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Date : 20050829

Dossier : T-1298-04

Référence : 2005 CF 1177

Ottawa (Ontario), le 29 août 2005

EN PRÉSENCE DE L'HONORABLE JUGE de MONTIGNY

ENTRE :

DEFENCE CONSTRUCTION CANADA LTD.

demanderesse

et

YVES GIRARD

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

[1]       Après vingt-cinq années au service de la demanderesse, le défendeur a été congédié apparemment sans justification, bien que les motifs se préciseront au fil du temps et des procédures. Il a donc déposé une plainte de congédiement injuste, conformément au Code canadien du travail, et l'arbitre mandaté par le ministre du Développement des ressources humaines du Canada lui a donné raison. Non seulement a-t-il décidé de remplacer le congédiement par une suspension de six mois, mais il a également ordonné la réintégration du défendeur et le paiement par la demanderesse de la moitié de ses frais légaux. C'est à l'encontre de cette décision rendue le 8 juin 2004 que la demanderesse s'est pourvue par voie d'une demande de contrôle judiciaire.

Faits

[2]       Construction de défense (1951) Limitée (CDC) a été constituée sous l'autorité de la Loi sur la production de défense (L.R.C. 1985, c. D-1). En vertu du paragraphe 6(3) de cette Loi, elle est mandataire de Sa Majesté et ne peut exercer ses pouvoirs qu'à ce titre. Elle est régie par la Loi sur la gestion des finances publiques (L.R.C. 1985, c. F-11), et se trouve sous la tutelle du Ministre des Approvisionnement et Services (C.P. 1993-1457, 25 juin 1993). Ses activités consistent essentiellement à gérer et superviser la construction d'établissements et d'ouvrages pour le compte du Ministère de la Défense.

[3]       M. Girard, le défendeur, était à l'emploi de la demanderesse depuis le mois de juin 1978. Au moment de son congédiement, le 21 mai 2003, il était coordonnateur de marchés.

[4]       D'abord embauché comme étudiant, M. Girard a par la suite occupé un poste de coordonnateur de marchés (de 1979 à 1993), pour ensuite devenir gestionnaire. Il devait cependant être rétrogradé à un poste de coordonnateur de marchés le 1er avril 2003, étant donné les difficultés qu'il éprouvait dans le cadre de ses responsabilités de gestionnaire et d'administrateur.

[5]       Dans la lettre de congédiement qu'il lui faisait parvenir le 21 mai 2003, le directeur régional de la demanderesse lui offrait une prime de séparation (sous forme de versement de salaire ou d'un montant forfaitaire), en échange de sa démission et d'un engagement à ne prendre aucun recours contre l'employeur. Les explications fournies pour mettre un terme à l'emploi du défendeur tiennent dans cette seule phrase : « La Société exerce son droit à mettre fin à votre emploi sans justification à la suite des relations tendues entretenues avec vos collègues de travail et notre client, le MDN [Ministère de la Défense Nationale] » .

[6]       Le 14 juin 2003, le défendeur a déposé une plainte de congédiement injuste en vertu de l'article 240 du Code canadien du travail. Comme prévu au Code, un inspecteur fut nommé pour enquêter et tenter de concilier les parties. Cette démarche s'avéra infructueuse, et M. Girard demanda le 4 septembre 2003 de référer sa plainte à l'arbitrage.

[7]       Dans le cours de l'enquête, soit le 25 août 2003, les procureurs de la demanderesse ont transmis à l'enquêteur (sans en aviser le procureur du défendeur) une lettre dans laquelle ils motivaient le congédiement de M. Girard en ces termes :

Mr. Girard was terminated after the employer concluded that his performance was unsatisfactory in a number of areas. These include poor relations with clients, an inability to properly manage his staff, poor relations with colleagues and superiors, poor work product, and unexplained absences from the office. As a result of the above, the employer has lost complete confidence in Mr. Girard as an employee, and has concluded that the employment relationship has been irreparably damaged.

[8]       Lors de l'audition tenue par l'arbitre, l'employeur a fait comparaître huit témoins : le superviseur du défendeur, des collègues, des représentants des clients de l'employeur, l'ingénieur de secteur, le directeur régional et le président de l'entreprise. On a mis en preuve que M. Girard aurait été absent certains après-midi, que certains clients auraient été insatisfaits de ses services, qu'il aurait manqué de respect envers ses employés et ses clients, et, fait nouveau, qu'il aurait falsifié des relevés de frais de déplacement.

[9]       De son côté, le défendeur a lui-même témoigné en plus de présenter cinq témoins, soit l'officier de projet qui assurait la liaison entre la demanderesse et le Ministère de la Défense, des collègues de travail et un ingénieur du Ministère de la Défense. Selon leurs témoignages, le défendeur entretenait d'excellentes relations professionnelles avec les représentants du Ministère, le climat de travail était bon, ils faisaient confiance au défendeur, ce dernier aurait travaillé le soir et les fins de semaine, et il était toujours possible de le rejoindre lorsqu'il était à l'extérieur du bureau.

La décision de l'arbitre

[10]     Au terme d'une audition qui s'est étalée sur cinq jours, l'arbitre a conclu que M. Girard avait été injustement congédié par CDC. Dans un jugement étoffé de 37 pages, il s'est d'abord livré à un examen détaillé de la preuve, puis à une analyse rigoureuse de l'argumentation développée de part et d'autre, pour finalement rejeter les prétentions de l'employeur.

[11]       L'arbitre devait d'abord se prononcer sur un moyen préliminaire soulevé par le procureur de M. Girard, qui soutenait que l'audition ne devait porter que sur la réintégration et le quantum puisque l'employeur avait mentionné dans sa lettre du 21 mai qu'il mettait fin à son emploi sans justification. Il fallait donc établir si, lors de l'arbitrage, l'employeur devait s'en tenir aux motifs de congédiement contenus dans la lettre qui mettait fin à l'emploi de M. Girard en date du 21 mai, ou s'il pouvait invoquer les nouveaux motifs contenus dans sa déclaration écrite fournie à l'inspecteur du travail le 25 août 2003.

[12]       Dans une décision rendue le 10 janvier 2004, l'arbitre avait d'abord accueilli les prétentions du défendeur. Sur la base de la décision rendue par mon collègue le juge O'Keefe dans l'affaire Howard c. Maritime Telephone and Telegraph Co. (2000), A.C.F. No. 1758, l'arbitre décida que l'employeur devait s'en tenir aux motifs invoqués lors du congédiement, et que les motifs invoqués subséquemment devaient être compatibles avec les motifs originaux.

[13]     Lors de sa décision finale, l'arbitre devait cependant réviser sa position. S'appuyant sur une décision plus récente de ma collègue la juge Snider dans l'arrêt Jennings c. Shaw Cablesystems Ltd. (2003), C.F. 1206, l'arbitre opina qu'il pouvait, et même qu'il devait, accepter des motifs supplémentaires à ceux qui étaient évoqués au moment du congédiement. C'est donc sur la base des motifs invoqués dans la lettre du 25 août 2003 qu'il procéda à l'examen de la plainte du défendeur.

