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Date : 20040831

Dossier : IMM-6706-03

Référence : 2004 CF 1190

Ottawa (Ontario), le 31 août 2004

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE SHORE

ENTRE :

                                                         SUME HOSSAIN KHAN

                                                                                                                                    demanderesse

                                                                             et

                    LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                           défendeur

                                         MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

APERÇU

[1]                Pour un juge des faits, il arrive un moment où rien ne fait de sens, peu importe d'où on vient ou peu importe qui, en fait, entend. La crédibilité ou la logique intrinsèque, en soi, n'exige, peut-être pas qu'il y ait une totale harmonie, mais, à tout le moins, qu'il n'y ait pas une totale cacophonie qui occasionne de la dissonance dans cette logique inhérente.


PROCÉDURE JUDICIAIRE

[2]                 Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire, déposée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés[1], de la décision rendue par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) le 16 juillet 2003. Dans sa décision, la Commission a rejeté la revendication du statut de réfugiée présentée par la demanderesse en vertu de l'article 96 de la LIPR et a conclu qu'elle ne serait pas exposée à un risque raisonnable de traitements ou peines cruels et inusités, à une menace à sa vie, ni à un risque de torture au sens de l'article 97 de la LIPR.

L'HISTORIQUE

[3]                La demanderesse, Sume Hossain Khan, est une citoyenne du Bangladesh âgée de 25 ans. Elle revendique le statut de réfugiée au sens de la Convention en raison de son appartenance à un groupe social, soit les femmes persécutées en raison de leur sexe.


[4]                Mme Khan prétend que, en 1998, au cours de sa première année à l'université, elle a été abordée par Suvroto Bian, le chef d'une bande criminelle notoire, lequel lui a fait part de l'admiration qu'il avait pour elle. Il lui aurait dit qu'elle lui appartenait et l'aurait menacée d'enlèvement si elle ne se soumettait pas bien vite à sa volonté. C'est alors qu'il a commencé à la suivre constamment et à insister pour qu'elle l'épouse.

[5]                La mère de Mme Khan s'est mise à craindre pour sa sécurité et a décidé que la meilleure manière de décourager Suvroto Bian était que Mme Khan épouse quelqu'un d'autre. Un mariage a donc été arrangé entre Mme Khan et son cousin en août 1999.

[6]                Suvroto Bian a été emprisonné pendant plusieurs mois pour une autre affaire, peu après le mariage de Mme Khan. À sa libération, Suvroto Bian a appris que Mme Khan s'était mariée et cette nouvelle l'a mis en colère. Il a tenté par intimidation de forcer le mari de Mme Khan à divorcer. Cette tactique a échoué.

[7]                Mme Khan affirme que, en octobre 2000, elle a été amenée de force par Suvroto Bian et sa bande dans une maison où elle a été confinée pendant trois jours. Elle prétend de plus que durant ces jours elle a été agressée physiquement et violée par Suvroto Bian. Mme Khan s'est échappée par une fenêtre le troisième jour pendant l'absence de Suvroto Bian. Bien que la police eût été informée de son enlèvement, celle-ci n'a pas réagi.

[8]                Mme Khan a ensuite passé 13 jours à l'hôpital afin de se remettre de son cauchemar. Après qu'elle eut obtenu congé de l'hôpital, elle est allée vivre avec sa tante à Uttra plutôt que de rentrer chez elle. Elle a agi ainsi afin que Suvroto Bian ne sache pas où elle se trouvait.


[9]                La famille de Mme Khan, notamment son mari, craignait pour sa sécurité et a donc décidé de la faire sortir du Bangladesh. Comme les services d'un agent sont très onéreux, elle n'avait pas les moyens de la faire sortir du pays avec son mari. Mme Khan est donc partie seule en septembre 2001.

[10]            Mme Khan est arrivée au Canada le 9 septembre 2001 et n'a présenté sa demande que le 21 novembre 2001.

LA DÉCISION FAISANT L'OBJET DU PRÉSENT CONTRÔLE JUDICIAIRE

[11]            La Commission a accepté que Mme Khan a établi, dans sa demande, un lien avec un des motifs reconnus dans la Convention, c'est-à-dire les femmes qui craignent d'être persécutées en raison de leur sexe[2].

[12]            La Commission a relevé de nombreuses contradictions dans son témoignage quant à savoir ce qui lui était exactement arrivé, qui dans sa famille avait été attaqué par Bian, si elle serait en sécurité à la maison de sa tante si elle retournait au Bangladesh[3].

[13]            La Commission a estimé qu'il était peu vraisemblable que la demanderesse n'ait pu obtenir des preuves médicales concernant le temps qu'elle avait passé à l'hôpital. Elle a de plus conclu qu'il était peu vraisemblable que le mari de la demanderesse l'aurait appuyé, l'aurait aidé à quitter le Bangladesh, puis aurait eu honte d'elle et l'aurait divorcée.

