Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision


Dossier : IMM‑5916‑18

Référence : 2020 CF 334

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 4 mars 2020

En présence de monsieur le juge McHaffie

ENTRE :

CORDILIA IDUGBOE

JASMINE OSATOHENMWEN IDUGBOE

IKPONMWOSA JADEN IDUGBOE

OSAIGBOVO JOEL IDUGBOE

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Mme Cordilia Idugboe et ses trois enfants mineurs ont fui la famille de son ex‑mari au Nigeria et ont fini par demander l’asile au Canada. La demande des Idugboe a été rejetée par la Section de la protection des réfugiés (la SPR), et leur appel a été rejeté par la Section d’appel des réfugiés (la SAR). La SPR et la SAR ont toutes deux conclu que les Idugboe ne s’exposaient à aucune possibilité sérieuse de risque d’être menacée de la part de la famille de l’ex‑mari de Mme Idugboe à Port Harcourt, au Nigeria, et que, pour cette raison, il serait raisonnable pour les Idugboe d’y déménager. La ville de Port Harcourt était donc une possibilité de refuge intérieur (PRI) viable au Nigeria, et, par conséquent, le bien‑fondé de la demande d’asile n’avait pas été établi.

[2] En rejetant l’appel de la famille, la SAR a refusé d’admettre dix nouveaux éléments de preuve qui traitaient de menaces qui auraient été proférées par la famille de l’ex‑mari après la décision de la SPR, ainsi que de renseignements supplémentaires concernant le caractère raisonnable de Port Harcourt à titre de PRI. Certains des éléments de preuve présentés ont été rejetés comme n’étant pas crédibles, tandis que d’autres ont été considérés comme étant des éléments de preuve qui auraient pu et auraient dû être déposés devant la SPR. Les Idugboe affirment que le rejet de ces éléments de preuve était déraisonnable, et qu’il était injuste que la SAR rejette la preuve pour des motifs relatifs à la crédibilité sans tenir d’audience. Ils affirment également que la conclusion tirée au sujet de la PRI était en soi déraisonnable.

[3] Je conclus que la SAR n’a pas agi de manière déraisonnable ou injuste en rejetant les nouveaux éléments de preuve. La SAR pouvait raisonnablement tirer les conclusions quant à la crédibilité, au vu du dossier, et elle n’était pas obligée, dans ces circonstances, de tenir une audience avant de parvenir à cette décision. Les conclusions de la SAR selon lesquelles certains éléments de preuve étaient normalement accessibles au moment de l’audience de la SPR étaient, de la même façon, étayées et raisonnables. Après avoir tiré ces conclusions au sujet des nouveaux éléments de preuve, il était aussi raisonnable pour la SAR de conclure que les Idugboe avaient une PRI à Port Harcourt et qu’ils n’étaient donc pas des réfugiés au sens de la Convention ni des personnes à protéger. Par conséquent, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

II. La demande d’asile des Idugboe

[4] Mme Idugboe et ses deux fils sont citoyens du Nigeria. L’autre demanderesse, la fille de Mme Idugboe, est une citoyenne des États‑Unis, puisqu’elle est née dans ce pays, après que la famille eut quitté le Nigeria en 2014.

[5] Les Idugboe allèguent qu’ils craignent d’être persécutés par les membres de la famille de l’ancien mari de Mme Idugboe, le père des enfants. Mme Idugboe allègue que la famille de M. Idugboe a proféré des menaces et a comploté pour la forcer à subir une mutilation génitale féminine (MGF) pendant sa grossesse, et pour faire la même chose à sa fille après sa naissance. M. Idugboe n’appuyait pas les agissements de sa famille, mais il n’était pas en mesure d’y mettre fin.

[6] Étant donné l’incapacité de M. Idugboe à protéger Mme Idugboe, celle‑ci a demandé le divorce, et leur mariage a été dissous en décembre 2013. Cela a éliminé la menace de MGF contre Mme Idugboe. Toutefois, Mme Idugboe a continué de recevoir des menaces selon lesquelles sa fille devrait subir une MGF après sa naissance et Mme Idugboe serait blessée ou tuée si elle n’obtempérait pas. Mme Idugboe a fui le Nigeria pour se rendre aux États‑Unis avec ses fils au début de 2014, et sa fille est née dans ce pays au cours de cette même année.

[7] Mme Idugboe prétend qu’elle n’a su qu’elle pouvait demander l’asile aux États‑Unis qu’après qu’il a été trop tard. La famille a ensuite franchi la frontière canadienne en 2017 et a demandé l’asile au titre des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR]. Les Idugboe craignent que, s’ils retournent au Nigeria, la fille de la famille soit forcée de se soumettre à une MGF et que Mme Idugboe subisse des représailles pour avoir refusé les demandes de la famille de son ex‑mari à cet égard.

[8] Durant l’audience relative à la demande d’asile des Idugboe, la SPR a évoqué la possibilité que ceux‑ci déménagent dans la ville de Port Harcourt, au Nigeria. Mme Idugboe a contesté le fait qu’il s’agirait d’une possibilité sûre, puisque M. Idugboe avait de la famille partout au Nigeria, y compris à Port Harcourt. Mme Idugboe a également fait remarquer que l’un de ses fils souffrait de drépanocytose, une pathologie qui s’aggrave avec les piqûres de moustiques, et qu’il souffrirait en raison des conditions de vie qui prévalent au Nigeria, y compris à Port Harcourt.

[9] La SPR a rejeté les demandes d’asile des Idugboe. Pour la SPR, la question déterminante devant être tranchée concernait la disponibilité d’une PRI à Port Harcourt. La SPR a conclu que Port Harcourt satisfaisait aux deux exigences établies pour être considérée comme une PRI, à savoir qu’il n’y avait pas de possibilité sérieuse de persécution ou de préjudice à Port Harcourt, et qu’il ne serait pas déraisonnable pour les Idugboe d’y déménager : Rasaratnam c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 CF 706 (CA), aux p. 709 à 711.

