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Date : 20000823

Dossier : IMM-3611-99

ENTRE :

JASVIR SINGH MANGAT

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE HANSEN

[1]         Le demandeur cherche à obtenir le contrôle judiciaire de la décision, datée du 5 juillet 1999, dans laquelle la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) a conclu qu'il n'est pas un réfugié au sens de la Convention. La Commission a fondé sa décision sur le manque de crédibilité du demandeur et le fait qu'une possibilité de refuge intérieur s'offrait à lui. La conclusion de la Commission en ce qui concerne la crédibilité du demandeur portait sur des contradictions entre le témoignage de ce dernier et la preuve documentaire, et un certain nombre d'aspects non plausibles de ce témoignage.


[2]         Le demandeur soutient qu'il a été privé du droit à une audience équitable vu l'incompétence de l'interprète. L'audition a eu lieu en anglais et avec l'aide d'un interprète punjabi. Au début de l'audition, un membre de la Commission a confirmé que le demandeur et l'interprète se comprenaient réciproquement. Aucune objection n'a été soulevée à l'audition au sujet de la qualité de l'interprétation.

[3]         La question litigieuse que soulève la présente demande de contrôle judiciaire est de savoir si la qualité de l'interprétation à l'audition satisfaisait à la « norme d'interprétation fondamentale que garantit la constitution » , comme le prévoit l'arrêt R. c. Tran [1994] 2 R.C.S. 951.

[4]         Le demandeur se fonde sur l'affidavit de Sudesh Kaur, qui se décrit comme un interprète agréé qui parle couramment le punjabi et l'anglais, pour établir que l'interprétation comportait des erreurs. Le demandeur n'a pas produit d'affidavit.

[5]         Sur le fondement de son examen de la bande sonore, M. Kaur a identifié sept erreurs d'interprétation à l'audition. La conclusion de la Commission en matière de crédibilité qui fait directement intervenir la qualité de l'interprétation sera traitée distinctement. Elle porte sur la façon dont le demandeur est parvenu à se rendre au Canada en provenance de la Californie, que la Commission n'a pas trouvé plausible.


[6]         Le demandeur a obtenu un visa de visiteur lui permettant d'entrer aux États-Unis grâce au concours du député représentant sa région, en Inde. Le demandeur a témoigné que le député s'était rendu avec lui en Californie, où il a quitté le demandeur, forçant ce dernier à trouver seul son chemin pour se rendre au Canada. Un camionneur punjabi l'aurait conduit de la Californie à la frontière canadienne.

[7]         Monsieur Kaur déclare dans son affidavit que l'échange suivant a eu lieu à l'audition :

[TRADUCTION]

L'avocat, en anglais :

Oùavez-vous rencontré ce camionneur?

Le demandeur, en punjabi :

Je demandais aux automobilistes de me faire monter dans leur voiture, en bordure de la route.

L'interprète, en anglais :

En bordure de la route, je demandais seulement aux automobilistes de me faire monter dans leur voiture.

L'avocat, en anglais :

Vous faisiez de l'auto-stop?

L'interprète, en punjabi :

Vous ne faisiez que marcher en bordure de la route?

Le demandeur, en punjabi :

Non monsieur, j'étais en bordure de la route.

L'interprète, en anglais :

Non, j'étais seulement en bordure de la route.


[8]         Même si l'interprète n'a pas correctement interprété le terme « auto-stop » , il ressort clairement de l'échange qui a suivi entre l'avocat et le demandeur que ce dernier a témoigné qu'il se trouvait simplement en bordure de la route lorsqu'un camionneur punjabi s'est arrêté pour lui demander s'il voulait qu'il l'amène quelque part. Cette dernière version de ce qui s'est produit est également compatible avec le récit de cet événement que contenait le formulaire de renseignements personnels du demandeur, dans lequel ce dernier n'a pas mentionné qu'il faisait de l'auto-stop. En l'espèce, je ne suis pas convaincue que l'erreur de l'interprète a donné lieu à une mauvaise compréhension du témoignage de la Commission.

