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Date : 20200213


Dossier : 20-T-2

Référence : 2020 CF 248

Ottawa (Ontario), le 13 février 2020

En présence de monsieur le juge Simon Noël

ENTRE :

L’HONORABLE MICHEL GIROUARD

Requérant

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

Intimé

ORDONNANCE ET MOTIFS

(Art. 18.1 et Règles 300 et ss des Règles des Cours fédérales)

[1]  Le Requérant, l’honorable Michel Girouard, demande une prorogation de délai pour déposer une demande de contrôle judiciaire, en vertu des Règles 359, 364 et 369 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, de la recommandation incluse dans un Rapport de la Commission d’examen de la rémunération des juges (« Commission »), portant la date du 28 octobre 2019, et qui fut communiqué au Requérant le 9 décembre 2019.

[2]  Le délai de 30 jours pour déposer une demande de contrôle judiciaire, selon le paragraphe 18.1(2) de la Loi sur les cours fédérales, LRC 1985, ch F-7, ne fut pas respecté car l’un des procureurs du Requérant n’a pas inclus la période des fêtes dans son calcul. En conséquence, la demande ne fut déposée que le 22 janvier 2020 alors qu’elle aurait dû être déposée le, ou avant le, 10 janvier 2020.

[3]  Le Requérant soumet qu’il a toujours eu l’intention de déposer la demande de contrôle judiciaire et que c’est par une simple erreur de bonne foi qu’il ne l’a pas déposée dans le délai de 30 jours prévu par le paragraphe 18.1(2). Il ajoute que si la demande de prorogation de délai est accordée, la Commission n’en subirait aucun préjudice tandis que le contraire lui causerait un énorme préjudice.

[4]  La Commission a rendu ce rapport à la suite d’une lettre du ministre de la Justice en date du 31 mai 2019 selon le paragraphe 26(4) de la Loi sur les juges, LRC 1985, ch J-1. Cette lettre proposait une modification éventuelle à la Loi sur les juges concernant le décompte des années d’ancienneté pour obtenir la pension des juges à partir du moment où le Conseil canadien de la magistrature recommande au ministre de la Justice la révocation à titre de juge et demanda à la Commission son opinion à ce sujet :

La modification que je propose suspendrait le décompte des années d’ancienneté du juge à compter de la date à laquelle le Conseil canadien de la magistrature publie un rapport dans lequel il recommande la révocation du juge. La modification s’appliquerait une fois la sanction royale reçue à tout juge en exercice dont la révocation a déjà été recommandée ou serait recommandée à l’avenir.

[5]  À la suite de la publication d’un avis, la Commission a reçu un mémoire du Requérant dans lequel celui-ci s’opposait à une telle modification. Quatre autres mémoires furent déposés par différents organismes ou groupes (le gouvernement du Canada, le Barreau du Québec, l’Association canadienne des juges des Cours supérieures et les protonotaires de la Cour fédérale).

[6]  Au paragraphe 29 du rapport de la Commission, après avoir examiné les critères énoncés au paragraphe 26(1.1) de la Loi sur les juges, la Commission conclut ainsi :

La modification proposée par le ministre de la Justice :

« […] n’aurait aucune incidence sur le caractère satisfaisant des traitements et autres prestations prévus par la Loi ainsi que, de façon générale, les avantages pécuniaires consentis aux juges. Toutefois, la Commission ne formule aucun commentaire sur le moment ou la modification proposée devrait entrer en vigueur, si ce n’est que pour souligner qu’il serait regrettable que la présentation du ministre et les conclusions du présent rapport aient une incidence négative sur ceux qui font l’objet de délibérations et de recommandations de la part du Conseil canadien de la magistrature et qui n’ont pas encore exercé les recours dont ils peuvent se prévaloir dans les limites de la Loi. »

[7]  L’Intimé, le procureur général du Canada, s’oppose à la requête en prorogation de délai et à la demande de contrôle judiciaire. Il soumet que la requête « ne possède aucun fondement » et que le Requérant n’a présenté aucune explication raisonnable pour justifier le délai encouru. En conséquence, il conclut qu’il n’est pas dans l’intérêt de la justice que la requête soit accordée.

