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Date : 20040109

Dossier : IMM-6318-02

Référence : 2004 CF 25

OTTAWA (ONTARIO), LE 9e JOUR DE JANVIER 2004

Présent :          L'HONORABLE JUGE MARTINEAU

ENTRE :

                                                      LAETITIA MASIAL UMBA

                                                                                                                                    Demandeur(s)

                                                                          - et -

                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                      Défendeur(s)

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE


[1]                La Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (Commission), a déterminé que la demanderesse n'a pas la qualité de « réfugié[e] au sens de la Convention » ni celle de « personne à protéger » selon les articles 96 et 97 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. (2001), ch. 27 (Loi), d'où la présente demande de contrôle judiciaire.

ALLÉGATIONS

[2]                La demanderesse est une citoyenne de la République démocratique du Congo (RDC), âgée de 23 ans. Elle affirme être la fille de Umba-Di Lutete, l'ancien dignitaire du régime Mobutu. Le père présumé de la demanderesse aurait quitté le pays en septembre 1997; la demanderesse vivait alors chez sa tante et ce, depuis le mois de juillet de cette même année.

[3]                La demanderesse allègue avoir été étudiante en droit à l'Université de Kinshasa (UNIKIN). Or, le 13 décembre 2001, les étudiants de l'UNIKIN qui voulaient obtenir une diminution de leurs frais de scolarité organisèrent « une série de protestations » . Des affrontements eurent lieu entre les étudiants et les forces de l'ordre. De nombreux étudiants furent arrêtés, dont la demanderesse. Conduite au commissariat, interrogée, insultée et intimidée, la demanderesse dit avoir été relâchée le même jour, tard dans la nuit.


[4]                La demanderesse allègue que le 17 décembre 2001, des militaires se sont rendus au domicile de sa tante. Là, après avoir fouillé les lieux, ils auraient découvert des photos de famille, de même que des lettres de son père réfugié en Afrique du Sud. Il n'en fallait pas plus pour que la demanderesse soit arrêtée et accusée de « complot des forces réactionnaires pour déstabiliser le régime » . Le lendemain, elle aurait été transférée au centre pénitentiaire et de rééducation de Kinshasa.

[5]                La demanderesse allègue que le 15 janvier 2002, pendant qu'elle effectuait des corvées au sanatorium de Makala, un gardien « pris d'une compassion subite » l'aurait aidé à s'évader. Le 21 janvier 2002, la demanderesse quitte la RDC. Après être passée par le Congo-Brazzaville et la France, elle arrive au Canada le 22 janvier 2002 et revendique le statut de réfugié. Sa demande est rejetée par la Commission le 14 novembre 2002.

NORME DE CONTRÔLE APPLICABLE

[6]                Il importe en premier lieu de déterminer la norme de contrôle applicable. Le paragraphe 18.1(4) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7 énumère les motifs pour lesquels la Cour peut intervenir :



(4) Les mesures prévues au paragraphe (3) sont prises par la Section de première instance si elle est convaincue que l'office fédéral, selon le cas_:

a) a agi sans compétence, outrepassé celle-ci ou refusé de l'exercer;

b) n'a pas observé un principe de justice naturelle ou d'équité procédurale ou toute autre procédure qu'il était légalement tenu de respecter;

c) a rendu une décision ou une ordonnance entachée d'une erreur de droit, que celle-ci soit manifeste ou non au vu du dossier;

d) a rendu une décision ou une ordonnance fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont il dispose;

e) a agi ou omis d'agir en raison d'une fraude ou de faux témoignages;

f) a agi de toute autre façon contraire à la loi.

(4) The Trial Division may grant relief under subsection (3) if it is satisfied that the federal board, commission or other tribunal

(a) acted without jurisdiction, acted beyond its jurisdiction or refused to exercise its jurisdiction;

(b) failed to observe a principle of natural justice, procedural fairness or other procedure that it was required by law to observe;

(c) erred in law in making a decision or an order, whether or not the error appears on the face of the record;

(d) based its decision or order on an erroneous finding of fact that it made in a perverse or capricious manner or without regard for the material before it;

(e) acted, or failed to act, by reason of fraud or perjured evidence; or


[7]            À première vue, le Parlement semble avoir déjà précisé la norme de contrôle applicable. Par exemple, s'agissant d'une conclusion de fait, le paragraphe 18.1(4) de la Loi sur les Cours fédérales requiert la démonstration que celle-ci est « erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont [l'office fédéral] dispose » . Dans Harb c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2003] A.C.F. no 108 (C.A.F.) (QL) au paragraphe 14, l'honorable juge Décary écrit à ce sujet :

Ces conclusions, dans la mesure où elles sont factuelles, ne peuvent être révisées que si elles sont erronées, tirées de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont la Section du statut disposait (c'est l'alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur la Cour fédérale qui établit cette norme de contrôle, qu'en d'autres juridictions on définit par l'expression "manifestement déraisonnable"). Ces conclusions, dans la mesure où elles appliquent le droit aux faits de la cause, ne peuvent être révisées que si elles sont déraisonnables.

[mon soulignement]

[8]                Bien que la priorité devrait être donnée à l'intention exprimée au paragraphe 18.1(4) de la Loi sur les Cours fédérales (R. c. Owen, 2003 CSC 33), tel qu'énoncé dans l'affaire Jocelyn Adviento c. Canada (Minister of Citizenship and Immigration), [2003] F.C.J. No. 1837 (C.F.    1re inst.) (QL), 2003 FC 1430, au paragraphe 30, je me sens néanmoins obligé de recourir à l'approche pragmatique et fonctionnelle. En effet, la Cour suprême dans Dr. Q c. College of Physicians and Surgeons of British Columbia, 2003 CSC 19, rappelle au paragraphe 21 que l' « analyse pragmatique et fonctionnelle » doit être utilisée dans tous les cas afin de déterminer la norme de contrôle applicable.

