc.

LIEU DE L'AUDIENCE :              Ottawa (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :          Le 18 mars 1999


MOTIFS DE LA SENTENCE prononcés par le juge McGillis le 19 mars 1999



ONT COMPARU :

Me Miller                              pour la demanderesse

Me Schippers


Me Rowley, c.r.                          pour la défenderesse

Me Kent


PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

Morris Rosenberg                          pour la demanderesse

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

McMillan Binch                          pour la défenderesse

Toronto (Ontario)

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