[10] En ce qui concerne la première exigence ou le premier volet de l’analyse relative à la PRI, la SPR a conclu que la famille de l’ex‑mari n’aurait pas les moyens, la capacité ou la motivation pour localiser les Idugboe dans cette ville. La SPR a rejeté, en raison de son caractère spéculatif, la preuve présentée par Mme Idugboe selon laquelle M. Idugboe avait des proches partout au Nigeria, et sa famille immédiate pouvait la localiser dans la grande ville de Port Harcourt et la localiserait. La SPR a également conclu qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve démontrant que la famille était motivée pour la retrouver, puisqu’il n’y avait aucune preuve montrant que des menaces avaient été proférées ou que des enquêtes avaient été menées au sujet de ses allées et venues depuis 2013, et ce, bien que Mme Idugboe soit restée en contact avec son ex‑mari et la sœur de celui‑ci.

[11] En ce qui concerne la deuxième exigence, la SPR a conclu qu’il serait objectivement raisonnable pour les Idugboe de déménager à Port Harcourt. La SPR a conclu que la preuve ne démontrait pas que le risque associé à l’état de santé du fils atteignait un niveau mettant en danger la vie et la sécurité de ce dernier et n’atteignaient donc pas le seuil élevé de ce qui était déraisonnable dans le cadre de l’analyse relative à la PRI : Ranganathan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] 2 CF 164 (CA), au par. 15. La SPR était également convaincue qu’il était possible pour Mme Idugboe d’être chef de famille et de survivre financièrement à Port Harcourt, puisqu’elle était très instruite et serait en mesure de décrocher un emploi sans avoir besoin de l’aide de membres de sa famille pour ce faire.

III. L’appel des Idugboe devant la SAR

[12] Les Idugboe ont interjeté appel, devant la SAR, de la décision de la SPR au sujet de la PRI. Les appels devant la SAR se déroulent généralement a) sans la tenue d’une audience et b) en se fondant sur le dossier dont disposait la SPR. Il n’est possible de présenter en appel de nouveaux éléments de preuve documentaire que si ceux‑ci sont survenus par la suite, n’étaient pas accessibles auparavant ou n’auraient pas été normalement présentés à la SPR. La SAR peut tenir une audience si les nouveaux éléments de preuve soulèvent une question importante en ce qui concerne la crédibilité de la personne en cause, sont essentiels pour la prise de la décision et justifieraient que la demande d’asile soit accordée ou refusée. Ces principes sont énoncés aux paragraphes 110(3), (4) et (6) de la LIPR :

Fonctionnement

Procedure

(3) Sous réserve des paragraphes (3.1), (4) et (6), la section procède sans tenir d’audience en se fondant sur le dossier de la Section de la protection des réfugiés, mais peut recevoir des éléments de preuve documentaire et des observations écrites du ministre et de la personne en cause […]

(3) Subject to subsections (3.1), (4) and (6), the Refugee Appeal Division must proceed without a hearing, on the basis of the record of the proceedings of the Refugee Protection Division, and may accept documentary evidence and written submissions from the Minister and the person who is the subject of the appeal…

Éléments de preuve admissibles

Evidence that may be presented

(4) Dans le cadre de l’appel, la personne en cause ne peut présenter que des éléments de preuve survenus depuis le rejet de sa demande ou qui n’étaient alors pas normalement accessibles ou, s’ils l’étaient, qu’elle n’aurait pas normalement présentés, dans les circonstances, au moment du rejet.

(4) On appeal, the person who is the subject of the appeal may present only evidence that arose after the rejection of their claim or that was not reasonably available, or that the person could not reasonably have been expected in the circumstances to have presented, at the time of the rejection.

Audience

Hearing

(6) La section peut tenir une audience si elle estime qu’il existe des éléments de preuve documentaire visés au paragraphe (3) qui, à la fois :

(6) The Refugee Appeal Division may hold a hearing if, in its opinion, there is documentary evidence referred to in subsection (3)

a) soulèvent une question importante en ce qui concerne la crédibilité de la personne en cause;

(a) that raises a serious issue with respect to the credibility of the person who is the subject of the appeal;

b) sont essentiels pour la prise de la décision relative à la demande d’asile;

(b) that is central to the decision with respect to the refugee protection claim; and

c) à supposer qu’ils soient admis, justifieraient que la demande d’asile soit accordée ou refusée, selon le cas.

(c) that, if accepted, would justify allowing or rejecting the refugee protection claim.

[Je souligne.]

[Emphasis added.]

[13] Il est reconnu que, pour que la SAR admette de nouveaux éléments de preuve, ceux‑ci doivent satisfaire à la fois aux exigences légales expresses du paragraphe 110(4) et aux facteurs énoncés dans l’arrêt Raza que sont la crédibilité, la pertinence et le caractère substantiel : Raza c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CAF 385, aux par. 13 à 15; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Singh, 2016 CAF 96, aux par. 38 à 49.

[14] Lors de leur appel devant la SAR, les Idugboe ont déposé un nouveau dossier de preuve contenant huit nouveaux éléments de preuve qu’ils ont cherché à invoquer au titre du paragraphe 110(4) : quatre affidavits qui portaient sur des faits survenus au début de 2018, au cours desquels des membres de la famille de M. Idugboe auraient posé des questions au sujet de Mme Idugboe et proféré des menaces à son endroit; deux lettres concernant les problèmes médicaux du fils; deux éléments de preuve (un affidavit et une capture d’écran imprimée de Facebook) concernant la présence de membres de la famille de M. Idugboe à Port Harcourt. De plus, après la mise en état de l’appel, les Idugboe ont cherché à déposer deux autres éléments de preuve concernant des déclarations et une agression par la famille de M. Idugboe, survenues en septembre 2018.

