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                                                                                                                                           Date : 20000131

Dossier : T-385-99

ENTRE :

BARBARA L. EDWARDS

                                                                             demanderesse

                                                                                                                                                        (intimée)

et

SA MAJESTÉ LA REINE

                                                                 défenderesse

                                                                                                                                                  (requérante)

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE PROTONOTAIRE ARONOVITCH


[1]                 Mme Edwards et M. Vaughan, le demandeur au dossier de la Cour T-133-99, ont introduit des actions distinctes en responsabilité délictuelle visant l'obtention de dommages-intérêts contre la défenderesse. La défenderesse a présenté une requête en radiation contre les actions en invoquant qu'elles ne révèlent aucune cause d'action au motif que la Cour n'a pas compétence pour entendre ces actions. Les deux actions sont basées sur des faits semblables et la défenderesse sollicite leur radiation pour le même motif. En définitive, conformément à l'ordonnance de la Cour, datée du 18 juin 1999, les demandes ont été instruites conjointement.

[2]                 Bien qu'il soit admis que les mêmes principes de droit s'appliquent aux deux affaires, les faits sont suffisamment différents pour m'avoir menée à deux conclusions distinctes. J'ai donc choisi de rédiger des motifs distincts.

[3]                 Aux fins de la présente requête, les allégations de fait de la demanderesse sont tenus pour avérés. Par conséquent, je vais débuter par un sommaire des faits allégués dans sa déclaration.

[4]                 La demanderesse était une employée de la fonction publique dont le poste a été aboli par suite d'une réorganisation. La demanderesse a informé son superviseur et a toujours maintenu qu'elle n'était pas intéressée par un emploi de bureau au bureau régional. Son superviseur lui a dit que si elle menait à bien quelques projets, il l'aiderait à obtenir une prime de départ anticipé. Comme solution de rechange, elle a demandé d'être rétrogradée pour qu'elle puisse continuer son travail sur le terrain. Cette demande a été refusée et elle a été déclarée excédentaire et on lui a offert un emploi le 17 juillet 1995. Cette offre d'emploi rendait la demanderesse inadmissible à une prime de départ anticipé.


[5]                 La demanderesse allègue que son superviseur n'a pas fait [TRADUCTION] « de son mieux » pour lui procurer la prime de départ anticipé, tel qu'il avait été promis. De plus, la demanderesse allègue que son superviseur savait très bien qu'elle n'était pas intéressée par un emploi de bureau et qu'ainsi, l'emploi offert n'était pas raisonnable. La demanderesse allègue qu'à cet égard, la conduite du superviseur était malveillante et délibérée.

[6]                 Le 21 juillet 1995, la demanderesse a déposé un grief relativement à son statut d'employée excédentaire et au caractère raisonnable de l'emploi qu'on lui a offert. Son grief a été renvoyé à un arbitre de la Commission des relations de travail dans la fonction publique, qui a décidé que l'emploi offert à la demanderesse n'était pas raisonnable et qu'on lui avait refusé de façon abusive le paiement d'une somme en lieu et place de la partie non expirée de sa période de priorité d'excédentaire. L'arbitre a refusé d'aborder le problème de la prime de départ anticipé parce qu'il ne relevait pas de sa compétence.

[7]                 L'employeur a présenté une demande de contrôle judiciaire de la décision de l'arbitre. Le 18 janvier 1999, notre Cour a annulé la décision de l'arbitre, qui avait jugé que l'offre d'emploi était « raisonnable » . La demanderesse a interjeté appel le 16 février 1999.


[8]                 Dans sa déclaration, la demanderesse réclame des dommages-intérêts pour négligence et/ou pour rupture de contrat. Elle allègue que la défenderesse a été négligente et a fait preuve de mauvaise foi quand elle ne s'est pas assurée que la demanderesse reçoive la prime de départ anticipé et elle sollicite une déclaration selon laquelle elle a droit à une telle prime en date du 1er avril 1995. Elle revendique des dommages-intérêts pour la perte de la prime départ anticipé, ainsi que des dommage-intérêts majorés et punitifs de l'ordre de 50 000 $ en raison de la mauvaise foi de l'employeur.

La procédure de règlement des griefs en vertu de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique

[9]                 L'emploi de Mme Edwards au sein du gouvernement fédéral est régi par une convention collective, la convention cadre entre le Conseil du Trésor et l'Institut professionnel de la fonction publique du Canada (ci-après l' « IPFP » ) intervenue conformément à la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique[1] (ci-après la « LRTFP » ).

