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Date : 20020212

Dossier : IMM-364-02

Winnipeg (Manitoba), le 12 février 2002

En présence de Monsieur le juge Lemieux

ENTRE :

                                                          OPE ABIODUN OKUTUBO

                                                                                                                                                     demandeur

                                                                                   et

                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                      défendeur

                                                                     ORDONNANCE

Pour les motifs déposés en ce jour, la demande de sursis est rejetée.

                                                                                                                                     « François Lemieux »                

Juge                     

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes


Date : 20020212

Dossier : IMM-364-02

Référence neutre : 2002 CFPI 159

ENTRE :

                                                          OPE ABIODUN OKUTUBO

                                                                                                                                                     demandeur

                                                                                   et

                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                      défendeur

                                                    MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE LEMIEUX

CONTEXTE


[1]                 Ope Abiodun Okutubo (le demandeur) est citoyen du Nigeria. Il sollicite un sursis à l'exécution d'une mesure de renvoi par le Canada dans l'attente de l'examen de sa demande d'autorisation et de contrôle judiciaire portée à l'encontre d'une décision par laquelle l'agente d'immigration Marie Couracos a refusé, le 23 janvier 2002, sa demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire (demande CH) qu'il avait présentée en vue d'être dispensé des exigences du paragraphe 9(1) de la Loi sur l'immigration (la Loi). L'agente d'immigration qui est également agente de révision des revendications refusées (ARRR) venait de terminer une évaluation du risque le jour précédent, soit le 22 janvier 2002, dans le cadre de la demande CH du demandeur.

[2]                 Le demandeur est arrivé au Canada le 6 février 1999 et, le même jour, il a demandé le statut de réfugié. Le 10 mai 2000, la Section du statut de réfugié (SSR) a refusé de lui reconnaître ce statut. Le demandeur n'a pas présenté de demande de contrôle judiciaire à l'encontre de cette décision.

[3]                 Le 14 mai 2000, le demandeur a déposé une demande en vue de faire partie de la catégorie des demandeurs non reconnus du statut de réfugié au Canada (CDNRSRC), mais il n'a présenté aucune thèse à l'appui de sa demande. Le 2 novembre 2001, un ARRR a refusé sa demande pour les motifs suivants :

[traduction]

- Aucune preuve ou information n'a été présentée pour démontrer que les autorités nigérianes avaient arrêté des proches du demandeur dans le but de l'inciter à se rendre ou que d'autres membres de sa famille, au Nigeria, avaient fait l'objet de mauvais traitements en raison de leur lien familial avec lui.

- Les éléments probants étaient insuffisants pour démontrer que les autorités nigérianes actuelles continuaient de s'intéresser à lui et à ses allées et venues ou cherchaient à s'en prendre à lui.

- Les éléments probants étaient insuffisants pour démontrer un risque objectivement identifiable, conformément au mandat de la CDNRSRC, advenant le renvoi du demandeur dans son pays.

- Les éléments probants étaient, dans les circonstances de la présente affaire, insuffisants pour permettre au demandeur de faire partie de la CDNRSRC.

Le demandeur n'a pas demandé l'autorisation de présenter une demande de contrôle judiciaire à l'encontre de cette décision défavorable.


[4]                 Le demandeur a déposé, le 7 juillet 2000, une demande CH. Il a invoqué dans cette demande deux motifs de dispense : son établissement au Canada et les risques associés à son retour. Sur ce dernier point, le demandeur a précisé qu'il avait été mis en état d'arrestation à deux reprises au Nigeria en raison de ses relations avec le Congrès du peuple Oodua (CPO), que des membres de cette organisation avaient fait l'objet de menaces de la part des autorités et que nombre d'entre eux avaient été tués par celles-ci. Il a affirmé qu'il avait été blessé lors de la deuxième arrestation et qu'il avait dû être transféré dans un hôpital militaire pour y être soigné. Sa famille a réussi à le faire libérer en payant un pot-de-vin. Il est demeuré caché jusqu'à ce que parents et amis aient tout organisé pour son départ. Il a déclaré que les autorités, y compris la police, l'armée et le service de sécurité de l'État, avaient fait des pressions sur sa famille afin d'en savoir plus long sur ses allées et venues.

