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Date : 19980825


Dossier : IMM-4089-97

ENTRE :


EDGAR RAUL LOPEZ ESTRADA,

BRENDA LOPEZ LOPEZ et

GILBERTO LOPEZ,


demandeurs,


et


LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L"IMMIGRATION,


défendeur.


MOTIFS D"ORDONNANCE

LE JUGE GIBSON

[1]      Les présents motifs font suite à une demande de contrôle judiciaire de la décision, datée du 6 août 1997, dans laquelle la Section du statut de réfugié (la SSR) de la Commission de l"immigration et du statut de réfugié a déterminé que les demandeurs n"étaient pas des réfugiés au sens de la Convention conformément à la définition prévue au paragraphe 2(1) de la Loi sur l"immigration1.

[2]      Les demandeurs sont des citoyens du Guatemala. Gilberto et Brenda sont frère et soeur. Edgar et Brenda sont conjoints de fait. Pour soutenir leurs revendications du statut de réfugié, ils ont tous prétendu avoir une crainte fondée d"être persécutés, s"ils devaient retourner au Guatemala, en raison de leurs opinions politiques et de leur appartenance à un certain groupe social.

[3]      L"implication de Gilberto et Raul au sein du groupe de guérilla guatémaltèque connu sous le nom de Conseil révolutionnaire national guatémaltèque était relativement limitée. Ils étaient liés à ce groupe principalement par l"entremise d"un cousin de Gilberto. Le 13 novembre 1995, le cousin a été abattu par des personnes qui, selon les revendicateurs, sont membres de l"armée guatémaltèque. Il a été assassiné tout juste à l"extérieur d"un restaurant qui se trouvait dans la collectivité rurale où habitaient les demandeurs. Dans le feu de l"action, la voiture de Gilberto a été criblée de balles. Gilberto et Raul ont été témoins de l"assassinat car ils se trouvaient au restaurant à ce moment-là. Ils se sont cachés sous une table et ils ont éventuellement quitté le restaurant en en sortant prudemment, de façon à ne pas se trouver sur le chemin des assassins.

[4]      Gilberto et Edgar se sont terrés. Le lendemain, Brenda les a informés que des soldats les recherchaient. Gilberto et Edgar se sont enfuis au Mexique. Accompagnés de Brenda, ils se sont rendus au Canada, où ils ont tous revendiqué le statut de réfugiés.

[5]      Devant moi, l"avocat des demandeurs a soutenu que la SSR avait commis une erreur susceptible de faire l"objet d"un contrôle, à quatre égards : premièrement, lorsqu"elle a fait des spéculations et des conjectures en concluant que le fait que la voiture de Gilberto et d"Edgar avait été " criblée de balles " pendant l"assassinat résultait du hasard et non d"une tentative délibérée d"endommager celle-ci; deuxièmement, lorsqu"elle a omis d"accepter en tant que témoignage d"expert le témoignage de soeur Agnes Ward, que les demandeurs avaient invitée à témoigner en leur faveur; troisièmement, lorsqu"elle a appliqué le mauvais critère pour évaluer le risque que courraient les demandeurs s"ils étaient renvoyés au Guetamala; et, enfin, lorsqu"elle a déterminé à tort que la revendication des demandeurs devait être rejetée vu le changement de la situation qui règne au Guatemala.

[6]      Dans ses motifs, la SSR dit :

                 [TRADUCTION] La voiture du revendicateur et certaines des autres voitures stationnées près de là ont été criblées de balles. Le revendicateur n"a rien vu, mais il croit que c"est l"armée qui est responsable. La formation conclut que c"est par hasard que des balles ont atteint la voiture du revendicateur pendant les assassinats et qu"il ne s"agissait pas d"une tentative délibérée d"endommager celle-ci.                 
[7]      À mon avis, il ne ressort pas de ce paragraphe que la SSR a fait des spéculations et des conjectures inappropriées. Compte tenu de l"ensemble de la preuve dont elle disposait, la SSR pouvait raisonnablement tirer une telle conclusion.
[8]      Plus loin dans ses motifs, la SSR dit :
                 [TRADUCTION] Compte tenu de la preuve dont nous disposons, y compris la preuve documentaire concernant la situation qui règne actuellement au Guatemala, nous n"estimons pas qu"il soit probable que l"armée s"intéresse aux revendicateurs.                 
                 La formation conclut que la crainte du revendicateur d"être persécuté s"il retourne au Guatemala n"est pas fondée.                 
                                      [Non souligné dans l"original.]                 

