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Date : 20200304

Dossier : T-275-19

Référence : 2020 CF 332

Ottawa (Ontario), le 4 mars 2020

En présence de la juge en chef adjointe Gagné

ENTRE :

BENOIT DESROSIERS

demandeur

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Survol

[1]  M. Benoit Desrosiers purge actuellement une peine d’emprisonnement de 25 ans pour un meurtre au deuxième degré à caractère sexuel commis en 1989. Il demande le contrôle judiciaire de trois décisions prises par une directrice du Service correctionnel du Canada [SCC], par lesquelles elle a haussé sa cote de sécurité de « faible » à « moyenne », occasionnant par le fait même son transfèrement institutionnel non sollicité de l’établissement Archambault à l’établissement de la Macaza, ainsi que sa mise en isolement temporaire. Ces démarches ont été recommandées par l’équipe de gestion de cas du demandeur suite à une évaluation psychologique.

[2]  Le demandeur conteste également le refus du SCC d’accorder à son avocate un délai supplémentaire pour soumettre ses observations écrites, avant de procéder à son transfèrement.

II.  Faits

[3]  Les faits ci-dessous proviennent de l’affidavit du demandeur, ainsi que des mémoires des parties.

[4]  Depuis le début de sa sentence, le demandeur a complété de nombreux traitements psychologiques et psychiatriques, ainsi qu’un certain nombre de programmes thérapeutiques.

[5]  Le 1er septembre 2017, un psychologue du SCC a complété l’évaluation psychologique du demandeur en prévision de sa comparution devant la Commission des libérations conditionnelles qui devait se pencher sur sa demande de sortie avec escorte. Le rapport psychologique relève chez le demandeur une tendance à présenter aux intervenants l’impression désirée, tout en dissimulant la persistance d’attitudes problématiques. Il révèle également que le demandeur a toujours une sexualité problématique qui mène à conclure à un risque modéré de récidive sexuelle. Le rapport conclut finalement qu’au regard du peu d’efficacité des nombreux traitements subis à ce jour par le demandeur, celui-ci requiert un programme de traitements plus intensif et individualisé, non disponible à l’Établissement Archambault.

[6]  Puisque le demandeur s’attendait plutôt à obtenir une permission de sortie avec escorte, son équipe de gestion de cas a craint qu’il soit empreint d’une colère intense et d’une désorganisation psychotique. Pour ne pas compromettre la sécurité des gens qui l’entourent, elle recommande donc la mise en isolement du demandeur à compter du 6 septembre 2017.

[7]  Le 11 septembre 2017, l’équipe de gestion de cas complète sa réévaluation de la cote de sécurité du demandeur et recommande son transfèrement vers un établissement à sécurité moyenne. Le rapport considère les facteurs de risque suivants :

  Adaptation en établissement (faible);

  Risque d’évasion (modéré); et

  Risque pour la sécurité du public (modéré).

[8]  On y recommande que le demandeur retourne à la Macaza, établissement où il a purgé sa peine de 2013 à 2015 et pour lequel il a manifesté une préférence.

[9]  Le même jour, le demandeur reçoit l’échelle de réévaluation de sa cote de sécurité ainsi qu’un avis de transfèrement non sollicité. On le place en isolement en lui donnant deux jours (donc jusqu’au 13 septembre 2017) pour présenter ses observations écrites préalables à l’égard du transfèrement.

[10]  Cependant, ce n’est que le 13 septembre 2017 qu’il réussit à rejoindre son avocate. Puisque le SCC ne transmet pas la documentation pertinente au conseiller juridique d’un détenu, le demandeur devait attendre que son avocate puisse le visiter pour lui remettre la documentation en personne. À 11h41 le 13 septembre 2017, l’avocate du demandeur transmet une demande de prolongation du délai pour présenter ses observations sur la nouvelle cote de sécurité du demandeur et sur le transfèrement. Les versions défèrent sur la question à savoir si le SCC a été informé avant l’expiration du délai initial qu’une rencontre avait été fixée le 19 septembre 2017 entre elle et son client. Quoiqu’il en soit, cette rencontre a pu être devancée au 15 septembre 2017 à 13h00. Le demandeur remet la documentation à son avocate lors de cette rencontre et fait parvenir ses propres commentaires au SCC le même jour.

