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Date : 20020204

Dossier : T-690-01

Référence neutre :2002 CFPI 130

Toronto (Ontario), le lundi 4 février 2002

EN PRÉSENCE DE :             Madame le juge Dawson

ENTRE :

LAWRENCE BADGER, en son propre nom et au nom de

tous les membres non résidents de la NATION CRIE DU LAC STURGEON également connue sous le nom de PREMIÈRE NATION DU LAC STURGEON

                                                                                                                                           demandeur

                                                                          - et -

LA NATION CRIE DU LAC STURGEON, également connue sous le nom de PREMIÈRE NATION DU LAC STURGEON, CLYDE GOODSWIMMER, KEVIN HAMELIN, BARBARA GOODSWIMMER, S. LEROY KIYAWASEW, D. RICHARD KAPPO, SHELDON SUNSHINE et JOHN DOE

                                                                                                                                           défendeurs

                             MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE DAWSON

[1]                 M. Badger réclame une ordonnance lui accordant l'autorisation de modifier son avis de demande ou, subsidiairement, une ordonnance lui accordant l'autorisation de déposer une deuxième demande de contrôle judiciaire.


[2]                 Dans la présente demande de contrôle judiciaire, M. Badger conteste la décision de l'agent d'élection de la Nation crie du lac Sturgeon, aux termes de laquelle M. Badger et d'autres membres n'ont pas pu voter aux élections du conseil de bande parce qu'ils ne résidaient pas dans la réserve. M. Badger cherche maintenant à soulever une nouvelle question : l'éligibilité de certains candidats au poste de chef ou de conseiller de la bande dans des circonstances où ils n'étaient peut-être pas éligibles en vertu de l'article 6.4 du Customary Election Regulations of the Sturgeon Lake First Nation (le Règlement) parce qu'ils devaient de l'argent à la bande, et qu'ils n'avaient pas établi de calendrier de remboursement trois mois avant l'élection, comme le prévoit l'alinéa 6.2e) du Règlement.

[3]                 La chronologie des événements est la suivante. Le 13 mars 2001, une liste des candidats confirmés aux postes de chef et de conseiller a été affichée par l'agent d'élection et l'élection s'est tenue le 23 mars 2001.

[4]                 Par la suite, des avis d'appel ont été déposés par plusieurs candidats défaits aux termes des aliénas 12.1a) et b) du Règlement. Ces dispositions sont rédigées dans les termes suivants :

[TRADUCTION]

12             APPELS EN MATIÈRE D'ÉLECTION

12.1          Motifs d'appel en matière d'élection


Dans un délai de quatorze (14) jours consécutifs à compter du jour du scrutin, ou au cas où un conseiller ou le chef est élu par acclamation, dans un délai de quatorze (14) jours consécutifs à la suite du jour de l'assemblée de mise en candidature, tout candidat peut en appeler des résultats d'une élection, d'une élection complémentaire ou d'un scrutin de ballottage si, pour des motifs raisonnables et probables, il croit :

a)             qu'une erreur a été commise dans l'interprétation ou l'application du Règlement qui touche directement et de façon importante le déroulement et le résultat d'une élection, d'une élection complémentaire ou d'un scrutin de ballottage;

b)             qu'un candidat ne respectait pas les conditions de participation énoncées à l'article 6.4.

[5]                 Quatorze appels étaient fondés sur le motif qu'un ou plusieurs des candidats ne respectaient pas les conditions de participation de l'article 6.4 du Règlement.

[6]                 En vertu du Règlement, tout appel doit être entendu par un comité d'appel en matière d'élection et l'article 12.7 du Règlement est rédigé dans les termes suivants :

[TRADUCTION]

12.7          L'appelant, la personne au sujet de laquelle l'appel est formé et toutes les autres parties intéressées ou leurs représentants peuvent présenter des observations orales ou écrites au Comité [d'appel en matière d'élection] à l'assemblée.

[7]                 Le Comité d'appel en matière d'élection s'est réuni le 6 avril 2001 et a réglé plusieurs appels ce jour-là. Il a décidé qu'un scrutin de ballottage devait se tenir pour un poste de conseiller. M. Badger n'a pas présenté d'observations au Comité d'appel. Aucune contestation par voie de contrôle judiciaire n'a suivi la décision du Comité d'appel.