[9]                Quatre facteurs contextuels doivent être considérés : 1) la présence ou l'absence dans la loi d'une clause privative ou d'un droit d'appel; 2) l'expertise du tribunal relativement à celle de la cour de révision sur la question en litige; 3) l'objet de la loi et de la disposition particulière; et 4) la nature de la question. Les quatre facteurs peuvent se chevaucher, mais leur examen permet à la Cour de régler l'importante question du degré de déférence requis selon que c'est la norme de décision correcte, celle de la décision raisonnable simpliciter, ou bien celle de la décision manifestement déraisonnable qui s'applique (Dr. Q, supra, au para. 26).

Premier facteur

[10]            Dans Dr. Q, supra, au paragraphe 27 on peut lire :

Le premier facteur concerne généralement le mécanisme de contrôle prévu par la loi. La loi peut conférer un large droit d'appel à une cour supérieure ou prévoir la présentation d'une question certifiée à la cour de révision, ce qui indique une norme de contrôle plus exigeante : voir Southam, précité, par. 46; Baker, précité, par. 58. La loi peut être muette sur la question du contrôle; le silence est neutre et "n'implique pas une norme élevée de contrôle" : Pushpanathan, précité, par. 30. Enfin, la loi peut contenir une clause privative qui invite à une plus grande déférence. Plus la clause privative est rigoureuse, plus grande doit être la déférence généralement.

[mon soulignement]

[11]            Je ne crois pas que dans notre cas, la loi soit « muette » puisque, après tout, celle-ci prévoit un droit d'appel sur autorisation.

[12]            Dans Neighbouring Rights Collective of Canada v. Society of Composers, Authors and Music Publishers of Canada [2003] F.C.J. No. 1094 (C.A.) (QL), on retrouve au paragraphe 40 un exemple d'application « neutre » :


The Copyright Act contains neither a right of appeal from the Board to the Court, nor a preclusive clause sheltering the Board's decisions from judicial review. This factor in the functional and pragmatic analysis is therefore neutral on the applicable standard of review: Dr. Q v. College of Physicians and Surgeons of British Columbia, [2003] S.C.J. No. 18, 2003 SCC 19 at para. 27.

[13]          D'autre part, dans l'arrêt Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de

l'Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982, la Cour suprême énonce ce qui suit aux paragraphes 30 et 31 :

L'absence de clause privative n'implique pas une norme élevée de contrôle, si d'autres facteurs commandent une norme peu exigeante. Toutefois, la présence d'une telle clause "intégrale" atteste persuasivement que la cour doit faire montre de retenue à l'égard de la décision du tribunal administratif, sauf si d'autres facteurs suggèrent fortement le contraire en ce qui a trait à la décision en cause. La clause privative intégrale est "celle qui déclare que les décisions du tribunal administratif sont définitives et péremptoires, qu'elles ne peuvent pas faire l'objet d'un appel et que toute forme de contrôle judiciaire est exclue dans leur cas" (Pasiechnyk, précité, au par. 17, le juge Sopinka). Sauf indication contraire de la clause privative, l'emploi des termes "final et sans appel" est suffisant, mais d'autres mots pourraient suffire, s'ils sont tout aussi explicites (Fraternité unie des charpentiers et menuisiers d'Amérique, section locale 579 c. Bradco Construction Ltd., [1993] 2 R.C.S. 316, aux pp. 331 et 333). À l'autre extrémité du spectre se situe la clause d'une loi permettant les appels, facteur qui suggère une norme de contrôle plus stricte.

Certaines lois sont muettes ou équivoques quant à la norme de contrôle voulue par le législateur. La Cour a conclu dans Bradco que la disposition prévoyant la soumission, pour "règlement final", à l'arbitrage "se situe quelque part entre une clause privative intégrale et une clause prescrivant un examen complet par voie d'appel" (pp. 331 et 333). Le juge Sopinka a examiné ensuite d'autres facteurs pour décider qu'il y avait lieu de faire preuve de retenue à l'égard de la décision de l'arbitre. Essentiellement, une clause privative partielle ou équivoque est une clause qui s'inscrit dans le processus d'ensemble d'appréciation des facteurs selon lesquels est déterminée l'intention du législateur quant au degré de retenue judiciaire, et qui n'a pas l'effet d'exclusion de la clause privative intégrale.

[mon soulignement]


[14]            En l'espèce, la Loi ne contient pas de clause privative et n'accorde pas un droit d'appel automatique. Cependant, le paragraphe 72(1) de la Loi prévoit l'exercice d'un contrôle judiciaire par la Cour fédérale, lequel est assujetti à l'obtention d'une autorisation préalable. Les motifs de révision sont par ailleurs prévus au paragraphe 18.1(4) de la Loi sur la Cour fédérale. Tel que je l'ai mentionné plus haut, le Parlement semble privilégier une norme de déférence plus grande lorsqu'il s'agit d'une question de fait. À l'opposé, il me semble que ce soit la norme de la décision correcte qui soit indiquée dans les cas d'excès de compétence ou de violation alléguée des règles de justice naturelle ou d'équité procédurale. Quant à la norme de contrôle voulue par le législateur dans le cas des erreurs de droit, celles ayant un caractère déterminant me semblent également révisables sans distinction.

Deuxième facteur

[15]            Tel qu'expliqué par la Cour suprême dans Dr. Q, supra, au paragraphe 28, le deuxième facteur, l'expertise relative, reconnaît que les législatures confient parfois une question à un organisme décisionnel possédant une expertise spécialisée ou apte à trancher des questions particulières. Lorsque c'est le cas, les cours s'efforcent de respecter ce choix législatif dans le cadre du contrôle judiciaire. L'expertise relative peut venir de plusieurs sources et se rapporter à des questions de droit pur, des questions mixtes de droit et de fait, ou des questions de fait uniquement. À cet égard, l'expertise du tribunal peut provenir de connaissances spécialisées sur un sujet ou de l'expérience et de qualifications dans un domaine précis (Barreau du Nouveau-Brunswick c. Ryan, 2003 CSC 20, au para. 30).

[16]            Cela étant dit, l'expertise est cependant un concept relatif et non absolu. Un plus haut degré de déférence est dû uniquement lorsque l'organisme décisionnel possède, de quelque façon, une plus grande expertise que la cour de révision et que la question visée relève de cette plus grande expertise : voir Moreau-Bérubé c. Nouveau-Brunswick (Conseil de la magistrature), [2002] 1 R.C.S. 249 au para. 50. Ainsi, l'analyse à ce chapitre "comporte trois dimensions : la Cour doit qualifier l'expertise du tribunal en question; elle doit examiner sa propre expertise par rapport à celle du tribunal; et elle doit identifier la nature de la question précise dont était saisi le tribunal administratif par rapport à cette expertise" : Pushpanathan, supra, au para. 33.