[14]       L'arbitre a soigneusement examiné chacun des reproches formulés à l'endroit de M. Girard, pour conclure que la preuve ne supportait pas les prétentions de l'employeur. Il a noté au passage que plusieurs des déficiences imputées au défendeur se rapportaient à ses fonctions en tant que gestionnaire (mauvaises relations avec certains clients, inhabilité à gérer du personnel, piètre rendement), et non au poste qu'il occupait au moment de son congédiement. Puisque ces lacunes avaient déjà été sanctionnées par sa rétrogradation, on ne pouvait subséquemment les invoquer de nouveau pour le congédier.

[15]       L'arbitre en est finalement arrivé à la conclusion que de tous les motifs de congédiement allégués par l'employeur, seules les absences non motivées pouvaient être retenues contre M. Girard. Même s'il admet que l'explication fournie par ce dernier pour les années 2000 à 2002 (à savoir qu'il s'était donné un horaire flexible et qu'il complétait ses heures le soir et les fins de semaine) peut être retenue en partie et que son supérieur avait tacitement accepté sa conduite, il en va tout autrement pour la période de janvier à mai 2003. Au cours de cette période, le défendeur s'est absenté de deux à trois après-midi par semaine sans autorisation, ce qu'il a d'ailleurs partiellement admis en disant qu'il s'était accordé des jours de repos et de maladie. Il s'agissait là, aux yeux de l'arbitre, d'une faute grave qui justifiait l'imposition d'une mesure disciplinaire.

[16]       Ceci étant dit, l'arbitre a considéré qu'il fallait également tenir compte de l'intention du défendeur et des raisons de son comportement. À cet égard, l'arbitre s'est dit convaincu que M. Girard souffrait d'épuisement professionnel, et qu'il ne cherchait pas à voler du temps mais plutôt à s'accorder des congés de maladie sans en informer l'employeur parce qu'il ne faisait pas confiance à son supérieur. Si cela atténue sa faute, le fait qu'il n'ait pas admis ses absences lorsque questionné à ce sujet, en revanche, l'aggrave.

[17]       Après avoir tenu compte de ces facteurs et d'autres considérations, l'arbitre a jugé que le congédiement n'était pas approprié dans les circonstances et a plutôt ordonné une suspension de longue durée. Il s'en explique dans le paragraphe suivant :

M. Girard comptait 25 années de service et il était à six années de sa retraite. Il possédait une très grande compétence comme coordonnateur de marchés. On ne l'a jamais confronté et on le lui a dit que le 25 août, soit trois mois après son congédiement, ce qu'on lui reprochait. Même à cette occasion, CDC n'a fourni aucun fait à l'appui des motifs invoqués. Il s'agit là d'une façon de faire erronée qui reflète, comme d'autres incidents soulevés en preuve, que CDC condamnait M. Girard sans tenir compte de sa version des faits ou sans lui donner l'occasion de s'expliquer. Il ne faut donc pas se surprendre qu'il a caché son état de santé à CDC et qu'il s'est accordé des congés de maladie. Cela n'excuse pas sa faute mais différencie ce congédiement de ceux dont il est question dans les décisions déposées par l'employeur.

[18]       Ayant déterminé que le congédiement était injuste, l'arbitre devait ensuite se prononcer sur la réparation appropriée. S'appuyant sur les arrêts Énergie Atomique du Canada Ltée c. Sheikholeslami, [1998] 3 C.F. 349, C.A.F. et Chalifoux c. Driftpile First Nation (2002), C.A.F 521, l'arbitre pose comme prémisse qu'il doit ordonner la réintégration de M. Girard à moins qu'il soit d'avis que la relation de confiance ne peut être rétablie. Puis, considérant que M. Girard est un homme honnête et franc, que l'employeur ne possède pas de raison objective pour ne pas lui faire confiance dans son travail, et qu'il dispose des outils nécessaires pour contrôler les heures de travail, l'arbitre a jugé que les risques pour CDC étaient minimaux et ne justifiaient pas le refus de la réintégration.

[19]       Disposant en dernier lieu de la question des dommages, l'arbitre a refusé de faire droit aux réclamations de M. Girard en alléguant que l'employeur n'était pas de mauvaise foi et avait tout au plus manqué de compétence dans son administration de la discipline. Par contre, il a ordonné à la demanderesse de rembourser 50% des frais légaux du défendeur, parce que ses frais juridiques auraient été beaucoup moins élevés si CDC avait au départ limité ses accusations au vol de temps.

Prétentions des parties

a)                       La demanderesse

[20]       La demanderesse soutient dans un premier temps, en référant aux arrêts Pushpanathan c. Canada (Minister of Citizenship and Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982 et Voice Construction Ltd. c. Construction & General Workers' Union, Local 92, [2004] 1 R.C.S. 609, que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable. Compte tenu de cette norme, la demanderesse soutient que l'arbitre a excédé sa juridiction en ne considérant pas toute l'information relative à la plainte et en tenant compte de facteurs non pertinents.

[21]       La demanderesse prétend au surplus que l'arbitre a erré en concluant qu'elle n'avait pas fait la preuve de la majorité des reproches adressés au défendeur. Tout au long de l'audition et même dans la correspondance antérieure entre les parties, la demanderesse prétend que le seul motif de congédiement a toujours été que le défendeur ne travaillait pas durant toutes les heures pour lesquelles il était payé. Les autres motifs ont été soulevés dans le seul but de mettre l'accent sur le fait que le défendeur avait un dossier disciplinaire et que ses problèmes avec les clients et les autres employés étaient reliés à ses nombreuses absences. La demanderesse prétend donc que l'arbitre a mal saisi son argument, et qu'il est manifestement déraisonnable de lui imposer le paiement de la moitié des frais légaux du défendeur.

[22]       En ce qui concerne la réintégration du défendeur, la demanderesse a soutenu que l'arbitre avait commis une erreur de droit en prenant pour acquis qu'il devait ordonner la réintégration à moins que l'on puisse établir que le lien de confiance ne pouvait être rétabli. Elle allègue plutôt qu'aucune présomption n'existe, et que l'arbitre aurait dû considérer un certain nombre de circonstances avant d'ordonner la réintégration. En l'espèce, la demanderesse plaide que le lien de confiance était brisé, que l'emploi du défendeur requiert un certain degré d'autonomie et qu'il n'est pas raisonnable de s'attendre à ce que l'employeur contrôle son emploi du temps, compte tenu de la dynamique d'un petit bureau et des déplacements fréquents sur les chantiers qu'un tel emploi exige.

[23]       De plus, la demanderesse a longuement fait état des erreurs qu'aurait commises l'arbitre dans son appréciation de la preuve. On a d'abord remis en question la crédibilité du défendeur et de son témoignage, en insistant sur le fait qu'il avait menti en niant d'abord ses absences. On a également vigoureusement contesté la conclusion de l'arbitre à l'effet que l'employeur était au courant de ses habitudes de travail et avait tacitement approuvé ses absences. Le procureur de la demanderesse a également fait ressortir une contradiction dans le jugement de l'arbitre, ce dernier affirmant que le défendeur avait été absent au moins à 10 reprises alors qu'il note par ailleurs que le défendeur avait été absent de 2 à 3 après-midi par semaine de janvier à mai 2003. On a aussi fait ressortir que le défendeur n'avait introduit aucun élément de preuve permettant de confirmer ses prétentions à l'effet qu'il souffrait d'épuisement professionnel.

