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Date : 20051011

Dossier : IMM-1291-05

Référence : 2005 CF 1372

OTTAWA (Ontario), le 11 octobre 2005

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE ROULEAU

ENTRE :

MAJID KHAN

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                 Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire de la décision d'un agent d'immigration en date du 7 février 2005 de rejeter la demande d'établissement de           Majid Khan fondée sur des motifs d'ordre humanitaire.

[2]                 Le demandeur est un musulman chiite et citoyen du Pakistan âgé de 23 ans.

[3]                 Il est entré au Canada en passant par les États-Unis en janvier 2003. Il a présenté une demande de statut de réfugié un mois plus tard et sa demande a été refusée le

17 février 2004. Sa demande a été refusée parce qu'il a fourni de faux renseignements à son sujet : son FRP n'indiquait pas qu'il était resté trois ans aux États-Unis avant de venir au Canada. La Commission a conclu que le demandeur n'était pas crédible et qu'il avait une possibilité de refuge intérieur. Le demandeur a demandé l'autorisation de présenter une demande de contrôle judiciaire, mais cette autorisation ne lui a pas été accordée.

[4]                 Le demandeur a rencontré sa répondante, Rajwinder Gandham, au restaurant où ils travaillaient tous deux. Il a déménagé chez elle et ils se sont mariés le

20 décembre 2003. Elle est une sikhe de 35 ans qui a eu deux enfants (Prajvot et Satkrun, âgés respectivement de 17 et 15 ans) d'un mariage antérieur. Le demandeur et son épouse ont fait l'acquisition d'un restaurant à la fin de 2004.   

[5]                 Le 24 mars 2004, le demandeur a présenté une demande fondée sur des motifs d'ordre humanitaire, laquelle invoque son mariage, l'intérêt supérieur des deux enfants et son établissement au Canada. Il convient de noter que l'agent n'a pas interrogé le demandeur relativement à sa demande fondée sur des motifs d'ordre humanitaire.

[6]                 L'agent a conclu que malgré le mariage du demandeur avec une résidente permanente du Canada, sa situation personnelle faisait en sorte qu'il n'aurait pas à subir des difficultés inhabituelles ou excessives pour obtenir le statut de résident permanent de l'extérieur du Canada.   

[7]                 Le demandeur a énuméré les points positifis suivants :

            - Il a une épouse au Canada;

            - Les enfants de son épouse résident au Canada;

            - Il a toujours travaillé depuis son arrivée au pays.

[8]                 Les points négatifs de sa demande sont les suivants :

- On a appliqué régulièrement la loi à son endroit au sein du régime de protection des réfugiés;

- Il a communiqué de faux renseignements à CIC et à la CISR;

- Il a une famille au Pakistan;

- Le moment et les circonstances de son mariage soulèvent des interrogations.

[9]                 L'agent a expliqué que la communication de faux renseignements par le demandeur avait donné une mauvaise image de sa moralité et nui au traitement de sa demande. En ce qui concerne le mariage entre le demandeur et sa répondante, l'agent a écrit qu'il était convaincu qu'il avait eu lieu. Pour ce qui est de leur acquisition d'un restaurant, l'agent a noté que cela démontre l'existence d'une relation d'affaire, mais pas nécessairement l'existence d'une relation personnelle. L'agent a ensuite souligné certains éléments suspects de leur mariage : leur différence d'âge, leur différence d'ordre culturel et le fait qu'ils se soient mariés tellement rapidement. Ces éléments, combinés aux antécédents du demandeur au Canada et aux États-Unis en matière d'immigration, ont amené l'agent à conclure que le demandeur s'est marié à des fins d'immigration pour améliorer ses chances de rester au Canada. Le mariage ne justifie pas une exception à l'application de la LIPR.

[10]            En ce qui concerne l'intérêt supérieur des enfants, l'agent a conclu qu'il n'y avait guère de preuves à l'appui de la dépendance des enfants envers le demandeur. L'agent n'était pas convaincu de l'établissement d'un lien tellement fort entre le demandeur et les enfants de son épouse qu'une séparation présenterait des difficultés excessives. Enfin, pour ce qui est de l'établissement du demandeur, l'agent n'était pas convaincu que ses actes justifient une exemption.

