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Date : 20051130

Dossier : IMM-6872-05

Référence : 2005 CF 1620

Montréal (Québec), le 30 novembre 2005

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE MARTINEAU

 

ENTRE :

FARHAT TARIQ

SHAN TARIQ

NUHMAN TARIQ

et

MARYAM TARIQ

 

demandeurs

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

et

 

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE

ET DE LA PROTECTION CIVILE

défendeur

(pour la requête de sursis uniquement)

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Il s’agit d’une requête en vue d’obtenir une ordonnance de sursis à l’exécution d’une mesure de renvoi rendue contre les demandeurs, jusqu’à ce que la Cour rende une décision définitive sur leur demande d’autorisation de contrôle judiciaire concernant l’absence de décision quant à leur demande fondée sur des circonstances d’ordre humanitaire.

 

[2]               La requête doit être rejetée parce que les demandeurs n’ont pas démontré l’existence d’une question sérieuse à trancher.

 

[3]               Par la demande d’autorisation de contrôle judiciaire qui donne lieu à la présente requête, les demandeurs sollicitent tout d’abord un bref de mandamus enjoignant au ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration de rendre décision quant à leur demande pour circonstances d’ordre humanitaire. La décision du ministre dont l’exécution forcée est demandée est régie par l’article 25 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 et ses modifications, qui est rédigé comme suit :  

25. (1) Le ministre doit, sur demande d'un étranger interdit de territoire ou qui ne se conforme pas à la présente loi, et peut, de sa propre initiative, étudier le cas de cet étranger et peut lui octroyer le statut de résident permanent ou lever tout ou partie des critères et obligations applicables, s'il estime que des circonstances d'ordre humanitaire relatives à l'étranger -- compte tenu de l'intérêt supérieur de l'enfant directement touché -- ou l'intérêt public le justifient.

 

 

(2) Le statut ne peut toutefois être octroyé à l'étranger visé au paragraphe 9(1) qui ne répond pas aux critères de sélection de la province en cause qui lui sont applicables.

25. (1) The Minister shall, upon request of a foreign national who is inadmissible or who does not meet the requirements of this Act, and may, on the Minister's own initiative, examine the circumstances concerning the foreign national and may grant the foreign national permanent resident status or an exemption from any applicable criteria or obligation of this Act if the Minister is of the opinion that it is justified by humanitarian and compassionate considerations relating to them, taking into account the best interests of a child directly affected, or by public policy considerations.

 

(2) The Minister may not grant permanent resident status to a foreign national referred to in subsection 9(1) if the foreign national does not meet the province's selection criteria applicable to that foreign national.

 

[4]               Il ressort de la preuve que le 16 mars 2001, les demandeurs ont déposé une demande pour circonstances d’ordre humanitaire qui a été rejetée le 14 mars 2005. Les demandeurs ont choisi de ne pas déposer de demande d’autorisation de contrôle judiciaire de cette décision et ils sont maintenant hors délai pour la contester. Les demandeurs ont présenté une deuxième demande pour circonstances d’ordre humanitaire au cours du mois d’octobre 2005, mais en l’espèce, aucun élément de preuve n’indique que les demandeurs ont déposé cette demande en temps opportun ni qu’ils ont donné au défendeur un délai raisonnable pour l’étudier.

 

[5]               Dans la nouvelle demande pour circonstances d’ordre humanitaire, l’avocat des demandeurs prétend que la demanderesse principale est en danger du fait de ses activités démocratiques de longue date en faveur du P.P.P. Je souligne à cet égard que le risque auquel seraient exposés les demandeurs s’ils retournaient au Pakistan a déjà fait l’objet de deux examens. En premier lieu, le 18 juillet 2004, la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (CISR) a rejeté la demande d’asile des demandeurs au motif qu’elle n’était pas crédible; la Cour a plus tard rejeté la demande d’autorisation de contrôle judiciaire de cette décision. En deuxième lieu, le 21 avril 2005, les demandeurs ont été informés de la décision défavorable quant à l’examen des risques avant renvoi (ERAR). Bien que le juge Kelen ait accordé un sursis le 30 juin 2005, la décision défavorable concernant l’ERAR n’est plus en instance devant la Cour puisque le juge Pinard a rejeté la demande d’autorisation de contrôle judiciaire la concernant le 12 août 2005. Le fait que les demandeurs ne sont pas satisfaits du résultat ne soulève pas en soi une question sérieuse. Il appert que le juge Kelen a estimé que les demandeurs avaient soulevé une question sérieuse en invoquant que l’agent d’ERAR n’avait pas accordé un poids approprié au décès de l’époux de la demanderesse principale ni au certificat de décès de ce dernier. Il est trop tôt, au stade actuel, pour présumer que l’agent qui examinera la nouvelle demande pour circonstances d’ordre humanitaire n’accordera pas le poids qu’il convient au décès de l’époux de la demanderesse principale et au certificat attestant son décès ou à toute autre preuve des demandeurs concernant les risques associés au retour. Quant à l’intérêt supérieur des enfants, il a déjà été évalué à l’occasion de la première demande pour circonstances d’ordre humanitaire.

