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                                                        IMM-149-96

 

 

 

 

 

E N T R E :

 

 

 

                    JUAN PETRO VASQUEZ GARCIA,

 

 

                                                        requérant,

 

 

 

                                et

 

 

 

 

 

 

        LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION,

 

 

                                                           intimé.

 

 

 

 

                      MOTIFS DE L’ORDONNANCE

 

 

LE JUGE GIBSON

 

      Il s’agit de la demande de contrôle judiciaire d’une décision d’un agent des revendications refusées (l’agent) en date du 28 décembre 1995 dans laquelle l’agent a conclu que le requérant ne faisait pas partie de la catégorie des demandeurs non reconnus du statut de réfugié au Canada (la catégorie des DNRSRC) visée au paragraphe 2(1) du Règlement sur l’immigration de 1978[1].

 

      Selon l’avocat du requérant, la seule question dont je suis saisi est de savoir si l’agent a violé les règles d’équité dans la procédure, au détriment du requérant, en tenant compte d’une preuve extrinsèque sans donner à celui-ci l’occasion d’y répondre.  La preuve en question, tirée de «The Europa World Year Book 1995» et de «Country Reports on Human Rights Practice for 1994», portait sur les conditions qui avaient cours alors en Équateur, pays dont le requérant est citoyen.  Il s’agit de deux publications disponibles auprès du Centre de documentation de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié.

 

      L’avocat du requérant a prétendu que l’agent n’aurait pas rempli le devoir d’agir équitablement qui lui incombe lorsqu’il prend des décisions de nature strictement discrétionnaire telles les décisions  «pour des raisons d’ordre humanitaire» visées au paragraphe 114(2) de la Loi sur l’immigration[2], lequel devoir est décrit dans l’arrêt Shah v. Minister of Employment and Immigration[3].  Ainsi, il  aurait commis une erreur susceptible de faire l’objet d’un contrôle judiciaire en se fondant sur les documents susmentionnés, que le requérant n’avait pas soumis, sans donner à ce dernier l’occasion d’y répondre.  En outre, l’avocat a prétendu que la décision que l’agent a rendue n’était pas de nature purement discrétionnaire, vu les critères à respecter pour faire partie de la catégorie des DNRSRC prévue par le Règlement sur l’immigration de 1978 et que, par conséquent, le devoir de l’agent d’agir  équitablement à l’endroit du requérant était plus important que celui décrit dans la décision Shah.

 

      À la lumière des faits de l’espèce, je ne crois pas que le devoir de l’agent d’agir équitablement à l’endroit du requérant soit plus important que celui décrit dans l’arrêt Shah.  Dans Kouchek c. Le Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration[4], le juge McKeown a déclaré que les décisions de la nature de celle dont je suis saisi étaient de nature «discrétionnaire».  Je souscris à une telle qualification de la décision de l’agent faisant l’objet du présent contrôle et j’estime qu’il s’agit d’une décision qui s’apparente à une décision «pour des motifs humanitaires», en ce qui concerne le devoir de l’agent d’agir équitablement.

 

      La question consiste donc à déterminer si l’agent a manqué d’équité à l’égard du requérant.  Dans l’affaire Nadarajah c. Le Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration[5], le juge Rothstein écrivait, à l’occasion de faits semblables aux faits de l’espèce :

En général, une preuve extrinsèque est une preuve dont les requérants n'ont pas connaissance parce qu'elle vient d'une source externe. Mais le champ de la preuve extrinsèque aux fins des décisions relevant du paragraphe 114(2) de la Loi sur l'immigration ou aux fins des évaluations du risque en ce qui concerne la catégorie des demandeurs non reconnus n'est pas sans limite. Dans l'affaire Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration c. Dasent, une décision du 18 janvier 1996 de la Cour d'appel fédérale, no du greffe A-18-95, le juge Strayer a estimé que ne constituait pas une preuve extrinsèque la preuve produite par un conjoint à l'occasion d'une entrevue séparée des conjoints, dans un cas où étaient invoquées des raisons d'ordre humanitaire en vertu du paragraphe 114(2) de la Loi sur l'immigration. En ce qui concerne l'information relative à la situation qui a cours dans un pays, si l'information utilisée par l'agent des revendications refusées est une information à laquelle les requérants n'auraient pu avoir accès, et si cette information est essentielle pour la décision qui est prise, alors je crois qu'il pourrait bien s'agir d'une preuve extrinsèque. Ici cependant, l'information visée était comprise dans les matières dont les requérants savaient qu'il serait tenu compte, et il ne ressort nullement du dossier que cette information n'aurait pu être fournie aux requérants s'ils avaient pris les moyens de l'obtenir. Je ne crois pas qu'il s'agisse là d'une preuve extrinsèque, selon le sens donné à cette expression dans l'affaire Shah c. M.E.I. [citation omise]

 

 

            Ce raisonnement a été appliqué dans le cadre de deux autres décisions, d’une part par le juge Rothstein[6], et d’autre part par le juge suppléant Heald qui, dans l’affaire Xavier c. Le Ministre de la Citoyenneté et de l’immigration[7], écrivait :

J’estime que les conclusions tirées par les juges Rouleau et Rothstein, susmentionnées, étaient fondées.  Compte tenu de la norme minimale d’équité applicable aux procédures relatives à la CDNRSRC, je conclus que l’omission de relever les renseignements précis à invoquer dans une évaluation du risque pour la CDNRSRC ne constitue pas une violation des règles d’équité procédurale[8].