[5]                 Comme je l'ai déjà mentionné, l'agente d'immigration qui a refusé la demande CH du demandeur était également ARRR et elle avait terminé le 22 janvier 2002 une évaluation du risque le concernant.

[6]                 La SSR, dans sa décision du 10 mai 2000, a accepté, selon la prépondérance des probabilités, la preuve démontrant qu'il faisait partie du CPO, qu'il avait été détenu par les autorités nigérianes et qu'il avait été subséquemment libéré, tel qu'il l'avait allégué.


[7]                 La SSR a conclu que, considérant le manque de renseignements précis au sujet du CPO et l'insuffisance des renseignements fournis par le demandeur, elle n'était pas persuadée qu'il avait un profil significatif au sein de cette organisation qui aurait amené les autorités à s'intéresser à lui, même si elles continuaient de faire enquête sur les activités du CPO.

[8]                 La SSR n'était pas persuadée qu'il avait été arrêté. Elle n'a pas cru son témoignage lorsqu'il a déclaré que son frère lui avait dit que les autorités nigérianes continuaient d'aller chez lui parce qu'elles étaient à sa poursuite. Elle a jugé que son témoignage sur ce point particulier était contradictoire et que le demandeur avait inventé cette histoire pour donner plus de poids à sa demande. La SSR a fait allusion à une ordonnance du commissaire de police de Lagos interdisant l'arrestation systématique des personnes suspectées d'être membres du CPO et elle a conclu que si le demandeur n'avait pas été mêlé à des activités de nature violente, comme il l'a allégué, il n'y avait pas lieu de craindre que les autorités s'intéressent encore à lui.


[9]                 L'évaluation de risque de l'agente Marie Couracos, en date du 22 janvier 2002, est fondée sur les motifs de la décision de la SSR, le rapport US DOS Country Reports on Human Rights Practices for Nigeria 2000 et les rapports Amnesty International Reports de 1999, 2000 et 2001, ainsi que sur deux réponses de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (CISR) à des demandes de renseignement, en date du 24 mai 2001 et du 28 juin 2001.

[10]            L'agente d'immigration a plus particulièrement fait référence à la réponse de la CISR datée du 24 mai 2001 qui précisait que la police nigériane ne ciblait que les membres du CPO qui avaient participé à des actes de violence et que les membres ordinaires pouvaient normalement exprimer leur point de vue sans être victime de harcèlement. Compte tenu du fait que le demandeur avait déclaré dans son témoignage devant la SSR qu'il n'avait participé à aucune activité de nature violente comme membre du CPO, elle était d'avis qu'en tant que membre ordinaire de cette organisation, il ne courrait aucun danger au Nigeria.

[11]            Elle a reconnu que le demandeur avait témoigné qu'il avait été mis en liberté à la condition de se présenter aux contrôles périodiques jusqu'au moment de sa mise en accusation (et une mise en accusation n'est pas de la persécution) et que cette accusation ne constituait pas un facteur de risque.

[12]            Elle a reconnu que la preuve documentaire confirmait que les relations entre les autorités et le CPO étaient ponctuées d'affrontements violents.


[13]            Par contre, elle a conclu qu'il n'y avait pas suffisamment d'éléments de preuve crédibles pour établir un lien entre le demandeur et les conditions du pays ou pour démontrer que son profil était tel que les autorités seraient actuellement intéressées à suivre ses allées et venues ou à le pourchasser en vue de s'en prendre à lui.

[14]            Elle a ajouté qu'il était possible que le demandeur ait été mis en état d'arrestation à cause de sa participation à une réunion du CPO, mais elle était d'avis toutefois que sa mise en liberté conditionnelle à sa présence aux contrôles périodiques était un indice que les autorités manquaient d'éléments de preuve pour continuer de le détenir et que, par ailleurs, il avait présenté une preuve insuffisante qu'il risquait d'être persécuté plutôt que mis en accusation.