[17]            En l'espèce, la Commission a acquis au fil des années une grande expertise au niveau des conditions générales touchant l'aspect objectif d'une crainte de persécution ou celles qui sont relatives à l'existence d'un risque sérieux de torture, de menace à la vie ou de traitements ou peines cruels et inusités dans un pays donné. Cela étant dit, la détermination d'une crainte subjective de persécution dépend évidemment de chaque situation particulière et est directement évaluée en fonction de la crédibilité du demandeur d'asile. Dans les deux cas, il s'agit là essentiellement de questions de fait. La Commission est donc mieux placée que la Cour pour apprécier la preuve documentaire au dossier et la crédibilité du témoignage d'un demandeur (R. K. L. c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2003] A.C.F. no 162 (C.F. 1re inst.) (QL)).

[18]            Qu'en est-il maintenant de l'appréciation des preuves d'identité fournies par un demandeur? De façon générale, la Commission travaille quotidiennement avec des documents étrangers, qu'il s'agisse de passeports, de certificats de naissance ou de tout autre document d'identité. Cela permet indubitablement à la Commission de s'appuyer sur sa connaissance d'office, à la condition bien entendu de respecter les règles d'équité procédurale. Si au départ, la Cour n'a aucune raison de mettre en doute l'expertise de la Commission, il s'agit là d'une présomption. Tout dépend, en effet, de la nature précise des documents d'identité soumis par un demandeur. La Commission est-elle familière ou non avec un genre particulier de document soumis par un demandeur? Dans le premier cas, une plus grande déférence doit être accordée, alors que dans le second cas, une déférence moindre semble de mise.

[19]            En l'espèce, la demanderesse a fourni trois pièces d'identité : une carte d'étudiant, une attestation de naissance ainsi qu'un diplôme de l'État. À cet égard, la Commission reconnaît expressément à deux reprises ne pas avoir d'expertise particulière en matière de documents. Aux pages 2 et 3 de sa décision, la Commission déclare notamment ce qui suit :

Comme preuve de son identité, la demanderesse a déposé sous la cote P-1 sa carte d'étudiant de l'UNIKIN, laquelle a été émise le 16 octobre 2000, pour l'année académique 1999-2000. Sans être un expert, le tribunal remarque que le logo de l'UNIKIN a été dessiné à la main, les couleurs débordant des (sic) paramètres du dessein (sic), de plus, les lettres qui entourent le logo sont écrites à la main et de façon inégale. Priée d'expliquer au tribunal pourquoi sa carte d'étudiante a été émise le 16 octobre 2000, alors qu'elle ne fréquentait plus l'université, la demanderesse a répondu qu'elle avait fait la demande antérieurement mais l'a retirée seulement en octobre 2000, parce que cette carte n'a aucune utilisé, sauf d'accorder une diminution pour les frais de transports en commun. Interrogée à savoir pourquoi l'avoir retirée si elle n'avait aucune utilité la demanderesse a répondu « je devais la retirer » sans offrir d'autres raisons. Le tribunal est insatisfait des réponses de la demanderesse. Considérant tout ce qui précède, le tribunal n'accorde aucune valeur probante à ce document.


...

Enfin, comme dernier document d'identité, la demanderesse a produit sous la cote P-7, l'original d'un diplôme d'État de la RDC, lequel est plastifié. Encore une fois, sans être un expert en document (sic) le drapeau de la RDC apparaissant dans le coin supérieur gauche, semble avoir été dessiné au crayon feutre. De plus, le tribunal remarque dans le coin inférieur gauche, à l'endroit où normalement apparaît la photo de l'étudiant, une substance bleue cache complètement cette photo de ce fait, il est impossible d'identifier la personne y apparaissant. Le tribunal ne peut accorder aucune valeur probante à ce document.

[mon soulignement]

[20]            Je conclus donc que l'application du critère de l'expertise milite en faveur d'une grande déférence en ce qui concerne l'analyse des preuves documentaires et l'évaluation de la crédibilité de la demanderesse et, compte tenu des indications fournies par la Commission, d'une déférence moindre en ce qui concerne l'appréciation de l'authenticité des trois pièces d'identité soumises par la demanderesse.

Troisième facteur

[21]            Le troisième facteur porte sur l'objet général du régime législatif dans lequel s'inscrit la décision de la Commission. Il faut également considérer les dispositions particulières en cause. À ce sujet, le juge Layden-Stevenson dans Reddy-Cheminor Inc. c. Canada (Procureur général), [2003] A.C.F. no 774 (C.F. 1re inst.) (QL) au paragraphe 49, mentionne ce qui suit :


L'objet de la loi est le troisième facteur, soit l'objet général du régime législatif dans lequel s'inscrit la décision administrative. Si la question soumise à l'organisme administratif est une question de droit ou si elle met en cause un aspect précis de la loi, l'analyse relative à ce facteur doit également tenir compte de l'objet spécifiquement visé par le législateur dans les dispositions touchées par le contrôle. En règle générale, il y a lieu de faire preuve de plus de déférence lorsque la loi vise à résoudre et à pondérer des objectifs de politique contradictoires ou les intérêts de groupes différents, caractéristiques législatives désignées comme "polycentriques" dans l'arrêt Pushpanathan : arrêt Dr Q au paragraphe 30. Les dispositions qui confèrent un large pouvoir discrétionnaire au décideur indiquent généralement la présence de questions de politiques et, par conséquent, une norme de contrôle moins exigeante. Les cours de révision devraient aussi prendre en considération l'ampleur, le caractère spécialisé et la nature technique ou scientifique des questions que la loi charge le tribunal administratif d'examiner. À cet égard, les principes sous-jacents aux facteurs de l'expertise relative et de l'objet de la loi tendent à se chevaucher. Un objet législatif qui s'écarte considérablement du rôle usuel des tribunaux indique que le législateur voulait laisser la question à l'appréciation du décideur administratif et milite donc en faveur d'une plus grande déférence : arrêt Dr Q au paragraphe 31.