[11]  Le 14 septembre 2017 à 16h17, le SCC refuse la demande de prolongation mais accorde néanmoins un délai de deux jours, soit jusqu’au 15 septembre 2017 à 16h00, pour présenter toutes observations écrites.

[12]  Puisque l’avocate du demandeur ne l’a rencontré qu’en après-midi le 15 septembre 2017, elle ne respecte évidemment pas ce délai.

[13]  Le 18 septembre 2017, le SCC émet sa décision finale sur la cote de sécurité et le transfèrement en tenant compte des commentaires soumis par le demandeur le 13 septembre 2017.

[14]  Le 22 septembre 2017, l’avocate du demandeur fait néanmoins parvenir ses observations écrites contestant à la fois le refus de sa demande de prolongation de délai, ainsi que la hausse de la cote de sécurité du demandeur ayant menée à son transfèrement.

[15]  Le 16 octobre 2017, le SCC répond aux observations en expliquant et en maintenant les décisions prises à l’égard du demandeur.

[16]  L’avocate dépose donc trois griefs et le 21 décembre 2018, le commissaire adjoint du SCC rejette les griefs concernant le refus de prolongation ainsi que la hausse globale de la cote de sécurité du demandeur, tout en accueillant la partie du grief relative à l’évaluation du risque d’évasion du demandeur. Il ordonne que le SCC rédige une note de service indiquant que le risque d’évasion du demandeur est réévalué conformément à la directive.

III.  Décisions contestées

A.  Le refus d’accorder un délai de 10 jours

[17]  Le 14 septembre 2017, le SCC a rejeté la demande de prolongation de délai de 10 jours soumise par l’avocate du demandeur le 13 septembre 2017, au motif que le demandeur a reçu la documentation pertinente le 11 septembre 2017 et qu’il n’était pas approprié de prolonger inutilement l’isolement préventif du demandeur. Il lui a néanmoins accordé jusqu’au 15 septembre 2017 à 16h00 pour soumettre ses observations écrites.

B.  Réponse au grief final du demandeur

[18]  Pour rendre sa décision finale sur les griefs du demandeur, le SCC a consulté les commentaires de son avocate, la législation et les politiques applicables, ainsi que les documents pertinents se trouvant au dossier du demandeur. Le SCC a conclu que les justifications données par l’équipe de gestion de cas du demandeur, pour augmenter son niveau de risque à la sécurité du public, étaient conformes à la Directive du commissaire DC 710-6, Réévaluation de la cote de sécurité des détenus. Le SCC a également conclu que le droit du demandeur à l’avocat avait été respecté puisque la directrice n’était pas tenue d’accorder un délai supplémentaire pour le dépôt d’observations.

[19]  Cependant, le SCC se dit d’opinion que les explications fournies pour augmenter le niveau du risque d’évasion du demandeur ne répondent pas à la Directive DC 710-6 et accorde donc cette partie du grief. Selon le SCC, l’équipe de gestion de cas du demandeur ne s’est appuyée que sur des suppositions alors que le dossier du demandeur ne contient aucun antécédent en matière d’évasion. Comme mesure corrective, il ordonne que la directrice de l’Établissement Archambault consigne une note de service au dossier du demandeur, prévoyant que son risque d’évasion soit réévalué conformément à la Directive DC 710-6.

[20]  En dépit de cette correction, le SCC conclut que la décision d’augmenter la cote de sécurité du demandeur à « moyenne » tient toujours et qu’elle est justifiée par l’augmentation de son niveau de risque pour la sécurité du public à celui de « modéré », conformément à l’alinéa 18 b) du Règlement sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition [le Règlement]. Par conséquent, son transfèrement dans un établissement à sécurité moyenne tient également au titre du l’article 28 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition [la Loi].

IV.  Question préliminaire

[21]  Le défendeur conteste l’admissibilité d’un certain nombre d’allégations et de pièces soumises à la Cour par le demandeur, au motif qu’elles n’étaient pas devant le décideur au moment de rendre sa décision.

[22]  Principalement, le défendeur demande à la Cour de ne pas tenir compte de la note de service consignée par le SCC au dossier du demandeur en réponse à son grief. Le défendeur soumet que si le demandeur n’était pas satisfait du contenu de cette note de service, il n’avait qu’à la contester par grief.