[24]       Enfin, la demanderesse s'est dite d'avis que l'arbitre avait erré en concluant que le congédiement n'était pas justifié dans les circonstances. Même dans l'hypothèse où l'on ne retiendrait que 10 après-midi d'absence, cela serait suffisant pour entraîner un congédiement, puisque le vol de temps a toujours été considéré comme un motif suffisant de congédiement par la jurisprudence.

b) Le défendeur

[25]       Le défendeur soutient d'abord que la norme de contrôle applicable relativement à l'existence d'un motif valable de congédiement est celle de la décision manifestement déraisonnable. Or, il soutient que l'employeur demande essentiellement à la Cour de substituer son appréciation de la preuve à celle de l'arbitre.

[26]       Le procureur de M. Girard fait également valoir que l'arbitre a erré en décidant que l'employeur n'avait pas à divulguer tous ses motifs de congédiement dès le départ. Il attire l'attention sur le fait que la lettre de congédiement du 21 mai constituait (soutient-il) un aveu de congédiement sans justification. Qui plus est, il a demandé des précisions sur les motifs de congédiement à plusieurs reprises, sans succès, alors même que le Code accorde un délai de 15 jours à l'employeur pour envoyer ses motifs à l'inspecteur. Tout cela démontrerait que CDC s'est constitué un dossier après le congédiement de M. Girard, en se fiant uniquement sur les impressions rapportées par d'autres sans avoir enquêté ni confronté ce dernier.

[27]       En ce qui concerne la décision de l'arbitre d'ordonner la réintégration, le défendeur soutient que la jurisprudence de la Cour suprême est à l'effet que cette solution doit être privilégiée, sauf lorsqu'il est permis de douter de la viabilité de la relation employeur-employé. S'appuyant sur le caractère remédiateur de la Partie III du Code canadien du travail, il plaide qu'une interprétation des articles 168 et 240 favorisant ou encourageant le versement d'une indemnité plutôt que la réintégration irait à l'encontre des objectifs visés par la Loi, c'est-à-dire d'abolir le droit pour un employeur de congédier quand bon lui semble, moyennant le versement d'une indemnité.

[28]       Enfin, le défendeur s'est longuement attardé sur la preuve soumise à l'arbitre et a tenté de démontrer que ce dernier n'avait pas erré en privilégiant sa thèse plutôt que celle du demandeur. Il a notamment insisté sur le fait que plusieurs motifs de congédiement ont été rejetés par l'arbitre parce que ce dernier avait conclu que ces motifs avaient déjà été invoqués par CDC pour le rétrograder et ne pouvaient subséquemment être utilisés pour justifier son congédiement. D'autre part, tous les témoins, y compris ceux du demandeur, auraient considéré que M. Girard était un homme franc et honnête.

Questions en litige

[29]       Après avoir pris connaissance des représentations écrites et orales des parties, j'estime que le sort de la présente demande de contrôle judiciaire dépend de la réponse aux questions suivantes :

·         Quelle est la norme de contrôle applicable à la décision de l'arbitre?

·         L'arbitre a-t-il erré en évaluant la preuve soumise par les parties et en concluant qu'il n'y      avait pas motif à congédiement?

·         Dans quels délais l'employeur doit-il communiquer à l'employé ses motifs de congédiement?

·         En cas de congédiement injuste, la réintégration doit-elle se présumer?

Dispositions législatives pertinentes

168. (1) La présente partie, règlements d'application compris, l'emporte sur les règles de droit, usages, contrats ou arrangements incompatibles mais n'a pas pour effet de porter atteinte aux droits ou avantages acquis par un employé sous leur régime et plus favorables que ceux que lui accorde la présente partie.

(1.1) Les sections II, IV, V et VIII ne s'appliquent pas à l'employeur et aux employés liés par une convention collective qui accorde aux employés des droits et avantages au moins égaux à ceux que prévoient ces sections au titre de la durée des congés, des taux de salaire et des périodes ouvrant droit aux avantages qu'elles prévoient; la convention collective s'applique de façon exclusive - dans le cas des employés admissibles au régime de règlement par une tierce partie des désaccords qu'elle prévoit - au règlement de tout désaccord qui porte sur les questions que ces sections visent.

(2) La présente partie n'a pas pour effet d'autoriser l'exercice d'une activité dominicale légalement interdite.

240. (1) Sous réserve des paragraphes (2) et 242(3.1), toute personne qui se croit injustement congédiée peut déposer une plainte écrite auprès d'un inspecteur si :

a) d'une part, elle travaille sans interruption depuis au moins douze mois pour le même employeur;

b) d'autre part, elle ne fait pas partie d'un groupe d'employés régis par une convention collective.

(2) Sous réserve du paragraphe (3), la plainte doit être déposée dans les quatre-vingt-dix jours qui suivent la date du congédiement.

240(3) Prorogation du délai

(3) Le ministre peut proroger le délai fixé au paragraphe (2) dans les cas où il est convaincu que l'intéressé a déposé sa plainte à temps mais auprès d'un fonctionnaire qu'il croyait, à tort, habilité à la recevoir.

241. (1) La personne congédiée visée au paragraphe 240(1) ou tout inspecteur peut demander par écrit à l'employeur de lui faire connaître les motifs du congédiement; le cas échéant, l'employeur est tenu de lui fournir une déclaration écrite à cet effet dans les quinze jours qui suivent la demande.

(2) Dès réception de la plainte, l'inspecteur s'efforce de concilier les parties ou confie cette tâche à un autre inspecteur.

(3) Si la conciliation n'aboutit pas dans un délai qu'il estime raisonnable en l'occurrence, l'inspecteur, sur demande écrite du plaignant à l'effet de saisir un arbitre du cas :

a) fait rapport au ministre de l'échec de son intervention;

b) transmet au ministre la plainte, l'éventuelle déclaration de l'employeur sur les motifs du congédiement et tous autres déclarations ou documents relatifs à la plainte.

242. (1) Sur réception du rapport visé au paragraphe 241(3), le ministre peut désigner en qualité d'arbitre la personne qu'il juge qualifiée pour entendre et trancher l'affaire et lui transmettre la plainte ainsi que l'éventuelle déclaration de l'employeur sur les motifs du congédiement.

(2) Pour l'examen du cas dont il est saisi, l'arbitre :

a) dispose du délai fixé par règlement du gouverneur en conseil;

b) fixe lui-même sa procédure, sous réserve de la double obligation de donner à chaque partie toute possibilité de lui présenter des éléments de preuve et des observations, d'une part, et de tenir compte de l'information contenue dans le dossier, d'autre part;

c) est investi des pouvoirs conférés au Conseil canadien des relations industrielles par les alinéas 16a), b) et c).

(3) Sous réserve du paragraphe (3.1), l'arbitre :

a) décide si le congédiement était injuste;

b) transmet une copie de sa décision, motifs à l'appui, à chaque partie ainsi qu'au ministre.

(3.1) L'arbitre ne peut procéder à l'instruction de la plainte dans l'un ou l'autre des cas suivants :

a) le plaignant a été licencié en raison du manque de travail ou de la suppression d'un poste;

b) la présente loi ou une autre loi fédérale prévoit un autre recours.

(4) S'il décide que le congédiement était injuste, l'arbitre peut, par ordonnance, enjoindre à l'employeur :

a) de payer au plaignant une indemnité équivalant, au maximum, au salaire qu'il aurait normalement gagné s'il n'avait pas été congédié;

b) de réintégrer le plaignant dans son emploi;

c) de prendre toute autre mesure qu'il juge équitable de lui imposer et de nature à contrebalancer les effets du congédiement ou à y remédier.