[mon soulignement]

[22]            Il faut ici faire la distinction entre les cas ayant trait à l'application de la politique canadienne d'immigration, dont les objectifs sont exposés au paragraphe 3(1) de la Loi, et les cas où une personne allègue être un « réfugié au sens de la Convention » ou une « personne à protéger » en vertu des articles 96 et 97 de la Loi. S'agissant plus particulièrement des réfugiés, le paragraphe 3(2) de la Loi énonce quels sont les objectifs de la Loi :



S'agissant des réfugiés, la présente loi a pour objet_:

a) de reconnaître que le programme pour les réfugiés vise avant tout à sauver des vies et à protéger les personnes de la persécution;

b) de remplir les obligations en droit international du Canada relatives aux réfugiés et aux personnes déplacées et d'affirmer la volonté du Canada de participer aux efforts de la communauté internationale pour venir en aide aux personnes qui doivent se réinstaller;

c) de faire bénéficier ceux qui fuient la persécution d'une procédure équitable reflétant les idéaux humanitaires du Canada;

d) d'offrir l'asile à ceux qui craignent avec raison d'être persécutés du fait de leur race, leur religion, leur nationalité, leurs opinions politiques, leur appartenance à un groupe social en particulier, ainsi qu'à ceux qui risquent la torture ou des traitements ou peines cruels et inusités;

e) de mettre en place une procédure équitable et efficace qui soit respectueuse, d'une part, de l'intégrité du processus canadien d'asile et, d'autre part, des droits et des libertés fondamentales reconnus à tout être humain;

f) d'encourager l'autonomie et le bien-être socioéconomique des réfugiés en facilitant la réunification de leurs familles au Canada;

g) de protéger la santé des Canadiens et de garantir leur sécurité;

h) de promouvoir, à l'échelle internationale, la sécurité et la justice par l'interdiction du territoire aux personnes et demandeurs d'asile qui sont de grands criminels ou constituent un danger pour la sécurité.

The objectives of this Act with respect to refugees are

(a) to recognize that the refugee program is in the first instance about saving lives and offering protection to the displaced and persecuted;

(b) to fulfil Canada's international legal obligations with respect to refugees and affirm Canada's commitment to international efforts to provide assistance to those in need of resettlement;

(c) to grant, as a fundamental expression of Canada's humanitarian ideals, fair consideration to those who come to Canada claiming persecution;

(d) to offer safe haven to persons with a well-founded fear of persecution based on race, religion, nationality, political opinion or membership in a particular social group, as well as those at risk of torture or cruel and unusual treatment or punishment;

(e) to establish fair and efficient procedures that will maintain the integrity of the Canadian refugee protection system, while upholding Canada's respect for the human rights and fundamental freedoms of all human beings;

(f) to support the self-sufficiency and the social and economic well-being of refugees by facilitating reunification with their family members in Canada;

(g) to protect the health and safety of Canadians and to maintain the security of Canadian society; and

(h) to promote international justice and security by denying access to Canadian territory to persons, including refugee claimants, who are security risks or serious criminals.


[23]            D'autre part, les articles 96 et 97 de la Loi se lisent comme suit :


96. A qualité de réfugié au sens de la Convention - le réfugié - la personne qui, craignant avec raison d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

b) soit, si elle n'a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.



97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n'a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée_:

a) soit au risque, s'il y a des motifs sérieux de le croire, d'être soumise à la torture au sens de l'article premier de la Convention contre la torture;

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant_:

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d'autres personnes originaires de ce pays ou qui s'y trouvent ne le sont généralement pas,

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes - sauf celles infligées au mépris des normes internationales - et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l'incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

(2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d'une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection.

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

(2) A person in Canada who is a member of a class of persons prescribed by the regulations as being in need of protection is also a person in need of protection.


[24]            Dans l'arrêt Pushpanathan, supra, au paragraphe 36, le juge Bastarache explique que les cours de justice doivent faire preuve de davantage de retenue lorsque la Loi exige « la prise en compte de nombreux intérêts simultanément et l'adoption de solutions de nature à assurer en même temps un équilibre entre les coûts et les bénéfices pour de nombreuses parties distinctes » que lorsqu'il s'agit de dispositions qui établissent des droits entre les parties. Autrement dit, la Cour doit démontrer davantage de retenue à l'égard d'une décision polycentrique.


[25]            S'agissant des réfugiés, selon le paragraphe 3(2) de la Loi, la Loi a notamment pour objet de garantir la sécurité des Canadiens et de l'État; d'autre part, la Loi vise par ailleurs à sauver des vies et protéger les personnes de la persécution, et ce, dans le respect des obligations en droit international du Canada. Il m'apparaît donc que l'emphase est mise sur la protection de droits individuels fondamentaux plutôt que sur la réalisation d'objectifs sociaux économiques généraux comme ceux que l'on peut retrouver au paragraphe 3(1) de la Loi dans le cas de la politique canadienne d'immigration. À cet égard, l'établissement de la qualité de « réfugié au sens de la Convention » ou de « personne à protéger » selon les articles 96 et 97 de la Loi répond à des conditions précises qui doivent être établies par le demandeur d'asile. Ainsi, l'application de ces dispositions est directement fonction de la situation personnelle de chaque revendicateur et des conditions particulières du pays visé, et ce, au moment où la demande d'asile ou de protection est présentée à la Commission. En pratique, il est donc clair que la détermination de la qualité de « réfugié » ou de « personne à protéger » ne dépend pas « de la prise en compte de nombreux intérêts simultanément, ni de la réalisation d'un équilibre entre les coûts et les bénéfices pour de nombreuses parties distinctes » . À mon avis, il s'agit ici davantage d'une décision qui établit les droits entre les parties (dans un contexte où la vie et la sécurité du demandeur sont potentiellement en danger et tout en acceptant que le Ministre puisse intervenir dans chaque demande de protection puisque celui-ci doit notamment s'assurer que le demandeur n'est pas une personne exclue en vertu de la Loi) plutôt qu'une décision polycentrique. En l'espèce, l'application du troisième critère favorise donc une norme moindre de retenue.