[23]  Il est vrai que le note de service est postérieure à la décision sous étude. Cependant, puisqu’elle représente le remède choisi par le SCC pour corriger l’erreur de la directrice, elle fait partie de la décision contestée. Exiger du demandeur qu’il dépose un nouveau grief s’il est insatisfait du contenu de cette note de service ne rencontrerait pas les impératifs d’économie et d’efficacité du système de griefs en milieu carcéral, pas plus que ceux d’une saine administration de la justice.

[24]  Quant aux pièces P-1 à P-10, P-13, P-15, P-16, et P-25 qui ne font pas partie du dossier certifié du SCC, et à l’égard desquelles le demandeur ne fait aucune représentation, elles ne seront pas considérées.

V.  Questions en litige et normes de contrôle

[25]  Cette demande de contrôle judiciaire soulève les questions suivantes :

  1. La directrice a-t-elle violé les principes de justice naturelle et d’équité procédurale en refusant d’accorder un délai de 10 jours au demandeur pour soumettre ses observations?

B.  Est-ce que le SCC a erré en rejetant les griefs du demandeur?

[26]  Selon l’arrêt récent de la Cour suprême du Canada dans l’affaire Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65, aux paras 23 et 24, le point de départ pour déterminer la norme de contrôle applicable à l’analyse du mérite d’une décision administrative est celle de la décision raisonnable. Puisque la Cour suprême ne s’est pas prononcée sur l’analyse d’un manquement allégué aux principes de justice naturelle ou à l’obligation d’équité procédurale, le droit antérieur continue à s’appliquer et si la Cour conclut qu’il y a eu manquement, elle doit intervenir, casser la décision et retourner le dossier au décideur administratif.

VI.  Analyse

A.  La directrice a-t-elle violé les principes de justice naturelle et d’équité procédurale en refusant d’accorder un délai de 10 jours au demandeur pour soumettre ses observations?

[27]  Invoquant l’arrêt May c Établissement Ferndale, [2005] 3 RCS 802 au paragraphe 25, le demandeur plaide qu’on ne peut porter atteinte à sa liberté résiduelle qu’en conformité avec les principes de justice fondamentale garantis par l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés [la Charte]. Sa mise en isolement, tout comme la hausse de sa cote de sécurité et son transfèrement, représentent autant d’atteintes à sa liberté résiduelle pour lesquels il ne pouvait pas être privé de son droit d’avoir recours à l’assistance d’un avocat (Colombie-Britannique (Procureur générale) c Christie, [2007] 1 RCS 873 au para 25).

[28]  Selon lui, le SCC avait l’obligation de communiquer efficacement toute la documentation pertinente afin de permettre au demandeur de soumettre ses observations avec l’assistance de son avocate. Il réfère la Cour à la décision de la Cour supérieure du Québec dans l’affaire Paquet c Thibault et al., 2016 QCCS 785 qui prévoit qu’il n’est pas suffisant pour le SCC d’informer le détenu des motifs qui justifient un transfèrement ou une réévaluation de sa cote de sécurité, et que l’obligation de communication de renseignements prévue à l’article 27 de la Loi doit permettre au détenu d’exercer valablement et de façon efficace son droit de faire des observations.

[29]  Or, le délai de quatre jours après la remise des documents au demandeur ne lui aurait pas permis de communiquer ces documents à son avocate en temps opportun, le privant ainsi de son droit de faire des observations avec l’assistance de celle-ci.

[30]  D’abord, selon les articles 12 et 13 du Règlement, le demandeur n’avait droit de présenter des observations qu’à l’égard de son transfèrement anticipé.

[31]  Par ailleurs, l’alinéa 27 d) des Lignes directrices 710-2-3, Processus de transfèrement des détenus prévoit que le détenu dispose d’un délai de 2 jours ouvrables après la rencontre initiale et après la remise des renseignements pour soumettre ses observations. L’article 28 des mêmes lignes directrices prévoit quant à lui que le directeur de l’établissement peut accorder au détenu une prolongation de ce délai de 10 jours ouvrables au maximum.

[32]  Or, le demandeur a eu 4 jours ouvrables, soit jusqu’au 15 septembre 2017, mais dans les faits, il n’a été transféré qu’après 7 jours, soit le 18 septembre 2017.