[15]            Elle a fait état de la preuve documentaire consulté qui confirme la pratique de détention des membres de la famille et d'autres parents afin d'inciter le soi-disant suspect à se rendre lui-même à la police. Elle a toutefois noté que, parmi les quelques incidents signalés, les suspects en question n'étaient pas considérés comme des membres ordinaires du CPO, mais plutôt comme des hauts gradés, dont certains leaders de faction et le chef de l'organisation. Sur ce point, elle a conclu que, vu le manque d'éléments de preuve objectifs établissant que le demandeur n'était pas simplement un membre ordinaire du CPO, il manquait de preuves décisives permettant de conclure raisonnablement que les autorités étaient ou continuaient d'être intéressées par les membres de sa famille pour l'inciter à se rendre.

[16]            Elle a conclu, compte tenu de tous les éléments de preuve dont elle disposait, qu'il était très peu probable que le demandeur serait exposé à des risques au Nigeria.

[17]            À titre d'information supplémentaire à l'appui de la présente demande de sursis, l'avocate du demandeur a fourni deux rapports de la CIRS. Le premier, en date du 6 mars 2000, décrit le CPO, notamment ses objectifs, ses origines, ses factions, ses zones d'activité et ses leaders. Le deuxième, daté du 14 février 2001, porte sur des rapports faisant état d'arrestations de femmes ayant un lien avec le CPO durant l'intervalle de janvier 2000 à février 2001.

ANALYSE                                                          


[18]            La thèse avancée par l'avocate du demandeur comporte deux volets. Premièrement, elle affirme que le demandeur s'est vu refuser le droit à l'équité procédurale parce que le défendeur n'a pas divulgué le contenu de l'évaluation de risque défavorable avant de prendre une décision. Il en est résulté que le demandeur n'a pas eu la possibilité d'y répondre et d'apporter les corrections nécessaires. Deuxièmement, la conclusion à laquelle l'agente d'immigration en était venue quant à l'établissement du demandeur dans la société canadienne et son intégration à celle-ci était déraisonnable.

[19]            À mon avis, la perspective fondamentale de la présente demande - à savoir objectivement si le demandeur était exposé à un risque au Nigeria - influe à la fois sur le volet de la question sérieuse et sur celui du préjudice irréparable du critère en trois volets auquel le demandeur doit satisfaire afin d'obtenir un sursis à l'exécution de la mesure de renvoi (dont la légalité n'est pas contestée) dans l'attente de l'examen de sa demande d'autorisation et de contrôle judiciaire.

[20]            Je conclus que, comme le demandeur n'a signalé aucun défaut dans l'évaluation de risque qu'il cherche à contester en l'espèce, aucune cause de préjudice irréparable n'a été établie.

[21]            L'évaluation de risque préparée par Marie Couracos est fondée sur la décision de la SSR, qui n'a pas été contestée, et elle est étayée à l'aide d'une preuve documentaire récente.


[22]            Cette preuve révèle que le CPO est divisé en deux factions, l'une qui privilégie le recours à la violence envers le gouvernement et l'autre qui est non violente. Le demandeur, dans son témoignage devant la SSR, a déclaré n'avoir jamais participé à aucune activité violente avant de s'enfuir.

[23]            Les rapports documentaires font également état d'affrontements entre le CPO et les autorités, mais ces affrontements touchent seulement les membres de la faction violente de l'organisation. Les membres ordinaires, qui ne sont pas trop engagés, peuvent exprimer leur opinion sans craindre les autorités nigérianes. L'agente d'immigration a conclu, tout comme la SSR, que le demandeur était un membre ordinaire.

[24]            L'agente d'immigration, dans son analyse du risque, a envisagé l'avenir pour décider si le demandeur s'exposait objectivement à un risque en retournant au Nigeria et elle a conclu que les autorités nigérianes ne s'intéresseraient pas à lui vu son profil et son refus de participer à des activités violentes par le passé.

[25]            L'agente d'immigration a soulevé la question de la possibilité qu'il soit arrêté. Je note que la SSR a accepté qu'il avait été détenu, mais qu'elle n'était pas convaincue qu'il s'exposait par ailleurs à un risque, parce qu'il n'aurait pas été libéré si on l'avait considéré comme une menace pour la sécurité de sa collectivité.


[26]            À mon avis, l'agente d'immigration s'est fondée sur la décision de la SSR pour conclure que sa libération était un indice du manque d'éléments de preuve des autorités pour continuer à le détenir et du peu d'intérêt manifesté à son égard.         