[10]            Le paiement d'une prime de départ anticipé n'est pas prévu expressément dans la convention collective. Il est rendu possible en vertu d'une ordonnance du Conseil privé (C.P. 1995-1086). L'article 35.05 de la convention cadre, qui est la convention collective applicable en l'espèce, prévoit toutefois qu'un employé qui a été traité de façon injuste ou qui se considère lésé « par une action quelconque ou une absence d'action de la part de l'employeur » « a le droit » de présenter un grief tel que le prévoit l'article 91 de la LRTFP.


[11]            Je reproduis intégralementci-dessous les paragraphes 91(1) et 92(1) de la LRTFP. Les deux dispositions législatives, ainsi que la clause 35.05 de la convention collective, résument la procédure de grief applicable en vertu de la LRTFP.

91. (1) Sous réserve du paragraphe (2) et si aucun autre recours administratif de réparation ne lui est ouvert sous le régime d'une loi fédérale, le fonctionnaire a le droit de présenter un grief à tous les paliers de la procédure prévue à cette fin par la présente loi, lorsqu'il s'estime lésé_:

a) par l'interprétation ou l'application à son égard_:

(i) soit d'une disposition législative, d'un règlement -- administratif ou autre --, d'une instruction ou d'un autre acte pris par l'employeur concernant les conditions d'emploi,

(ii) soit d'une disposition d'une convention collective ou d'une décision arbitrale;

b) par suite de tout fait autre que ceux mentionnés aux sous-alinéas a)(i) ou (ii) et portant atteinte à ses conditions d'emploi.

92. (1) Après l'avoir porté jusqu'au dernier palier de la procédure applicable sans avoir obtenu satisfaction, un fonctionnaire peut renvoyer à l'arbitrage tout grief portant sur_:

a) l'interprétation ou l'application, à son endroit, d'une disposition d'une convention collective ou d'une décision arbitrale;

b) dans le cas d'un fonctionnaire d'un ministère ou secteur de    l'administration publique fédérale spécifié à la partie I de l'annexe I ou désigné par décret pris au titre du paragraphe (4), soit une mesure disciplinaire entraînant la suspension ou une sanction pécuniaire, soit un licenciement ou une rétrogradation visé aux alinéas 11(2)f) ou g) de la Loi sur la gestion des finances publiques;

c) dans les autres cas, une mesure disciplinaire entraînant le licenciement,          la suspension ou une sanction pécuniaire.

[non souligné dans l'original]


[12]            Essentiellement, un fonctionnaire, qui se trouve dans la situation de Mme Edwards, peut renvoyer un grief à l'arbitrage à plusieurs paliers de la procédure. Il existe un droit large de formuler un grief en vertu de la clause 35.05 de la convention collective, de même qu'en vertu de l'article 91, qui englobe les litiges qui résultent directement de la convention collective et de façon plus générale, les griefs relatifs aux modalités d'emploi prévues ou non par la loi. Cela étant dit, seulement certains griefs, qui atteignent le dernier palier de la procédure que prévoit l'article 91, peuvent être renvoyés à l'arbitrage. L'article 92 expose la nature des griefs qui peuvent être par la suite renvoyés à l'arbitrage. Ce sont principalement les litiges qui résultent de l'interprétation et de l'application de la convention collective.

[13]              Les décisions rendues sur les griefs prévus à l'article 91 qui ne peuvent être renvoyés à l'arbitrage en vertu de l'article 92 sont finales. Le paragraphe 96(3) de la LRTFP prévoit qu'aucune autre mesure ne peut être prise sous le régime de la présente loi à l'égard du grief ainsi tranché :

(3)                 Sauf dans le cas d'un grief qui peut être renvoyé à l'arbitrage au titre de l'article 92, la décision rendue au dernier palier de la procédure applicable en la matière est finale et obligatoire, et aucune autre mesure ne peut être prise sous le régime de la présente loi à l'égard du grief ainsi tranché.


[14]            Pour distinguer la nature des différentes formes d'arbitrage des griefs, je constate que les « arbitres » aux différents paliers de la procédure de règlement des griefs en vertu de l'article 91 ne sont pas des tiers neutres. Ils sont plutôt des fonctionnaires qui ont des fonctions de supervision et qui peuvent comprendre le sous-ministre d'un ministère donné. Je les appelerai « agents des griefs » . L'arbitre visé à l'article 92, d'autre part, est une tierce partie neutre apparenté à un arbitre nommé en vertu des diverses lois en matière de droit du travail qui imposent un arbitrage exécutoire. L'arbitre a le pouvoir d'appliquer la loi et de rendre un jugement exécutoire. La décision de l'agent des griefs au dernier palier, ainsi que celle de l'arbitre, sont assujetties au contrôle judiciaire conformément à l'article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale.