[8]  Selon l’Intimé, le rapport ne produit aucun effet, étant de nature consultative tel que l’article 26 de la Loi sur les juges l’indique, et n’est pas une « décision » au sens de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales. En conséquence, selon l’Intimé, le rapport ne peut pas faire l’objet d’une demande de contrôle judiciaire. De plus, l’Intimé ajoute que la demande est prématurée.

[9]  L’Intimé soumet à la Cour qu’à la suite du rapport, le ministre de la Justice y fera suite en deux étapes : (1) en donnant suite au rapport de la Commission au plus tard quatre mois après l’avoir reçu (soit le 28 février 2020) et subséquemment (2) s’il y a lieu, en établissant et en déposant un projet de loi qui met en œuvre sa réponse au rapport, dans un délai raisonnable (voir le paragraphe 26(7) intitulé « suivi » de la Loi sur les juges).

[10]  Dans ses conclusions, l’Intimé demande à cette Cour de :

- Rejeter la requête en prorogation de délai du requérant;

Subsidiairement :

- Suspendre la requête en prorogation de délai du requérant jusqu’à ce que le processus prévu à l’article 26 de la Loi sur les juges ait été complété.

[11]  Pour la conclusion subsidiaire, le procureur général soumet que la demande de contrôle judiciaire est prématurée et que l’on devrait attendre de connaître « la nature de la réponse du gouvernement ».

[12]  Ayant étudié le dossier et ayant pris en considération les soumissions des parties, je crois qu’il est dans l’intérêt de la justice que la requête en prorogation de délai soit suspendue jusqu’à ce que le ministre de la Justice ait soumis son suivi au rapport de la Commission, soit la prochaine étape dans le processus établi par l’article 26 de la Loi sur les juges.

[13]  J’en arrive à cette conclusion car, selon moi, la procédure prévue par la Loi sur les juges doit suivre son cours dans le but de bien cristalliser les enjeux soulevés par la présente requête en prorogation de délai ainsi que par la demande de contrôle judiciaire. Ce n’est qu’au suivi du ministre de la Justice que celui-ci définira ses modifications quant au décompte des années d’ancienneté relatif à la pension des juges après avoir pris en considération la recommandation incluse dans le rapport de la Commission. À ce moment-là, le processus tendra vers une finalité plus précise permettant de mieux prendre en considération les enjeux soulevés par le présent dossier.

[14]  En conséquence, j’émets l’ordonnance suivante.


ORDONNANCE

PAR LES PRÉSENTS MOTIFS :

  1. Je suspends la requête en prorogation de délai jusqu’à ce que le ministre de la Justice émette son suivi à la recommandation incluse dans le rapport de la Commission d’examen de la rémunération des juges, le tout conformément à la prochaine étape prévue dans le processus selon le paragraphe 26(7) de la Loi sur les juges.
  2. L’Intimé fera parvenir à la Cour, ainsi qu’au Requérant, le suivi du ministre de la Justice dans les meilleurs délais à la suite de la publication.
  3. Par la suite, dans les 10 jours de la réception du suivi, le Requérant pourra soumettre un mémoire supplémentaire et l’Intimé aura 10 jours pour y répondre, s’il y a lieu.

« Simon Noël »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

20-T-2

INTITULÉ :

L’HONORABLE MICHEL GIROUARD c LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

REQUÊTE ÉCRITE CONSIDÉRÉE À OTTAWA (ONTARIO) SUITE aux RÈGLES 359, 364 et 369 DES RÈGLES DES COURS FÉDÉRALES, DORS/98-106

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LE JUGE SIMON NOËL

DATE DES MOTIFS :

LE 13 FÉVRIER 2020

PRÉTENTIONS ÉCRITES PAR :

Me Gérald R. Tremblay

Me Louis Masson

POUR LE REQUÉRANT

(L’HONORABLE MICHEL GIROUARD)

Me Pascale-Catherine Guay

Me Claude Joyal

Me Linda Rouillard-Labbé

POUR L’INTIMÉ

(LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA)

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

McCarthy Tétreault

Montréal (Québec)

Therrien Couture Jolie-Cœur

Québec (Québec)

POUR LE REQUÉRANT

(L’HONORABLE MICHEL GIROUARD)

Procureur général du Canada

POUR L’INTIMÉ

(LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA)

 

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