[8]                 La présente demande de contrôle judiciaire a été déposée le 23 avril 2001. Le certificat de l'agent d'élection, qui se compose du dossier dont il était saisi, a été déposé le 20 juin 2001. Le 17 juillet 2001, l'avocat de M. Badger a fait savoir que la question de l'éligibilité des candidats pourrait être soulevée par M. Badger à une étape ultérieure. Le 26 juillet 2001, M. Badger a établi sous serment l'affidavit à l'appui de la demande de contrôle judiciaire et a déclaré qu'il avait l'intention de demander à modifier l'avis de demande pour soulever la question de l'éligibilité des candidats. La requête pour modifier son avis de demande a été déposée le 20 novembre 2001.

[9]                 Les principes généraux régissant les modifications sont les suivants : la modification devrait être autorisée pourvu qu'elle ne cause pas d'injustice et qu'elle serve les intérêts de la justice. Voir : Canderel Ltée c. Canada, [1994] 1 C.F. 3 (C.A.F.).

[10]            Si l'on applique ces principes, je conclus, pour les motifs qui suivent, qu'autoriser la modification ne servirait pas les intérêts de la justice.

[11]            Tout d'abord, cette modification serait contraire à la règle 302 des Règles de la Cour fédérale, 1998 (les Règles) et la politique qu'elle traduit. La règle 302 est rédigée dans les termes suivants :



302. Sauf ordonnance contraire de la Cour, la demande de contrôle judiciaire ne peut porter que sur une seule ordonnance pour laquelle une réparation est demandée.

302. Unless the Court orders otherwise, an application for judicial review shall be limited to a single order in respect of which relief is sought.


[12]            La règle a pour but d'assurer le déroulement rapide et spécifique de la contestation d'une seule décision ou ordonnance.

[13]            En cherchant à contester la décision de l'agent d'élection concernant l'éligibilité des candidats, M. Badger ne conteste pas un processus électoral continu. Il cherche plutôt à contester deux décisions différentes rendues par deux organismes décisionnels. L'une de ces décisions concerne l'admissibilité des électeurs, et l'autre l'éligibilité des candidats. Une décision a été prise par l'agent d'élection, l'autre par le Comité d'appel en matière d'élection.

[14]            En outre, la présente demande de contrôle judiciaire n'est pas une contestation généralisée du processus électoral, mais plutôt une contestation précise qui soulève la question de savoir si la décision de la Cour suprême du Canada dans Corbiere c. Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), [1999] 2 R.C.S. 203, peut s'appliquer à cette élection qui s'est tenue en vertu du Règlement. La nouvelle question proposée est largement une question de fait, et porte sur le statut de débiteur de plusieurs personnes.

[15]            Bien que la Cour ait le pouvoir discrétionnaire de passer outre à la condition selon laquelle une demande de contrôle judiciaire devrait être limitée à une seule ordonnance, je ne suis pas persuadée qu'il convient d'exercer ce pouvoir discrétionnaire lorsqu'il s'agit de décisions différentes rendues par des tribunaux différents sur des questions différentes.


[16]            Deuxièmement, la requête en vue de modifier l'avis de demande est déposée bien après le délai prévu pour contester la décision du 6 avril 2001 du Comité d'appel en matière d'élection confirmant l'élection. À mon avis, cette décision a bien été communiquée à M. Badger et aux autres personnes intéressées quand le Comité d'appel a ordonné le 6 avril 2001 la tenue d'un scrutin de ballottage pour un poste de conseiller.

[17]            Troisièmement, je ne suis pas convaincue que M. Badger avait depuis le début l'intention requise de soulever cette question, ou qu'il a agi avec diligence à cet égard. Le Règlement prévoit un code pour le déroulement des élections de la Première nation. M. Badger reconnaît qu'il y avait des rumeurs voulant que certains candidats ne pouvaient pas poser leur candidature. Aucune explication n'est donnée quant à savoir pourquoi il n'a pas assisté à la réunion du Comité d'appel en matière d'élection, dont l'avis de convocation a été affiché, ni pourquoi il n'a pas présenté d'observations orales ou écrites au Comité sur cette question, comme il était en droit de le faire. Aucune explication n'est fournie pour le délai à déposer la présente requête en vue de modifier l'avis de demande après que M. Badger eut reçu le certificat de l'agent d'élection le ou vers le 20 juin 2001, certificat qui renferme les documents sur lesquels M. Badger s'appuie pour soulever cette nouvelle question.