La jurisprudence

[15]              Historiquement, notre Cour a jugé que la procédure de règlement des griefs prévue par la LRTFP est exhaustive[2]. Dans la décision Panagapoulos, la Cour a déclaré que :

« La Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique est un code complet régissant les rapports entre Sa Majesté et ses employés. En vertu des clauses précitées, la procédure de grief est la seule procédure de redressement ouverte au demandeur. »


[16]            Plus récemment, la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Weber c. Ontario Hydro[3], a été appelée à se pencher sur la question de savoir si des parties qui s'étaient entendues pour soumettre leurs différends à l'arbitrage en vertu d'une convention collective pouvaient intenter une action en responsabilité délictuelle. L'arrêt Weber a été considéré et appliqué par la suite par notre Cour pour déterminer sa compétence pour entendre des actions en responsabilité délictuelle intentées par des employés dont les relations de travail sont régies par la LRTFP [4].

[17]            L'affaire Weber a trait à un employé d'Ontario Hydro qui avait fait l'objet d'une suspension pour avoir abusé des congés de maladie. L'employeur, qui soupçonnait M. Weber de feindre son mal, a fait appel aux services d'un détective privé pour qu'il mène une enquête. Le détective s'est rendu à la propriété de M. Weber, et ce dernier a par la suite fait l'objet d'une suspension sur la foi de l'information recueillie lors de cette visite. Il a formulé un grief à l'encontre de la suspension, alléguant que l'embauche du détective privé violait la convention collective. M. Weber a également intenté une action en justice dans laquelle il réclamait des dommages-intérêts contre l'employeur pour la violation de ses droits garantis par la Charte canadienne des droits et libertés (ci-après « la Charte » ). La Cour d'appel de l'Ontario a décidé que l'action fondée sur la responsabilité délictuelle ne pouvait réussir[5]. Madame le juge McLachlin, écrivant au nom de la majorité de la Cour suprême du Canada, a souscrit à la décision de la Cour d'appel et a jugé que la réclamation en vertu de la Charte était également exclue en vertu de la Loi sur les relations de travail de l'Ontario et par les dispositions de la convention collective.


[18]            Les dispositions législatives auxquelles réfère l'arrêt Weber, à l'instar de la plupart des lois sur les relations de travail, imposent l'arbitrage exécutoire pour tous les différends résultant de la convention collective. Après avoir examiné divers modèles pour concilier l'arbitrage spécialisé en matière de relations de travail avec le principe de l'accès aux tribunaux, la Cour suprême a conclu que le modèle de la compétence exclusive était la démarche à suivre. Cela permet de faire convenablement preuve de retenue à l'égard du régime de négociation collective et d'éviter le recours à une multitude de tribunaux par des individus qui s'étaient mis d'accord pour régler leurs différends au moyen de la négociation collective. Pour décider du tribunal approprié relativement à toute demande ou litige en particulier, on doit prendre en compte « le fond » du litige et la portée de la convention collective.

« Ce modèle ne ferme pas la porte à toutes les actions en justice mettant en cause l'employeur et l'employé. Seuls les litiges qui résultent expressément ou implicitement de la convention collective échappent aux tribunaux » [6]. [non souligné dans l'original]


[19]              La Cour suprême a décidé qu'un élément supplémentaire était indispensable, à savoir la compétence de l'arbitre d'entendre le différend et d'accorder les réparations sollicitées. Les juges dissidents ont conclu que les arbitres ne constituent pas des tribunaux compétents aux fins d'accorder des réparations fondées sur la Charte. Madame le juge McLachlin a toutefois conclu qu'un arbitre a le pouvoir d'appliquer les lois du pays et était capable d'accorder les réparations sollicitées, essentiellement l'indemnisation de dommages résultant d'une violation de la Charte. Dans le contexte de cette analyse, elle a fait les observations qui suivent :

« Il faut donc éviter, pour reprendre les termes du juge Estey dans St. Anne Nackawic (à la p. 723), la " privation réelle du recours ultime " [7]. »

[20]            L'arrêt Weber a été pris en compte dans la décision Watt c. Canada[8], où la Section de première instance et la Cour d'appel ont toutes deux rejeté une requête en radiation au motif qu'elle ne révélait aucune cause d'action. La Section de première instance, par l'entremise du juge Denault, a dit :

Dans la mesure où le demandeur Watt réclame des dommages-intérêts pour la conduite fautive qu'il reproche aux défendeurs et dans la mesure où la conduite reprochée n'est pas qualifiée de congédiement injustifié, de mauvaise foi de la part du syndicat, de coalition et de congédiement déguisé ou de préjudice à la réputation, on peut soutenir qu'à première vue, le présent différend relève vraisemblablement, de par sa nature, de la compétence exclusive des tribunaux.