[15] La SAR a rejeté chacun des dix éléments de preuve. Les quatre affidavits concernant les faits survenus au début de 2018 ont été rejetés pour des motifs de crédibilité, tout comme les deux courriels déposés après la mise en état de l’appel. Les deux lettres concernant les problèmes de santé et les deux éléments de preuve concernant les membres de la famille à Port Harcourt ont été rejetés comme étant des éléments de preuve accessibles auparavant aux Idugboe, et ne satisfaisant donc pas aux exigences du paragraphe 110(4).

[16] Ayant rejeté les nouveaux éléments de preuve, la SAR a examiné et confirmé la décision de la SPR concernant la PRI, en appliquant la norme de la décision correcte. La SAR a conclu, à la lumière de son examen de la preuve, que les Idugboe n’avaient pas réussi à démontrer que les agents de persécution avaient les moyens, la capacité et la motivation nécessaires pour les retrouver à Port Harcourt, et qu’il n’était pas déraisonnable pour eux de déménager à Port Harcourt, au vu de l’ensemble des circonstances, y compris les problèmes de santé du fils. La SAR a donc rejeté l’appel.

IV. Les questions en litige

[17] Les Idugboe soulèvent les questions suivantes :

V. Analyse

A. Le rejet, par la SAR, de certains des nouveaux éléments de preuve pour des motifs de crédibilité

(1) Les conclusions tirées par la SAR quant à la crédibilité sont raisonnables

[18] Les parties conviennent que l’appréciation par la SAR de la recevabilité des nouveaux éléments de preuve et les conclusions connexes qu’elle a tirées au sujet de la crédibilité sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision raisonnable. Bien que cette question ait été débattue avant que la Cour suprême du Canada ne rende l’arrêt Vavilov, cette affaire confirme que la norme de la décision raisonnable s’applique quant au fond de la décision de la SAR sur ces questions : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65, aux par. 16, 17 et 23 à 25.

[19] La SAR a reconnu que les quatre affidavits concernant des faits survenus au début de 2018 répondaient aux exigences législatives du paragraphe 110(4), puisqu’ils faisaient référence à des faits postérieurs à la décision rendue par la SPR le 12 janvier 2018. Cependant, en analysant les facteurs énoncés dans l’arrêt Raza, la SAR a conclu que les affidavits manquaient de crédibilité et a refusé de les admettre.

[20] La SAR a tiré sa conclusion quant à la crédibilité dans le contexte de la preuve présentée par Mme Idugboe devant la SPR en décembre 2017. Mme Idugboe a déclaré qu’elle n’avait pas été en contact avec sa propre famille, car celle‑ci s’était rangée du côté de la famille de M. Idugboe. Elle a également dit que la dernière fois que la famille de M. Idugboe avait communiqué avec quelqu’un qu’elle connaissait pour la menacer de faire subir à sa fille une MGF, c’était avant qu’elle ne quitte le Nigeria en janvier 2014. La SPR a évoqué l’absence de menaces entre janvier 2014 et décembre 2017 pour conclure qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve démontrant que la famille de M. Idugboe était toujours motivée à les retrouver.

[21] Les quatre affidavits présentés en appel comme nouveaux éléments de preuve ont été souscrits par :

[22] Dans ce contexte, la SAR a jugé « trop fortuit pour être vrai » le fait que, dans les deux semaines suivant la réception de la décision de la SPR, « une série d’événements se soient produits et que ces événements aient été confirmés par un certain nombre de personnes à la fin de mars 2018 ».

[23] Je suis d’accord avec les Idugboe pour dire que les dates auxquelles les affidavits ont été souscrits ne constituent pas un socle solide pour apprécier leur crédibilité. En effet, étant donné que les affidavits ont été souscrits pour les besoins de l’appel, on se serait attendu à ce qu’ils aient été obtenus entre la réception de la décision et le dépôt de l’appel. Toutefois, si la SAR a fait des commentaires défavorables sur le moment où les affidavits avaient été souscrits, le principal motif de rejet de cette preuve était la chronologie des faits allégués eux‑mêmes :

En l’espèce, j’estime que les circonstances des quatre nouveaux éléments de preuve susmentionnés sont très difficiles à croire. La chronologie des événements allégués ainsi que la probabilité que trois des membres de la fratrie de l’appelante principale et une ancienne voisine, qui vivent tous à différents endroits, aient vécu chacun de leur côté une rencontre particulière ayant une incidence directe sur la demande d’asile de l’appelante principale sont, à mon avis, très douteuses et improbables. J’estime que ces circonstances ne sont pas crédibles et que ces quatre nouveaux éléments de preuve sont donc inadmissibles parce qu’ils manquent de crédibilité.

[Non souligné dans l’original.]

[24] Cela revient à conclure qu’il est peu probable que les multiples faits aient pu survenir en si peu de temps après la décision de la SPR, alors que des années s’étaient écoulées sans aucune preuve que de telles menaces avaient été proférées. Les Idugboe font valoir que cette conclusion est incompatible avec le principe énoncé dans la décision Valtchev, selon lequel des conclusions défavorables au sujet de la vraisemblance ne peuvent être tirées que dans les cas les plus évidents, puisque les notions relatives à l’invraisemblance sont en soi subjectives et peuvent être influencées par la culture : Valtchev c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 776, aux par. 7 et 8.