[18]            En outre, on ne m'a pas convaincue que les défendeurs ne subiront pas de préjudice si la modification est autorisée. J'accepte que les défendeurs et tous les membres de la Nation crie du lac Sturgeon ont un intérêt certain à ce que le processus d'élection se déroule le plus rapidement possible. À cette fin, un processus d'appel précis est énoncé dans le Règlement, et un délai de 30 jours est fixé au paragraphe 18.1(2) de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, pour des contestations ultérieures par voie de contrôle judiciaire.

[19]            Le processus d'appel prévu dans le Règlement a été utilisé par quatorze candidats défaits qui ont interjeté appel en invoquant le motif que M. Badger cherche maintenant à faire valoir. Pour une raison ou pour une autre, aucun de ces quatorze appelants n'a choisi d'aller au-delà de la décision du Comité d'appel en matière d'élection.

[20]            Le Règlement prévoit un délai équitable à l'intérieur duquel on peut contester l'éligibilité des candidats. À mon avis, l'intérêt de la justice n'exige pas une prorogation de ce délai, et il doit y avoir un préjudice inhérent au fait de susciter maintenant de l'incertitude dans l'esprit de la Première nation quant à la validité de l'élection pour un motif autre que l'applicabilité potentielle de l'arrêt Corbiere, précité.


[21]            Les défendeurs feront également face à des dépenses accrues si le délai est prorogé. Bien qu'habituellement ce préjudice puisse être compensé par l'adjudication des dépens, en l'espèce, M. Badger déclare sous serment qu'il [TRADUCTION] « ne peut assumer le coût de cette demande de contrôle judiciaire sans l'aide d'autres personnes, encore moins le coût d'une deuxième demande de contrôle judiciaire » .

[22]            Pour ces motifs, dans l'exercice de mon pouvoir discrétionnaire, je conclus que la modification ne doit pas être autorisée.

[23]            Le redressement subsidiaire réclamé, savoir l'introduction d'une nouvelle procédure et la réunion des instances, recherche indirectement ce que j'ai décidé que M. Badger ne peut obtenir directement.

[24]            Dans la mesure où une autorisation est demandée de déposer une deuxième demande, je suis convaincue que la demande est hors délai parce que la décision concernant l'éligibilité des candidats a été communiquée soit au moment de l'affichage de la liste des candidats confirmés le 13 mars 2001, soit par la décision du Comité d'appel en matière d'élection le 6 avril 2001, qui a ordonné la tenue d'un scrutin de ballottage. Par conséquent, il faut obtenir une prorogation de délai.

[25]            Les principes applicables à l'octroi d'une prorogation de délai ont été énoncés par la Cour d'appel fédérale dans Grewal c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1985] 2 C.F. 263 (C.A.F.) dans lequel la Cour a statué à la majorité ce qui suit aux pages 277 et 278 :


Reste cependant à savoir s'il existe quelque motif convaincant, quelque justification valable, pour n'avoir pas fait la demande dans le délai de dix jours et si les fins de la justice exigent que la prorogation soit accordée.

Pour répondre à la première de ces questions, il faut notamment se demander si le requérant avait, dans le délai de 10 jours, l'intention de présenter sa demande et s'il a toujours eu cette intention par la suite. Tout abandon de cette intention, tout relâchement ou défaut du requérant de poursuivre cette fin avec la diligence qui pouvait raisonnablement être exigée de lui ne pourrait que nuire considérablement à ses chances d'obtenir la prorogation. La longueur de la période pour laquelle la prorogation est exigée et la question de savoir si cette prorogation causerait un préjudice à la partie adverse et, si c'est le cas, la nature de ce préjudice, sont également pertinentes. Cependant, en dernière analyse, la question de savoir si l'explication donnée justifie la prorogation nécessaire doit dépendre des faits de l'espèce et, à mon avis, nous commettrions une erreur si nous tentions d'énoncer des règles qui auraient l'effet de restreindre un pouvoir discrétionnaire que le Parlement n'a pas jugé bon de restreindre.

[26]            Il s'agit en substance d'une exigence selon laquelle la personne qui demande une prorogation de délai doit démontrer qu'elle a fait preuve de diligence.