243. (1) Les ordonnances de l'arbitre désigné en vertu du paragraphe 242(1) sont définitives et non susceptibles de recours judiciaires.

(2) Il n'est admis aucun recours ou décision judiciaire - notamment par voie d'injonction, de certiorari, de prohibition ou de quo warranto - visant à contester, réviser, empêcher ou limiter l'action d'un arbitre exercée dans le cadre de l'article 242.

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168. (1) This Part and all regulations made under this Part apply notwithstanding any other law or any custom, contract or arrangement, but nothing in this Part shall be construed as affecting any rights or benefits of an employee under any law, custom, contract or arrangement that are more favourable to the employee than his rights or benefits under this Part.

(1.1) Divisions II, IV, V and VIII do not apply to an employer and employees who are parties to a collective agreement that confers on employees rights and benefits at least as favourable as those conferred by those respective Divisions in respect of length of leave, rates of pay and qualifying periods for benefits, and, in respect of employees to whom the third party settlement provisions of such a collective agreement apply, the settlement of disagreements relating to those matters is governed exclusively by the collective agreement.

(2) Nothing in this Part authorizes the doing of any work on Sunday that is prohibited by law.

240. (1) Subject to subsections (2) and 242(3.1), any person

(a) who has completed twelve consecutive months of continuous employment by an employer, and

(b) who is not a member of a group of employees subject to a collective agreement, may make a complaint in writing to an inspector if the employee has been dismissed and considers the dismissal to be unjust.

(2) Subject to subsection (3), a complaint under subsection (1) shall be made within ninety days from the date on which the person making the complaint was dismissed.

(3) The Minister may extend the period of time referred to in subsection (2) where the Minister is satisfied that a complaint was made in that period to a government official who had no authority to deal with the complaint but that the person making the complaint believed the official had that authority.

241. (1) Where an employer dismisses a person described in subsection 240(1), the person who was dismissed or any inspector may make a request in writing to the employer to provide a written statement giving the reasons for the dismissal, and any employer who receives such a request shall provide the person who made the request with such a statement within fifteen days after the request is made.

(2) On receipt of a complaint made under subsection 240(1), an inspector shall endeavour to assist the parties to the complaint to settle the complaint or cause another inspector to do so.

(3) Where a complaint is not settled under subsection (2) within such period as the inspector endeavouring to assist the parties pursuant to that subsection considers to be reasonable in the circumstances, the inspector shall, on the written request of the person who made the complaint that the complaint be referred to an adjudicator under subsection 242(1),

(a) report to the Minister that the endeavour to assist the parties to settle the complaint has not succeeded; and

(b) deliver to the Minister the complaint made under subsection 240(1), any written statement giving the reasons for the dismissal provided pursuant to subsection (1) and any other statements or documents the inspector has that relate to the complaint.

242. (1) The Minister may, on receipt of a report pursuant to subsection 241(3), appoint any person that the Minister considers appropriate as an adjudicator to hear and adjudicate on the complaint in respect of which the report was made, and refer the complaint to the adjudicator along with any statement provided pursuant to subsection 241(1).

(2) An adjudicator to whom a complaint has been referred under subsection (1)

(a) shall consider the complaint within such time as the Governor in Council may by regulation prescribe;

(b) shall determine the procedure to be followed, but shall give full opportunity to the parties to the complaint to present evidence and make submissions to the adjudicator and shall consider the information relating to the complaint; and

(c) has, in relation to any complaint before the adjudicator, the powers conferred on the Canada Industrial Relations Board, in relation to any proceeding before the Board, under paragraphs 16(a), (b) and (c).

(3) Subject to subsection (3.1), an adjudicator to whom a complaint has been referred under subsection (1) shall

(a) consider whether the dismissal of the person who made the complaint was unjust and render a decision thereon; and

(b) send a copy of the decision with the reasons therefore to each party to the complaint and to the Minister.

(3.1) No complaint shall be considered by an adjudicator under subsection (3) in respect of a person where

(a) that person has been laid off because of lack of work or because of the discontinuance of a function; or

(b) a procedure for redress has been provided elsewhere in or under this or any other Act of Parliament.

(4) Where an adjudicator decides pursuant to subsection (3) that a person has been unjustly dismissed, the adjudicator may, by order, require the employer who dismissed the person to

(a) pay the person compensation not exceeding the amount of money that is equivalent to the remuneration that would, but for the dismissal, have been paid by the employer to the person;

(b) reinstate the person in his employ; and

(c) do any other like thing that it is equitable to require the employer to do in order to remedy or counteract any consequence of the dismissal.

243. (1) Every order of an adjudicator appointed under subsection 242(1) is final and shall not be questioned or reviewed in any court.

(2) No order shall be made, process entered or proceeding taken in any court, whether by way of injunction, certiorari, prohibition, quo warranto or otherwise, to question, review, prohibit or restrain an adjudicator in any proceedings of the adjudicator under section 242.

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Analyse

a)                   L'historique de l'article 240 du Code canadien du travail

[30]       Un bref rappel du contexte dans lequel a été adopté l'article 240 n'est pas sans importance pour départager les prétentions des deux parties, tout particulièrement en ce qui concerne la question de la réintégration. Cette disposition a été insérée dans le Code en 1978, suite à la ratification par le gouvernement du Canada de la Recommandation sur la cessation de la relation de travail de l'Organisation internationale du Travail (Recommandation No. 119). Cette recommandation avait été adoptée par la Conférence générale de l'O.I.T. le 26 juin 1963.

[31]       Les dispositions pertinentes de cette Recommandation se lisent comme suit :

2(1) Aucun licenciement ne devrait intervenir sans qu'il existe un motif valable de licenciement lié à l'aptitude ou à la conduite du travailleur ou fondé sur les nécessités du fonctionnement de l'entreprise, de l'établissement ou du service.

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4. Le travailleur qui estime avoir fait l'objet d'une mesure de licenciement injustifiée devrait - à moins que la question n'ait été réglée d'une manière satisfaisante selon telles procédures qui pourraient exister ou être établies en conformité de la présente recommandation dans l'entreprise, l'établissement ou le service - avoir le droit de recourir contre cette mesure, dans un délai raisonnable et avec l'assistance, si le travailleur le demande, d'une personne le représentant, devant un organisme institué en vertu d'une convention collective ou devant un organisme impartial tel qu'un tribunal, un arbitre, une commission d'arbitrage ou un organisme similaire.

6. Les organismes mentionnés au paragraphe 4 devraient être habilités à ordonner - s'ils arrivent à la conclusion que le licenciement était injustifié - que le travailleur intéressé, à moins qu'il n'ait été réintégré, avec, dans les cas appropriés, paiement du salaire non perçu, reçoive, soit une indemnisation adéquate, soit telle autre forme de réparation qui pourrait être déterminée d'après les méthodes d'application prévues au paragraphe 1, soit une combinaison de l'une et l'autre qui serait également ainsi déterminée.

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2(1) Termination of employment should not take place unless there is a valid reason for such termination connected with the capacity or conduct of the worker or based on the operational requirements of the undertaking, establishment or service.