[25] Je juge que la conclusion que la SAR a tirée quant à la crédibilité relativement à cette preuve est raisonnable et n’enfreint pas le principe énoncé dans la décision Valtchev. Je souligne que la conclusion de la SAR ne porte pas sur l’invraisemblance d’un récit, d’une histoire ou d’une série de faits particuliers, et qu’elle n’est pas fondée sur l’idée de ce qui constitue un « comportement sensé », laquelle était au centre de l’affaire Valtchev. Elle se fonde plutôt sur la chronologie suspecte d’une vague de menaces qui auraient été proférées immédiatement après que la SPR se fut référée au fait que la famille n’avait pas proféré de menaces pendant une période de quatre ans. La décision Valtchev n’empêche pas la SAR de prendre note de telles préoccupations et de s’y référer. Comme l’a déclaré la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Raza, la crédibilité des éléments de preuve peut être raisonnablement appréciée « compte tenu de leur source et des circonstances dans lesquelles [ils] sont apparu[s] » : Raza, au par. 13; Singh, au par. 38. Quoi qu’il en soit, dans la décision Valtchev, il est souligné que la norme des « cas les plus évidents » renvoie aux faits qui « débordent le cadre de ce à quoi on peut logiquement s’attendre ». Cette description s’applique assez bien à l’apparition soudaine de multiples allégations de menaces après quatre ans de silence.

[26] Je ne souscris pas non plus à l’observation selon laquelle la conclusion de la SAR était fondée sur le type de « raisonnement inversé » rejeté dans la décision Chen c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 311, au par. 20. Contrairement à ce qui s’est produit dans l’affaire Chen, la SAR n’est pas parvenue à une conclusion fondée uniquement sur certains éléments de preuve avant de rejeter le reste de la preuve en raison de son incompatibilité avec cette conclusion. La SAR a rejeté les affidavits en se fondant sur l’invraisemblance de l’ensemble des faits décrits qui se seraient produits immédiatement après la décision de la SPR.

[27] La SAR a également rejeté, pour des motifs de crédibilité, les deux courriels qui avaient été présentés après la mise en état de l’appel. Ces courriels consistaient en :

[28] La SAR a encore une fois conclu que les courriels répondaient aux exigences législatives du paragraphe 110(4), mais a refusé de les admettre, car ils n’étaient pas crédibles, compte tenu de leur « source et des circonstances des événements décrits ». En particulier, il a été jugé que le courriel du frère de Mme Idugboe manquait de précision quant à l’identité de son agresseur ou à la manière dont il avait été agressé; de plus, la [traduction« réunion de famille » décrite dans le courriel de la belle‑sœur a été jugée improbable, tant en ce qui a trait au moment où elle aurait eu lieu qu’au contexte des positions respectives des membres de la famille sur la MGF. Les menaces et agressions rapportées dans les deux courriels ont également été critiquées du fait qu’elles étaient « trop fortuites et qu’elles [avaient] été inventées », et qu’elles étaient « très improbable[s] », étant donné qu’elles représentaient une nouvelle « série d’événements » qui se seraient déroulés à 24 heures d’intervalle.

[29] La SAR a également conclu que la source des courriels manquait de crédibilité, puisque les deux courriels provenaient de déposants dont la preuve avait déjà été rejetée : le frère avait souscrit l’un des affidavits rejetés pour les motifs de crédibilité susmentionnés; la belle‑sœur avait fourni un affidavit concernant la présence de membres de la famille à Port Harcourt qui avait été rejeté, car les éléments de preuve étaient déjà accessibles et, par conséquent, l’affidavit ne respectait pas le paragraphe 110(4).

[30] Je ne suis pas d’accord avec les Idugboe pour dire qu’il était déraisonnable, pour la SAR, de s’appuyer sur l’affidavit précédemment souscrit par le frère dans le cadre de son appréciation de la crédibilité du courriel du frère. Il est vrai qu’un manque de crédibilité concernant un aspect de la preuve présentée par un témoin ne justifie pas nécessairement le rejet de tous les éléments de preuve présentés par celui‑ci : Isakova c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 149, au par. 17. Cependant, le rejet de l’affidavit d’un témoin pour des motifs de crédibilité est un élément qu’il est raisonnable de considérer dans le cadre de l’appréciation de la source des éléments de preuve présentés ultérieurement par ce témoin.

[31] Il n’en va pas de même pour le rejet par la SAR de l’affidavit présenté précédemment par la belle‑sœur. Cet affidavit a été rejeté non pas parce qu’il n’était pas crédible, mais parce qu’il ne respectait pas l’exigence du paragraphe 110(4) selon laquelle une personne ne peut présenter que des éléments de preuve « survenus depuis le rejet de sa demande ou qui n’étaient alors pas normalement accessibles ou, s’ils l’étaient, qu’elle n’aurait pas normalement présentés, dans les circonstances, au moment du rejet ». Le fait que certains éléments de preuve d’un témoin ne soient pas admissibles en appel pour des raisons de chronologie ne permet pas de mettre en doute la crédibilité d’autres éléments de preuve provenant de ce témoin.

[32] Néanmoins, le fait que la SAR avait rejeté l’affidavit antérieur de la belle‑sœur n’était qu’une petite partie de ce qui justifiait son rejet du courriel ultérieur de cette personne. La SAR s’est appuyée à la fois sur le moment où s’était produite la nouvelle « série d’événements » et sur le contenu du courriel examiné à la lumière de l’ensemble de la preuve présentée à la SPR. La SAR a souligné l’improbabilité de la réunion de famille alléguée et le fait qu’il était « déconcertant » que des menaces et des actes de violence aient eu lieu en septembre 2018, alors que la famille de M. Idugboe n’avait pas vu les Idugboe ni entendu parler d’eux depuis 2014. Reconnaissant la retenue dont il faut faire montre à l’égard des conclusions relatives à la crédibilité, je suis convaincu que l’appréciation de la crédibilité du courriel de la belle‑sœur par la SAR est raisonnable dans son ensemble, malgré le fait qu’elle se soit appuyée de manière inappropriée sur le rejet de ses éléments de preuve antérieurs pour des raisons de chronologie.