[21]            Le juge Denault avait conclu auparavant, en ce qui avait trait à la réclamation du demandeur relative aux déclarations inexactes faites par négligence et à l'abus d'une charge publique, que la convention collective applicable n'aurait pu lui accorder « la réparation pécuniaire » qu'il recherchait. La cour a conservé compétence.

[22]            La Cour d'appel fédérale a adhéré au raisonnement et à la conclusion du juge Denault :


[...] Néanmoins, nous sommes d'avis que le juge n'a pas commis d'erreur dans son analyse des causes d'action qui sous-tendent la déclaration et dans sa conclusion portant qu'aucune d'elles, à première vue, n'est clairement régie par les dispositions exclusives de la convention collective touchant les griefs et l'arbitrage. Les présumées déclarations inexactes faites par négligence et le supposé abus d'une charge publique dont le demandeur prétend avoir été victime seraient survenus avant la création d'un rapport d'emploi. Cela suffit, à notre avis, pour justifier notre refus de reconnaître que les dispositions de la convention collective rendraient nécessairement l'action irrecevable.

L'avocat a invoqué avec beaucoup d'insistance l'arrêt Weber c. Ontario Hydro de la Cour suprême à l'appui de ses prétentions. Bien qu'il soit vrai que cette action présente certaines similitudes avec la présente instance, elle s'en distingue de façon déterminante à un égard : le litige dans l'affaire Weber, la cause d'action, avait pris naissance dans le cadre d'un rapport d'emploi.[9] [non souligné dans l'original]

[23]     Plus récemment, madame le juge Tremblay-Lamer a radié une déclaration dans l'affaire Johnson-Paquette[10] qui comportait des faits semblables à ceux en l'espèce. Dans cette affaire, la demanderesse a allégué que des cadres supérieurs avaient fait preuve de négligence en ne traitant pas comme il se doit ses plaintes d'agression sexuelle. La demanderesse a porté son grief au dernier palier en vertu de l'article 91 de la LRTFP, et a été déboutée. Son grief n'était pas susceptible d'être porté en arbitrage conformément à l'article 92 de la LRTFP.


[24]            Dans Johnson-Paquette, la Cour a décidé que la conduite négligente de l'employeur fédéral devrait faire l'objet d'un grief en vertu de la convention collective, aux termes de la clause M-38.02 de la convention. (Le libellé de la clause est identique à celui de la clause 35.05 de la convention cadre mentionnée précédemment). Aux termes de cette clause, l'action (ou l'inaction) de l'employeur fait du différend, du moins de façon implicite, un litige régi par la convention collective. Ainsi, le juge Lamer-Tremblay a décidé que, selon la règle établie dans Weber, la Cour n'avait pas compétence. Elle a tiré la conclusion selon laquelle :

Dans le cas où la convention collective investit l'arbitre de la compétence exclusive pour résoudre les différends et où la loi ne prévoit expressément aucune autre juridiction, la Cour suprême pose, par l'arrêt Weber c. Ontario Hydro[11], que l'arbitre a compétence à l'exclusion des tribunaux judiciaires, sous réserve seulement de contrôle judiciaire :

Dans St. Anne Nackawic, la Cour d'appel et la Cour suprême du Canada ont toutes deux insisté pour que l'analyse de la question de savoir si une affaire relève de la clause d'arbitrage exclusif s'effectue non pas sur le fondement des questions juridiques qui peuvent être soulevées, mais sur le fondement des faits entourant le litige qui oppose les parties. Il ne s'agit pas de savoir si l'action, définie en termes juridiques, est indépendante de la convention collective, mais plutôt si le litige « résulte [de la] convention collective » . Si, peu importe ce dont il peut être qualifié sur le plan juridique, le litige résulte de la convention collective, seul le tribunal du travail peut l'entendre, à l'exclusion des cours de justice.

En l'espèce, la demanderesse n'a pas épuisé la procédure de grief prévue par la Loi ni le recours en contrôle judiciaire subséquent. Ce qu'elle essaie de faire, c'est d'attaquer en contrôle judiciaire la décision de l'agent des griefs par voie d'action en dommages-intérêts pour délit civil, ce qu'elle ne peut pas faire11.

[25]            La défenderesse plaide qu'il ne fait aucun doute que la Cour n'a pas compétence pour entendre cette action en responsabilité délictuelle. On plaide que les faits sont identiques à ceux de l'affaire Johnson-Paquette et que je dois radier l'action pour ces motifs.


