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Date : 20051216

Dossier : IMM-2907-05

Référence : 2005 CF 1701

Ottawa (Ontario), le 16 décembre 2005

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE SNIDER

ENTRE :

YUHUA XU

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]         Mme Yuhua Xu, la demanderesse, est une citoyenne chinoise qui a passé une bonne partie des dernières années au Canada. Après avoir vécu au Canada d'août à décembre 1999, elle est retournée en République populaire de Chine (RPC), puis est revenue au Canada le 13 mars 2000. Son retour était fondé sur un visa d'étudiant qui a expiré en 2004. La demanderesse a déposé sa demande d'asile le 2 février 2004. Elle est membre pratiquante du Falun Gong (également appelé Falun Dafa) et soutient que, si elle est renvoyée en Chine, elle sera arrêtée, emprisonnée et torturée par les autorités chinoises. La demanderesse ajoute qu'elle a commencé à pratiquer le Falun Gong en 1998, dans la RPC.

[2]         Dans une décision du 26 avril 2005, un tribunal de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) a conclu que la demanderesse n'était ni une réfugiée au sens de la Convention ni une personne à protéger. La demanderesse sollicite le contrôle judiciaire de cette décision.

Questions en litige

[3]         La présente demande soulève les questions suivantes :

1.                   La Commission a-t-elle commis une erreur en tirant des conclusions de non-plausibilité et des inférences défavorables quant à la crédibilité qui sont manifestement déraisonnables?

2.                   La Commission a-t-elle commis une erreur en omettant de tenir compte du risque auquel la demanderesse serait exposée à son retour en Chine comme adepte du Falun Gong qui continuerait à participer publiquement aux activités de ce mouvement?

Question préliminaire

[4]         La demanderesse demande que l'intitulé de la cause soit modifié de façon à ce que le nom Yuhaua Xu soit remplacé par Yuhua Xu. Ce changement apparaîtra dans l'ordonnance.

Analyse

La norme de contrôle

[5]         Les parties reconnaissent que la norme de contrôle applicable aux deux questions dont je suis saisie est la décision manifestement déraisonnable (Asashi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2005 CF 102, au paragraphe 6 (C.F.); Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Elbarnes, 2005 CF 70, au paragraphe 19 (C.F.); Aguebor c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1993), 160 N.R. 315, aux pages 316 et 317 (C.A.F.)).

[6]         Je suis également guidée par le libellé de l'alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7, qui me permet d'accorder une réparation uniquement si la décision de la Commission est fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont elle disposait.

Question n ° 1 : La Commission a-t-elle commis une erreur en tirant des conclusions de non-plausibilité et des inférences défavorables quant à la crédibilité qui sont manifestement déraisonnables?

[7]         Tout en reconnaissant que la demanderesse était une adepte active du mouvement Falun Gong au Canada, la Commission a conclu, après avoir exprimé un certain nombre de réserves au sujet de son témoignage, qu'elle manquait de crédibilité. La demanderesse soutient qu'un certain nombre de conclusions de la Commission étaient manifestement déraisonnables. Plus précisément, elle fait valoir ce qui suit :

  1. La Commission a eu tort de conclure qu'il était non plausible que la demanderesse ait pu obtenir un passeport et quitter sans difficulté la RPC en 1999 et 2000.

  1. La Commission a commis une erreur en concluant qu'il était non plausible que la demanderesse ait pu renouveler son passeport sans problème en juillet 2003.

  1. La Commission a commis une erreur en concluant qu'il était non plausible que les parents de la demanderesse n'aient pas été harcelés par les autorités de la RPC en raison de la participation de la demanderesse aux activités du Falun Gong.

  1. La Commission s'est fondée à tort sur la divergence relevée dans le témoignage de la demanderesse au sujet de la date du décès de Feng Lin Zhou.

[8]         La demanderesse soutient essentiellement que la Commission a tiré des conclusions de non-plausibilité qui étaient manifestement déraisonnables parce qu'elles étaient fondées sur des éléments de preuve montrant que quelques membres seulement du Falun Gong éprouvaient des difficultés à émigrer, à obtenir des passeports ou à renouveler leurs passeports et que quelques membres seulement de leurs familles étaient persécutés. De l'avis de la demanderesse, cette preuve ne permet pas de conclure qu'il est non plausible qu'elle ait éprouvé les mêmes problèmes. En réalité, la demanderesse me demande d'apprécier à nouveau la preuve et d'en arriver à une conclusion différente.