[33]  Il n’est pas contesté que lorsque la vie, la liberté ou la sécurité d’un détenu entre en jeu, il ou elle a droit à l’assistance d’un avocat. Toutefois, rien n’indique que cela doive s’étendre au droit à la représentation avant qu’une décision administrative ne soit prise quant au transfert d’un détenu vers un établissement convenant d’avantage au niveau de risque qu’il représente ou au type de programme de réhabilitation que son état requiert.

[34]  Cela dit, le demandeur a eu l’opportunité de consulter son avocate et il l’a fait lors d’une conversation téléphonique le 13 septembre 2017 et lors d’une rencontre en personne le 15 septembre 2017. Bien que je sympathise avec l’avocate du demandeur qui n’a pas pu agir dans le court délai octroyé, je ne peux conclure que dans les circonstances de la présente affaire, et surtout dans le contexte législatif et règlementaire concernant le transfèrement de détenus, la directrice ait fait défaut de respecter quelque principe de justice naturelle que ce soit en refusant d’accorder tout le délai requis par le demandeur.

[35]  Quant à la hausse de la cote de sécurité du demandeur, la Loi ne lui accorde pas la possibilité de soumettre des observations préalables. Elle lui offre plutôt un recours ex post facto sous la forme d’un grief, recours que le demandeur a exercé.

[36]  Par conséquent, le demandeur n’a pas démontré que la décision de refuser de lui accorder la prolongation de délai maximale prévue au Règlement aurait été rendue en violation de son droit à l’équité procédurale, ou qu’un quelconque principe de justice naturelle aurait été violé.

B.  Est-ce que le SCC a erré en rejetant les griefs du demandeur?

(1)  Hausse du risque à la sécurité du public

[37]  Le demandeur plaide que la décision du SCC de hausser son niveau de risque à la sécurité du public à « modéré » est déraisonnable puisque le rapport psychologique qui est à l’origine de la réévaluation indique que le risque de récidive sexuelle dans le cadre de sorties avec escorte est faible. Ce risque est d’autant plus faible, ajoute-t-il, s’il demeure incarcéré dans un établissement à sécurité minimum.

[38]  Il est d’abord important de noter que la cote de sécurité d’un détenu doit être réévaluée avant tout transfèrement ou possibilité de sortie avec ou sans escorte.

[39]  La preuve consultée par le SCC dans son évaluation du risque à la sécurité du public inclut l’évaluation en vue d’une décision et une évaluation psychologique, lesquels prévoient notamment que :

  Le demandeur a complété de nombreux programmes et suivis de traitement;

  Les impressions diagnostiques indiquent toutefois que, comme en 2013, le demandeur est dans un état de stagnation thérapeutique;

  Il refuse d’aborder les problématiques reliées à son comportement criminel;

  Il tend à intellectualiser ses propos et à utiliser les termes appris lors des programmes suivis; et

  Son progrès par rapport aux facteurs dynamiques ayant contribué à son comportement violent est faible.

[40]  Il s’agit là de facteurs pertinents décrits à l’Annexe B de la Directive 710-6, auxquels s’ajoutent les antécédents connus de violence, la nature et la gravité de l’infraction à l’origine de la peine, ainsi que la motivation du détenu à mettre son plan correctionnel à exécution et les progrès accomplis à cet égard.

[41]  L’équipe de gestion de cas du demandeur a conclu au peu de progrès réalisé par le demandeur et au fait qu’un établissement à sécurité minimum n’offre pas le type d’intervention psychologique soutenue et adaptée qu’il requiert. Elle a également conclu que le risque de récidive est modéré en contexte libératoire et élevé en cas d’évasion.

[42]  La Directive du commissaire – Cote de sécurité et placement pénitentiaire 705-7  et la Directive 710-6 énoncent qu’une cote de risque modéré pour la sécurité du public devrait être accordée à un détenu qui :

  A des antécédents criminels violents, mais a fait certains progrès par rapport aux facteurs dynamiques ayant contribué à son comportement violent;

  A des antécédents criminels violents, mais a manifesté la volonté de se prendre en main et de réduire les facteurs dynamiques ayant contribué à son comportement violent; ou

  Présente un ou plusieurs indicateurs d’un risque modéré et/ou de problèmes modérés.