 

[6]               Les exigences relatives à la délivrance d’un bref de mandamus ont été clairement définies par la jurisprudence. Dans l’arrêt Karavos c. Toronto & Gillies (1948), 3 D.L.R. 294 (C.A. Ont.), la Cour d’appel de l’Ontario a énoncé à cet égard les critères suivants :

[Traduction]

(1) Un droit clair et licite de faire accomplir la chose dont on demande l’exécution, de la manière demandée, et par la personne qui fait l’objet de la demande de redressement. […]

(2) L’obligation dont on demande l’exécution forcée par voie de mandamus doit être née et doit incomber au fonctionnaire au moment de la demande de redressement, et le bref ne sera pas accordé pour forcer l’accomplissement de quelque chose qu’il n’est pas encore tenu de faire. […]

(3) Cette obligation doit être de nature purement ministérielle, c'est-à-dire qu’elle doit « incomber manifestement à un fonctionnaire en vertu d’une loi ou de ses fonctions, et à l’égard de laquelle il n’a aucun pouvoir discrétionnaire ». […]

(4) Il doit y avoir une demande et un refus d’accomplir l’acte dont l’exécution forcée est sollicitée par voie de recours légale.

 

[7]               Dans la décision Mensinger c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1987] 1 C.F. 59 (C.F. 1re inst.), au paragraphe 16, le juge Rouleau a eu recours aux quatre mêmes critères :

L’octroi d’un bref de mandamus est assujetti à quatre conditions : il doit y avoir un droit légal à l’exécution de l’obligation par l’autorité publique; il doit être prouvé que l’obligation est exigible parce que la cour ne peut ordonner l’exécution d’une obligation future; la fonction doit être de nature ministérielle, c’est-à-dire que le décideur ne dispose d’aucun pouvoir discrétionnaire pour ce qui est de l’exécution de l’obligation et il doit y avoir une demande préalable d’exécuter l’obligation et un refus d’y obtempérer. Karavos v. The City of Toronto and Gillies, [1948] O.W.N. 17 (C.A.).

 

[8]               Toutefois, depuis que ces décisions ont été rendues, le nombre de critères auxquels il faut répondre pour obtenir un bref de mandamus a augmenté. Dans l’arrêt Apotex Inc. c. Canada (Procureur général), [1994] 1 C.F. 742 (C.A.F.), au paragraphe 45, la Cour d’appel fédérale a énoncé :

Plusieurs conditions fondamentales doivent être respectées avant qu’un mandamus ne puisse être accordé. Les principes généraux énoncés ci-dessous s’appuient sur la jurisprudence de la Cour (voir globalement, l’affaire O'Grady c. Whyte, [1983] 1 C.F. 719 (C.A.), aux pages 722 et 723, citant Karavos v. Toronto & Gillies, [1948] 3 D.L.R. 294 (C.A. Ont.), à la page 297; et Mensinger c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1987] 1 C.F. 59 (1re inst.), à la page 66.

1. Il doit exister une obligation légale d’agir à caractère public : […]

2. L’obligation doit exister envers le requérant. […]

3. Il existe un droit clair d’obtenir l’exécution de cette obligation, notamment :

a) le requérant a rempli toutes les conditions préalables donnant naissance à cette obligation : […]

b) il y a eu i) une demande d’exécution de l’obligation, ii) un délai raisonnable a été accordé pour permettre de donner suite à la demande à moins que celle-ci n’ait été rejetée sur-le-champ, et iii) il y a eu refus ultérieur, exprès ou implicite, par exemple un délai déraisonnable; […]

4. Lorsque l’obligation dont on demande l’exécution forcée est discrétionnaire, les règles suivantes s’appliquent :

a) le décideur qui exerce un pouvoir discrétionnaire ne doit pas agir d’une manière qui puisse être qualifiée d’« injuste », d’« oppressive » ou qui dénote une « irrégularité flagrante » ou la « mauvaise foi »;

b) un mandamus ne peut être accordé si le pouvoir discrétionnaire du décideur est « illimité », « absolu » ou « facultatif »;

c) le décideur qui exerce un pouvoir discrétionnaire « limité » doit agir en se fondant sur des considérations « pertinentes » par opposition à des considérations « non pertinentes »;

d) un mandamus ne peut être accordé pour orienter l’exercice d’un « pouvoir discrétionnaire limité » dans un sens donné;

e) un mandamus ne peut être accordé que lorsque le pouvoir discrétionnaire du décideur est « épuisé », c’est-à-dire que le requérant a un droit acquis à l’exécution de l’obligation.  […]

5. Le requérant n’a aucun autre recours : […]

6. L’ordonnance sollicitée aura une incidence sur le plan pratique : […]

7. Dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, le tribunal estime que, en vertu de l’équité, rien n’empêche d’obtenir le redressement demandé : […]