[26]            La demanderesse plaide, comme on l'a fait dans Johnson-Paquette, que les décisions de la Cour suprême du Canada dans Weber et dans St. Anne Nackawic Pulp & Paper c. SCTP, arrêt sur lequel est basé Weber, ne trouvent pas application lorsque le régime législatif, tel que le prévoit la LRTFP, n'est pas obligatoire et qu'il ne prévoit pas une réparation efficace pour la personne lésée. Une procédure de règlement des griefs dans laquelle celui qui rend la décision finale n'est pas un arbitre et n'a pas le pouvoir d'appliquer la loi et d'accorder des dommages-intérêts, ne respecte pas les conditions préalables énoncées dans Weber pour écarter la compétence de la Cour. Par conséquent, la demanderesse allègue que la Cour a compétence pour entendre une réclamation pour cause de négligence dont le fondement peut faire l'objet d'un grief en vertu de l'article 91 mais ne peut faire l'objet d'une décision arbitrale en vertu de l'article 92.

[27]            Madame le juge Tremblay-Lamer, dans Johnson-Paquette, a examiné la question de savoir si l'agent des griefs dans cette affaire pouvait accorder la réparation sollicitée. Elle a conclu qu'il le pouvait. Il s'agit d'une question qui doit être tranchée en fonction de la réparation particulière sollicitée dans chaque cas. À la conclusion de l'audition de la requête, la Cour a demandé aux avocats de présenter des observations supplémentaires à cet égard, ainsi que d'émettre des commentaires sur la décision Olmstead c. Canada,[1990] 2 F.C. 484 (1re inst.), qui porte sur la question d'un régime législatif non obligatoire. La décision n'a pas été examinée par la Cour dans Johnson-Paquette.


[28]            Plus récemment, et après les observations présentées par les parties par suite de la demande de la Cour, plusieurs décisions qui traitent de l'application de Weber à la procédure de règlement des griefs de la LRTFP ont été publiées. Deux d'entre elles, un arrêt de la Cour d'appel de l'Ontario dans Danilov v. Canada (Atomic Energy Control Board)[12] et celui de la Cour d'appel de la Nouvelle-Écosse dans Pleau v. Canada (Attorney General)[13] ont été portées à l'attention de la Cour par la demanderesse qui les invoque. Bien que ces arrêts ne lient pas la Cour, ils fournissent certes des éléments d'analyse pertinents quant aux questions en litige dans l'affaire dont je suis saisie. La troisième décision, est la récente décision de la Cour d'appel fédérale dans Bouchard[14].

[29]            Dans l'arrêt Danilov, la Cour d'appel de l'Ontario a examiné la cessation d'emploi d'un employé non syndiqué. La cour a conclu que la procédure de grief en vertu de la LRTFP, qui n'aurait pas donné lieu à de l'arbitrage exécutoire, ne pouvait faire obstacle à l'action de M. Danilov. La cour a établi une distinction d'avec la décision Johnson-Paquette au motif que celle-ci visait des employés assujettis à une convention collective. M. Danilov n'avait pas convenu par une négociation collective d'avoir recours à la procédure de règlement des griefs prévue dans la LRTFP pour le règlement de différends entre lui et son employeur.


[30]            Dans l'arrêt Pleau, la cour devait se prononcer sur une requête en radiation visant les demandes intentées par les demandeurs contre la Couronne fédérale pour l'inconduite alléguée de fonctionnaires fédéraux. On a demandé à la cour de rejeter l'action des demandeurs sur la base des principes établis dans Weber c. Ontario Hydro.[15] Après un examen détaillé de la jurisprudence, la cour a établi les facteurs qui sont pertinents lorsqu'une cour doit déterminer si elle doit décliner compétence pour entendre un différend qui est régit par des conventions collectives et des dispositions législatives. Ces facteurs incluent la nature de la procédure établie par la convention collective et les dispositions législatives, la nature du litige et la nature des réparations à la disposition des parties.


[31]            La cour a décidé dans Pleau que la LRTFP et la convention collective - qui sont les mêmes qu'en l'espèce - n'étaient pas des régimes auxquels il fallait obligatoirement recourir et ainsi, ils [TRADUCTION] « méritaient considérablement moins de retenue judiciaire que ceux examinés dans Weber et les autres décisions s'y rapportant[16] » . Cependant, l'existence d'un « régime facultatif » ne permettait pas de considérer automatiquement que la cour avait compétence pour entendre l'affaire : [TRADUCTION] « une attribution expresse de compétence exclusive n'est pas nécessaire pour confirmer la retenue judiciaire à l'égard du mode de règlement des différends prévu par la loi » [17]. La cour a par la suite fait une analyse de la nature du différend opposant les parties, et elle a fait remarquer que [TRADUCTION] « la portée de la procédure de grief [...] est assez large pour englober ces plaintes[18] » . Toutefois, la cour a conclu que bien que le différend « résulte du lien d'emploi » , il ne résulte pas de la convention collective car la convention collective ne régit pas la conduite qui est reprochée dans l'action[19] » .

