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Date : 20050901

Dossier : IMM-9182-04

Référence : 2005 CF 1204

Ottawa (Ontario), le 2 septembre 2005

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE VON FINCKENSTEIN

ENTRE :

MUSAWAR HUSSAIN QAZI

demandeur

et

MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]         Le demandeur, Musawar Hussain Qazi, est un citoyen pakistanais âgé de 38 ans. Il oeuvrait activement au sein du Parti du peuple pakistanais (PPP) du Pakistan depuis 1987. Au cours de la campagne électorale de 1997, il a prononcé des discours et critiqué la Ligue musulmane du Pakistan (PML), un parti rival qui dirige présentement le Pakistan.

[2]         Le 7 janvier 1997, des coups de feu ont été tirés dans la foule lors d'un rassemblement du PML à Chakwal et un des partisans du PML a été tué, tandis que plusieurs autres étaient blessés. Le demandeur explique que, plus tard le même jour, le secrétaire général du PPP l'a informé qu'un procès-verbal introductif (First Information Report - FIR) avait été enregistré auprès de la police et qu'il était accusé, ainsi que trois collègues de travail du Parti, de meurtre. Le demandeur affirme que, suivant les informations diffusées dans les médias, il était impliqué dans le meurtre d'un partisan du PML. Il a décidé de se cacher.

[3]         La police a réclamé un pot-de-vin de 300 000 roupies en échange de l'abandon des accusations portées contre les suspects. Le pot-de-vin a été versé et le demandeur est rentré chez lui et a participé aux élections de janvier et février 1997. En août 1998, le demandeur a été agressé par des membres du PML. L'incident a été signalé à la police, qui n'a donné aucune suite.

[4]         En octobre 1999, le président Musharaff, du PML, a pris le pouvoir et, suivant le demandeur, il aurait ordonné la réouverture de tous les anciens dossiers politiques non résolus, dont celui du demandeur. Le demandeur raconte qu'en mars 2000, un de ses amis, qui était policier, l'a prévenu que la police procéderait bientôt à son arrestation. Le demandeur est parti pour Lahore où il est demeuré dans la clandestinité jusqu'à son départ du Pakistan, le 31 mai 2000. Il est arrivé au Canada le 4 juin 2000 et a demandé l'asile.

[5]         Le demandeur affirme que la police s'est rendue chez les membres de sa famille au Pakistan et qu'elle les a interrogés au sujet de ses allées et venues. Suivant le demandeur, la dernière de ces visites remonte à décembre 2003, lorsqu'un inconnu en civil s'était présenté au domicile de son père pour s'enquérir de ses allées et venues en affirmant être envoyé par l'Assemblée nationale parce que le gouvernement avait ordonné la réouverture des dossiers politiques et l'arrestation de tous les accusés.

LA DÉCISION

[6]         La Commission a conclu que le demandeur était exclu par application de l'article 98 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés (la LIPR). À titre subsidiaire, la Commission a conclu que, si le demandeur n'était pas exclu, il devait être débouté de sa demande d'asile en raison de son manque de crédibilité.

LES QUESTIONS EN LITIGE

[7]         La présente affaire soulève deux questions litigieuses :

1.          La Commission a-t-elle commis une erreur en concluant que le demandeur était exclu du régime de protection des réfugiés parce qu'il existait des raisons sérieuses de penser que le demandeur d'asile avait commis un crime grave de droit commun avant de venir au Canada au sens de l'alinéa 1Fb) de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés (la Convention) et de l'article 98 de la LIPR?

2.          La Commission a-t-elle commis une erreur en jugeant le demandeur non crédible?

LA NORME DE CONTRÔLE

[8]         Dans le jugement Bitaraf c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2004] A.C.F. no 1095, le juge Phelan traite de la norme de contrôle applicable à l'alinéa 1Fc) de la Convention. Il écrit au paragraphe 18 :

En ce qui a trait à l'interprétation de l'alinéa 1Fc) de la Convention, la norme est la décision correcte, mais en ce qui a trait à l'application du droit aux faits, la norme est la décision raisonnable.