Bien que l"utilisation du mot " probable " dans le premier paragraphe cité soit peut-être regrettable, la SSR adopte, dans le deuxième paragraphe, une terminologie tout à fait compatible avec celle qui a été reconnue dans l"arrêt Adjei c. Canada (Ministre de l"Emploi et de l"Immigration)2 comme appropriée pour décrire le critère que la SSR doit appliquer pour déterminer si elle doit reconnaître à la personne en cause le statut de réfugié au sens de la Convention. Je ne suis pas prêt à lire l"un ou l"autre de ces paragraphes en faisant abstraction de l"autre. En effet, je conclus que cela reviendrait à disséquer de façon microscopique les motifs de la SSR. Lus ensemble, les deux paragraphes ne révèlent aucune erreur susceptible de faire l"objet d"un contrôle.

[9]      Mme Agnes Ward, soeur, a témoigné devant la SSR pour le compte des demandeurs. La SSR a examiné dans une certaine mesure ses antécédents et son expérience en ce qui concerne le Guatemala. Elle a écrit :

                 [TRADUCTION] Nous notons qu"elle a travaillé au Guatemala en tant que missionnaire de 1968 à 1970 et de 1974 à 1978. Elle a également visité le Guatemala pendant six semaines en 1981, deux à trois semaines de 1988 à 1989, et six semaines en 1990.                 

La SSR a souligné que soeur Ward se renseignait actuellement sur le Guatemala en consultant diverses sources, et que la SSR obtenait des renseignements de la plupart de celles-ci. Elle a poursuivi en faisant remarquer que soeur Ward travaillait à la " défense des réfugiés ". Enfin, elle a noté que soeur Ward n"avait pas été directement impliquée dans le récent processus de paix au Guatemala qui a donné lieu aux accords de paix signés à la fin de décembre 1996.

[10]      La SSR a écrit :

                 [TRADUCTION] La formation a examiné son curriculum vitae et écouté attentivement son témoignage. Nous n"estimons pas qu"elle puisse témoigner à titre d"experte concernant les développements récents survenus au Guatemala et la situation qui y règne présentement [...]                 
                 En fait, nous estimons que soeur Agnes Ward pourrait témoigner à titre d"experte concernant la situation qui régnait au Guatemala pendant la période où elle y a vécu et travaillé, soit les années 60 et 70 et possiblement même les années 80, jusqu"à 1990, car elle a visité le Guatemala à plusieurs reprises après l"avoir quitté. Cependant, en ce qui concerne la situation qui règne présentement au Guatemala, la formation préfère s"en remettre à la preuve documentaire dont elle dispose.                 
                 [Non souligné dans l"original.]                 

[11]      Dans l"arrêt R. c. Marquard3, le juge McLachlin, s"exprimant au nom des juges majoritaires, a écrit, sur la question la preuve d"expert :

                 La seule condition à l"admission d"une opinion d"expert est que "le témoin expert possède des connaissances et une expérience spéciales qui dépassent celles du juge des faits": R. c. Béland , [1987] 2 R.C.S. 398 [...].                 

Je conclus qu"aucun fondement ne me permet de conclure que soeur Agnes Ward possédait des connaissance et une expérience spéciales qui dépassaient celles de la SSR, un tribunal spécialisé, en ce qui concerne la situation qui régnait au Guatemala à l"époque pertinente, c"est-à-dire au moment de l"audition devant la SSR. En conséquence, j"estime que la SSR n"a pas commis d"erreur susceptible de contrôle lorsqu"elle a omis d"accepter en tant que témoignage d"expert le témoignage de soeur Agnes Ward pour les fins limitées de l"application des dispositions concernant le statut de réfugié au sens de la Convention aux revendications des demandeurs.

[12]      J"aborde maintenant la quatrième et dernière question soulevée devant moi dans la présente affaire, c"est-à-dire la conclusion que la SSR a tirée en ce qui concerne le changement de la situation qui règne au Guatemala.

[13]      La SSR a pris soin d"examiner la preuve documentaire dont elle disposait en ce qui concerne les changements survenus à la situation qui régnait au Guatemala pendant la période qui a mené à la signature des accords de paix en décembre 1996 et les mois qui ont suivi celle-ci. Évidemment, il ne ressort pas de ses motifs qu"elle a examiné toute la preuve documentaire dont elle disposait. Elle n"était pas tenue de le faire4. La SSR a conclu :

                 [TRADUCTION] La formation préfère la preuve documentaire, qu"elle estime à jour et fiable, à l"opinion exprimée par le revendicateur. Il ressort de la preuve documentaire que même les guérilleros de longue date ne sont pas en danger, encore moins les personnes dont l"implication était limitée, tel le revendicateur.                 