[27]            J'ai lu attentivement les deux rapports de la CISR déposés par le demandeur à l'appui de sa demande de sursis. Bien que le centre de documentation de la CISR ait fait état de certaines arrestations et détentions des membres du CPO, ces rapports n'affaiblissent pas la preuve documentaire à laquelle Marie Couracos a fait allusion. En effet, les rapports de la CISR sur lesquels le demandeur s'est appuyé ont été publiés avant un autre rapport de la CISR établissant que la police nigériane ne visait que les membres du CPO qui participaient à des activités violentes.

[28]            Comme je l'ai mentionné, l'avocate du demandeur conteste également un autre aspect de la décision de l'agente d'immigration en alléguant qu'elle a commis une erreur en concluant que le demandeur n'avait pas réussi à faire la preuve de son établissement et de son intégration au Canada. Elle a mentionné qu'il avait deux emplois : un à plein temps et un autre à temps partiel, les deux étant autorisés par le défendeur. Il possède des actifs au Canada, un compte bancaire et a commencé à investir dans un régime d'épargne-retraite. Il fait partie de la Christian International Fellowship Church et possède une automobile.


[29]            L'agente d'immigration a pris en compte cette preuve et elle a estimé que le demandeur avait fourni certains éléments de preuve de son établissement et de son intégration dans la société canadienne mais que cela n'était pas suffisant pour le dispenser de l'application du paragraphe 9(1) de la Loi sur l'immigration. Elle a noté qu'il avait de la famille et des frères et soeurs au Nigeria pour lui venir en aide jusqu'à ce qu'il y soit établi de nouveau.

[30]            Le demandeur ne m'a pas convaincu que cet aspect de la décision de l'agente d'immigration était lié à une question sérieuse.

[31]            En concluant que le demandeur n'a pas réussi à faire la démonstration d'une question sérieuse et d'un préjudice irréparable (et, par conséquent, qu'il n'a pas réussi à satisfaire au troisième volet, soit celui de la prépondérance des inconvénients) au fond pour sa demande d'autorisation, je tranche par la même occasion sa demande de sursis.


[32]            Cela me permet d'obvier à la nécessité de considérer les arguments du défendeur concernant la question de l'équité procédurale et, en particulier, de décider si l'arrêt Haghighi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] 4 C.F. 407, de la Cour d'appel fédérale, est limité à des causes où, dans le contexte d'une demande CH, l'agent d'immigration commande et reçoit d'un autre agent un rapport d'évaluation du risque pour lequel il doit donner au demandeur la possibilité de répondre avant que la décision finale soit prise.

[33]            Comme je l'ai mentionné précédemment, en l'espèce, l'agente d'immigration n'a pas confié l'évaluation du risque à un autre agent, mais elle a plutôt procédé à sa propre analyse, en sa qualité d'ARRR. (Comparer Soto c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2001] CFPI 818, et Mia c. Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, [2001] CFPI 1150, dans le contexte d'une demande CDNRSRC).

[34]            Pour tous ces motifs, la demande de sursis du demandeur est rejetée.

                                                                                                                        « François Lemieux »                

J U G E         

WINNIPEG (MANITOBA)

LE 12 FÉVRIER 2002

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes


                                                    COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                                SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                                  AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                        IMM-364-02

INTITULÉ :                                                        Ope Abiodun Okutubo c. Le Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration

LIEU DE L'AUDIENCE :                                Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                              Le 7 février 2002

                                                                                                                                                                         

                                                       MOTIFS DE L'ORDONNANCE

                                                    MONSIEUR LE JUGE LEMIEUX

                                                                LE 12 FÉVRIER 2002

                                                                                                                                                                       

COMPARUTIONS

Stella Iriah Anacle                                                                                                               pour le demandeur

Angela Marinos                                                                                                                    pour le défendeur

Ministère de la Justice

The Exchange Tower

130, rue King Ouest

Bureau 3400, B.P 36

Toronto (Ontario) M5X 1K6

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Stella Iriah Anacle                                                                                                               pour le demandeur

Avocate

4950, rue Yonge

Bureau 1800

North York (Ontario) M2N 6K1

Morris Rosenberg                                                                                                                 pour le défendeur

Sous-procureur général du Canada                                                                                                                 

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