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Date : 19990409


Dossier : T-1617-98

ENTRE :

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     demandeur,

     et

     CHING SONG LU,

     défendeur.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE GIBSON :

[1]      Ces motifs répondent à l'appel interjeté par le demandeur, en vertu du paragraphe 14(5) de la Loi sur la citoyenneté1 et de la règle 300(c) des Règles de la Cour fédérale (1998)2, de la décision dans laquelle un juge de la Citoyenneté a estimé que le défendeur satisfait pleinement aux conditions de résidence prévues à l'alinéa 5(1)c) de la Loi sur la citoyenneté ainsi qu'aux autres conditions auxquelles la Loi subordonne l'octroi de la citoyenneté. La décision du juge de la Citoyenneté est en date du 17 juin 1998.

[2]      Le juge de la Citoyenneté s'est prononcé en ces termes :

                 [traduction] Le demandeur est arrivé au Canada de Taïwan en 1991. Il est vrai qu'il s'est absenté pour cause d'affaires pendant de longues périodes, mais il s'occupait de cosmétiques à Taïwan et avait créé, au Canada, une compagnie de cosmétiques afin d'exporter vers l'Asie. Il fabrique des cosmétiques ... à Markham et commercialise ses produits dans toute l'Asie. Depuis 1991, il s'est effectivement installé au Canada où il a ancré son existence. Son épouse et ses deux filles sont devenues citoyennes canadiennes il y a plus d'un an. Homme sincère et sérieux, M. Lu préférerait rester au Canada auprès de sa famille mais il lui faut effectuer de nombreux déplacements pour développer ses affaires en Asie. Sa compagnie est canadienne et la fabrication du produit qu'il commercialise emploie 10 personnes à Markham. Après une assez longue entrevue avec M. Lu, j'estime qu'il mérite que l'on donne suite à sa demande de citoyenneté malgré ses longs séjours hors du Canada.                 

Le juge de la citoyenneté conclut en évoquant [traduction] " ... le cadre défini par le juge en chef adjoint Thurlow... dans l'affaire Papadogiorgakis ... "3. Dans ce jugement, le juge Thurlow, juge en chef adjoint à l'époque, écrivit à la page 214 du recueil :

                 Une personne ayant son propre foyer établi, où elle habite, ne cesse pas d'y être résidente lorsqu'elle le quitte à des fins temporaires, soit pour traiter des affaires, passer des vacances ou même pour poursuivre des études. Le fait que sa famille continue à y habiter durant son absence peut appuyer la conclusion qu'elle n'a pas cessé d'y résider. On peut aboutir à cette conclusion même si l'absence a été plus ou moins longue. Cette conclusion est d'autant mieux établie si la personne y revient fréquemment lorsque l'occasion se présente. Ainsi que l'a dit le juge Rand dans l'extrait que j'ai lu, cela dépend [traduction] " essentiellement du point jusqu'auquel une personne s'établit en pensée et en fait, ou conserve ou centralise son mode de vie habituel avec son cortège de relations sociales, d'intérêts et de convenances, au lieu en question ".                 

[3]      Le défendeur est né à Taïwan au mois de mars 1945 et, avant de s'installer au Canada, travaillait à Taïwan dans une entreprise de cosmétiques. Il a reçu le droit d'établissement au Canada, pour lui, son épouse et leurs deux enfants, le 10 août 1991. Il est resté au Canada quelque 18 mois, jusqu'en février 1993. Au cours de ces 18 mois, lui et son épouse ont acheté une maison, deux automobiles et autres indices statiques de résidence. Ainsi que l'indique l'extrait tiré de la décision du juge de la Citoyenneté, le défendeur a créé une entreprise de cosmétiques même s'il ressort du dossier porté devant le juge de la Citoyenneté que la fabrication des cosmétiques est assurée par des personnes autres que la société créée par le défendeur.

