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Date : 19981006


Dossier : IMM-4711-97

ENTRE :

     SILVIA GEMIMA VARGAS RODRIGUEZ,

     demanderesse,

     et

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     défendeur.

     MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE McGILLIS

INTRODUCTION

[1]      La demanderesse conteste par voie de contrôle judiciaire la décision par laquelle la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) a décidé qu'elle n'était pas une réfugiée au sens de la Convention. La demanderesse est citoyenne du Mexique.


LES FAITS

[2]      Dans sa revendication du statut de réfugié au sens de la Convention, la demanderesse prétend avoir travaillé à la campagne électorale d'un politicien qui briguait le poste de président municipal de sa ville. La demanderesse et le politicien ont développé des liens personnels. En juillet 1994, le politicien a gagné l'élection et a commencé à éviter la demanderesse, et peu de temps après, celle-ci a découvert qu'il était marié. En mars 1995, il a invité la demanderesse à une réception. Pendant la soirée, le politicien et ses gardes du corps ont violé la demanderesse. Le jour suivant, cette dernière est allée voir la police pour signaler le viol. Toutefois, la police a refusé d'agir, car les allégations visaient le président municipal. La demanderesse a consulté un médecin pour qu'il soigne des lésions internes. Environ deux semaines plus tard, elle a appelé le politicien et l'a menacé de révéler à sa femme et au public qu'il l'avait violée. Il lui a dit de rester calme et que [TRADUCTION] " le pouvoir est merveilleux ".

[3]      D'avril à novembre 1995, la maison de la demanderesse était sous surveillance. En novembre 1995, la police a arrêté la demanderesse au moyen d'un mandat l'accusant de diffamation, de préjudice public envers l'autorité gouvernementale et d'abus de pouvoir. Elle a été emprisonnée pendant quatre jours et torturée. Après sa libération, elle a signé un engagement de se présenter à la police à tous les trois mois. La demanderesse était d'avis qu'elle ne serait en sécurité nulle part au Mexique. Elle craignait notamment que le politicien la trouve n'importe où, grâce à ses liens avec la police et d'autres politiciens. Le père de la demanderesse était un professeur qui ne s'est jamais mêlé de politique. Il craignait le politicien et ne souscrivait pas à l'idée de prendre des mesures contre lui.

[4]      En janvier 1996, la demanderesse est venue au Canada comme touriste. Trois mois plus tard, elle a revendiqué le statut de réfugié au sens de la Convention. À l'audience, elle a témoigné que le politicien faisait campagne pour se faire élire comme membre de l'assemblée législative et qu'il était toujours le président municipal en poste. Elle ne savait pas s'il avait été élu membre de l'assemblée législative.

LA DÉCISION DE LA COMMISSION

[5]      Dans sa décision, la Commission a conclu à l'existence d'un lien avec la Convention en se fondant sur l'opinion politique perçue. La Commission a également conclu que le viol pouvait avoir eu lieu, mais a néanmoins mis en doute [TRADUCTION] " les faits allégués entourant le viol ". À cet égard, la Commission a déclaré :

                  [TRADUCTION] Le tribunal reconnaît que le viol peut avoir eu lieu, mais les actes accomplis par la revendicatrice après le viol soulèvent de sérieux doutes en ce qui concerne les faits allégués entourant le viol. La revendicatrice a témoigné avoir signalé le viol à la police, qui ne l'a pas crue. Elle a demandé des soins médicaux, mais le médecin n'a pas signalé le viol. Elle n'a pas entrepris d'autres mesures comme aller voir un avocat, accuser Rodrigues devant une cour de magistrat ou tout raconter à ses parents et à ses frères. Est-il possible que les circonstances entourant le viol puissent avoir été différentes de celles que la revendicatrice a décrites? Le tribunal ne met pas en doute le fait que le viol ait eu lieu, mais attribue à la revendicatrice la responsabilité de ne pas avoir épuisé tous les moyens de protection dont elle disposait.             

[6]      À la suite de cette partie de son analyse, la Commission a examiné le témoignage de la demanderesse quant à son arrestation et à sa détention alléguées et a conclu que la description de ces incidents était vague et manquait de clarté. La Commission a également conclu que l'arrestation et la détention de la demanderesse [TRADUCTION] " [...] étaient des embellissements destinés à mettre en valeur sa revendication. " Dès après cette conclusion, la Commission a prétendu évaluer la crédibilité de la demanderesse dans son ensemble, indiquant :

             [TRADUCTION] Ce que la revendicatrice attendait de son présumé agresseur n'a pas été clairement établi. Elle a témoigné chercher à obtenir justice, mais on ne sait pas vraiment ce qu'elle entendait par là. Voulait-elle que Rodrigues soit accusé pour l'avoir agressée? Si c'est le cas, elle n'a pas pris les mesures appropriées pour porter une accusation. Voulait-elle que Rodrigues soit dénoncé publiquement; voulait-elle possiblement le ruiner ou le forcer à admettre qu'il l'avait agressée? Si oui, encore une fois elle n'a pas pris les mesures appropriées. Souhaitait-elle le forcer à reconnaître sa liaison avec elle et à divorcer de sa femme? De nouveau, il n'y a aucun indice clair du but qu'elle visait. Espérait-elle se justifier ou obtenir une satisfaction morale en lui faisant reconnaître leur liaison? Il est possible qu'en déclarant " je voulais que justice soit faite " elle souhaitait qu'il soit accusé et puni. Son manque de précision mine sa crédibilité.             