[14]            La Commission n'a pas accepté les explications de la demanderesse quant à savoir pourquoi elle avait attendu 72 jours pour revendiquer le statut de réfugiée au sens de la Convention et a tiré une conclusion défavorable en raison de ce retard[4].

[15]            La Commission a conclu que la demanderesse aurait pu obtenir la protection de l'État et qu'elle ne s'en était pas prévalue[5].

[16]            La Commission a examiné les Directives concernant les revendicatrices du statut de réfugiée craignant d'être persécutées en raison de leur sexe et a conclu que, comme la demanderesse n'était pas crédible, il ne servait à rien que l'on applique les Directives[6].

[17]            Ayant conclu que la demanderesse n'était pas crédible, la Commission a conclu qu'elle n'était pas une réfugiée au sens de la Convention ni une personne à protéger aux termes de l'alinéa 97(1)a) ou b) de la LIPR.

LES QUESTIONS EN LITIGE

[18]            La Commission a-t-elle commis une erreur susceptible de contrôle judiciaire lorsqu'elle a évalué la crédibilité de Mme Khan ainsi que la vraisemblance de son témoignage?

[19]            La Commission a-t-elle interprété d'une façon erronée la preuve documentaire dont elle était saisie quant au risque de violence à l'égard des femmes au Bangladesh?

ANALYSE

La Commission a-t-elle commis une erreur susceptible de contrôle judiciaire lorsqu'elle a évalué la crédibilité de Mme Khan ainsi que la vraisemblance de son témoignage?


[20]            La Commission a relevé des contradictions entre l'équivalent des notes de l'entrevue au point d'entrée, le Formulaire de renseignements personnels (FRP) de la demanderesse et le témoignage de la demanderesse. Elle en a tiré une conclusion négative. La demanderesse prétend qu'elle a expliqué à l'audience que cela était dû à des erreurs de la part de l'interprète lors de l'entrevue.

[21]            Le défendeur souligne toutefois que la transcription révèle que l'avocat ou la Commission n'a jamais interrogé la demanderesse durant l'audience quant aux contradictions et que celle-ci n'a donné aucune explication quant à ces dernières. La Commission n'a pas commis d'erreur en tirant une conclusion négative.

[22]            La Commission a conclu que la demanderesse n'était pas crédible, notamment en raison du fait que son mari avait attesté un affidavit de divorce en avril 2002, mais, bien qu'elle fut au courant de l'existence de cet affidavit lorsqu'elle a écrit son FRP en juin 2002, Mme Khan a déclaré qu'elle était mariée.

[23]            Mme Khan prétend que cette conclusion était erronée. Durant l'audience, Mme Khan a expliqué à la Commission qu'elle était en fait mariée au moment du dépôt de son FRP. Selon Mme Khan, ce n'est que beaucoup plus tard que son divorce a été arrêté définitivement; donc, selon elle n'y avait aucune contradiction dans la preuve.


[24]            La Cour n'accepte pas cette prétention. La transcription de l'audience révèle que la demanderesse a témoigné qu'elle avait divorcé de son mari en avril 2002. De plus, la demanderesse a expliqué qu'elle avait fait une déclaration différente dans son FRP parce qu'elle désirait discuter du divorce avec son mari, tel que la Commission l'avait souligné dans ses motifs[7].

[25]            La demanderesse a de plus prétendu que la Commission avait conclu qu'elle n'était pas crédible quant à son témoignage selon lequel elle était allée vivre chez sa tante après avoir échappé à Bian.

[26]            Il s'agit d'une mauvaise interprétation de la conclusion de la Commission. À l'audience, on a demandé à Mme Khan pourquoi elle ne disposait d'aucune preuve médicale étayant sa demande. Elle a expliqué qu'elle n'avait personne là-bas qui pourrait la lui envoyer; sa tante et sa belle-mère, entre autres, ne voulaient pas l'aider; elle ne s'entendait pas avec sa belle-mère et sa tante avait trop peur de Bian pour l'aider[8]. La Commission a conclu qu'il était invraisemblable que la tante de la demanderesse se serait sentie suffisamment en sécurité pour abriter Mme Khan pendant plusieurs mois après la fuite de cette dernière, et que, une fois que Mme Khan fut rendue au Canada, elle serait effrayée au point de ne pas vouloir envoyer une preuve médicale à Mme Khan. Cette conclusion n'est pas manifestement déraisonnable.


[27]            Mme Khan conteste également la décision de la Commission que la description qu'elle a faite de la réaction de son mari quant à son enlèvement et quant à son viol était invraisemblable. La demanderesse n'explique toutefois pas précisément en quoi la Commission a commis une erreur. La Commission a conclu qu'il était invraisemblable que le mari de Mme Khan soit solidaire, puis que, tout à coup, il affirme qu'il a honte de la demanderesse et qu'il la divorce. Là encore, la Commission n'a pas commis d'erreur susceptible de contrôle judiciaire en tirant cette conclusion.

La Commission a-t-elle interprété d'une façon erronée la preuve documentaire dont elle était saisie quant au risque de violence à l'égard des femmes au Bangladesh?