Quatrième facteur


[26]            Le quatrième facteur concerne la nature du problème. S'agissant de l'application des articles 96 et 97 de la Loi, les dispositions établissent des conditions précises. En conséquence, la Commission doit déterminer à partir des faits particuliers devant elle si une personne est un « réfugié au sens de la Convention » et si elle a le statut de « personne à protéger » . Il s'agit donc d'une question mixte de fait et de droit.

[27]            Cela étant dit, dans le présent dossier, le litige porte plus particulièrement sur l'évaluation des preuves d'identité fournies par la demanderesse. Il s'agit principalement d'une constatation de nature factuelle qui, en outre, peut affecter la crédibilité du revendicateur. Ainsi, l'article 106 de la Loi prévoit ce qui suit :


106. La Section de la protection des réfugiés prend en compte, s'agissant de crédibilité, le fait que, n'étant pas muni de papiers d'identité acceptables, le demandeur ne peut raisonnablement en justifier la raison et n'a pas pris les mesures voulues pour s'en procurer.

106. The Refugee Protection Division must take into account, with respect to the credibility of a claimant, whether the claimant possesses acceptable documentation establishing identity, and if not, whether they have provided a reasonable explanation for the lack of documentation or have taken reasonable steps to obtain the documentation.


[28]            D'autre part, tel que souligné par la Cour suprême dans Dr. Q, supra, au paragraphe 34 :

Lorsque la conclusion qui fait l'objet du contrôle est de nature purement factuelle, il y a lieu à plus grande déférence à l'égard de la décision du tribunal. Inversement, une question de droit pur invite à un contrôle plus rigoureux. C'est particulièrement le cas lorsque la décision est d'importance générale ou revêt une grande valeur de précédent : Chieu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] 1 R.C.S. 84, 2002 CSC 3, par. 23. Enfin, sur les questions mixtes de fait et de droit, ce facteur appelle une déférence plus grande si la question est principalement factuelle, et moins grande si elle est principalement de droit.

[29]            En l'espèce, l'article 106 de la Loi impose à la Commission l'obligation de déterminer, lorsque le revendicateur n'est pas muni de papiers d'identité acceptables, si celui-ci peut néanmoins en justifier la raison ou le fait qu'il a pris les mesures voulues pour s'en procurer. Il s'agit là certainement d'une question mixte de fait et de droit.

[30]            En conséquence, s'agissant ici de questions mixtes de fait et de droit, l'application du quatrième critère appelle une déférence plus grande étant donné que les questions sont principalement factuelles.

Pondération des quatre facteurs

[31]            À la lumière de ce qui précède, dans le cas particulier qui nous occupe, je conclurais que la pondération des quatre facteurs susmentionnés milite en faveur de l'application de deux normes de contrôle judiciaires : 1) la norme de la décision manifestement déraisonnable dans le cas de l'analyse de la preuve documentaire et de l'évaluation de la crédibilité de la demanderesse; et 2) l'application de la norme de la décision raisonnable simpliciter dans le cas de l'appréciation des preuves d'identité soumises par la demanderesse.

ANALYSE

[32]            La demanderesse allègue une crainte fondée de persécution dans son pays en raison de son appartenance à un groupe social particulier, soit la famille, de même qu'en raison de ses opinions politiques imputées. Elle soutient également être une « personne à protéger » parce que sa vie est menacée et qu'elle s'expose à des traitements ou peines cruels et inusités, de même qu'au risque de torture si elle devait retourner en RDC.

[33]            Dans sa décision, la Commission conclut que la demanderesse n'a pas fourni de documents d'identité acceptables, ce qui affecte sa crédibilité selon l'article 106 de la Loi. De surcroît, la Commission a trouvé le récit de la demanderesse non crédible en raison de la confusion, des contradictions et des omissions dont son témoignage était entaché.

Preuves d'identité

[34]            En l'espèce, il s'agit de se demander si l'évaluation que la Commission a fait de la preuve d'identité est déraisonnable, en ce sens que l'évaluation n'était étayée par aucun motif capable de résister à un examen assez poussé (Ryan, supra, au para. 46).

[35]            La demanderesse a fourni trois pièces d'identité, soit une carte d'étudiant, une attestation de naissance ainsi qu'un diplôme de l'État. Une lecture attentive des motifs de la Commission indique que cette dernière a successivement considéré chacun des documents déposés par la demanderesse. Après avoir minutieusement examiné ces documents et tenu compte des explications fournies par la demanderesse, la Commission a conclu que la preuve déposée n'était pas suffisante pour établir l'identité de la demanderesse.


[36]            Premièrement, la Commission a relevé plusieurs anomalies concernant la carte d'étudiant : 1) le logo de l'UNIKIN a été dessiné à la main; 2) les couleurs débordent les paramètres du dessin; et 3) les lettres sont écrites à la main de façon inégale. De plus, la Commission a pris en considération le fait que la carte d'identité a été délivrée le 16 octobre 2000 alors que la demanderesse avait quitté l'université depuis mai 2000.

[37]            Lorsque la Commission a questionné la demanderesse à ce sujet, les propos suivants ont été échangés :

Q.             Comment ça votre carte n'a été émis que le 16 octobre 2000 pour l'année 80...?

R.             J'avais déjà introduit pour re... mais j'ai retiré ma carte seulement, on a écrit délivré, donc je l'ai retirée seulement en octobre 2000, mais j'avais déjà introduit la demande depuis longtemps.

PAR LA MEMBRE AUDIENCIÈRE (à la personne en cause)

Q.             Quand est-ce que vous aviez introduit la (inaudible)?

R.             Quand on fait l'inscription, normalement, on doit nous produire, comment on dit, nous délivrer une carte d'étudiant, mais je l'ai pas retirée l'année même, je l'ai retirée en fin d'année, en octobre 2000, comme c'est marqué la date.

Q.             Ça sert à quoi la carte d'étudiant à (inaudible)?

R.             Bon comment je peux dire. Pratiquement à rien. Normalement, ça peut nous servir, en tant qu'étudiante ça nous sert, par exemple, dans, pour les transports en commun, pour la réduction des frais, mais ça ne sert pratiquement à rien.

....