8. Compte tenu de la « balance des inconvénients », une ordonnance de mandamus devrait (ou ne devrait pas) être rendue.

 

[9]               Je remarque que la Cour fédérale a appliqué ces critères en droit de l’immigration dans la décision Dragan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 211, conf. par 2003 CAF 233, qui portait sur des retards dans le traitement de demandes de visas. Au paragraphe 39, le juge Kelen relève : 

Dans Apotex Inc. c. Canada (Procureur général), [1994] 1 C.F. 742 (C.A.), conf. par [1994] 3 R.C.S. 1100, [page212], la Cour d’appel fédérale a examiné en profondeur la jurisprudence concernant le mandamus et énoncé les conditions suivantes qui doivent être respectées pour que la Cour délivre un bref de mandamus :

1) Il doit exister une obligation légale d’agir à caractère public.

2) L’obligation doit exister envers le requérant.

3) Il existe un droit clair d’obtenir l’exécution de cette obligation, notamment :

a) le requérant a rempli toutes les conditions préalables donnant naissance à cette obligation;

b) il y a eu i) une demande d’exécution de l’obligation, ii) un délai raisonnable a été accordé pour permettre de donner suite à la demande à moins que celle-ci n’ait été rejetée sur-le-champ et iii) il y a eu refus ultérieur, express [sic] ou implicite, par exemple un délai déraisonnable.

4) Le requérant n’a aucun autre recours adéquat.

 

5) L’ordonnance sollicitée aura une incidence sur le plan pratique. 

 

6) Dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, le tribunal estime que, sur le plan de l’équité, rien n’empêche d’obtenir le redressement demandé.

 

7) Compte tenu de la « balance des inconvénients »,  une ordonnance de mandamus devrait être rendue.

 

[10]           En l’espèce, les observations des demandeurs ne comportent aucune prétention sérieuse pour établir que certains des critères relatifs à la délivrance d’un mandamus mentionnés ci-dessus sont respectés. Le fait qu’une demande fondée sur des circonstances d’ordre humanitaire soit en instance ne justifie pas en soi un report, surtout lorsque la demande est aussi tardive qu’elle l’est dans le cas présent. (Voir Benitez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 1307, A.C.F. no 1802 (C.F.), Wright c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 113, 20 Imm. L.R. (3d) 97, Thirunavukkarasu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1075, A.C.F. no 1350 (QL).)

[11]           Dans la demande d’autorisation de contrôle judiciaire à l’origine de la présente requête, les demandeurs sollicitent en outre une déclaration portant qu’il existe au Pakistan une situation de violations systématiques, flagrantes et massives des droits de l’homme au sens du paragraphe 3(2) de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants de l’Organisation des Nations Unies, A.G. Res. 39/46, U.N. GAOR, supp. no  51, Document des Nations Unies A/39/51 (1984), à la page 197. Ils demandent que cette déclaration générale soit accompagnée d’une autre déclaration affirmant que l’expulsion des demandeurs enfreindrait la Charte canadienne des droits et libertés, Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.-U.), 1982, ch. 11, et les obligations internationales du Canada en matière de respect des droits de la personne.   

 

[12]           Il convient de préciser tout d’abord que la Cour ne possède pas la compétence inhérente pour prononcer la déclaration sollicitée en vertu de l’article 24 de la Charte, à moins que cette compétence ne découle de l’exercice des pouvoirs conférés à la Cour par les articles 18 et 18.1 de la Loi sur les cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F‑7. Il n’existe actuellement aucune décision susceptible de contrôle ou d’annulation. De plus, la Cour ne dispose d’aucun élément de preuve indiquant que l’agent qui étudiera la nouvelle demande pour circonstances d’ordre humanitaire ne se conformera pas à la loi. En conséquence, le jugement déclaratoire sollicité en l’espèce est prématuré.

 

[13]           Il ne sera pas nécessaire que je me penche sur la preuve additionnelle des demandeurs concernant les risques associés au retour. Le critère à triple volet énoncé par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Toth c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1988), 86 N.R. 302 (C.A.F.), est cumulatif. Étant donné que je conclus à l’absence d’une question sérieuse à trancher, il n’y a pas lieu de décider si la preuve en l’espèce répondrait aux critères relatifs au préjudice irréparable et à la prépondérance des inconvénients.

 

 

ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE que la requête en vue d’un sursis présentée par les demandeurs dans le présent dossier soit rejetée. 

 

« Luc Martineau »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-6872-05

 

INTITULÉ :                                       FARHAT TARIQ ET AL.

                                                            demandeurs

                                                            et

 

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L’IMMIGRATION ET AL.

défendeurs

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 MONTRÉAL (QUÉBEC)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 28 NOVEMBRE 2005

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                       LE JUGE MARTINEAU

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 30 NOVEMBRE 2005

 

 

COMPARUTIONS :

 

Stewart Istvanffy

 

POUR LES DEMANDEURS

Sherry Rafai Far

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Stewart Istvanffy

Montréal (Québec)

 

POUR LES DEMANDEURS

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

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