[28]            La demanderesse prétend que la Commission n'a pas évalué si sa crainte de la persécution était sérieuse compte tenu de la situation dans le pays des personnes qui sont dans la même situation qu'elle.

[29]            Le défendeur prétend que la Commission n'a pas commis d'erreur dans son appréciation de la preuve documentaire. Bien que la preuve puisse étayer la prétention de la demanderesse qu'un préjudice du genre de celui qu'elle allègue ait été causé et soit toujours causé au Bangladesh, la Commission n'a pas ignoré cette preuve et celle-ci ne change rien aux doutes de la Commission quant à la crédibilité.


[30]            Le défendeur prétend de plus que la Commission a conclu à bon droit ce qui suit : « Même si l'on admet qu'il existe des preuves objectives d'une persécution visant les femmes de la manière dont la demandeure le prétend, la preuve de l'existence d'un fondement objectif ne dégage pas la demandeure de prouver qu'elle a une crainte d'être persécutée[9] » .

[31]            La Commission a évalué si la demanderesse pouvait bénéficier d'une protection adéquate de la part de l'État. La Commission a déclaré ce qui suit dans sa décision :

Selon la preuve documentaire présentée au nom de la demandeure par le conseil, plusieurs mesures juridiques ont été adoptées à partir de 1983 pour protéger les droits des femmes. L'ordonnance de 1983 contre la cruauté faite aux femmes prévoit de lourdes peines, dont l'emprisonnement à vie et la peine de mort, pour des crimes comme l'enlèvement et le viol. Le document révèle cependant qu'en dépit de ces dispositions, les lacunes dans les lois existantes, l'absence d'une application adéquate et le manque d'empressement des forces de l'ordre sont de sérieux obstacles. Sur ce dernier point, ce rapport est en contradiction avec les preuves documentaires objectives plus récentes divulguées par le conseil[10].

Les « preuves documentaires objectives plus récentes » à laquelle la Commission renvoie est le rapport 2002 du département d'État américain (le rapport du DÉ).

[32]            Toutefois, le problème avec cette déclaration, est que, en fait, le rapport du DÉ ne contredisait pas une autre preuve documentaire qui donnait à entendre que les lois adoptées en vue de protéger les femmes ne sont d'ordinaire pas appliquées. Au contraire, le rapport du DÉ tirait la même conclusion[11]. Par conséquent, la Commission a commis une erreur en faisant une mauvaise interprétation de la preuve documentaire dont elle était saisie.


[33]            Néanmoins, cette erreur n'était pas importante. Le défendeur affirme avec raison qu'il ne suffit généralement pas de renvoyer aux situations générales mentionnées dans les dossiers sur les pays afin d'appuyer une décision favorable quant à la reconnaissance du statut de réfugié car elles ne sont spécifiques au demandeur. On doit établir un lien entre la situation générale dans un pays et la probabilité précise qu'un préjudice soit causé au demandeur s'il devait retourner dans ce pays[12]. En l'espèce, comme la Commission n'a aucunement cru Mme Khan, il n'existe aucun lien entre elle et la preuve documentaire dont la Commission a été saisie.

CONCLUSION

[34]            La demande de contrôle judiciaire est rejetée.


                                                                   JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que :

1.         la demande de contrôle judiciaire soit rejetée;

2.                   aucune question ne soit certifiée.

« Michel M.J. Shore »

                                                                                                                                                     Juge                        

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B., trad. a.


                                                             COUR FÉDÉRALE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                     IMM-6706-03

INTITULÉ :                                                    SUME HOSSAIN KHAN

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

                                                                             

LIEU DE L'AUDIENCE :                              TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                            LE 24 AOÛT 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                    LE JUGE SHORE

DATE DES MOTIFS :                                   LE 31 AOÛT 2004

COMPARUTIONS :

Prevandu K. Sapru                                            POUR LA DEMANDERESSE

Rhonda Marquis                                                POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Prevandu K. Sapru                                            POUR LA DEMANDERESSE

Toronto (Ontario)

Morris Rosenberg                                              POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada



[1] L.C. 2001, ch. 27 (LIPR).

[2] Dossier de la demande de la demanderesse, Décision de la Commission, page 3.

[3] Supra, pages 4 à 8.

[4] Supra, pages 11 et 12.

[5] Supra, pages 13 à 16.

[6] Supra, page 17.

[7] Dossier du tribunal, Transcription de l'audience, pages 188 et 189.

[8] Supra, pages 205 et 206, 217 et 218.

[9] Décision de la Commission, page 16.

[10] Supra, page 14.

[11] Dossier du tribunal, rapport du DÉ, page 169.

[12] Sheikh c. Canada (M.E.I.), [1990] A.C.F. no 604 (C.A.); Rahaman c. Canada (M.C.I.) 2002 CAF 89, paragraphe 29; Waheed c. Canada (M.C.I.), 2003 CFPI 329, paragraphe 43.


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