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4. A worker who feels that his employment has been unjustifiably terminated should be entitled, unless the matter has been satisfactorily determined through such procedures within the undertaking, establishment or service, as may exist or be established consistent with this Recommendation, to appeal, within a reasonable time, against that termination with the assistance, where the worker so requests, of a person representing him to a body established under a collective agreement or to a neutral body such as a court, an arbitrator, an arbitration committee or a similar body.

6. The bodies referred to in Paragraph 4 should be empowered, if they find that the termination of employment was unjustified, to order that the worker concerned, unless reinstated, where appropriate with payment of unpaid wages, should be paid adequate compensation, or afforded such other relief as may be determined under the methods of implementation set out in Paragraph 1, or granted such compensation and other relief as may be so determined.

*****

[32]       En ratifiant cette Recommandation et en légiférant pour la mettre en oeuvre dans le champ des relations de travail qui relèvent de sa compétence constitutionnelle, le Parlement rompait avec le droit commun de l'abus de droit et s'engageait ainsi à mettre un terme à l'arbitraire de l'employeur. C'est d'ailleurs ce qu'il fît en prévoyant qu'une personne peut porter plainte auprès d'un inspecteur si elle s'estime « injustement congédiée » .

[33]         Ce faisant, le Parlement octroyait aux employés non syndiqués une protection contre le congédiement injuste analogue à celle que se réservent habituellement les employés syndiqués dans leur convention collective. Il s'agissait là d'un développement majeur dans l'évolution des relations de travail, puisque l'on rompait définitivement avec le dogme de l'autonomie de la volonté des parties qui sous-tendait l'approche strictement libérale des rapports économiques entre un employeur et un employé. Non seulement l'employeur ne pouvait-il plus à son gré mettre un terme à un contrat d'emploi, mais encore pouvait-il se voir imposer le paiement d'une indemnité et même la réintégration de l'employé congédié. L'objectif ultime de l'Organisation Internationale du Travail et, par ricochet, du Parlement, était de reconnaître et de protéger la dignité personnelle et l'autonomie du travailleur et la valeur intrinsèque de l'emploi pour tout individu.

[34]         Après avoir noté la filiation entre l'article 240 du Code et la Recommandation No. 119, le juge Marceau écrivait à ce propos dans l'arrêt Banque de commerce canadienne impériale c. Boisvert, [1986] 2 C.F. 431:

Le droit lui-même de licenciement a été complètement modifié en vue d'éviter l'arbitraire de l'employeur et d'assurer une continuité de l'emploi. Il n'existe plus qu'un droit de licenciement "juste", ce qui veut dire, sans doute, un licenciement qui se rattache à une cause objective, réelle et sérieuse, indépendante des incompatibilités d'humeur, des convenances ou des mésintelligences purement personnelles, et se présente comme une mesure prise exclusivement pour assurer le bon fonctionnement de l'entreprise. (...) La justification de l'article 61.5 [sensiblement au même effet que l'actuel article 240] est sans doute extrêmement exigeante mais elle reste possible, à mon sens, en dehors des cas d'incompétence ou d'incapacité ou de faute grave de l'employé.

[35]       C'est donc dans cette perspective qu'il nous faut tenter d'apporter une réponse aux questions que soulève la présente demande de contrôle judiciaire. Car au-delà des mésententes entre les parties eu égard à la preuve, cette affaire soulève des questions de droit importantes dont l'issue sera déterminante pour la résolution du litige.

b)                   La norme de contrôle

[36]       Pour déterminer la norme de contrôle applicable, la Cour suprême nous enseigne qu'il faut se livrer à une analyse pragmatique et fonctionnelle. Dans le cadre de cette analyse, quatre facteurs contextuels doivent être pris en considération : i) la présence ou l'absence dans la loi d'une clause privative ou d'un droit d'appel; ii) l'expertise de l'organisme administratif par rapport à celle de la cour de révision quant à la question en litige; iii) l'objet de la loi et de la disposition en cause; et iv) la nature de la question - de droit, de fait ou mixte (U.E.S., Local 298 c. Bibeault, [1988] 2 R.C.S. 1048; Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982; Dr. Q. c. College of Physicians and Surgeons of British Columbia, [2003] 1 R.C.S. 226; Barreau du Nouveau-Brunswick c. Ryan, [2003] 1 R.C.S. 247; Toronto (Ville) c. S.C.F.P., section locale 79, [2003] 3 R.C.S. 77; Alberta Union of Provincial Employees c. Lethbridge Community College, [2004] 1 R.C.S. 727.

[37]       Il va sans dire que la norme de contrôle applicable ne sera pas généralement la même pour toutes les décisions qu'est appelé à prendre un arbitre au cours d'un arbitrage. C'est ce qu'a rappelé la Cour suprême au moins à deux reprises, dans les arrêts Toronto (Ville) et Lethbridge (précitées). S'il en va ainsi, c'est essentiellement parce que l'expertise de l'arbitre pourra varier selon la nature de la question à être tranchée.

[38]       En ce qui concerne la présence d'une clause privative, l'article 243 ne laisse planer aucun doute : en édictant une clause privative étanche, le législateur a voulu reconnaître l'expertise de l'arbitre, tant lorsqu'il est appelé à se prononcer sur la légalité d'un congédiement que sur la réparation devant être accordée lorsque le congédiement était injuste. Il est en effet bien établi que plus une clause privative est stricte, plus grande doit être la déférence manifestée par la cour de révision.

[39]       L'expertise des arbitres en contexte de relations de travail a été maintes fois soulignées, tant dans le contexte des conventions collectives que dans celui de la législation du travail applicable aux travailleurs non syndiqués. Les arbitres sélectionnés sous l'autorité du Code canadien du travail, en particulier, jouissent d'une vaste expérience et de connaissances approfondies du milieu des relations de travail, et traitent de ces questions de façon beaucoup plus régulière que la Cour fédérale. Voilà qui milite également en faveur d'une certaine déférence à leur endroit, surtout lorsqu'ils sont appelés à trancher des questions qui sont au coeur de leur compétence.

[40]       Quant à l'objet de l'ensemble du régime établi par la loi ainsi que des dispositions particulières visées par le présent contrôle, on peut affirmer sans risque de se tromper qu'il est de favoriser le règlement rapide des différends entre un employeur et un employé, et en particulier de s'assurer que les mesures disciplinaires prises par les employeurs feront l'objet d'un examen objectif dans les plus brefs délais de façon à ce que le fonctionnement de l'entreprise et les droits de l'employé ne soient pas affectés plus longtemps qu'il n'est nécessaire. Dans cette mesure, on peut tenir que la nature réparatrice des dispositions à la source du présent litige appelle une assez grande déférence.

[41]       À ne s'en tenir qu'aux trois premiers critères, il faudrait donc conclure que la décision de l'arbitre commande une norme de contrôle relativement sévère et que cette Cour devrait hésiter à mettre de côté la décision attaquée, à moins qu'il puisse être démontrée que cette décision était manifestement déraisonnable. Il en ira ainsi lorsque la question à trancher est purement factuelle et ne fait intervenir qu'une appréciation de la preuve soumise, comme c'est le cas lorsque l'arbitre doit se prononcer sur l'existence d'un motif valable de congédiement. L'arbitre étant mieux placé pour évaluer la crédibilité des témoins et soupeser la preuve offerte, cette Cour n'interviendra que dans les cas les plus clairs pour écarter les différentes conclusions de l'arbitre relativement à l'existence de tel ou tel motif de congédiement (Toronto (Ville) c. S.C.F.P., section locale 79, précité, par. 14; McKinley c. British Columbia Telephone, [2001] 2 R.C.S. 161; Chalifoux c. Première nation de Driftpile, [2002] A.C.F. No. 1826, au par. 12 (C.A.F.); Énergie Atomique du Canada Ltée c. Sheikholeslami, précité, au par. 9; Jennings c. Shaw Cables Systems Ltd., précité aux par. 28-29).