[11]            Le demandeur soulève une question, celle de savoir si l'agent a manqué à son devoir d'équité envers lui. Le demandeur allègue essentiellement qu'étant donné les doutes entretenus par l'agent au sujet de l'authenticité de son mariage, il avait droit à une entrevue orale et à la possiblité de dissiper ces doutes.

[12]            Le demandeur admet que ce ne sont pas tous les demandeurs qui ont droit à une entrevue; toutefois, compte tenu des faits particuliers de l'espèce, il ne pouvait ni connaître les réserves de l'agent quant à sa crédibité ni y répondre. Rien dans la lettre envoyée le    2 décembre 2004 au demandeur lui demandant des renseignements supplémentaires ne fait état des réserves de l'agent quant à l'authenticité du mariage.

[13]            Puisque la décision revêt une importance exceptionnelle pour le demandeur, il prétend qu'on lui doit plus qu'une obligation minimale d'équité en l'espèce. Il allègue que l'agent aurait dû l'interroger au sujet de son mariage, des différences d'ordre culturel et religieux entre lui et son épouse et sur leur différence d'âge.    

[14]            Le défendeur soutient que dans le contexte des demandes fondées sur des motifs d'ordre humanitaire, la Cour suprême a précisé que la tenue d'une audience n'est pas une exigence générale. Certaines des décisions citées par le demandeur ne sauraient s'appliquer en l'espèce, vu la présentation de preuves contradictoires devant le décideur dans ces affaires.   

[15]            Le défendeur allègue aussi que les observations sur le mariage se rapportent au poids que l'agent a accordé à ce facteur au moment d'analyser la situation du demandeur dans son ensemble et, selon toute évidence, les mauvais antécédents en matière d'immigration constituaient le facteur le plus important.

[16]            Le défendeur soutient également avec insistance qu'il incombe au demandeur de convaincre l'agent qu'il mérite une exemption eu égard à sa situation. De plus, il n'appartient à la Cour de procéder à un nouvel examen du poids accordé aux différents facteurs pris en considération dans l'examen d'une demande fondée sur des motifs d'ordre humanitaire.

[17]            La norme de contrôle applicable à une décision concernant une demande fondée sur des motifs d'ordre humanitaire est la décision raisonnable simpliciter (Baker c. MCI, [1999] 2 R.C.S. 817). En outre, la Cour d'appel a affirmé que « ce n'est pas le rôle des tribunaux de procéder à un nouvel examen du poids accordé aux différents facteurs par les agents » (Canada (MCI) c. Legault, [2002] 4 C.F. 358 (CAF), au paragraphe 11).

[18]            En ce qui concerne la question de savoir si le demandeur avait droit à une entrevue au sujet de sa demande fondée sur des motifs d'ordre humanitaire, la Cour suprême a clairement dit ce qui suit dans l'arrêt Baker :

Toutefois, on ne peut pas dire non plus qu'une audience est toujours nécessaire pour garantir l'audition et l'examen équitable des questions en jeu. La nature souple de l'obligation d'équité reconnaît qu'une participation valable peut se faire de différentes façons dans des situations différentes. La Cour fédérale a statué que l'équité procédurale n'exige pas la tenue d'une audience dans ces circonstances : voir, par exemple, Said, précité, à la p. 30.

Je conviens que la tenue d'une audience n'est pas une exigence générale pour les décisions fondées sur des raisons d'ordre humanitaire. Il n'est pas indispensable qu'il y ait une entrevue pour exposer à un agent d'immigration les renseignements relatifs à une demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire et pour que les raisons d'ordre humanitaire présentées puissent être évaluées de façon complète et équitable. (paragraphes 33 et 34)

[19]            Aussi la Cour fédérale a-t-elle récemment réitéré que le demandeur n'a pas un droit d'être interviewé ni même une attente légitime à cet égard (Uhuangho c. Canada (MCI), [2005] A.C.F. no 50, au paragraphe 7).