[4]      Le défendeur a déposé une demande de citoyenneté canadienne le 12 février 1997. Dans les quatre années précédant la date de sa demande, il a été la plupart du temps absent du Canada, et il lui manquait 910 jours des 1 095 jours prévus à l'alinéa 5(1)c) de la Loi sur la citoyenneté. Il ressort de la documentation fournie au juge de la Citoyenneté que, lors de ses absences, le défendeur se rendait toujours en Asie, principalement à Taïwan, afin de développer la vente de ses produits, aider les représentants de son entreprise, signer des contrats d'achat et entretenir les relations avec la clientèle.

[5]      Le défendeur n'a déposé aucun affidavit auprès de la Cour. Ainsi, les seuls documents dont j'aie officiellement connaissance dans le cadre de cet appel sont le dossier de demande déposé par le demandeur et le dossier porté devant le juge de la Citoyenneté. Le défendeur assurait sa propre représentation devant la Cour et n'a fourni aucun renseignement complémentaire susceptible d'être retenu. Expliquant à la Cour pourquoi il voulait obtenir la citoyenneté canadienne, il s'est borné à répondre que c'était pour faciliter les déplacements internationaux auxquels l'obligeaient ses affaires.

[6]      Vu le critère exposé dans l'affaire Papadogiorgakis précitée, j'estime que c'est à tort que le juge de la Citoyenneté a décidé dans le sens qu'il l'a fait. La documentation produite devant le juge de la Citoyenneté ne porte guère à conclure que le défendeur s'était, en pensée et en fait, bien établi au Canada, où il aurait conservé ou centralisé son mode de vie habituel avec son cortège de relations sociales, d'intérêts et de convenances. Cette documentation ne permet aucunement de conclure que, à la date de sa demande de citoyenneté, le défendeur s'était, de quelque manière que ce soit, intégré à la société canadienne. Il est vrai que lui et son épouse avaient acheté à grand prix une maison et deux automobiles mais, en soi, ce fait ne témoigne pas suffisamment de l'ancrage de son existence. D'après les renseignements fiscaux fournis par le défendeur, le revenu tiré de l'entreprise qu'il a créée au Canada a varié, entre 1992 et 1996, d'un maximum de 33 000 $ en 1992 à un minimum de 9 000 $ en 1996, sommes nettement insuffisantes pour subvenir aux besoins de sa famille dans la maison qu'elle occupait. Compte tenu de ce niveau de revenu, il est difficile, sinon impossible de conclure que l'entreprise canadienne créée par le défendeur justifiait, et permettait d'assurer, les longs déplacements qu'il effectuait en dehors du Canada dans l'intérêt, selon lui, de cette même entreprise.

[7]      Cela étant, j'en conclus que le juge de la Citoyenneté a commis une erreur justiciable du contrôle judiciaire en décidant que le défendeur avait rempli les conditions de résidence prévues à l'alinéa 5(1)c) de la Loi sur la citoyenneté. En conséquence, l'appel est accueilli et la décision du juge de la Citoyenneté est annulée.

" Frederick E. Gibson "

Juge

TORONTO (ONTARIO)

Le 9 avril 1999

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     Avocats inscrits au dossier

No DU GREFFE :                      T-1617-98

INTITULÉ DE LA CAUSE :              LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                        

                             et
                             CHING SONG LU

DATE DE L'AUDIENCE :                  LE MERCREDI 7 AVRIL 1999

LIEU DE L'AUDIENCE :                  TORONTO (ONTARIO)

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :              LE JUGE GIBSON

DATE :                          LE VENDREDI 9 AVRIL 1999

ONT COMPARU :                      Marissa Bielski

                                 pour le demandeur

                             Ching Song Lu

                                 pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :          Morris Rosenberg

                             Sous-procureur général

                             du Canada

                            

                                 pour le demandeur

                             Ching Song Lu

                             20, rue Higginson

                             Markham (Ontario)

                             L3P 5P3

            

                                 pour le défendeur

                             COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                 Date : 19990409

                        

         Dossier : T-1617-98

                             Entre :

                            

                             LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     demandeur,

                             et
                             CHING SONG LU,

     défendeur.

                    

                            

            

                                                                                 MOTIFS DE L'ORDONNANCE

                            

__________________

1      L.R.C. (1985), ch. C-29.

2      DORS/98-106.

3      [1978] 2 C.F. 208 (C.F. 1re inst.).

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