[42]       En revanche, le choix de la réparation appropriée fait intervenir des considérations de fait et de droit. En effet, la question de savoir si la réintégration de l'employé congédié constitue la réparation appropriée dans une situation donnée implique nécessairement que l'arbitre applique aux conclusions de fait qu'il a tirés les facteurs élaborés par la jurisprudence. Bien qu'une telle évaluation fasse normalement intervenir une norme de contrôle mitoyenne et permette à cette Cour d'intervenir si elle estime que la conclusion de l'arbitre est déraisonnable et que son analyse ne résiste pas à une analyse un tant soit peu poussée, le contexte particulier du Code canadien du travail et la présence d'une clause privative on ne peut plus explicite m'amène à croire que le choix de la réparation doit également être soumis à la norme du manifestement déraisonnable.

[43]       Quoiqu'il en soit, la véritable question que soulève cette demande de contrôle judiciaire relativement à la réparation n'est pas tant de savoir si l'arbitre a erré dans l'exercice de sa discrétion en ordonnant la réintégration de M. Girard, mais bien de savoir s'il a mal interprété le droit en se disant tenu de réintégrer le défendeur à moins que l'employeur puisse démontrer que le lien de confiance était rompu. C'est donc cette prétendue présomption en faveur de la réintégration qui est au coeur du présent litige. Il s'agit clairement là d'une pure question de droit, et la norme de contrôle applicable à ce chapitre ne peut être que celle de la décision correcte. En d'autres termes, l'arbitre n'avait pas droit à l'erreur sur cet aspect de sa décision.

[44]       Il en va de même de la question de savoir si l'employeur peut ajouter aux motifs de congédiement initialement communiqués à l'employé, et ce jusqu'à l'audition de la plainte par l'arbitre. Encore une fois, cette question en est une de droit strict dont la résolution peut avoir valeur de précédent et dont la portée dépasse largement les parties. Elle doit donc être soumise à un contrôle rigoureux et doit être évaluée à l'aulne de la norme de la décision correcte.

c)                   L'appréciation des motifs de congédiement

[45]       La partie demanderesse a fait de nombreux reproches à l'arbitre sur la façon dont il a apprécié la crédibilité des témoins et la preuve dans son ensemble. On s'est longuement employé à soutenir que l'arbitre avait mal saisi la preuve de l'employeur à cet égard, et qu'il avait commis plusieurs erreurs flagrantes dans son évaluation des différents témoignages.

[46]       Ainsi, on a tenté de me convaincre que l'employé avait bel et bien falsifié des relevés de frais de déplacement et aurait réclamé des indemnités pour des déplacements qu'il n'aurait jamais fait. Pourtant, la preuve faite devant l'arbitre était loin d'être convaincante et l'employeur a même admis ne pas être en mesure de procéder à des vérifications.

[47]       De même, on a tenté de démontrer que M. Girard entretenait de mauvaises relations avec les clients et les employés et s'était montré incapable de gérer le personnel. Or, ces reproches semblent avoir été à l'origine de sa rétrogradation et ne peuvent maintenant justifier son congédiement, à moins d'admettre qu'il puisse faire l'objet d'une double sanction pour les mêmes gestes. De surcroît, une lecture attentive des témoignages devant l'arbitre ne m'a pas permis de conclure que ce dernier avait tiré des conclusions manifestement déraisonnables; la preuve était partagée, et l'arbitre ayant eu le bénéfice d'apprécier la crédibilité des témoins qui ont défilé devant lui, il était mieux placé que cette Cour pour faire la part des choses.

[48]       Enfin, on pourrait en dire autant des absences non justifiées de M. Girard. Non seulement l'employeur n'a-t-il pas été en mesure de quantifier ces absences, mais encore les témoignages étaient-ils plutôt vagues à ce sujet et même parfois contradictoires. L'arbitre a également tenu compte du fait que l'employeur n'était pas intervenu pour mettre un terme à ces absences, n'avait jamais confronté le défendeur et n'en avait pas fait état dans ses évaluations de rendement. Enfin, il a pris note du fait que ce motif n'a été communiqué au défendeur que trois mois après son congédiement, et il a tenu compte de l'intention du défendeur en s'octroyant ces congés sans autorisation. En établissant comme il l'a fait que le défendeur était fréquemment absent du bureau et qu'il s'agissait là d'une faute grave qui justifiait l'imposition d'une mesure disciplinaire, l'arbitre a tiré une conclusion qui était au coeur de son mandat; ses motivations sont bien exposées et ne révèlent pas d'erreur manifeste dans l'appréciation de la preuve qui lui a été soumise.

[49]       Le demandeur a bien tenté de convaincre l'arbitre, décisions arbitrales à l'appui, que le vol de temps par un employé était toujours sanctionné par le congédiement. Pourtant, l'arbitre a bien expliqué pourquoi ces décisions ne lui paraissaient pas devoir être suivies dans le présent cas (manque d'informations précises sur les heures d'absence, état de santé du défendeur, vulnérabilité face à son supérieur immédiat, longs états de service et compétence de l'employé, condamnation sans jamais permettre à l'employé de s'expliquer).

[50]       Qui plus est, la Cour suprême a clairement établi dans l'arrêt McKinley c. British Columbia Telephone, précité, qu'il appartient au juge des faits de décider si un acte malhonnête constitue un motif valable de congédiement, compte tenu de toutes les circonstances. Pour reprendre les termes mêmes de la Cour, « il faut établir un équilibre utile entre la gravité de l'inconduite d'un employé et la sanction infligée » (par. 53). S'il en va ainsi, c'est parce qu'il faut respecter la dignité des individus et la valorisation que tire une personne de son travail, comme le rappelait le juge en chef Dickson dans le Renvoi relatif à la Public ServiceEmployee Relations Act (Alb.), [1987] 1 R.C.S. 313, à la p. 368.

[51]         Compte tenu de la déférence dont doit faire preuve cette Cour sur des questions factuelles de cette nature, j'estime donc que cette Cour ne serait pas justifiée d'intervenir pour écarter cette conclusion de l'arbitre. L'employeur ne m'a pas convaincu qu'il a commis une erreur déraisonnable en décidant que les absences répétées du défendeur ne constituaient pas un motif valable de congédiement, bien qu'il s'agissait d'une faute grave.

d)                   Le délai dans lequel les motifs de congédiement doivent être communiqués à l'employé

[52]       On se souviendra que l'arbitre, dans le cadre d'une décision préliminaire, avait d'abord conclu qu'il devait s'en tenir aux motifs de congédiement allégués par l'employeur dans sa lettre de congédiement du 21 mai 2003, pour ensuite se raviser et accepter les motifs de congédiement contenus dans la déclaration de l'employeur transmise à l'enquêteur le 25 août 2003. Ce changement d'attitude s'expliquait du fait qu'il avait d'abord appliqué la décision rendue par mon collègue le juge O'Keefe dans l'arrêt Howard (précité), avant de s'estimer lié par une décision subséquente rendue le 20 octobre 2003 par ma collègue la juge Snider dans l'arrêt Jennings (précité).