[14]      L"avocat des demandeurs soutient que la SSR a commis une erreur lorsqu"elle a omis de tenir compte, dans son appréciation du changement de la situation qui régnait au pays, du caractère " important ", " réel " et " durable " des changements. Dans l"arrêt Yusuf c. Ministre de l"Emploi et de l"Immigration5, le juge Hugessen a souligné qu"un changement de la situation qui règne au pays était une conclusion de fait. Il a écrit :

                 Un changement dans la situation politique du pays d'origine du demandeur n'est pertinent que dans la mesure où il peut aider à déterminer s'il y a, au moment de l'audience, une possibilité raisonnable et objectivement prévisible que le demandeur soit persécuté dans l'éventualité de son retour au pays. Il s'agit donc d'établir les faits, et il n'existe aucun "critère" juridique distinct permettant de jauger les allégations de changement de situation. L'emploi de termes comme "important", "réel" et "durable" n'est utile que si l'on garde bien à l'esprit que la seule question à résoudre, et par conséquent le seul critère à appliquer, est celle qui découle de la définition de réfugié au sens de la Convention donnée par l'article 2 de la Loi : le demandeur de statut a-t-il actuellement raison de craindre d'être persécuté? Étant donné qu'en l'espèce il existe des éléments de preuve appuyant la décision défavorable de la Commission, nous n'interviendrons pas.                 

[15]      Sur le fondement de l"arrêt Yusuf , je tire la même conclusion en l"espèce. La SSR disposait d"éléments de preuve étayant la conclusion négative qu"elle a tirée sur cette question.

[16]      Par les motifs qui précèdent, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

[17]      L"avocat du demandeur a recommandé la certification d"une question formulée de la façon suivante :

                 En appliquant un changement de circonstances, la Commission de l"immigration et du statut de réfugié est-elle tenue de déterminer le caractère important, réel et durable du changement en se fondant sur les faits pour conclure que la crainte de l"individu d"être persécuté n"est pas fondée?                 

L"avocate du défendeur s"est opposée à la certification d"une question.

[18]      Aucune question ne sera certifiée. Je suis convaincu que la réponse à la question proposée se trouve dans les motifs de l"arrêt Yusuf auxquels il a déjà été renvoyé.


" Frederick E. Gibson "

juge

Toronto (Ontario)

Le 25 août 1998.

Traduction certifiée conforme

Bernard Olivier, LL.B.

COUR FÉDÉRALE DU CANADA


Avocats inscrits au dossier

NO DU GREFFE :                          IMM-4089-97

INTITULÉ DE LA CAUSE :                  EDGAR RAUL LOPEZ ESTRADA

                                 BRENDA LOPEZ LOPEZ et

                                 GILBERTO LOPEZ

                                 - c. -

                                 LE MINISTRE DE LA

                                 CITOYENNETÉ ET DE

                                 L"IMIMIGRATION

DATE DE L"AUDIENCE :                      LE LUNDI 24 AOÛT 1998

LIEU DE L"AUDIENCE :                      TORONTO (ONTARIO)

MOTIFS D"ORDONNANCE EXPOSÉS PAR :          LE JUGE GIBSON

EN DATE DU :                          MARDI 25 AOÛT 1998

ONT COMPARU :                          M. Mangesh Duggal

                                     Pour les demandeurs

                                 M me Diane Dagenais

                                     Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :              Mangesh S. Duggal

                                 Barrister & Solicitor

                                 372, rue Bay, pièce 1604

                                 Toronto (Ontario)

                                 M5H 2W9

                                     Pour les demandeurs

                                 Morris Rosenberg

                                 Sous-procureur général

                                 du Canada

                                     Pour le défendeur

COUR FÉDÉRALE DU CANADA


Date : 19980825


Dossier : IMM-4089-97

     Entre :
     EDGAR RAUL ESTRADA,
     BRENDA LOPEZ LOPEZ et
     GILBERTO LOPEZ,

                 demandeurs,

     et

     LE MINISTRE DE LA

     CITOYENNETÉ ET DE

     L"IMMIGRATION,

                 défendeur.


MOTIFS D"ORDONNANCE


__________________

1      L.R.C. (1985), ch. I-2.

2      [1989] 2 C.F. 680 (C.A.).

3      (1993), 85 C.C.C. (3d) 193 (C.S.C.).

4      Voir Hassan c. Ministre de l"Emploi et de l"Immigration (1992), 147 N.R. 317 (C.A.F.).

5      (1995), 179 N.R. 11 (C.A.F.).

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