[9]         Dans la présente affaire, même s'il est possible que je n'aie pas tiré les mêmes conclusions que celles de la Commission, il existe des éléments de preuve qui lui permettaient d'en arriver aux conclusions de non-plausibilité qu'elle a formulées et cette preuve est mentionnée dans les motifs de sa décision. Je ne puis dire que la Commission n'a pas tenu compte d'autres éléments de preuve contradictoires. La question est de savoir si la conclusion de la Commission était absurde au point d'être abusive ou arbitraire et je ne puis répondre par l'affirmative à cette question.

[10]       Il se peut que la Commission ait commis une erreur en se fondant sur une divergence en ce qui concerne la date du décès de Feng Lin Zhou. Cependant, cette erreur, le cas échéant, est sans conséquence.

[11]       La demanderesse fait également valoir que la Commission a accordé trop d'importance au temps qu'elle a pris avant de demander l'asile. À mon avis, la Commission était parfaitement justifiée de se fonder sur ce facteur. La demanderesse n'a présenté sa demande d'asile que bien après la date à laquelle a) elle a commencé à pratiquer publiquement le Falun Gong et b) elle a été mise au courant du traitement des adeptes actifs du Falun Gong en Chine. Dans son témoignage, la demanderesse a expliqué que, si elle avait présenté une demande plus tôt, elle n'aurait pu voyager avec sa famille, parce qu'elle aurait été tenue d'abandonner son passeport. Selon un principe fondamental de la protection des réfugiés, la personne qui craint d'être persécutée doit présenter une demande d'asile à la première occasion. Dans le cas de la demanderesse, ses projets de voyage étaient apparemment beaucoup plus importants que la recherche d'un lieu sûr pour se mettre à l'abri de la persécution. La Commission n'a pas commis d'erreur en tenant compte du temps pris par la demanderesse avant de demander l'asile, en particulier à la lumière de ses autres réserves concernant la crédibilité.

[12]       En résumé, les conclusions de la Commission au sujet de la plausibilité et de la crédibilité étaient fondées sur une appréciation raisonnable de la preuve dont elle était saisie et n'étaient ni abusives ni arbitraires.

Question n ° 2 : La Commission a-t-elle commis une erreur en omettant de tenir compte du risque auquel la demanderesse serait exposée à son retour en Chine comme adepte du Falun Gong qui continuerait à participer publiquement aux activités de ce mouvement?

[13]       La demanderesse soutient que la conclusion de la Commission à ce sujet est manifestement déraisonnable et incompatible avec les autres conclusions qu'elle a tirées. La Commission a accepté que la demanderesse avait participé à des activités publiques du Falun Gong ainsi qu'à des manifestations devant les consulats de la RPC alors qu'elle se trouvait au Canada, et qu'elle avait également exprimé l'intention de continuer à pratiquer le Falun Gong si elle était renvoyée en Chine. La Commission a également souligné la persécution répandue dont les membres du Falun Gong étaient victimes dans la RPC de la part des autorités. À la lumière de ces constatations, la demanderesse soutient que la Commission aurait dû conclure à l'existence d'une très grande possibilité que le gouvernement de la RPC la découvre et la persécute. De l'avis de la demanderesse, c'est là la seule conclusion manifestement raisonnable qui pouvait être tirée à la lumière de la preuve.

[14]       La question que je dois trancher à cet égard est de savoir si la Commission a omis d'évaluer le risque auquel la demanderesse serait exposée à son retour en RPC. La Commission devait se demander si la crainte de la demanderesse était établie en raison des actes de persécution susceptibles d'être commis à l'avenir à l'encontre des membres du groupe auquel elle appartenait (Salibian c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1990] 3 C.F. 250 (C.A.F.), aux paragraphes 17 et 18).

[15]       Après avoir examiné le dossier dont je suis saisie, je conclus que la Commission en est arrivée à une décision sans tenir compte des éléments de preuve dont elle disposait. Plus précisément, lorsqu'elle a évalué la possibilité d'un risque futur, la Commission semble n'avoir tenu aucun compte des éléments de preuve qu'elle a mentionnés dans ses propres motifs et qui démontrent des actes répandus de persécution, de violence et de torture à l'endroit des membres du Falun Gong en RPC. La Commission a mentionné ces éléments de preuve pour montrer qu'il était non plausible que la demanderesse n'ait pas eu de problèmes avec le gouvernement de la RPC dans le passé. En se fondant sur ces éléments non plausibles, elle a conclu qu'il était peu probable que le gouvernement de la RPC ait soupçonné la demanderesse d'être membre du Falun Gong.