[53]       Dans l'arrêt Howard, la Cour devait déterminer si l'arbitre avait outrepassé sa compétence de procéder à l'instruction d'une plainte de congédiement injuste, étant donné la prétention de la demanderesse à l'effet que le congédiement faisait suite à un licenciement causé par le « manque de travail » ou par la « suppression d'un poste » . Or, le paragraphe 242(3.1) du Code canadien du travail prévoit qu'en de telles circonstances, l'arbitre ne peut procéder à l'instruction de la plainte. Dans sa lettre de congédiement, la demanderesse avisait le défendeur que l'entreprise n'avait plus besoin de lui en raison de la réorganisation en cours. Bien que l'employeur ait par la suite tenté de démontrer que le poste avait bel et bien été supprimé et que le défendeur avait été licencié en raison du manque de travail, l'arbitre ne devait pas retenir cette explication. En rejetant la demande de contrôle judiciaire de cette décision, le juge O'Keefe écrivait :

En outre, même si le Code prévoit la communication des motifs à une date ultérieure au licenciement, je suis d'avis que si ces motifs sont communiqués soit par écrit soit oralement au moment du licenciement, les motifs cités subséquemment doivent être compatibles avec les motifs cités précédemment (par. 35).

[54]       L'affaire Jennings se rapproche davantage de la situation qui sous-tend le présent litige. Au moment du congédiement, aucune raison n'avait été donnée à M. Jennings. Deux mois et demi après le dépôt de la plainte auprès du Conseil, l'employeur justifiait le congédiement par la mauvaise conduite de son employé et par le danger potentiel qu'il représentait pour ses collègues. Un mois et demi plus tard, à la demande de l'arbitre, l'employeur précisait que M. Jennings distribuait des stupéfiants à d'autres employés et les incorporait subrepticement à leurs breuvages. Finalement, au début de l'audience, l'employeur ajoutait que M. Jennings était un important trafiquant et producteur de composés chimiques de stupéfiants, et qu'il avait frauduleusement fourni à un ami des services de câblodistribution gratuitement.

[55]       Pourtant, la juge Snider a considéré que l'arbitre pouvait (et même devait) considérer tous ces motifs, étant donné l'obligation contenue au paragraphe 242(2)b) du Code « de donner à chaque partie toute possibilité de lui présenter des éléments de preuve et des observations » . Elle s'est également appuyée sur le fait que le Code demeure muet quant aux conséquences du défaut de se conformer à l'obligation pour l'employeur de fournir des raisons à l'employé dans les quinze jours d'une demande à cet effet. Enfin, elle a noté que le législateur avait utilisé des termes clairs lorsqu'il voulait que l'arbitre soit lié par certaines règles procédurales, comme à l'alinéa 242(2)a). En bout de ligne, elle s'est dite d'avis que le critère fondamental pour l'admission de la preuve sera la pertinence; en revanche, l'employé devra toujours être au courant de ce qu'on lui reproche et avoir la possibilité de répondre aux reproches qui lui sont faits.

[56]       Bien que l'arbitre ait considéré que ces deux décisions étaient contradictoires, elles ne sont peut-être pas aussi irréconciliables qu'elles n'y paraissent à première vue. Dans l'arrêt Howard, le motif de congédiement allégué par l'employeur avait pour effet, s'il était retenu, d'écarter totalement la juridiction de l'arbitre. Il était donc compréhensible d'exiger, dans ce contexte, que l'on établisse dès le dépôt de la plainte si l'arbitre pouvait procéder à son instruction.

[57]       Mais au-delà des distinctions qui peuvent être faites entre ces deux affaires sur la base d'un contexte factuel et légal différent, il n'en demeure pas moins que l'on peut en tirer un certain nombre de lignes directrices qui sont loin d'être incompatibles et qui respectent à la fois la lettre et l'esprit du Code. Il ne s'agit pas ici d'élaborer un livre de recettes ou un modus operandi applicable en toutes circonstances, mais uniquement de fournir aux arbitres un certain nombre de paramètres lorsque vient le moment de déterminer les véritables motifs de congédiement sur lesquels ils sont appelés à se prononcer.

[58]       En principe, les motifs allégués par l'employeur doivent être révélés dans les quinze jours de la demande faite par la personne congédiée ou l'inspecteur. C'est ce que prévoit le paragraphe 241(1) du Code, et il y a de bonnes raisons à cela. Il faut d'abord éviter que l'employeur ne tente de se fabriquer une preuve ou de justifier ex post facto un congédiement arbitraire. Compte tenu d'un rapport de force qui favorise nettement l'employeur dans une entreprise non syndiquée, il faut tout mettre en oeuvre pour que l'employé congédié soit traité avec équité et que ses ex-collègues de travail ne soient pas l'objet de pressions indues de la part de l'employeur.

[59]       Il est également souhaitable que l'inspecteur puisse prendre connaissance des véritables motifs du congédiement pour que ses tentatives de conciliation puissent produire des fruits. Après tout, ces dispositions du Code ont principalement un aspect réparateur, et il faut donc privilégier une approche qui permette aux parties de discuter et d'opérer un rapprochement lorsque le congédiement peut être évité. Si l'on a jugé bon d'introduire cette étape avant de confier le dossier à un arbitre, c'est parce que l'on cherchait d'abord à éviter le licenciement avant de songer aux réparations.

[60]       Ceci étant dit, tout formalisme excessif doit être évité et c'est la raison pour laquelle l'arbitre est maître de sa procédure. Il ne servirait à rien d'ordonner la réintégration d'un employé au seul motif que l'employeur ne lui a pas communiqué ses motifs dans le délai imparti, puisque l'employeur n'aurait qu'à le congédier de nouveau en l'informant des mêmes motifs en temps utile. Voilà pourquoi il faut accepter qu'en certaines circonstances, l'employeur soit admis à fournir de nouvelles explications après les délais prescrits et même s'il a déjà communiqué avec l'employé licencié.

[61]       Dans l'arrêt Howard, le juge O'Keefe a fait allusion à l'une de ces circonstances en admettant que l'employeur puisse ajouter de nouveaux motifs dans la mesure où ces derniers seront compatibles aux motifs déjà fournis précédemment. De même devrait-il en aller de motifs dont l'employeur ne pouvait raisonnablement prendre connaissance plus tôt même s'ils ont pris naissance avant la date du congédiement. Ces exemples ne sont pas limitatifs et ne doivent être considérés qu'à titre d'illustrations des circonstances qui peuvent parfois justifier la prise en compte de motifs additionnels fournis par l'employeur.

[62]       Bien entendu, plus les motifs subséquents s'éloigneront de l'explication originale, plus leur crédibilité sera sujette à caution. Il incombera toujours à l'employeur d'expliquer pourquoi les nouvelles raisons du congédiement n'ont pas été invoquées plus tôt, et il appartiendra à l'arbitre d'évaluer le bien-fondé de ces explications et le poids qu'il devra en conséquence donner à ces nouveaux motifs.

