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Date : 20200219


Dossier : IMM-3312-19

Référence : 2020 CF 265

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 19 février 2020

En présence de madame la juge Simpson

ENTRE :

SYED IMRAN WAHEED

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

(Prononcés à l’audience à Toronto, le 17 février 2020)

[1]  La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision datée du 3 avril 2019 [la décision] par laquelle un agent de migration [l’agent] du Haut-commissariat du Canada à Londres, au Royaume-Uni, a rejeté la demande de résidence permanente du demandeur et a déclaré celui-ci interdit de territoire pour fausses déclarations parce qu’il ne pouvait pas vérifier son emploi. Cette demande a été présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR].

[2]  Le demandeur est un citoyen du Pakistan âgé de 32 ans. Il a présenté une demande de résidence permanente au Canada dans le cadre du Programme des travailleurs qualifiés (fédéral) en août 2014.

[3]  Dans le cadre de sa demande, le demandeur a fourni une lettre d’emploi datée du 10 juin 2014, rédigée par Ali Nadeem, président-directeur général de Mezzi Marketing. L’auteur de cette lettre mentionnait que le demandeur avait travaillé pour l’entreprise du 7 août 2007 au 30 octobre 2009 à titre de consultant en logiciels commerciaux [la première lettre d’emploi]. L’adresse de l’entreprise y était indiquée (8-F Gulberg II Lahore), de même que l’adresse Web.

[4]  Le 7 octobre 2015, des membres de l’unité antifraude du Haut-Commissariat du Canada à Islamabad se sont rendus à l’adresse de Mezzi Marketing inscrite sur la première lettre d’emploi. Ils n’ont pas recueilli d’élément de preuve démontrant que l’entreprise menait ses activités à cet endroit. Un individu les a accueillis et leur a dit qu’il exploitait une entreprise de traiteur dans les locaux depuis deux ou trois ans. Il a affirmé ne connaître aucune autre entreprise à cette adresse et n’avoir jamais entendu parler de Mezzi Marketing. Les membres de l’unité antifraude ont également appelé aux deux numéros de téléphone mentionnés dans la première lettre d’emploi, mais aucun n’était en fonction. Ils ont essayé deux autres numéros de téléphone possibles. Au premier, une femme a répondu qu’il s’agissait d’une erreur de numéro. Le deuxième était hors service.

[5]  Le 28 octobre 2015, l’agent a envoyé une lettre d’équité procédurale au demandeur. Le passage pertinent en l’espèce est le suivant :

[traduction]

Par suite de l’enquête menée par l’unité antifraude du Haut‑Commissariat du Canada à Islamabad, il a été conclu que les éléments de preuve que vous avez fournis pour étayer votre expérience de travail étaient faux et que vous avez fait de fausses présentations et possiblement agi en collusion avec d’autres à cet égard. J’ai des doutes quant à la véracité des renseignements vous concernant. Vous avez 30 jours pour répondre à mes préoccupations. Tout élément de preuve nouveau lié à votre emploi chez Mezzi Marketing sera examiné.

[6]  Le 29 octobre 2015, le demandeur a demandé des éclaircissements concernant la première lettre d’équité procédurale.

[7]  Le 2 novembre 2015, le bureau des visas lui a fourni les éclaircissements suivants : [traduction] « Vous êtes tenu de fournir la preuve de votre expérience de travail chez Mezzi Marketing » [les éclaircissements].

[8]  Le 4 novembre 2015, le demandeur a produit une autre lettre d’Ali Nadeem, président‑directeur général de Mezzi Marketing. Dans cette lettre, l’auteur confirmait l’emploi du demandeur et mentionnait ceci : [traduction] « [E]n raison de travaux de construction dans les environs, nos lignes téléphoniques terrestres ne sont pas en fonction pour l’instant. » L’adresse de l’entreprise était la même que celle indiquée dans la première lettre, soit le « 8-F Gulberg II Lahore ». Un nouveau numéro de téléphone cellulaire était fourni et l’auteur a déclaré : [traduction] « Je suis prêt à fournir toute confirmation additionnelle par téléphone ou par courriel ou encore à prendre rendez-vous avec l’un de vos représentants. »

[9]  Le 16 juin 2017, l’agent a envoyé une deuxième lettre d’équité procédurale. Le segment important de cette lettre était identique au passage énoncé au paragraphe 5 ci-dessus.