Son raisonnement vaut également pour l'interprétation de l'alinéa 1Fb).

[9]         Les conclusions tirées au sujet de la crédibilité sont évaluées en fonction de la décision manifestement déraisonnable (Umba c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2004] A.C.F. no 17).

ANALYSE

1. La Commission a-t-elle commis une erreur en concluant que le demandeur était exclu du régime de protection des réfugiés parce qu'il existait des raisons sérieuses de penser que le demandeur d'asile avait commis un crime grave de droit commun avant de venir au Canadaau sens de l'alinéa 1Fb) de la Convention et de l'article 98 de la LIPR?

[10]       Pour pouvoir justifier une conclusion d'exclusion, la Commission doit être convaincue, pour reprendre les mots employés à l'alinéa 1Fb) de la Convention - incorporés par renvoi à l'article 98 de la LIPR -, qu'elle a affaire à une personne dont on a « des raisons sérieuses de penser qu'[elle a] commis un crime grave de droit commun en dehors du pays d'accueil avant d'y être admis[e] comme réfugi[é] » .

[11]       En l'espèce, il est acquis aux débats que le crime reproché dans le mandat est un crime grave de droit commun. Que faut-il alors entendre par « raisons sérieuses de penser » ?

[12]       La Cour d'appel fédérale a déclaré, dans l'arrêt Lai c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2005 CAF 125, aux paragraphes 23 et 25 :

Dans une récente décision de la Cour, soit Xie c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2004), 243 D.L.R. (4th) 385, 2004 CAF 250, paragraphe 23, autorisation de pourvoi à la C.S.C. refusée, Bulletin des procédures de la C.S.C., 2005, p. 444, il a été établi qu'une audience concernant une « exclusion » aux termes de la section 1Fb) n'est pas de la même nature qu'un procès criminel, où le ministre doit prouver la culpabilité ou l'innocence hors de tout doute raisonnable. Il incombe au ministre de démontrer, à la lumière de la preuve présentée à la Commission, qu'il existe « des raisons sérieuses de penser » que [le demandeur a] commis des crimes graves de droit commun en Chine avant d'arriver au Canada.

La norme de preuve qu'il faut utiliser dans l'application du critère minimal va au delà du simple soupçon mais sans aller jusqu'à la norme de droit civil de la prépondérance de la preuve (voir la décision Zrig au paragraphe 174; et Ramirez c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] 2 C.F. 306, pages 312 à 314 (C.A.)).

[13]       Il y a lieu de retenir les points suivants :

a.    un mandat accusant le demandeur de meurtre a été produit;

b.    le mandat a été introduit par le demandeur;

c.    l'affidavit du père du demandeur confirme l'existence du mandat;

d.    la lettre de l'avocat du demandeur fait mention du mandat non exécuté et elle n'en conteste nullement l'authenticité.

[14]       Toutefois :

a.    le mandat ne portait pas le numéro de FIR exigé par les lois pakistanaises;

b.    l'ambassade n'a pas été en mesure de confirmer l'authenticité du mandat après vérification auprès des autorités policières centrales;

c.    l'autorité de laquelle émanait le mandat n'en a pas confirmé l'authenticité à l'ambassade du Canada.

[15]       La Commission a tiré les conclusions suivantes :

L'enquête du ministre relative à la validité du mandat d'arrestation a permis de trouver une preuve qui influe sur la valeur probante du mandat. Toutefois, j'estime que l'absence de numéro de procès-verbal introductif sur le mandat et le fait que le registraire du poste de police municipal, à Chakwal, n'a pu trouver aucun relevé témoignant de la réception d'un « mandat d'arrestation » daté du 18 mars 2000 à l'égard d'une personne nommée « Musawar » , alors que « normalement » les postes de police reçoivent de tels mandats par voie officielle des tribunaux dans un délai de deux jours, n'attaque pas la validité du mandat, étant donné les recherches limitées disponibles à cet égard. Bien que je n'accorde pas une pleine valeur probante au mandat, j'estime qu'il a une importante valeur probante et, bien que j'estime la preuve insuffisante pour décider de la question avec certitude, je l'estime suffisante pour conclure, selon la prépondérance des probabilités, que le mandat est valide. (Dossier de la demande, aux pages 23 et 24).