[20]            Toutefois, malgré le fait qu'une entrevue n'est pas nécessaire dans tous les cas, la décision soulève certaines questions qui n'ont pas été traitées de manière raisonnable par l'agent. Je suis d'avis que le demandeur n'a pas bénéficié d'une « participation

valable » (Baker, précité) en ce qui a trait à la défense de l'authenticité de son mariage. En l'espèce, l'agent a traité la preuve présentée devant lui de façon abusive et arbitraire en conjecturant sur l'authenticité du mariage. Il a mis en question le moment et les circonstances du mariage du demandeur en s'appuyant sur quatre facteurs principaux :     i) la différence d'âge, ii) la différence d'ordre religieux, iii) la hâte avec laquelle le demandeur et sa répondante se sont mariés et iv) la nature professionnelle (plutôt que personnelle) de la propriété conjointe du restaurant.

[21]            L'agent conclut que le mariage est valide, mais non authentique; il a cependant tiré sa conclusion voulant que le mariage n'est pas authentique sans avoir fait passer une entrevue au demandeur. Chacun des quatre facteurs sur lesquels repose la conclusion de l'agent peut être invoqué en faveur de l'authenticité du mariage. Je traiterai brièvement de chacun des facteurs pour démontrer qu'en l'absence de preuve contraire, il y a lieu de maintenir la présomption de l'authenticité d'un mariage valide.

[22]            Le premier facteur, en l'occurrence la différence d'âge, ne saurait être considéré comme favorable ou défavorable à l'authenticité du mariage. La différence d'âge ne révèle pas en soit que le mariage n'est pas authentique. Si le demandeur avait eu l'intention de conclure un mariage valide mais non authentique, il pourrait alléguer qu'il n'aurait pas jeté son dévolu sur une femme bien plus âgée que lui. On peut soutenir que la différence d'âge est un facteur favorable à l'authenticité d'un mariage. La seule façon de bien établir l'authenticité du mariage consiste à faire passer une entrevue.

[23]            Le même argument vaut pour le deuxième facteur, soit la différence d'ordre religieux. Si le demandeur avait eu l'intention de conclure un mariage valide mais non authentique, il aurait pu jeter son dévolu sur une jeune musulmane chiite. Selon l'agent, un mariage avec une jeune musulmane chiite serait plus authentique qu'un mariage avec une sikhe. Les facteurs relatifs à l'âge et à la religion ne sauraient être considérés comme défavorables à l'authenticité du mariage. Il ne convient pas de considérer la différence d'ordre religieux comme défavorable à l'authenticité du mariage, tout particulièrement au sein d'une société canadienne multiculturelle qui s'est engagée à respecter le credo

« unité dans la diversité » . Sans une entrevue, la différence d'ordre religieux n'est pas un doute valable en l'espèce.

[24]            Le troisième facteur, soit la hâte avec laquelle le demandeur et sa répondante se sont mariés, fait partie de la même catégorie que les deux premiers facteurs : des considérations non pertinentes en l'absence d'une entrevue. Comme il n'a pas eu l'occasion de justifier la hâte du mariage, le demandeur n'a pas eu droit à un traitement équitable en l'espèce.

[25]            Enfin, le quatrième facteur pris en considération par l'agent, soit la nature professionnelle de la relation d'affaire, n'est rien d'autre qu'une conjecture de la part de l'agent. L'agent a manqué à son devoir d'équité en n'accordant pas une entrevue au demandeur et en ne lui donnant pas l'occasion de défendre l'authenticité de son mariage.

[26]            Comme l'agent a manqué à son obligation d'équité en examinant la preuve quant à l'authenticité du mariage de façon abusive ou arbitraire et en n'accordant pas une entreuve au demandeur, je suis d'avis qu'il y a lieu d'accueillir la demande de contrôle judiciaire.

ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit accueillie et que l'affaire soit renvoyée à un tribunal différemment constitué pour que celui-ci l'examine à nouveau au regard des motifs exposés ci-dessus.

« Paul U.C. Rouleau »

JUGE

Traduction certifiée conforme

David Aubry, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                        IMM-1291-05

INTITULÉ :                                        MAJID KHAN

                                                            c.

                                    LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                 Vancouver (Colombie-Britannique)

DATE DE L'AUDIENCE :               LE 8 SEPTEMBRE 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE : LE JUGE ROULEAU

DATE DES MOTIFS ET

DE L'ORDONNANCE :                   LE 11 OCTOBRE 2005

COMPARUTIONS :

Shane Molyneaux                                                                   POUR LE DEMANDEUR

Jonathan Shapiro                                                                   POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Elgin, Cannon & Associates

Vancouver (Colombie-Britannique)                                     POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.                                                                   POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

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