 

 

J’estime que l’allusion du juge Heald aux «renseignements précis à invoquer» constitue, en fait, une allusion aux renseignements auxquels le public a accès et qui portent sur les conditions ayant cours dans le pays dont il est question.

 

            Je souscris aux décisions des juges Rothstein et Heald et je conclus, à la lumière des faits en l’espèce, que la preuve portant sur les conditions qui avaient cours en Équateur, sur laquelle l’agent a fondé sa décision ne constituait pas une preuve extrinsèque au sens que lui donne l’arrêt Shah et qu’il n’y a pas eu de violation, de la part de l’agent, du devoir d’agir équitablement à l’égard du requérant.

 

            Dans l’affaire Nadarajah, le juge Rothstein déclarait : 

Les avocats ont mentionné que les agents des revendications refusées ont pour habitude d'indiquer aux requérants les documents qui seront examinés en ce qui concerne les conditions qui ont cours dans un pays. Cela semble être une bonne attitude à adopter dans de tels cas. Cependant, étant donné que, selon l'espèce Shah, le critère d'équité applicable à de telles procédures est très peu rigoureux, il n'y aura pas à mon avis transgression des règles de l'équité dans les affaires de ce genre si l'agent des revendications refusées ne communique pas ladite information, à moins que le public n'y ait pas accès et qu'elle soit essentielle pour la décision à prendre.

 

Encore une fois, bien que je conclue que l’absence de communication de l’information visée ne constitue pas une violation du devoir d’agir équitablement dans des cas comme celui en l’espèce, je conviens que la communication de l’information et l’occasion raisonnable d’y répondre, constituent «une bonne attitude à adopter» dans des cas comme celui en l’espèce.

 

            Dans chacune des décisions des juges Rothstein et Heald précitées, la même question a été certifiée, la voici :

Un agent d'immigration qui procède à un examen en conformité avec les règles concernant les demandeurs non reconnus du statut de réfugié au Canada contrevient-il au principe d'équité énoncé par la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Shah lorsqu'il s'appuie sur une preuve documentaire qui concerne les conditions générales en vigueur dans un pays et qui ne figure pas dans le dossier d'immigration du requérant, sans informer au préalable le requérant de son intention de tenir compte de cette preuve et sans lui donner l'occasion d'y répondre?


La même question sera certifiée, en l’espèce.

 

 

      "Frederick E. Gibson"    

juge

 

Toronto (Ontario)

le 7 novembre 1996

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme___________________________

Bernard Olivier, LL. B.


                                   COUR FÉDÉRALE DU CANADA

 

                                Avocats et procureurs inscrits au dossier

 

 

 

NO DU GREFFE :      IMM-149-96

 

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :     JUAN PETRO VASQUEZ GARCIA

 

                                                     et

 

                                                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                     ET DE L’IMMIGRATION

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :       LE 5 NOVEMBRE 1996

 

LIEU DE L’AUDIENCE :         TORONTO (ONTARIO)

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE PRONONCÉS PAR LE JUGE GIBSON le 7 novembre 1996

 

 

ONT COMPARU :

                                                     M. Lorne Waldman

 

                                                                        pour le requérant

 

 

                                                     Mme Sadian Campbell

 

                                                                        pour l’intimé

 

 

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

 

                                                     Lorne Waldman

                                                     avocat

                                                     281, avenue Eglinton est

                                                     Toronto (Ontario)

                                                     M4P 1L3

 

                                                                        pour le requérant

 

 

                                                     Sadian Campbell

                                                     Ministère de la Justice

                                                     2 First Canadian Place

                                                     Bureau 3400, Exchange Tower, boîte 36

                                                     Toronto (Ontario)

                                                     M5X 1K6

 

                                                     George Thomson   

                                                     Sous-procureur général du Canada

                                                    

 

                                                                        pour l’intimé


                                                     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

 

 

 

 

                                                     No du greffe :         IMM-149-96

 

 

 

 

                                                     Entre :

 

 

                                                     JUAN PETRO VASQUEZ GARCIA,

 

                                                                                                                    requérant,

                                                            et

 

 

                                                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                     ET DE L’IMMIGRATION,

 

                                                                                                                         intimé.

 

 

 

 

 

                                                     MOTIFS DE L’ORDONNANCE

 

 

 

 

 

 

 



     [1]  D.O.R.S./78-172 (tel que modifié)

 

     [2]   L.R.C. 1985, c. I-2

     [3]  (1994), 170 N.R. 238 (C.A.F.)

     [4] 1er mars 1995, IMM-410-95 (non publié) (C.F.1re inst.)

 

     [5]  14 mai 1996, IMM-3384-95 (non publié) (C.F.1re inst.)

     [6]  Dhillon c. Le Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 14 mai 1996, IMM-2775-95 (non publié) et Hardip    Singh,  6 juin 1996, IMM-3525-95 (non publié)

     [7]  1er octobre 1996, IMM-550-96 (non publié) C.F.1re inst.

     [8]  La référence à une décision du juge Rouleau vise la décision Quintanilla c. Canada (Ministre de la Citoyenneté     et de l’Immigration), 22 janvier 1996, IMM-1390-95 (non publié)

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