Q.             Mais je veux savoir pourquoi vous, vous avez pas essayé d'avoir la carte avant pour bénéficier de ça?

R.             Bien moi j'ai évité tout simplement les discussions, parce que souvent vous vous mettez à vous disputer là, il y a un militaire qui intervient. J'ai évité.

...

Q.             Pourquoi ne pas être allée la chercher avant?

R.             Parce que, à part pour le bus, elle ne servait à rien pratiquement.


...

Q.             Madame en octobre 2000, vous étiez aux études?

R.             Non

Q.             Pourquoi alors faire venir une carte d'identité alors que vous n'étiez pas aux études?

R.             Je devais la retirer, puisque je l'avais laissée, je pense donc que je devais la retirer, donc, je l'ai retiré en octobre.

...

[38]            La Commission a conclu que les explications de la demanderesse étaient insuffisantes. La conclusion de la Commission s'appuie sur la preuve et est raisonnable dans les circonstances.

[39]            Deuxièmement, en ce qui a trait à l'attestation de naissance, la Commission note que celle-ci ne porte pas de timbre fiscal, et ce, même si la demanderesse a payé les frais. La Commission remarque également que l'attestation de naissance ne porte pas les noms de famille du père et de la mère de la demanderesse.

[40]            La Commission peut, s'appuyant sur sa connaissance d'office, confronter un demandeur d'asile à toute anomalie apparente. C'est exactement ce que la Commission a fait quant au certificat de naissance de la demanderesse. À preuve, les propos suivants ont été échangés dans le cadre de l'audience :

-               Je constate que le certificat de naissance n'est pas timbré.

R.             Il est pas comment?


-                Votre attestation de naissance. La plupart des attestations de naissance, on retrouve un timbre dessus, un timbre indiquant que vous avez... d'un franc congolais, (inaudible), ici ce n'est pas timbré.

R.             Je le sais, excusez-moi, je ne sais pas pourquoi en tout cas. Ça je sais pas pourquoi.

[41]            En l'espèce, la Commission désirait s'assurer que la demanderesse était bien la fille de Umba-Di Lutete, l'ancien dignitaire du régime Mobutu. À cet égard, on peut comprendre que la meilleure façon de prouver la filiation de la demanderesse, c'était par la production d'un acte de naissance sur lequel apparaissent les noms du père et de la mère de la demanderesse. Comme l'a constaté la Commission, l'acte de naissance produit était déficient à cet égard. S'agissant alors d'évaluer la crédibilité du témoignage de la demanderesse, la Commission était mieux placée que la Cour pour déterminer, en l'absence de preuves documentaires satisfaisantes, si celle-ci était effectivement, comme elle le prétend, la fille de Umba-Di Lutete.


[42]            Lors de l'audience, la demanderesse a témoigné qu'elle n'avait aucun document    d'identité au moment où elle est allée faire la demande de son attestation de naissance. Par la suite, elle a indiqué qu'elle avait seulement une attestation de perte de pièces. La demanderesse a témoigné que cette attestation portait le nom de son père. Par la suite, la demanderesse a affirmé ne pas avoir déclaré, de crainte d'être identifiée, le nom de son père au complet à la personne chargée de délivrer l'attestation de naissance. La Commission déclare ne pas comprendre pourquoi le nom de son père n'a pas été reproduit sur son attestation de naissance. La    Commission a estimé que l'attestation de naissance n'était pas concluante. Encore une fois, la conclusion de la Commission s'appuie sur la preuve et est raisonnable dans les circonstances.

[43]            En ce qui à trait au diplôme d'État, la Commission indique notamment qu'une substance bleue cache complètement la photo de la demanderesse. De plus, la Commission note que le drapeau de la RDC situé dans le coin supérieur gauche, semble avoir été dessiné au crayon feutre. À ce sujet, les propos suivants ont été échangés :

-                Ici, ici on (inaudible), on a vu quelques-uns des cer... on a j'en ai eu plusieurs des certificats d'État. Généralement, il y a une photo ici. Ici, on ne trouve pas votre photo, on a trouvé un carré bleu.

R.             Non, il y a une photo, mais c'est le carré bleu, il faut bien voir. C'est une photo, ça c'est la ... Moi, je suis... je fais partie de la première promotion du, du comment on dit, du régime de Kabila, c'est les premiers diplômes du régime de Kabila. Ils sont comme ça.

-                Parce qu'on a... Madame, il y a aucune... Vous êtes... Il n'y a pas de photo là, je ne vois pas votre photo, peut-être que, vient nous montrer...

R.             En fin, d'accord, je (inaudible)

-                Vous êtes capable de me montrer.

R.             Il faut bien regarder, vous allez remarquer, bon, si vous connaissez mon visage, vous allez le reconnaître, parce que moi-même j'arrive à voir mon visage.

PAR LA MEMBRE AUDIENCIÈRE (à la personne en cause)

-                À l'arrière peut-être.

R.             Bien oui, j'ai l'impression que de l'arrière on voit mieux, parce que...

Q.             Pourquoi, pourquoi ça fait ça Madame? Pourquoi ç'a donné, pourquoi c'est devenu bleu cette photo-là?

R.             Je ne sais pas, ça je sais pas. Je sais que pendant le régime Mobutu, il y avait la photo, mais nous, mais moi je fais partie de la première promotion du régime Kabila, c'est comme ça que les diplômes sont sortis.


[44]            À la lumière de ce qui précède, la Commission a décidé de n'accorder aucune valeur probante au diplôme d'État. Encore une fois, la conclusion de la Commission s'appuie sur la preuve et est raisonnable dans les circonstances.

[45]            À cet égard, je ne crois pas qu'en matière d'établissement d'identité, la Commission doive faire preuve de rigorisme au point tel que l'acceptation des pièces fournies par un demandeur d'asile doive dépendre d'une logique et d'un raisonnement nord-américains. Cela étant dit, si à leur face même, il est apparent que des documents comportent diverses anomalies, la Commission peut certainement en l'absence d'explications satisfaisantes tirer une conclusion défavorable quant à la crédibilité d'un demandeur (Yogeswaran c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2001] A.C.F. no 193 aux para. 28-30 (C.F. 1re inst.) (QL); Husein c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] A.C.F. no 726 au para. 13 (C.F. 1re inst.) (QL)). C'est d'ailleurs, ce qu'envisage l'article 106 de la Loi. En conséquence, il n'était pas déraisonnable pour la Commission d'écarter les preuves d'identité fournies par la demanderesse.