[32]            Dans l'arrêt Pleau, le dernier aspect de l'examen de cour a porté sur l'existence d'une réparation efficace pour les demandeurs si on leur refusait l'accès aux tribunaux. Étant donné la nature du litige, la cour a conclu que [TRADUCTION] « l'accès à la procédure de grief sans avoir le droit de soumettre le résultat à l'arbitrage sur le fond devant une tierce personne ne constitue pas une réparation efficace à l'endroit de l'inconduite alléguée en l'espèce[20] » . Par conséquent, la cour a décidé de conserver compétence et d'entendre l'affaire. Cependant, l'explication suivante est fournie à la fin du jugement:

[TRADUCTION]


J'ai conclu que, dans les circonstances de la présente affaire, la procédure de grief n'est pas la seule méthode de règlement des différends. Toutefois, étant donné la nature extensive du régime dans ce contexte de négociation collective, je pense que, pour paraphraser le juge L'Heureux-Dubé dans l'arrêt Gendron, en vertu de ce régime l'intention était que les tribunaux interviennent peu en tant que décideurs en première instance dans les litiges relatifs à l'emploi. Je souligne que la portée de l'intervention du tribunal est certes très restreinte en l'espèce. Il s'agit d'une affaire dans laquelle le différend se situe sans conteste à l'extérieur de la portée du processus d'arbitrage et dans laquelle l'employé n'a pas fait appel à la procédure de grief. Je n'ai pas l'intention d'examiner et je n'examine pas dans les présents motifs, la question de la possibilité que le tribunal intervienne lorsqu'un de ces éléments ou les deux sont absents. À mon avis, restreindre la portée de l'intervention du tribunal dans ce champ restreint est essentiel pour assurer une réparation efficace et ne constitue pas une atteinte trop intrusive aux relations de négociation collective[21].

[33]     Enfin, dans l'arrêt Bouchard, la Cour d'appel fédérale a passé en revue l'arrêt Weber et a examiné la question de la nature facultative du régime. La Cour a conclu que bien que le régime de règlement des griefs prévu dans la LRTFP soit facultatif et qu'il n'exclue pas expressément des réparations de rechange, l'approche judiciaire moderne veut que les tribunaux n'aient pas compétence lorsque le différend résulte de façon expresse ou implicite de la convention collective.

Mais selon l'approche moderne prévalant en matière de relations de travail, les litiges qui résultent expressément ou implicitement de la convention collective échappent aux tribunaux qui, toutefois, "possèdent une compétence résiduelle fondée sur leurs pouvoirs particuliers", tel par exemple le pouvoir d'émettre une injonction en cas de grève illégale (Weber, précité, à la page 957 et St. Anne Nackawic, précité, à la page 728). Se classent parmi les sujets à l'égard desquels les tribunaux n'ont pas de compétence: un congédiement déguisé ou injustifié, la mauvaise foi de la part du syndicat, une coalition et le préjudice à la réputation (Weber, précité, à la page 957).[22]

[34]     La Cour a par la suite appliqué cette conclusion à la situation en question, concluant que l'affaire correspondait à un cas de congédiement déguisé et ainsi, qu'elle tombait sous le coup d'une des exceptions énoncées dans Weber:


Dans le cas qui nous est soumis, l'appelante a, selon ses allégations, démissionné suite au harcèlement dont elle était victime en milieu de travail de la part de ses supérieurs. Il serait certes possible pour un arbitre de conclure légalement que le refus des intimés, dans les circonstances, de réintégrer l'appelante dans ses fonctions constitue un congédiement déguisé (constructive dismissal). En conséquence, je crois que la Cour n'a pas compétence pour entendre la demande de contrôle judiciaire de l'appelante et que la requête en radiation de ladite demande est bien fondée.[23]

[35]     La décision dans Bouchard appuie la conclusion tirée dans Johnson-Paquette.

Application à la présente affaire

[36]     La norme à appliquer à une requête en radiation au motif que la demande ne révèle aucune cause d'action est que la Cour, ayant tenu les faits pour avérés, doit être convaincue hors de tout doute que la demande ne peut être accueillie. Il doit être « évident et manifeste[24] » que la déclaration de la demanderesse ne révèle aucune cause d'action valable. J'ai examiné la jurisprudence et les observations des parties quant aux faits en l'espèce et je conclus que je ne peux pas accueillir la requête en radiation pour les motifs qui suivent.