[7]      Enfin, la Commission a résumé ce qu'elle pensait de la revendication :

             [TRADUCTION] Toutefois, le tribunal n'est pas convaincu que les événements allégués, tels que la détention de la revendicatrice par la police, l'incapacité ou le manque de volonté de l'État d'assurer une protection, le pouvoir tentaculaire de Rodrigues qui, même en dehors de ses fonctions, était capable de contrôler la police dans tout le Mexique, sont réellement survenus. Si ces faits allégués ne sont pas survenus, il n'y a rien qui justifie la revendication.             

QUESTION EN LITIGE

[8]      Dans la présente demande de contrôle judiciaire, la question en litige est de savoir si la Commission a commis une erreur en décidant que la demanderesse n'avait pas une crainte fondée de persécution au Mexique.

ANALYSE

[9]      Dans son analyse, la Commission a d'abord conclu que le viol pouvait avoir eu lieu, mais a signalé que les actions de la demanderesse soulevaient de " sérieux doutes " quant au viol. Toutefois, les " sérieux doutes " mentionnés par la Commission n'étaient rien d'autre que des questions fallacieuses et des conjectures non étayées. À la suite de ces élucubrations, la Commission a conclu que le viol était survenu, mais a attribué à la revendicatrice la responsabilité " [...] de ne pas avoir épuisé tous les moyens de protection dont elle disposait. " La Commission paraît être parvenue à cette conclusion directement à cause des questions fallacieuses qu'elle a soulevées, et non sur la foi de la preuve figurant au dossier. En particulier, la preuve documentaire au dossier faisait grandement état d'abus sexuels envers les femmes et de corruption politique au Mexique et contenait également un rapport psychologique confirmant le témoignage de la demanderesse quant au viol et à la torture. En faisant son analyse, la Commission a commis une erreur soit en ne tenant pas compte des éléments de preuve, soit en les interprétant mal. En raison des erreurs commises dans cette partie de son analyse, la Commission a minimisé l'importance du viol dans son évaluation de la crédibilité de la revendication du statut de réfugié au sens de la Convention de la demanderesse.

[10]      La Commission a, par la suite, indiqué dans ses motifs qu'elle n'était pas convaincue que les événements allégués, tels que la détention de la demanderesse par la police, l'incapacité ou le manque de volonté de l'État d'assurer une protection et le pouvoir du politicien " [étaient] réellement survenus ". Elle a conclu que " [s]i ces faits allégués ne sont pas survenus, il n'y a rien qui justifie la revendication. " En parvenant à cette conclusion, la Commission a manifestement commis une erreur, parce qu'elle n'a pas mentionné le viol et son importance centrale évidente dans l'évaluation de la revendication de la demanderesse, ni sa conclusion précédente qu'il y avait un lien avec la Convention.

[11]      La Commission a également conclu de façon subsidiaire que la demanderesse avait une possibilité de refuge intérieur au Mexique. Or, dans son analyse, elle n'a pas mentionné expressément le critère applicable à l'évaluation des chances de succès d'une possibilité de refuge intérieur. Bien que la Commission paraisse de façon générale avoir bien compris les principes sous-jacents au critère applicable, je ne suis pas convaincue qu'elle disposait d'éléments de preuve suffisants pour étayer sa conclusion. En particulier, le dossier ne contenait aucune preuve étayant la conclusion de la Commission qu'[TRADUCTION] " en sa qualité de professeur, la revendicatrice pouvait obtenir un poste dans une autre partie du Mexique où elle pourrait vivre en sûreté. "

DÉCISION

[12]      Compte tenu des erreurs commises par la Commission dans son analyse peu satisfaisante du bien-fondé de la revendication, j'ai conclu que sa décision dans cette affaire était manifestement déraisonnable.

[13]      La demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision de la Commission est annulée et l'affaire renvoyée devant un tribunal de la Commission différemment constitué pour que celui-ci procède à une nouvelle audition et statue de nouveau sur l'affaire. La présente affaire ne soulève aucune question grave de portée générale.

" D. McGillis "

Juge

TORONTO (ONTARIO)

Le 8 octobre 1998.

Traduction certifiée conforme

Martine Brunet, LL.B.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     Avocats inscrits au dossier

NO DU GREFFE :                      IMM-4711-97

INTITULÉ DE LA CAUSE :              SILVIA GEMIMA VARGAS RODRIGUEZ

                             et

                             LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

DATE DE L'AUDIENCE :              LE MARDI 6 OCTOBRE 1998

LIEU DE L'AUDIENCE :              TORONTO (ONTARIO)

MOTIFS DU JUGEMENT PAR :              LE JUGE McGILLIS

EN DATE DU :                      JEUDI 8 OCTOBRE 1998

ONT COMPARU :                     

                             M. Adelso Mancia Carpio

                                 pour la demanderesse

                             M. David Tyndale

                                 pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :             

                             Mancia and Mancia

                             Avocats
                             Boîte postale 79
                             390, rue Bay, bureau 701
                             Toronto (Ontario)
                             M5H 2Y2

                                 pour la demanderesse

                              Morris Rosenberg

                             Sous-procureur général

                             du Canada

                                 pour le défendeur

                            

                             COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                 Date : 1998

                        

         Dossier : IMM-4711-97

                             Entre :

                             SILVIA GEMIMA VARGAS RODRIGUEZ,

     demanderesse,

                             et

                             LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

                        

     défendeur.

                    

                            

            

                                                                                 MOTIFS DU JUGEMENT

                            


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