[16]       Si j'interprète correctement ce passage quelque peu nébuleux et confus, je conclus que la Commission a jugé le mandat authentique. Eu égard au contexte, cette conclusion n'est pas déraisonnable, d'autant plus que c'est le demandeur qui a fourni tous les éléments de preuve relatifs à son authenticité.

[17]       Le demandeur affirme toutefois qu'il ne s'agit pas de savoir si le mandat est authentique, mais plutôt de savoir si son contenu est véridique. Il ne prétend pas que le mandat soit un faux - après tout, c'est lui qui l'a produit - mais que les charges qu'il contient ont été inventées de toutes pièces.

[18]       La Commission doit être convaincue que l'intéressé est une personne dont on a « des raisons sérieuses de penser qu'[elle a] commis un crime grave de droit commun en dehors du pays d'accueil avant d'y être admis[e] comme réfugi[é] » . Normalement, la Commission ne s'enquiert pas de la culpabilité ou de l'innocence du demandeur qui fait l'objet d'accusations à l'étranger (Moreno c. Canada (M.E.I.), [1994] 1 C.F. 298). Sauf en cas d'allégations de fausses accusations, l'existence d'un mandat en cours de validité délivré par un pays étranger remplit la condition des « raisons sérieuses de penser » .

[19]       Cependant, lorsque, comme en l'espèce, le demandeur affirme que les accusations sont inventées de toutes pièces, la Commission doit aller plus loin. Elle doit déterminer si les allégations sont fondées ou non; autrement dit, elle doit déterminer si le demandeur est crédible. Si la Commission juge le demandeur crédible, la simple existence du mandat ne sera peut-être pas suffisante.

[20]       Ce qui nous amène à la conclusion que la Commission a tirée au sujet de la crédibilité et dont elle s'est d'ailleurs servie pour appuyer ses conclusions subsidiaires d'inclusion.

[21]       La Commission a conclu, pour les raisons suivantes, que le demandeur n'était pas crédible en ce qui concerne son allégation que les accusations étaient inventées de toutes pièces :

a)    malgré le fait que onze mois s'étaient écoulés entre les deux audiences tenues dans cette affaire, le demandeur n'avait produit aucune document à l'appui au sujet des circonstances entourant le dépôt des accusations, tels que des articles de journaux de l'époque (alors que, de son propre aveu, c'est en lisant ces articles qu'il avait été mis au courant des accusations);

b)    il avait changé sa version plusieurs fois en ce qui concerne le policier/ami qui l'avait prévenu en mars 2000, un ami dont il n'arrivait d'ailleurs pas à se rappeler le nom;

c)    le témoignage du demandeur était contradictoire au sujet du moment où la police s'était informée de lui pour la dernière fois (2000 ou 2003);

d)    le demandeur a produit une lettre intéressée de son père au sujet d'une présumée enquête et de présumées menaces ayant pour auteur un député de l'Assemblée nationale, lettre qui, comme par hasard, n'est arrivée qu'après la reprise de l'audience au cours de laquelle la question avait été soulevée.

[22]       La Commission a également estimé que le demandeur n'était de façon générale pas crédible (lorsqu'elle a traité de la question de l'inclusion) parce que :

a)    sept années s'étaient écoulées depuis les faits relatés dans le mandat. La Commission a jugé peu plausible qu'après une aussi longue période, le gouvernement réactive un mandat visant un collaborateur aussi effacé du PPP que le demandeur alors que, de son propre aveu, le mandat n'avait jamais été exécuté par suite du pot-de-vin qui avait été versé;

b)    la preuve documentaire ne contenait aucun élément corroborant son explication selon laquelle on assistait à une réactivation des accusations portées contre les membres du PPP comme outil de répression politique;

c)    le secrétaire général du PPP qui l'avait prévenu en premier occupe encore son poste au sein du PPP.