[37]            À mon avis, la conduite négligente dont aurait fait preuve l'employeur défendeur est couverte vu la grande portée de la clause 35.05 de la convention cadre. Dans la décision Johnson-Paquette, le juge Tremblay-Lamer a tiré la même conclusion sur la base d'une disposition identique d'une convention collective. À tout événement, il ne fait aucun doute qu'essentiellement, le différend a résulté implicitement de la convention collective tel qu'il a été déterminé dans Bouchard. Le différend porte essentiellement sur le droit d'obtenir une prime liée à l'emploi et sur le refus de l'employeur d'accorder cette prime à la demanderesse.

[38]            Je remarque que l'arbitre de la Commission des relations de travail dans la fonction publique a conclu que, pour les fins de son mandat, le différend en question ne tombait pas sous le coup de la convention collective. Comme je l'ai mentionné précédemment, cette conclusion est basée sur le fait que le droit à une prime de départ anticipé, n'est pas, en tant que tel, mentionné explicitement ou spécifiquement dans la convention collective et que le refus d'accorder cette prime ne peut donc pas être soumis à l'arbitrage en vertu de l'article 92 de la LRTFP. Cependant, le libellé de la clause 35.05 de la convention cadre et celui de l'article 91 de la LRTFP ont une portée beaucoup plus large et, à mon avis, ils peuvent justifier que l'on soumette le différend à la procédure de règlement des griefs prévue à l'article 91.

[39]            Cela étant dit, quoique la Cour ait conclu dans Johnson-Paquette que la conduite négligente de l'employeur tombait sous le coup de la convention collective, elle a également décidé que la demanderesse pouvait obtenir une réparation efficace dans cette affaire. Je ne peux conclure, à partir des faits qui m'ont été présentés, qu'il existerait une réparation efficace pour la demanderesse par le biais de la procédure de règlement des griefs visée à l'article 91 ou qu'elle pourrait de cette façon obtenir entièrement la réparation qu'elle recherche.


[40]            Bien qu'il soit admis que l'agent des griefs (l'administrateur général responsable du dernier palier de la procédure de grief) ait le pouvoir d'octroyer la prime de départ anticipé que la demanderesse cherche à obtenir, Mme Edwards revendique des dommages-intérêts au montant de la prime de départ anticipé (dommages-intérêts compensatoires) ainsi que des dommage-intérêts majorés et punitifs de l'ordre de 50 000 $ en raison de la conduite de l'employeur. Je ne vois pas de motif qui me permettrait de conclure qu'il pourrait être statué efficacement sur sa demande de dommage-intérêts majorés et punitifs sans l'intervention d'un arbitre neutre qui n'est pas partie au litige, du point de vue du droit et sur le fond. Il ne peut, par surcroît, y avoir de doute quant au pouvoir d'un tel arbitre d'accorder entièrement la réparation recherchée par la demanderesse.

[41]            Ni la décision Johnson-Paquette ni l'arrêt Bouchard n'abordent spécifiquement ou ne tranchent la question de la compétence de la Cour pour entendre une demande qui porte essentiellement sur l'emploi de l'individu et qui résulte soit implicitement ou soit explicitement d'une convention collective mais, tel qu'en l'espèce, confine l'employé lésé à une forme d'arbitrage de grief qui ne peut lui accorder entièrement la réparation qu'il recherche. Une bonne partie de la jurisprudence citée précédemment, incluant celle de notre Cour, donne à penser que dans de tels cas, la Cour conserve compétence. Par conséquent, j'ai conclu qu'il n'est pas certain que la Cour n'a pas compétence pour entendre la présente action et je dois rejeter la requête de la défenderesse.


Conclusion

[42]            Dans les circonstances de l'espèce, je conclus que je ne suis pas liée par la décision Johnson-Paquette et je ne peux conclure que la Cour n'a pas compétence pour entendre la présente demande.

[43]            La défenderesse plaide subsidiairement que la réparation recherchée par la demanderesse, nommément une déclaration selon laquelle elle a droit à une prime de départ anticipé, ne révèle aucune cause d'action conformément au paragraphe 18(3) de la Loi sur la Cour fédérale. L'article 18 prévoit que :

18. (1)      Sous réserve de l'article 28, la Section de première instance a compétence exclusive, en première instance, pour_:

a) décerner une injonction, un bref de certiorari, de mandamus, de prohibition ou de quo warranto, ou pour rendre un jugement déclaratoire contre tout office fédéral;

b) connaître de toute demande de réparation de la nature visée par l'alinéa a), et notamment de toute procédure engagée contre le procureur général du Canada afin d'obtenir réparation de la part d'un office fédéral.

[...]

      (3)      Les recours prévus aux paragraphes (1) ou (2) sont exercés par présentation d'une demande de contrôle judiciaire.