(2) Il n’incombait pas à la SAR de tenir une audience

[33] Les Idugboe font valoir qu’il était injuste de ne pas tenir d’audience avant de rejeter les éléments de preuve susmentionnés pour des motifs de crédibilité. Comme il a déjà été souligné, le paragraphe 110(6) de la LIPR dispose que la SAR peut tenir une audience s’il existe de nouveaux éléments de preuve qui soulèvent une question importante en ce qui concerne la crédibilité de la personne en cause; qu’ils sont essentiels pour la prise de la décision; à supposer qu’ils soient admis, qu’ils justifieraient que la demande d’asile soit accordée ou refusée, selon le cas. Bien que la SAR conserve un pouvoir discrétionnaire, une audience doit généralement être tenue lorsque les critères prévus par la loi sont remplis : Zhuo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 911, aux par. 9 à 11.

a) La norme de contrôle

[34] La question de savoir si une audience doit être tenue est une question d’équité procédurale. Dans le cadre d’un contrôle judiciaire, ces questions commandent généralement l’application d’une norme « d’équité » qui s’apparente à la norme de la décision correcte, selon laquelle la Cour doit se demander si la procédure est équitable, eu égard à l’ensemble des circonstances : Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69, au par. 54. En même temps, les Idugboe soutiennent que l’obligation de la SAR est « d’examiner et d’appliquer de manière raisonnable les critères prévus par la loi » : Zhuo, au par. 11; Boyce c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 922, aux par. 46 à 48.

[35] La conclusion du juge O’Reilly dans la décision Zhuo, selon laquelle une audience est généralement nécessaire lorsque les critères prévus par la loi ont été satisfaits, est fondée sur une analogie avec l’approche que la Cour a adoptée pour les audiences dans le contexte d’un examen des risques avant renvoi (ERAR), au titre de l’alinéa 113b) de la LIPR et de l’article 167 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 [le RIPR] : Zhuo, aux par. 10 et 11; Strachn c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 984, aux par. 32 à 34. Le libellé très similaire de la loi applicable dans les deux affaires donne à penser qu’il faut adopter la même approche à l’égard de leur demande : Singh, au par. 40. Cela donne également à penser que la même norme de contrôle devrait s’appliquer.

[36] Toutefois, dans le contexte de l’ERAR, la question de savoir si cette décision est susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte ou celle de la décision raisonnable « n’a toujours pas été réglée » : Huang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 940, aux par. 12 à 17; Khan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1515, aux par. 34 à 39. En substance, certaines décisions considèrent qu’il s’agit d’une question d’équité procédurale, ce qui implique une norme « d’équité » ou la norme de la « décision correcte »; tandis que d’autres ont conclu que, puisque la question à trancher concerne l’interprétation et l’application de la LIPR et du RIPR, la norme de la décision raisonnable devrait s’appliquer : Khan, au par. 35. Bien que je ne croie pas que la norme de contrôle influe sur l’issue en l’espèce, je fais les observations suivantes.

[37] D’une manière générale, la législature peut définir des exigences en matière d’équité procédurale, et ces exigences primeront sur les principes de justice naturelle de la common law : Ocean Port Hotel Ltd c Colombie‑Britannique (General Manager, Liquor Control and Licensing Branch), 2001 CSC 52, aux par. 19 à 22. Toutefois, le fait qu’une loi comporte des exigences en matière d’équité procédurale ne rend pas en soi la question de l’interprétation législative soumise à la norme de la décision raisonnable déférente. Cela ressort de l’arrêt de la Cour suprême du Canada dans Khela, qui a réitéré que la norme de la « décision correcte » s’appliquait aux questions d’équité procédurale, malgré le fait que la question dans cette affaire concernait l’interprétation et l’application d’un droit procédural de communication prévu par la loi : Établissement de Mission c Khela, 2014 CSC 24, aux par. 79 à 85; voir aussi Canadien Pacifique, aux par. 34 à 36 et 81 à 92, dans lequel les questions d’équité procédurale comprenaient le recours par l’Office des transports du Canada à une obligation légale de rendre une décision dans un délai déterminé.

[38] Il convient de noter que les questions de procédure sont traitées ensemble au titre de l’alinéa 18.1(4)b) de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F‑7, qu’elles se présentent comme un principe de justice naturelle ou d’équité procédurale, ou comme « toute autre procédure [que le tribunal] était légalement tenu de respecter » : Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au par. 43; voir également Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au par. 77, où il est souligné que l’équité procédurale, une question traitée en dehors de l’analyse relative à la norme de contrôle, est en cause « lorsque les règles de procédure établies par un organisme administratif n’ont pas été respectées ». Cela étant, il serait inhabituel d’appliquer des normes de contrôle différentes lors d’un contrôle judiciaire au titre de l’article 18.1, selon que le problème d’équité se pose en common law ou au titre d’une loi.

[39] Je conclus donc qu’il s’agit d’une question « d’équité » plutôt que de « caractère raisonnable », au sens où ce terme est utilisé dans le contexte du contrôle judiciaire sur le fond : Vavilov, au par. 23; Canadien Pacifique, aux par. 52 à 56.