[23]       Il est de jurisprudence constante que les conclusions relatives à la crédibilité se situent au coeur même de la compétence de la Commission et qu'elles ne doivent être modifiées que si elles sont manifestement déraisonnables. Ainsi que le juge en chef adjoint Jerome l'a dit dans le jugement Sommariva c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1996] A.C.F. no 410, au paragraphe 6 :

Les questions se rapportant à la crédibilité d'un requérant relèvent de la compétence de la section du statut de réfugié en tant que juge des faits, à l'égard des revendications du statut de réfugié au sens de la Convention. Lorsque, comme en l'espèce, la décision contestée d'un tribunal se rapporte à la crédibilité d'un témoin, la Cour hésitera à modifier cette décision, étant donné la possibilité et la capacité du tribunal d'évaluer le témoin, son comportement, sa franchise, son aptitude à répondre, sa cohérence, dans un témoignage oral rendu devant ce tribunal.

[24]       De même, les autres explications avancées par les demandeurs ne suffisent pas à infirmer les conclusions tirées par la Commission au sujet de la crédibilité. Ainsi que la juge Snider l'écrit dans le jugement Sinan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2004] A.C.F. no 188, au paragraphe 11 :

Les demandeurs ont avancé d'autres explications possibles quant à plusieurs des conclusions de la Commission. Lorsque la norme de contrôle est, comme en l'espèce, celle du caractère manifestement déraisonnable, il ne suffit pas de présenter un autre raisonnement - même dans le cas où il peut s'agir d'une explication raisonnable. Ce que les demandeurs doivent faire, c'est souligner une conclusion de la Commission qui n'est aucunement étayée par la preuve.

[25]       En l'espèce, les conclusions tirées par la Commission au sujet de la crédibilité sont bien fondées et elles ne sont certainement pas manifestement déraisonnables, et les autres explications avancées par le demandeur ne rendent pas les conclusions de la Commission injustifiables.

[26]       Ayant conclu que le demandeur n'était pas crédible, la Commission pouvait légitimement écarter son allégation que les accusations portées contre lui étaient inventées de toutes pièces, compte tenu du fait qu'il n'avait fourni aucun autre élément de preuve. Ainsi, l'existence d'un mandat (jugé authentique), conjuguée à l'absence de crédibilité du demandeur (ce qui minait d'autant toute allégation de fausse accusation), étaient suffisantes pour répondre à la condition des « raisons sérieuses de penser [que le demandeur a] a commis un crime grave de droit commun en dehors du pays d'accueil avant d'y être admis[e] comme réfugi[é] » .

[27]       Le demandeur n'a pas établi que la conclusion d'exclusion de la Commission était manifestement déraisonnable. Il doit donc être débouté de sa demande. Ayant tiré cette conclusion, la Cour n'a aucune raison de réviser la conclusion tirée par la Commission au sujet de l'inclusion.

ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que la présente demande soit rejetée.

« Konrad von Finckenstein »

Juge

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                         IMM-9182-04

INTITULÉ :                                        MUSAWAR HUSSAIN QAZI

c.

MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                  Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                le 30 août 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE:                        le juge von Finckenstein

DATE DES MOTIIFS :                     le 2 septembre 2005

COMPARUTIONS:

Karina Thompson                                                                      POUR LE DEMANDEUR

Janet Chisholm                                                              POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Karina Thompson                                                                      POUR LE DEMANDEUR

Avocate

179, rue Carlton

Toronto (Ontario)

M5A 2K3

416-413-4955

Janet Chisholm                                                              POUR LE DÉFENDEUR

Ministère de la Justice

Exhange Tower

130, rue King Ouest, bureau 3400

C.P. 36

Toronto (Ontario)

M5X 1K6

416-952-6991

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