[43]  Par comparaison, une cote de risque faible pour la sécurité du public devrait être accordée à un détenu qui :

  A des antécédents criminels non violents;

  A des antécédents criminels violents et/ou à caractère sexuel, mais a fait des progrès considérables par rapport aux facteurs dynamiques ayant contribué à son comportement criminel et il n’existe pas de signes précurseurs de récidive criminelle ni de signes de situations à risque élevé liées au cycle de délinquance; ou

  A des antécédents criminels violents, mais les circonstances entourant l’infraction sont telles qu’une récidive avec violence est peu probable.

[44]  Le demandeur a des antécédents criminels violents sérieux, soit un meurtre au deuxième degré à caractère sexuel. Il a fait certains progrès par rapport aux facteurs dynamiques ayant contribué à son comportement violent et il semble également avoir manifesté la volonté de se reprendre en main et de réduire les facteurs dynamiques ayant contribué à son comportement. Cependant, son psychologue et son criminologue ont tous deux conclu qu’il présente encore des difficultés de réhabilitation modérées qui ne peuvent pas être traitées d’une façon adéquate dans un établissement à sécurité minimum.

[45]  Pour se voir accorder une cote de risque faible à la sécurité, le demandeur aurait eu à démontrer un « progrès considérable par rapport aux facteurs dynamiques ayant contribué à son comportement criminel » et une absence « de signes précurseurs de récidive criminelle ». Ce n’est pas le cas.

[46]  Le demandeur ne m’a donc pas convaincue que la décision du SCC de lui octroyer la cote de risque faible à la sécurité du public est déraisonnable, ou encore que les motifs fournis par le SCC manquent de logique.

(2)  Le risque d’évasion et la mesure corrective apportée

[47]  Tel que précédemment indiqué, le commissaire a accordé le grief du demandeur à l’égard de l’évaluation de son risque d’évasion. En guise de mesure corrective, il a ordonné à la directrice de rédiger et consigner au dossier du demandeur une note de service dans laquelle son risque d’évasion sera réévalué conformément à l’annexe B de la Directive 710-6.

[48]  Le demandeur soumet que la note de service du 18 janvier 2019 va à l’encontre des principes énoncés dans ladite directive et dans l’arrêt Établissement de Mission c Khela, [2014] 1 RCS 502, où la Cour suprême énonce ce qui suit :

[74] À l’heure actuelle, une décision est considérée comme déraisonnable et, partant, illégale, si les droits à la liberté d’un détenu sont sacrifiés en l’absence de toute preuve, sur la foi d’une preuve non fiable, d’une preuve non pertinente ou d’une preuve qui n’étaye pas la conclusion, même si je n’exclus pas la possibilité qu’elle puisse également être déraisonnable pour d’autres motifs. La décision sur la fiabilité de la preuve exige de la déférence à l’égard du décideur, mais les autorités doivent tout de même expliquer en quoi la preuve offerte est digne de foi.

[49]  Le demandeur soumet que la preuve utilisée par la directrice pour fixer à nouveau sa cote de risque d’évasion à modéré n’étaye pas sa conclusion, et que ses motifs s’appuient à nouveau sur de simples suppositions. Il fait valoir qu’il n’a aucun antécédent d’évasion, qu’il n’affiche aucun signe laissant croire qu’il pourrait chercher à s’évader, ni qu’il se serait désorganisé pendant son placement en isolement.

[50]  Or, les facteurs à considérer dans l’évaluation du risque d’évasion sont principalement liés aux antécédents d’évasion ou de tentative d’évasion, bien que le décideur puisse également tenir compte de :

  La durée de la peine et le temps que doit purger le détenu avant d’être admissible à une permission de sortie sans escorte;•  Toute autre préoccupation ou circonstance exceptionnelle pouvant augmenter le risque d’évasion.

[51]  La Directive 710-6 prévoit qu’en se fondant sur les facteurs précités et toute autre considération pertinente, la cote de risque d’évasion modéré est accordée si le détenu :

  A des antécédents récents d’évasion et/ou de tentative d’évasion OU certains signes donnent à croire qu’il pourrait chercher à s’évader;

  Ne fera probablement aucun effort pour s’évader, mais pourrait tenter le coup si l’occasion se présente; ou

  Présente un risque réel d’évasion s’il est hébergé dans un établissement sans mur ou clôture périmétrique.