[16]       Cependant, la Commission ne s'attarde pas à la possibilité que la participation de la demanderesse au Falun Gong soit découverte plus tard si elle est renvoyée en RPC. Compte tenu de la preuve volumineuse que la Commission a citée et qui établit l'existence d'actes répandus de persécution à l'endroit des membres du Falun Gong ainsi que des indications du fait que ces personnes sont persécutées même si elles ne participent pas publiquement aux activités de celui-ci, la Commission devait examiner la probabilité que le gouvernement de la RPC découvre plus tard l'appartenance de la demanderesse à ce mouvement. Cet aspect était particulièrement important dans la présente affaire, où la demanderesse a déclaré au cours de son témoignage - que la Commission n'a pas mis en doute - que ses croyances l'obligeraient probablement à participer publiquement aux activités de ce mouvement si elle retournait en RPC. La Commission devait examiner cette preuve et la possibilité d'un risque futur non seulement en raison de l'arrêt Salibian, précité, aux paragraphes 17-19, mais également pour des raisons de pure logique. Même si l'arrêt Salibian concerne la question de savoir si le demandeur est un réfugié au sens de la Convention, lorsque la preuve montre que des personnes se trouvant dans une situation semblable ont été persécutées, ce raisonnement s'applique de la même façon, à mon avis, à la question de savoir si le demandeur est une personne à protéger.

[17]       Je dois préciser que je n'évalue pas ici la preuve et que je ne décide pas qu'il est probable que la demanderesse sera découverte ou qu'elle ne le sera pas si elle est renvoyée en RPC. La question découle de la preuve et la Commission n'y a pas répondu dans ses motifs.

[18]       Elle effleure ce sujet lorsqu'elle se demande si les membres du Falun Gong qui sont expatriés sont persécutés à leur retour en RPC. Cependant, elle semble avoir limité son examen à la portée restreinte des risques immédiats auxquels la demanderesse pourrait être exposée à son retour parce qu'elle serait une émigrante illégale (ce qu'elle n'est pas). La Commission ne se demande pas quels sont les risques auxquels la demanderesse sera exposée lorsqu'elle vivra en RPC et continuera à y pratiquer le Falun Gong, que ce soit dans quelques mois ou dans quelques années. À mon avis, cette question est intimement liée à celle de savoir si la demanderesse serait exposée à une menace à sa vie, à un risque de torture ou à un risque de traitements ou peines cruels et inusités. Même si elle a examiné avec soin le risque immédiat auquel la demanderesse serait exposée à son retour, la Commission n'a pas procédé à une évaluation complète des risques futurs.

[19]       En termes clairs, je ne dis pas que le seul résultat possible de l'analyse de la Commission est que la demanderesse a satisfait aux exigences de l'article 96 ou 97. Dans l'évaluation de la preuve dont elle est saisie, la Commission peut se demander s'il est probable que la demanderesse participera publiquement aux activités du Falun Gong ou même qu'elle demeurera une adepte du mouvement. De plus, il se peut que d'autres documents démontrant un traitement différent des adeptes du Falun Gong soient présentés. Je conclus simplement que la preuve doit être évaluée de manière prospective, ce qui n'a pas été fait en l'espèce.

Conclusion

[20]       Étant donné qu'elle ne comporte aucune évaluation du risque futur auquel la demanderesse est exposée comme adepte du Falun Gong, la décision devrait être annulée et renvoyée à la Commission en vue d'un nouvel examen.

[21]       Aucune partie n'a proposé de question à faire certifier et aucune ne sera certifiée.

ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.       L'intitulé de la cause est modifié de façon que le nom Yuhaua Xu soit remplacé par Yuhua Xu;

2.       La demande est accueillie et l'affaire est renvoyée à un tribunal de la Commission différemment constitué pour qu'il rende une nouvelle décision;

3.          Aucune question de portée générale n'est certifiée.

         « Judith A. Snider »         

                                                                                                                    Juge

Traduction certifiée conforme

Julie Boulanger, LL.M.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                                       IMM-2907-05

INTITULÉ :                                                                      YUHUA XU

                                                                                          c.

                                                                                          LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                                                          ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                                                EDMONTON (ALBERTA)

DATE DE L'AUDIENCE :                                              LE 7 DÉCEMBRE 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                                      LA JUGE SNIDER

DATE DES MOTIFS :                                                     LE 16 DÉCEMBRE 2005

COMPARUTIONS:

Wendy E. Bouwman Oake                                                  POUR LA DEMANDERESSE

Camille Audain                                                                    POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Andrew, March & Oake LLP                                              POUR LA DEMANDERESSE

Edmonton (Alberta)

John H. Sims, c.r.                                                                POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

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