[9]         Monsieur Kaur renvoie également à ce qu'il décrit comme le ton exaspéré, impatient et irrité de l'interprète qui, à son avis, a forcé le demandeur a fournir des réponses brèves afin de ne pas irriter qui que ce soit à l'audition. À mon avis, cela n'est qu'une hypothèse, et en l'absence d'un affidavit du demandeur à cet effet, je ne suis pas disposée à conclure que c'est effectivement ce qui s'est produit.

[10]       En ce qui concerne les autres incohérences alléguées de l'affidavit, je suis convaincue, après avoir comparé la version de M. Kaur de ce que l'on a dit à l'audition et la transcription de celle-ci, que l'interprétation en punjabi des questions posées au demandeur communiquait adéquatement le contenu et le sens des questions, de sorte que le demandeur comprenait ces dernières. De la même façon, l'interprétation en anglais des réponses du demandeur communiquait à la Commission le contenu et le sens des réponses. D'ailleurs, le fait que le demandeur comprenait bel et bien les questions qui lui étaient posées est également étayé par la cohérence manifeste entre les questions et les réponses.


[11]       En ce qui concerne les omissions, l'interprète et le demandeur ont eu une brève conversation au cours de laquelle l'interprète a cherché à obtenir des éclaircissements en ce qui concerne le nom du village où le demandeur avait vécu, en Inde. Cet échange n'a pas été interprété pour le bénéfice de la Commission. Même si de tels échanges ne devraient idéalement pas avoir lieu et ne doivent pas être encouragés, le fait est qu'ils se produisent à l'occasion. En l'espèce, l'échange a été bref, la réponse n'a pas été suggérée, et il n'était pas déterminant relativement à une quelconque conclusion de la Commission.

[12]       En déterminant si les défauts de l'interprétation sont tels que le demandeur devrait obtenir une nouvelle audition de sa demande, le juge en chef Lamer a dit, dans l'arrêt Tran, précité, aux pages 990 et 991 :

Compte tenu de l'importance fondamentale des intérêts protégés par le droit à l'assistance d'un interprète, la norme d'interprétation garantie par la Constitution doit être élevée, et les dérogations admissibles à cette norme limitées. Pour déterminer s'il y a eu dérogation suffisante à la norme pour satisfaire au second volet de l'examen fondé sur l'art. 14, il faut garder à l'esprit le principe qui sous-tend le droit en question, celui de la compréhension linguistique. En d'autres termes, il faudrait toujours se demander s'il se peut que l'accusé n'ait pas compris une partie des procédures en raison des difficultés qu'il éprouve avec la langue du prétoire.

[13]       En l'espèce, je suis convaincue que le demandeur comprenait l'instance et que la qualité de l'interprétation n'a pas eu d'incidence sur l'équité de l'audition. En conséquence, il n'est pas nécessaire de traiter des arguments de l'avocate du défendeur concernant l'omission du demandeur de soulever la question de la compétence de l'interprète à l'audition ou l'omission du demandeur d'établir qu'il a subi un préjudice en raison de la qualité de l'interprétation.

[14]       Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.


[15]       Ni l'une ni l'autre partie n'a proposé de question pour certification.

     « Dolores M. Hansen »     

        J.C.F.C.

Traduction certifiée conforme

Bernard Olivier, B.A., LL.B.


COUR FÉDÉ RALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

NO DU GREFFE :                                              IMM-3611-99

INTITULÉ DE LA CAUSE :                 JASVIR SINGH MANGAT

c.

MCI

LIEU DE L'AUDIENCE :                                 VANCOUVER (COLOMBIE-BRITANNIQUE)

DATE DE L'AUDIENCE :                               LE 18 FÉVRIER 2000

MOTIFS D'ORDONNANCE EXPOSÉS PAR MADAME LE JUGE DOLORES M. HANSEN

EN DATE DU :                                                 23 AOÛT 2000

ONT COMPARU :                                        

M. MISHAL ABRAHAMS                                                                   POUR LE DEMANDEUR

MME RAMA SOOD                                                                             POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

KANG & COMPANY

North Delta (C.-B.)                                                                               POUR LE DEMANDEUR

MORRIS ROSENBERG

SOUS-PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA                                  POUR LE DÉFENDEUR

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