[46]            À l'audience, le procureur de la demanderesse a insisté sur le fait qu'une copie de documents obtenus d'autres membres présumés de la famille de la demanderesse ont également été versés au dossier de la Commission. Voir notamment les pages 46 à 52 du dossier de la Commission où l'on retrouve une copie des documents concernant : Ngana Umba, Tania                                                                                                                                                      Nzolantima-Amba, Dilutete Umba, Valentine Belito Amba. On retrouve également au dossier (à la page 103), le Formulaire de renseignements personnels du frère présumé de la demanderesse, Binda Umba, qui a également demandé le statut de réfugié au Canada. Or, le simple fait que la demanderesse ait pu se procurer certains de ces documents ne prouve pas son identité. De plus, il existe une présomption selon laquelle l'ensemble de la preuve documentaire a été prise en compte par la Commission (Florea c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] A.C.F. no 598 (C.A.F.) (QL)). L'omission de mentionner ces documents, qui étaient secondaires dans le cas sous étude, ne rend pas la décision de la Commission déraisonnable.

[47]            À l'audience, le procureur de la demanderesse, a également suggéré, sans l'affirmer catégoriquement, que les règles de justice naturelle n'ont pas été respectées, et ce, parce qu'on aurait induit la demanderesse en erreur en lui faisant croire que son identité était acceptée. Autrement, plaide le procureur de la demanderesse, comment comprendre le fait que l'agent de revendication ait produit le formulaire de renseignements personnels du frère présumé de la demanderesse, Binda Umba, lequel aurait, semble-t-il, été accepté à titre de réfugié au Canada?

[48]            Les règles de justice naturelle n'ont pas été violées par la Commission. Lors de l'audience, il est clair selon les propos tenus que la Commission avait des doutes sérieux quant à l'authenticité des documents déposés. À ce moment, il était évident que l'identité de la demanderesse était en jeu. De plus, la demanderesse a eu l'opportunité de présenter son récit de façon complète, et celui-ci a été considéré et traité de façon minutieuse par la Commission.


Crédibilité de la demanderesse

[49]            En l'espèce, l'identité de la demanderesse et la preuve de sa filiation avec Umba-Di Lutete, l'ancien dignitaire du régime Mobutu, constituaient le coeur même de sa demande d'asile et de protection. Or, en l'absence d'explications satisfaisantes, le défaut d'établir l'identité de la demanderesse affectait la crédibilité de son récit de persécution (article 106 de la Loi et Husein, supra, au para. 13).

[50]            Cela étant dit, la Commission ne s'est pas seulement fondée sur le rejet des preuves d'identité pour rejeter la revendication et la demande de protection de la demanderesse. En effet, la Commission a jugé que cette dernière n'était pas crédible. Sur ce point, c'est la norme de la décision manifestement déraisonnable qui s'applique (R. K. L. c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2003] A.C.F. no 162 (C.F. 1re inst.) (QL); Akinlolu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1997] A.C.F. no 296 au para. 13 (C.F. 1re inst.) (QL); et Moyo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2003] A.C.F. no 1297 au para. 4 (C.F. 1re inst.) (QL)).


[51]            La Commission a considéré le témoignage de la demanderesse et a relevé des contradictions et des omissions importantes. À titre d'exemple, la demanderesse dans son formulaire au point d'entrée a omis de mentionner qu'elle avait été détenue à deux reprises.    Celle-ci a simplement mentionné la première détention, à savoir celle d'une demi-journée. La demanderesse n'a donc pas fait mention de sa deuxième détention, soit celle de près d'un mois. Lorsque la Commission a confronté la demanderesse à ce sujet, celle-ci a indiqué que le terme « incarcéré » tel qu'il apparaissait dans le formulaire au point d'entrée signifiait un court moment et pour cette raison elle n'avait mentionné que la première détention. Or, comme la souligné la Commission dans ses motifs, la demanderesse a écrit dans son formulaire de renseignements personnels la deuxième détention en utilisant le terme « incarcéré » .

[52]            De plus, la Commission dans sa décision fait également mention d'une contradiction importante entre le témoignage de la demanderesse et la preuve documentaire déposée. La demanderesse a témoigné n'avoir eu aucun problème de 1997 à 2001, ce qui est contradictoire à la preuve documentaire. De plus, celle-ci indique que monsieur Umba-Di Lutete a été évacué le 15 juin 1997 pour l'Afrique du Sud afin d'obtenir des soins médicaux. Questionnée à savoir si elle était au courant que son prétendu père avait été se faire soigner en Afrique du Sud, la demanderesse à répondu par la négative. Dans sa décision, la Commission fait également mention de l'invraisemblance du fait que la demanderesse ait participé à une manifestation alors qu'elle prétendait vivre dans la crainte d'être identifiée.

[53]            Les conclusions de la Commission, telles qu'énoncées précédemment, ne sont pas manifestement déraisonnables.


CERTIFICATION D'UNE QUESTION

[54]            Les conclusions de la Commission ne sont ni déraisonnables, ni manifestement déraisonnables, selon qu'il s'agissait premièrement d'évaluer les preuves d'identité soumises par la demanderesse, et deuxièmement d'évaluer la crédibilité du récit de la demanderesse à la lumière de la preuve documentaire et du contenu de son témoignage. Par conséquent, la présente demande doit être rejetée.

[55]            Les parties n'ont proposé aucune question d'importance générale pour fins de certification. Cela étant dit, je reconnais que l'adoption de la norme de la décision raisonnable simpliciter dans le cas de l'évaluation par la Commission de preuves d'identité semble aller à l'encontre d'un certain courant de jurisprudence de cette Cour, lequel fait plutôt appel à la norme de la décision manifestement déraisonnable : Aboubacar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'immigration), [2002] A.C.F. no 214 (C.F. 1re inst.) (QL); Keita c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2001] A.C.F. no 376 (C.F. 1re inst.) (QL). Plus récemment, dans Gasparyan v. Canada (Minister of Citizenship and Immigration) [2003] F.C.J. No. 1103 au para. 6 (C.F. 1re inst.) (QL), le juge Kelen conclut à ce sujet :

The appropriate standard for reviewing the Refugee Division's assessment of identity documents is patent unreasonableness: Adar v. Canada (Minister of Citizenship and Immigration) (1997), 132 F.T.R. 35 at para. 15; and Mbabazi v. Canada (Minister of Citizenship and Immigration), [2002] F.C.J. No. 1623, 2002 FCT 1191 at para. 7. The panel had first hand access to the identity documents and the testimony of the applicants, and also possesses a high level of expertise in this area.