[40] Néanmoins, certains aspects de l’équité procédurale peuvent impliquer l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire par le décideur administratif qui a droit à la déférence. Cela inclut les affaires dans le cadre desquelles une exigence procédurale légale comporte expressément un certain pouvoir discrétionnaire (p. ex. Khela, au par. 89; Canadien Pacifique, aux par. 42, 43 et 84), ou lorsque la question procédurale est intrinsèquement discrétionnaire, comme l’octroi d’un ajournement (p. ex. Wagg c Canada, 2003 CAF 303, aux par. 19, 22 et 26). Dans les deux cas, la question est de savoir « si la procédure était équitable eu égard à l’ensemble des circonstances » : Canadien Pacifique, au par. 54.

b) L’application de la norme d’équité

[41] Pour apprécier si la procédure a été équitable, eu égard à l’ensemble des circonstances, les « circonstances » comprennent nécessairement toutes les exigences procédurales légales applicables. En l’espèce, l’article 110 énonce les circonstances dans lesquelles la SAR « peut » tenir une audience, et interdit la tenue d’une audience si ces circonstances ne sont pas présentes : LIPR, paragraphes 110(3) et (6). L’une des circonstances requises est que les nouveaux éléments de preuve documentaire « soulèvent une question importante en ce qui concerne la crédibilité de la personne en cause » : LIPR, alinéa 110(6)a). Bien que la SAR ait rejeté les quatre affidavits et les deux courriels pour des motifs de crédibilité, les conclusions tirées au sujet de la crédibilité concernaient les auteurs des documents et le contenu de la preuve, et ne se rapportaient pas, directement ou indirectement, aux Idugboe, qui étaient les « [personnes] en cause ».

[42] Comme l’a fait remarquer le juge Norris dans un contexte d’ERAR analogue, s’il peut être difficile de tracer une ligne claire, « le fait d’avoir des doutes sur la véracité d’une preuve n’équivaut pas nécessairement à avoir des doutes sur la crédibilité d’un demandeur » : Ahmed c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 1207, au par. 32. Bien que Mme Idugboe ait présenté une preuve devant la SPR concernant ses craintes à l’égard de la famille de son ex‑mari, ses éléments de preuve factuels n’ont été remis en question ni par la SPR ni par la SAR, et les nouveaux éléments de preuve provenant de tiers relatant de nouveaux incidents qui se seraient produits au Nigeria pendant que Mme Idugboe était au Canada n’ont pas d’incidence sur la crédibilité de Mme Idugboe.

[43] Je suis également d’accord avec le ministre pour dire que ces éléments de preuve n’étaient pas de ceux qui étaient « essentiels pour la prise de la décision » et qui, s’ils étaient admis, « justifieraient que la demande d’asile soit accordée ou refusée », et qu’ils ne répondaient donc pas aux autres exigences du paragraphe 110(6). Les éléments de preuve qui ont été rejetés pour des motifs de crédibilité témoignaient de nouveaux incidents impliquant des menaces et des agressions, dont aucun n’aurait influé sur la question déterminante de la PRI. Bien que les éléments de preuve témoignent sans doute de la motivation de la famille de M. Idugboe à retrouver les Idugboe à leur retour au pays, la conclusion relative à la PRI reposait sur une variété de facteurs, y compris leurs moyens et leur capacité à retrouver les Idugboe à Port Harcourt, et aucun d’entre eux n’a été influencé par cette preuve nouvellement présentée.

[44] Les Idugboe invoquent les décisions Gbemudu c Canada (Citoyenneté, Réfugiés et Immigration), 2018 CF 451, et Horvath c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 147, à l’appui de leur prétention selon laquelle ils auraient dû avoir la possibilité de plaider oralement. Aucune de ces affaires n’aide les Idugboe. Bien que, dans la décision Gbemudu, le juge Russell ait dit que certaines des inquiétudes quant à la crédibilité concernant le nouvel affidavit présenté dans cette affaire auraient pu être résolues en donnant au demandeur la possibilité de les aborder, sa décision selon laquelle la conclusion de la SAR concernant la crédibilité était déraisonnable s’appuyait sur les motifs donnés par la SAR pour tirer cette conclusion, et non sur la question de l’équité : Gbemudu, aux par. 75 à 83. Le juge Russell n’a pas non plus été appelé à se prononcer sur la question de savoir si l’affidavit soulevait un problème de crédibilité du demandeur. Dans la décision Horvath, la question de la crédibilité était directement liée au demandeur et découlait d’éléments de preuve qui avait été admis par la SAR, ce qui rendait la situation très différente de celle des Idugboe : Horvath, aux par. 8 et 19.

[45] À la lumière des exigences de la loi, je ne peux pas conclure que la décision de la SAR de ne pas tenir d’audience avant de tirer des conclusions sur la crédibilité et de rejeter les nouveaux éléments de preuve pour ce motif était injuste, eu égard à l’ensemble des circonstances.

B. Le rejet par la SAR de la preuve médicale

[46] La SAR a rejeté les deux lettres présentées concernant les problèmes de santé du fils, parce qu’elles ne satisfaisaient pas aux exigences du paragraphe 110(4), puisque les éléments de preuve étaient normalement accessibles aux Idugboe avant le rejet de leur demande et que l’on pouvait raisonnablement s’attendre à ce qu’ils les présentent à la SPR.

[47] Le refus d’admettre de nouveaux éléments de preuve, fondé sur le paragraphe 110(4) de la LIPR, pourrait être considéré comme une question d’équité procédurale (voir Ghannadi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 879, aux par. 14 à 19), et donc, être soumis à une norme « d’équité » pour les raisons susmentionnées. Toutefois, la Cour d’appel fédérale a conclu clairement que la norme de la décision raisonnable s’appliquait à l’interprétation et à l’application du paragraphe 110(4) par la SAR : Singh, aux par. 23 et 29.

[48] Comme il a été mentionné ci‑dessus, la SPR a tenu compte de l’état de santé du fils dans son appréciation de la viabilité de Port Harcourt à titre de PRI, et elle a souligné qu’il n’y avait aucune preuve démontrant que son état de santé s’était aggravé au point qu’il y avait un risque que sa vie soit en danger. Au contraire, la preuve établissait que le fils avait pu obtenir, au Nigeria, un traitement médical pour sa pathologie lorsqu’il en avait eu besoin.