[44]            La restriction énoncée dans l'article 18 n'est applicable qu'aux cas où une procédure est engagée pour obtenir réparation de la part d'un « office fédéral » . Il est constant en droit que Sa Majesté la Reine ne constitue pas un « office fédéral » . La règle 64 des Règles de la Cour fédérale (1998), permet à la Cour d'accorder une déclaration simpliciter dans toute instance. Il est évident que la réparation sollicitée pourrait être un jugement déclaratoire, dans le cadre d'une action contre la couronne conformément à l'article 17 de la Loi sur la Cour fédérale.

[45]            En définitive, la requête de la défenderesse est rejetée. Les dépens relatifs à la requête fixés à 900 $ sont adjugés à la demanderesse peu importe l'issue du litige.

« Roza Aronovitch »

protonotaire

Traduction certifiée conforme

Kathleen Larochelle


                                                    COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                                  SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                                   AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :                                                     T-385-99

INTITULÉ DE LA CAUSE :                                   Barbara L. Edwards c. Sa Majesté la Reine

LIEU DE L'AUDIENCE :                                       Ottawa (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                                      Le 4 août 1999

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PRONONCÉS PAR LE PROTONOTAIRE ARONOVITCH

EN DATE DU :            31 JANVIER 2000

ONT COMPARU :

Dougald E. Brown                                                     POUR LA DEMANDERESSE

(613) 238-8080

Richard E. Fader                                                        POUR LA DÉFENDERESSE         

Harvey Newman

(613) 952-3384

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Nelligan Power                                                           POUR LA DEMANDERESSE

Ottawa (Ontario)

Morris Rosenberg                                                     POUR LA DÉFENDERESSE         

Sous-procureur général du Canada



[1]            Loi sur les relations de travail dans la fonctionpublique, L.R.C. (1985), ch. P-35, articles 91, 92, et     paragraghe 96(3).

2            Panagapoulos c. Sa Majesté la Reine, [1990] A.C.F. no 234.

Banerd c. Canada(M.RN.), [1994] A.C.F. no 1665 (1re inst.)(Infirmé en appel au motif que la LRTFP « ne prévoit aucun recours de quelque nature que ce soit pour une personne occupant un poste comme celui du demandeur. »

Banerd c. Canada (Sous-ministre du Revenu national), [1996] A.C.F. no 260 (C.A.), au paragraphe 6.

3              Weber c. Ontario Hydro, [1995] 2 R.C.S 929.

4              Watt c. Canada (Transports), [1997] A.C.F. no 780 (1re inst.) Confirmé en appel dans l'arrêt Said c. Canada (M.C.I.), [1998] A.C.F. no 49 (C.A.) (no du greffe A-448-97);

Johnson-Paquette c. Canada, [1998] A.C.F. no 1741 (1re inst.)    En appel; Bouchard c. Canada, [1999]                           A.C.F. no 1807 (C.A.)

5              Weber v. Ontario Hydro, [1992], 11 O.R. (32) 609.

6              Weber précité, au paragraphe 54.

7              Weber (C.S.C.), précité au paragraphe 57.

8              Watt (1re inst.), précité.

[9]                  Watt (CA), précité, aux paragraphes 2 et 3 .                    

10                               Johnson-Paquette, précité, au paragraphe 25.                

[11]           Johnson-Paquette, précité, au paragraphe 22.

12              Danilov v. Canada, [1990] O.J. No. 3735 (CA).

13              Pleau v. Canada (Attorney General), [1999] N.S.J. No. 448 (CA).

14              Bouchard, précité.

15              [1995] 2 R.C.S. 929.

16              Pleau, précité, au paragraphe 74.

17              Pleau, précité au paragraphe 39. Signalons que cette conclusion ne contredit pas la position de la Cour d'appel fédérale énoncée dans l'arrêt Bouchard c. Canada (Ministre de la Défense nationale), [1999] A.C.F. 1807 (CAF).

18              Pleau, précité, au paragraphe 85.

19              Pleau, précité, au paragraphe 88. Il est intéressant de noter que dans l'arrêt Pleau précité, les demandeurs fondent leur    action en responsabilité délictuelle sur un large évantail de motifs notamment, le complot pour causer un préjudice, la              conduite malveillante et intentionnelle, la diffamation, l'abus de pouvoir, la violation d'une obligation fiduciaire, et la       négligence dans l'exercice du pouvoir.

20              Pleau, précité au paragraphe 95. Non souligné dans l'original.

[21]Pleau,précité au paragraphe 102. Non souligné dans l'original.

[22]Bouchard, précité, au paragraphe 25.

[23]Bouchard, précité, au paragraphe 26.

24          Hunt c. Carey Canada Inc., [1990] 2 R.C.S. 959.

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