[52]  Dans sa décision faisant partiellement droit au grief du demandeur, le SCC indique ce qui suit :

« …l’explication donnée pour justifier l’augmentation de votre risque d’évasion ne répond pas aux exigences établies à l’annexe B de la DC 710-6. Votre [équipe de gestion de cas] s’est appuyée sur des suppositions pour en justifier l’augmentation alors qu’il n’y avait aucun antécédent similaire à votre dossier. Bien que le facteur de « circonstances exceptionnelles » soit à prendre en considération au moment d’évaluer le risque d’évasion, il ne suffit pas, à lui seul, pour évaluer le risque à modéré. Pour cette raison, cette partie de votre grief est maintenue.

[53]  Il est à noter qu’au moment de rédiger la note de service du 18 janvier 2019, les circonstances dans lesquels se trouve le demandeur sont inchangées par rapport à l’analyse précédente de sa cote de risque d’évasion. En dépit de ce fait, la directrice commet la même erreur que celle identifiée par le SCC et ne fonde sa décision que sur le temps à purger avant d’être admissible à des sorties et sur ce qu’elle identifie comme des circonstances exceptionnelles.

[54]  Elle répète donc l’erreur identifiée par le commissaire du SCC que la note de service devait corriger. La décision finale du SCC sur le grief du demandeur est entachée par cette note de service. La note de service rend donc la décision déraisonnable et justifie l’intervention de la Cour à l’égard de la cote de risque d’évasion seulement.

[55]  Pour plus de clarté, je suis d’avis que même en corrigeant la cote de risque d’évasion à faible, la décision du commissaire du SCC d’accorder au demandeur la cote de sécurité globale à « moyenne », et de confirmer son transfèrement vers un établissement à sécurité moyenne, demeure raisonnable dans les circonstances.

VII.  Conclusion

[56]  La décision de la directrice de refuser d’accorder un délai de 10 jours au demandeur est raisonnable et conforme aux Lignes directrices 710-2-3 sur le transfèrement des détenus. Le demandeur a, dans les faits, bénéficié d’un délai de 4 jours au cours duquel il a eu l’opportunité de consulter son avocate qui a été en mesure de soumettre ses observations au commissaire du SCC saisi du grief du demandeur.

[57]  Par ailleurs, la décision du SCC concernant le transfèrement du demandeur et l’évaluation de sa cote de risque modéré à la sécurité du public est raisonnable et doit être maintenue. Il en va de même pour la décision confirmant le transfert du demandeur vers un établissement à sécurité moyenne.

[58]  Cependant, la décision maintenant la cote de risque d’évasion à modéré est déraisonnable et doit être cassée. Le dossier sera retourné au SCC pour une nouvelle évaluation de la cote de risque d’évasion du demandeur en conformité avec la Directive DC 710-6.

[59]  Compte tenu du résultat mitigé, aucun dépens ne sera accordé.
JUGEMENT dans le dossier T-275-19

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire du demandeur est accueillie en partie;

  2. La décision du Service correctionnel canadien de maintenir la cote de risque d’évasion du demandeur à modéré est annulée et le dossier est retourné au Service correctionnel canadien pour une nouvelle évaluation de la cote de risque d’évasion du demandeur en conformité avec la Directive du commissaire DC 710-6, Réévaluation de la cote de sécurité des détenus;

  3. Le reste de la décision du Service correctionnel canadien est maintenue;

  4. Aucun dépens n’est accordé.

« Jocelyne Gagné »

Juge en chef adjointe

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-275-19

 

INTITULÉ :

BENOIT DESROSIERS c PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 9 janvier 2020

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE EN CHEF ADJOINTE GAGNÉ

 

DATE DES MOTIFS :

LE 4 mARS 2020

 

COMPARUTIONS :

Nadia Golmier

 

Pour le demandeur

 

Virginie Harvey

Amélia Couture

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Nadia Golmier

Laval, QC

 

Pour le demandeur

 

Procureur général du Canada

Montréal, Québec

 

Pour le défendeur

 

 

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