[10]  Le 27 juin 2017, le demandeur a répondu ceci : [traduction] « J’aimerais préciser de nouveau que les renseignements fournis concernant mon expérience de travail sont véridiques et qu’ils peuvent être vérifiés auprès de mon ancien président-directeur général, M. Ali Nadeem. » Il a également fourni les coordonnées de M. Nadeem, soit les mêmes qui figuraient sur la deuxième lettre d’emploi.

La décision

[11]  Le 3 avril 2019, l’agent a écrit au demandeur pour l’informer qu’après avoir conclu à la présence de présentations erronées sur un fait important ou d’une réticence sur ce fait, il le jugeait interdit de territoire au Canada pour une période de cinq ans. Il a également rejeté sa demande de résidence permanente, puis il a mentionné pour la première fois que l’employeur n’exploitait pas d’entreprise à l’adresse fournie dans la première et la deuxième lettre d’emploi.

Question en litige

L’agent a-t-il manqué à l’équité procédurale parce qu’il n’a pas informé le demandeur de ses préoccupations concernant le fait que Mezzi Marketing ne se trouvait pas à l’adresse indiquée dans la première et la deuxième lettre d’emploi?

Analyse

[12]  À mon avis, le but d’une lettre d’équité procédurale est de fournir au destinataire des renseignements qui lui permettent, dans la mesure du possible, de dissiper les doutes de l’agent. L’arrêt Sapru c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CAF 35, au paragraphe 31, rendu par la Cour d’appel fédérale, me conforte dans mon opinion. La Cour fait les remarques suivantes :

La conclusion du juge tenait pour acquis que la lettre d’équité donnait au demandeur une « possibilité équitable » de répondre à toutes les préoccupations du médecin. Pour ce faire, il est nécessaire que la lettre d’équité explique clairement toutes les préoccupations pertinentes pour que le demandeur sache ce qu’il a à démontrer et qu’il ait une véritable possibilité d’y répondre utilement.

[13]  En l’espèce, le demandeur n’a eu droit qu’à la conclusion de l’agent selon laquelle les éléments de preuve fournis à l’appui de son expérience de travail avaient été falsifiés.

[14]  À mon avis, le demandeur avait le droit de comprendre la préoccupation ou le problème sous‑jacent qui a amené l’agent à tirer cette conclusion. L’agent craignait que l’absence de Mezzi Marketing à l’adresse donnée dans les deux lettres d’emploi signifie que cette entreprise n’existait pas. Ces raisons n’ont pas été mentionnées dans les deux lettres d’équité procédurale ni dans les éclaircissements fournis.

Conclusions

[15]  Comme le demandeur n’a pas été informé de cette préoccupation, aucune des deux lettres d’équité procédurale n’a servi aux fins prévues. Par conséquent, il y a eu manquement à l’équité procédurale.


JUGEMENT dans le dossier IMM-3312-19

LA COUR STATUE :

  1. La décision est annulée.

  2. L’affaire doit être réexaminée.

  3. Une lettre d’équité procédurale doit être envoyée en conformité avec les présents motifs.

« Sandra J. Simpson »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 3e jour de mars 2020.

Linda Brisebois, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3312-19

 

INTITULÉ :

SYED IMRAN WAHEED c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 17 FÉVRIER 2020

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE SIMPSON

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 19 FÉVRIER 2020

 

COMPARUTIONS :

Jeremiah A. Eastman

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Laoura Christodoulides

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Eastman Law Office Professional Corporation

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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