[49] Vraisemblablement, pour répondre à cela, les Idugboe ont cherché à déposer devant la SAR une lettre de l’Hôpital pour enfants du Centre des sciences de la santé de London, où le fils reçoit des traitements, qui parle de l’état de santé du fils et de l’importance de recevoir des soins appropriés ainsi qu’une lettre du Delta State Hospitals Management Board qui parle de la médiocrité des installations médicales et des coûts élevés des soins au Nigeria, notamment de la difficulté à obtenir des médicaments pour traiter la drépanocytose.

[50] À l’appui de l’admission de cet élément de preuve, Mme Idugboe a déclaré que le conseil qui la représentait précédemment ne l’avait pas informée du fait qu’il était permis de déposer des éléments de preuve après une audience, et que, si elle avait été au courant des préoccupations de la SPR, elle aurait [traduction] « pris des mesures ». Son ancien conseil ne lui avait pas non plus conseillé d’apporter des documents médicaux concernant l’état de santé de son fils.

[51] La SAR a conclu que la question de l’état de santé du fils avait déjà été présentée à la SPR, puisque celle‑ci avait été soulevée dans le cadre du dossier des Idugboe. La SAR a conclu que la preuve médicale était accessible et que l’on pouvait normalement s’attendre à ce qu’elle soit présentée avant le rejet de la demande, même après l’audience au cours de laquelle la ville de Port Harcourt a été évoquée comme une PRI potentielle. La SAR a également rejeté l’argument des Idugboe selon lequel le précédent conseil était à blâmer pour ne pas avoir déposé ces éléments de preuve plus tôt, et elle a souligné qu’aucune plainte n’avait été déposée contre l’ancien conseil, et qu’on ne lui avait donné aucun avis ni la possibilité de répondre. Les Idugboe font valoir que ces deux conclusions sont déraisonnables.

[52] En ce qui concerne le premier point, les Idugboe font valoir que les éléments de preuve ont été présentés afin de répondre directement aux questions soulevées dans l’analyse de la SPR au sujet de la PRI et que, par conséquent, ils n’auraient pas pu être fournis plus tôt. Ils font valoir qu’il était déraisonnable pour la SAR de rejeter les éléments de preuve sous prétexte qu’ils n’étaient pas nouveaux.

[53] Je ne suis pas d’accord. L’analyse menée par la SPR relativement à la PRI a examiné les allégations avancées par les Idugboe lors de l’audience, quant aux raisons pour lesquelles Port Harcourt n’était pas une PRI viable, et y a répondu. Ces allégations comprenaient la question de l’état de santé du fils, une question soulevée par les Idugboe, et non par la SPR. Puisque les Idugboe avaient soulevé cette question comme étant pertinente pour la PRI, il leur incombait de présenter des éléments de preuve concernant cette question, soit lors de l’audience, soit ultérieurement. La SPR a entrepris son analyse en se fondant sur la preuve et les observations dont elle disposait, et elle a conclu que les éléments de preuve concernant l’état de santé du fils étaient insuffisants pour satisfaire à la norme du caractère déraisonnable relativement à la PRI. Dans ce contexte, le fait que les éléments de preuve aient été déposés en réponse à l’analyse de la SPR ne les rend pas nouveaux, ni ne signifie qu’ils n’auraient pas pu être déposés devant la SPR. Comme le ministre le fait remarquer, le rôle de la SAR n’est pas d’offrir la possibilité de compléter un dossier déficient devant la SPR : Singh, au par. 54.

[54] En ce qui concerne le dernier point, les Idugboe font valoir que l’Avis de pratique – Allégations à l’égard d’un ancien conseil de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié n’est entré en vigueur que le 10 septembre 2018, soit trois mois après le dépôt de la preuve médicale, de sorte qu’il ne devrait pas être considéré comme applicable. Le ministre répond que les Idugboe ont déposé de nouveaux éléments de preuve en octobre et que la SAR n’a rendu sa décision que le 2 novembre 2018, de telle sorte que les Idugboe ont eu amplement l’occasion d’informer l’ancien conseil au sujet de l’allégation d’incompétence.

[55] Les observations du ministre concernant le moment entre l’entrée en vigueur de l’Avis de pratique et l’occasion d’informer l’ancien conseil sont convaincantes. Quoi qu’il en soit, la publication de l’Avis de pratique n’était pas la première fois que la nécessité d’informer d’anciens conseils d’allégations d’incompétence était évoquée. Même avant la publication de l’Avis de pratique, la SAR avait adopté une approche exigeant que les anciens conseils soient avisés, une pratique suffisamment reconnue pour que la SAR observe que « tous les demandeurs et leur conseil [le] savent » : voir X (Re), 2017 CanLII 142912 (CA CISR), aux par. 25, 26 et 38 à 40, citant la décision Pathinathar c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 1225, au par. 25.

[56] La SAR n’a pas fait mention de l’Avis de pratique ni ne s’est appuyée sur ce dernier dans sa décision concernant les Idugboe, et il est possible de considérer qu’elle a simplement appliqué son approche préexistante. Il s’agit d’une pratique juste et raisonnable, compte tenu de la pratique antérieure et de l’importance d’aviser l’ancien conseil pour permettre à la SAR d’apprécier les allégations d’incompétence.

[57] Le rejet de cette preuve par la SAR, aux motifs qu’elle n’était pas nouvelle et que les allégations concernant l’ancien conseil étaient insuffisantes pour expliquer pourquoi la preuve n’avait pas été déposée auparavant, était donc raisonnable.

C. La décision relative à la PRI

[58] Enfin, les Idugboe font valoir que la décision de la SAR, selon laquelle Port Harcourt était une PRI viable, était déraisonnable. L’appréciation de la SAR selon laquelle il existe une PRI est une question mixte de fait et de droit qui est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable : Okohue c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1305, au par. 10; Vavilov, au par. 25.