[mon soulignement]

[56]            Je crois néanmoins que la présente affaire se distingue nettement des affaires mentionnées plus haut. Je note que dans ces dernières, la Cour n'a pas, d'une façon rigoureuse, appliqué la méthode pragmatique et fonctionnelle. D'autre part, sauf la décision Gasparyan, toutes ces décisions ont été rendues sous l'ancienne loi. Or, l'article 106 de la Loi impose formellement l'obligation de considérer et d'apprécier la valeur des explications fournies par le revendicateur qui n'est pas muni de papiers d'identité acceptables. De plus, tel qu'il a été mentionné plus haut, dans le cas sous étude, la Commission reconnaît à deux reprises dans sa décision ne pas avoir d'expertise particulière en matière de documents. Enfin, je n'exclus pas la possibilité d'appliquer, dans le futur, la norme de la décision manifestement déraisonnable, tout dépendant des circonstances particulières de chaque cas.

[57]            On peut se demander s'il ne serait pas préférable d'avoir seulement deux normes plutôt que trois normes de contrôle considérant que les paramètres afin de distinguer la norme de décision manifestement déraisonnable à celle de la décision raisonnable simpliciter sont de plus en plus difficiles à énoncer. À ce sujet, il est possible de faire référence aux propos concordants du juge LeBel dans l'affaire Toronto (City) v. Canadian Union of Public Employees Local 79 (C.U.P.E.), 2003 CSC 63, où il indique comme suit au paragraphe 66 :

Comme le confirme l'analyse qui suit, à l'heure actuelle, la norme de la décision manifestement déraisonnable n'offre pas aux cours de justice des paramètres suffisamment clairs pour contrôler les décisions des tribunaux administratifs. Dès le début, la norme du manifestement déraisonnable a parfois été confondue, de manière préoccupante, avec ce qui devrait être son antithèse, la norme de la décision correcte. En outre, il devient de plus en plus difficile de distinguer la norme de ce qui est réputée représenter sa contrepartie, commandant une moins grande déférence, la norme de la décision raisonnable simpliciter. Il reste à voir comment il est possible de résoudre ces difficultés.


[mon soulignement]

[58]            Dans C.U.P.E., supra, au paragraphe 100 le juge LeBel reconnaît la différence conceptuelle entre les trois normes de contrôle. Cependant, celui-ci indique clairement que leur application sur le plan pratique peut porter à confusion.

La différence conceptuelle entre le contrôle selon la norme de la décision correcte et le contrôle selon la norme du manifestement déraisonnable peut être intuitive et relativement facile à constater (bien que, en pratique, des éléments du premier empiètent parfois de manière inquiétante sur le second), toutefois la frontière entre le caractère manifestement déraisonnable et le caractère raisonnable simpliciter est encore moins claire, même sur le plan théorique.

[mon soulignement]

[59]            Au paragraphe 120, le juge LeBel indique comme suit :

À défaut d'une réforme en la matière ou d'une clarification des normes, la "confusion épistémologique" entourant la relation entre le manifestement déraisonnable et le raisonnable simpliciter persistera. Ainsi, tant les types d'erreurs que les deux variantes de la norme de la décision raisonnable permettent de déceler -- soit les interprétations qui ne peuvent être tenues pour "raisonnables", "rationnelles" ou "défendables" compte tenu des dispositions en cause -- que la manière dont les deux normes sont appliquées seront en pratique, si ce n'est nécessairement en théorie, essentiellement les mêmes.

[mon soulignement]


[60]            En d'autres mots, le juge LeBel indique au paragraphe 122 que la norme du manifestement déraisonnable et celle du raisonnable simpliciter exigent des cours de justice qu'elles accordent une "attention respectueuse" aux motifs des tribunaux administratifs en se prononçant sur la rationalité de leurs décisions. En l'espèce, la demanderesse ne m'a pas satisfait et que la décision en cause doit être révisée, et ce, peu importe laquelle des deux normes de contrôle utilisées.

[61]            Enfin, tel qu'énoncé précédemment, la Commission pouvait à bon droit tirer des inférences négatives quant à la crédibilité de la demanderesse (Fwamba c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] A.C.F. no 1247 au para. 5-6 (C.F. 1re inst.) (QL)). Ainsi, l'application particulière dans le cas sous étude de la norme de la décision raisonnable simpliciter ou de la norme de la décision manifestement déraisonnable quant à l'évaluation des preuves d'identité n'aurait donc aucun impact en cas d'appel. Pour qu'une question d'importance générale soit certifiée, il faut qu'elle ait un caractère déterminant (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Liyanagamage, [1994] A.C.F. no 1637 (C.A.F.) (QL). Ce n'est pas le cas en l'espèce. Aussi, aucune question ne sera certifiée.

                                        ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée. Aucune question d'importance générale ne sera certifiée.

                                      ___________________________________

                                                                                                     Juge                                 


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                IMM-6318-03

INTITULÉ :               LAETITIA MASIAL UMBA c. MCI

LIEU DE L'AUDIENCE :                        MONTRÉAL (QUÉBEC)

DATE DE L'AUDIENCE :                      4 DÉCEMBRE 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                             L'HONORABLE JUGE MARTINEAU

DATE DES MOTIFS :                             9 JANVIER 2004

COMPARUTIONS :

ME ALAIN JOFFE                                    POUR LE DEMANDEUR

ME CLAUDIA GAGNON                               POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

ME ALAIN JOFFE                                   POUR LE DEMANDEUR

MONTRÉAL (QUÉBEC)

M. MORRIS ROSENBERG                             POUR LE DÉFENDEUR

SOUS-PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA


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