[27]            Pour les raisons énoncées ci-dessus, je ne suis pas convaincue que M. Badger avait l'intention nécessaire de contester la décision dans le délai prescrit par le paragraphe 18.1(2) de la Loi sur la Cour fédérale, ou qu'il a poursuivi cette question avec diligence. Pour les motifs que j'ai également donnés ci-dessus, je suis convaincue que les défendeurs subiront un préjudice si la prorogation de délai est accordée.

[28]            J'ai également tenu compte du fait que dans les demandes de prorogation de délai la Cour peut également avoir à pondérer le bien-fondé possible de la cause si celle-ci est autorisée à se poursuivre : voir Lancashire c. Canada (Conseil du Trésor) (1997), 220 N.R. 54 (C.A.F).


[29]            En l'espèce, M. Badger demande à la Cour d'inférer de la présence d'un tableur dans le certificat de l'agent d'élection qui est censé dresser la liste des candidats, établir s'ils doivent de l'argent à la bande, si un calendrier de remboursement avait été fixé, et du fait que les candidats n'ont pas été disqualifiés, que l'agent d'élection a décidé d'ignorer le Règlement. C'est une inférence qu'il est difficile de tirer en l'absence d'une preuve quant à l'origine, à la date ou à l'exactitude de ce tableur.

[30]            Bien que le tableur ait pu soulever une question défendable, je conclus, dans l'exercice de mon pouvoir discrétionnaire, que les autres facteurs énoncés ci-dessus ne militent pas en faveur de l'octroi d'une prorogation de délai.

[31]            Par conséquent, la requête de M. Badger sera rejetée. Les coûts de la requête seront adjugés par le juge qui entendra la demande de contrôle judiciaire.


ORDONNANCE

[32]            Pour les motifs précités :

1.          La requête du demandeur est rejetée.

2.          Les coûts de la présente requête seront déterminés à l'issue de l'audition de la demande de contrôle judiciaire.

    « Eleanor R. Dawson »

ligne

                                                                                                                                                      Juge                        

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                                               COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                                       Avocats inscrits au dossier

No DU GREFFE :                         T-690-01

INTITULÉ DE LA CAUSE :      LAWRENCE BADGER, en son nom propre et au nom de tous les membres non résidents de la NATION CRIE DU LAC STURGEON également connue sous le nom de PREMIÈRE NATION DU LAC STURGEON

                                                                                                                                           demandeur

- et -

LA NATION CRIE DU LAC STURGEON, également connue sous le nom de PREMIÈRE NATION DU LAC STURGEON, CLYDE GOODSWIMMER, KEVIN HAMELIN, BARBARA GOODSWIMMER, S. LEROY KIYAWASEW, D. RICHARD KAPPO, SHELDON SUNSHINE et JOHN DOE

                                                                                                                                           défendeurs

  

DATE DE L'AUDIENCE :                   LE JEUDI 24 JANVIER 2002

LIEU DE L'AUDIENCE :                    CALGARY (ALBERTA)

MOTIFS DE L'ORDONNANCE      LE JUGE DAWSON

ET ORDONNANCE PAR :

DATE :                                                     LE LUNDI 4 FÉVRIER 2002

COMPARUTIONS :

Gordon W. Harris                                                         Pour le demandeur

Jeffrey Rath et                                                               Pour les défendeurs

Stephen Zaluski

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Duncan & Graig., LLP                                                 Pour le demandeur

Avocats

2800-10060, avenue Jasper

Edmonton (Alberta) T5J 3V9

Rath & Company                                                          Pour les défendeurs

Avocats

C.P. 44, Bureau 8

R.R. 1

Priddis (Alberta) T0L 1W0


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                          Date : 20020204

                                     Dossier : T-690-01

ENTRE :

LAWRENCE BADGER en son nom propre et au nom de tous les membres non résidents de la NATION CRIE DU LAC STURGEON également connue sous le nom de PREMIÈRE NATION DU LAC STURGEON

                                                                 demandeur

  

- et -

  

NATION CRIE DU LAC STURGEON, également connue sous le nom de PREMIÈRE NATION DU LAC STURGEON, CLYDE GOODSWIMMER, KEVIN HAMELIN, BARBARA GOODSWIMMER, S. LEROY KIYAWASEW, D. RICHARD KAPPO, SHELDON SUNSHINE et JOHN DOE

                                                                 défendeurs

                                                                                    

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE

                                                                                  

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