[59] Pour déterminer s’il existe une PRI viable, la SAR doit être convaincue, selon la prépondérance des probabilités, que 1) le demandeur ne risque pas sérieusement d’être persécuté dans la PRI proposée et que 2) compte tenu de toutes les circonstances, dont celles qui sont particulières au demandeur, la situation dans la région où se trouve la PRI est telle qu’il ne serait pas déraisonnable pour le demandeur de s’y réfugier : Rasaratnam, à la p. 711. Bien que l’analyse de l’arrêt Rasaratnam ne soit directement applicable qu’à une demande de statut de réfugié au sens de la Convention, au titre de l’article 96, l’exigence du sous‑alinéa 97(1)b)(ii) selon laquelle une personne à protéger doit être exposée au risque cerné « en tout lieu de ce pays » signifie qu’une PRI annule une demande d’asile au titre de l’article 96 ou 97 : Sanchez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CAF 99, au par. 16; Barragan Gonzalez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 502, aux par. 45 et 46.

[60] Les Idugboe font valoir que l’appréciation qu’a faite la SAR du deuxième volet de l’analyse relative à la PRI était déraisonnable, particulièrement en ce qui concerne l’état de santé du fils et le caractère adéquat des soins de santé offerts à Port Harcourt. Si les Idugboe font principalement référence au rejet par la SAR des nouveaux documents médicaux, dont il a été question ci‑dessus, ils prétendent également que l’analyse par la SAR du deuxième volet de la PRI n’a pas suffisamment pris en compte les éléments de preuve concernant les soins de santé offerts au Nigeria en général, et à Port Harcourt en particulier.

[61] La SAR a effectué sa propre appréciation des éléments de preuve concernant l’accès aux soins au Nigeria et la qualité de ceux‑ci. Je suis convaincu que cette appréciation, bien que brève, était raisonnable.

[62] La SAR a examiné la preuve générale concernant les soins de santé et a souligné que la preuve était muette à l’égard des besoins spécifiques des personnes souffrant de drépanocytose. La SAR a évoqué l’objectif constitutionnel de l’accès universel aux soins de santé au Nigeria, mais a également reconnu que de « nombreux éléments de preuve signal[aient] qu’il y a[vait] dans les faits des lacunes à cet égard ». Dans le même temps, la SAR a fait remarquer que la preuve décrivait les soins de santé financés par l’État ainsi que les fournisseurs de soins des secteurs privé et à but non lucratif. La SAR a jugé que les soins offerts au Nigeria ne répondaient pas aux normes américaines, mais qu’il était possible d’obtenir des soins dans ce pays. Elle a donc conclu que l’état de santé du fils et l’accès aux soins de santé en découlant ne donnaient pas à penser que la PRI était déraisonnable dans les circonstances qui lui étaient propres.

[63] Je ne considère pas que l’appréciation des soins de santé par la SAR ait été trop sélective ou qu’elle ait omis d’analyser les conséquences pratiques des lacunes du système de soins de santé. Dans le contexte où il faut placer la barre très haute quant au critère du caractère déraisonnable dans le cadre du deuxième volet de l’analyse relative à la PRI, et en l’absence d’une preuve médicale concernant les besoins médicaux du fils et la disponibilité des soins, preuve qui aurait pu être déposée auprès de la SPR, mais qui ne l’a pas été, l’analyse par la SAR des éléments de preuve médicale accessibles ainsi que son appréciation de Port Harcourt à titre de PRI étaient raisonnables.

[64] Les Idugboe font également valoir que la SAR a déraisonnablement omis d’apprécier la preuve concernant le traitement des personnes non indigènes à Port Harcourt, les difficultés à trouver un emploi en dehors du secteur pétrolier ainsi que les difficultés rencontrées par les femmes célibataires qui gèrent leur propre foyer. Ils citent la décision Okoloise c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 1008, aux par. 11 à 18, dans laquelle ces questions ont été examinées.

[65] La principale faiblesse de cet argument est que les Idugboe n’ont pas soulevé ces questions devant la SAR. Leurs observations concernant la PRI étaient plutôt concentrées sur les risques de persécution continue de la part de la famille de l’ex‑mari et, accessoirement, sur les problèmes de santé du fils. La SAR a raisonnablement répondu aux préoccupations que les Idugboe avaient soulevées comme étant pertinentes à l’égard de l’appréciation de la PRI. La SAR a également souligné qu’aucune contestation n’avait été soulevée concernant l’appréciation par la SPR du sexe, de la situation familiale, de l’éducation et des emplois antérieurs de Mme Idugboe dans le cadre de l’analyse relative à la PRI. Il ne peut être reproché à la SAR de ne pas avoir abordé des questions pour lesquelles les parties devant elle n’avaient déposé ni preuve ni observations.

[66] Je conclus donc que l’analyse faite par la SAR, quant à la question de savoir si Port Harcourt constituait une PRI viable pour les Idugboe, était raisonnable.

VI. Conclusion

[67] Le refus de la SAR d’admettre les nouveaux éléments de preuve présentés par les Idugboe en appel était raisonnable. L’appréciation par la SAR de la question de savoir si Port Harcourt était une PRI viable pour la famille, effectuée en l’absence de la nouvelle preuve, était tout aussi raisonnable, tout comme la décision qui en a découlé, à savoir que les Idugboe n’étaient pas des réfugiés au sens de la Convention ni des personnes à protéger. La demande de contrôle judiciaire est donc rejetée.

[68] Aucune des parties n’a proposé de question à certifier. Je suis d’accord pour dire qu’il n’y en a pas. Par conséquent, aucune question n’est certifiée.




 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.