[63]       Qui plus est, l'employé devra toujours avoir l'opportunité de se défendre pleinement et de répondre aux allégations de l'employeur. Comme le rappelait ma collègue la juge Snider dans l'arrêt Jennings (précité, au par. 21) :

Après avoir admis la preuve, l'arbitre était tenu de donner à M. Jennings la possibilité d'y répondre. En plus d'être un principe fondamental de droit administratif, le critère de l'équité est intrinsèque au paragraphe 242(2) qui autorise l'arbitre à fixer la procédure à suivre mais qui assujettit cette latitude à une obligation très importante, soit celle de « donner à chaque partie toute possibilité de lui présenter des éléments de preuve et des observations » . Le défaut d'accorder M. Jennings la possibilité raisonnable et suffisante de répondre aux nouvelles allégations aurait clairement constitué un manquement aux règles de justice naturelle et à l'obligation imposée à l'alinéa 242(2)b).

[64]       Dans la présente instance, les motifs invoqués par l'employeur pour mettre un terme au lien d'emploi avec M. Girard ont considérablement évolué au fil du temps. Alors que la lettre du 21 mai 2003 ne faisait que vaguement allusion à des « relations tendues avec vos collègues de travail et notre client, le MDN » , on ajoutait dans la déclaration fournie à l'inspecteur le 25 août une incapacité de gérer le personnel, une mauvaise performance au travail, et des absences inexpliquées du bureau. Finalement, lors de l'audition, on alléguait également de faux relevés de kilométrage.

[65]       Bien que l'employeur ait tenté de relier tous ces motifs et a plaidé que la seule véritable raison du congédiement était le vol de temps (les autres motifs n'ayant pour objet que de démontrer l'historique disciplinaire de M. Girard), je suis d'avis qu'ils n'avaient qu'un lien ténu entre eux. Il est d'ailleurs étrange que l'on n'ait pas soulevé les absences non motivées à la première occasion s'il s'agissait du motif principal du congédiement. Dans ces circonstances, l'arbitre aurait dû faire preuve d'une plus grande circonspection et exiger de l'employeur de meilleures explications avant de considérer tous ces motifs. Mais comme il les a tous rejetés (sauf les absences) au terme d'une analyse rigoureuse de la preuve, cette erreur s'est révélée sans conséquence et ne justifie pas à elle seule que l'on écarte sa décision.

e)                   La réintégration

[66]       Il est bien établi que la réintégration ne constitue pas un droit absolu pour l'employé injustement congédié. Le paragraphe 242(4) du Code prévoit plutôt qu'il s'agit de l'une des réparations que l'arbitre peut ordonner s'il conclut qu'un employé a fait l'objet d'un licenciement injuste.

[67]       C'est du moins la conclusion à laquelle en est arrivée la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Énergie Atomique du Canada Ltée c. Sheikholeslami (précitée). Le juge Marceau, avec l'appui du juge Strayer, écrivait à cette occasion (au par. 12):

Les dispositions du Code canadien du travail qui concernent le congédiement injuste des employés non syndiqués ont sans doute pour effet de modifier la règle traditionnelle selon laquelle l'exécution intégrale d'un contrat d'emploi ne peut en aucun cas être exigée. Cependant, elles ne créent certainement pas un droit en faveur de l'employé injustement congédié et ne pourraient d'ailleurs aller aussi loin. Ce droit irait à l'encontre du bon sens qui constitue précisément le fondement de la règle traditionnelle. Les dispositions en question énoncent simplement que la réintégration est une réparation pouvant être accordée dans les cas opportuns. En pratique, il s'agit de la réparation que les arbitres préfèrent le plus souvent accorder pour dédommager pleinement l'employé des préjudices réels qu'il a subis par suite de son congédiement. Cependant, une simple lecture du paragraphe 242(4) du Code indique sans conteste que l'arbitre est pleinement autorisé à ordonner le paiement d'une indemnité en remplacement de la réintégration s'il estime que le lien de confiance qui existait entre les parties ne peut être rétabli.

[68]       Dans une opinion concordante, le juge Létourneau allait cependant un peu plus loin. Tout en reconnaissant que la réintégration n'est pas un droit, même lorsque le congédiement est jugé injuste, il se disait d'avis qu'il existe une présomption en faveur de la réintégration, « faute de quoi l'employé congédié injustement risque d'être pénalisé en perdant son emploi » . Il ajoutait que l'arbitre, lorsqu'il décide de ne pas réintégrer dans son emploi un employé injustement congédié en se fondant uniquement sur l'attitude et la conduite des parties à l'audience, se devait de donner « des précisions satisfaisantes quant aux éléments de la conduite et de l'attitude des parties qui constituent le fondement d'une décision aussi importante » .

[69]       Dans sa décision, comme nous l'avons vu précédemment, l'arbitre a énoncé qu'il devait ordonner la réintégration de M. Girard à moins d'être convaincu que la relation de confiance avec son employeur ne pouvait être rétablie.    Ce faisant, il s'appuyait sur la position du juge Létourneau et faisait précisément ce que la juge Desjardins reprochait à un autre arbitre dans une décision subséquente unanime de la Cour d'appel fédérale. Voici ce qu'elle écrivait à ce propos dans l'arrêt Chalifoux c. Première nation de Driftpile (précité, aux par. 28-29) :

L'appelante soutient (au paragraphe 34 du mémoire) que l'arrêt Énergie atomique du Canada Ltée, précité, exige que l'arbitre ordonne le paiement [la version originale anglaise utilise le mot « reinstatement » ] à moins qu'il ne conclue que le lien de confiance existait entre l'employeur et l'employé congédié est rompu d'une façon irrémédiable.

Or, à mon avis, tel n'est pas le droit. Dans l'arrêt Énergie atomique du Canada Ltée, précité, le juge Marceau dit en fait que lorsque le rapport de confiance ne peut pas être rétabli, l'arbitre peut, à sa discrétion, ordonner le paiement d'une indemnité à la place de la réintégration. Le juge Marceau ne dit pas que l'arbitre doit ordonner la réintégration si le rapport de confiance existant entre les parties est intact ou peut être rétabli. Au paragraphe 12, il dit ce qui suit au sujet des dispositions du Code relatives au congédiement injuste :

[...] elles ne créent certainement pas un droit en faveur de l'employé injustement congédié et ne pourraient d'ailleurs aller aussi loin. [...] Les dispositions en question énoncent simplement que la réintégration est une réparation pouvant être accordée dans des cas opportuns. [...] Cependant, une simple lecture du paragraphe 242(2) du Code indique sans conteste que l'arbitre est pleinement autorisé à ordonner le paiement d'une indemnité en remplacement de la réintégration s'il estime que le lien de confiance qui existait entre les parties ne peut être rétabli.

[70]       Dans le cas présent, l'arbitre a ordonné la réintégration en tenant compte d'un certain nombre de facteurs, et notamment du fait qu'il n'y a pas de raison objective pour que l'employeur ne puisse lui faire confiance dans son travail et qu'il possède différents outils pour contrôler ce que M. Girard fait. Par ailleurs, il n'a pas cru les déclarations de certains témoins qui ont affirmé qu'ils quitteraient leur poste si M. Girard était réintégré. Bref, il semble avoir tenu compte des critères généralement retenus par la jurisprudence pour déterminer si la réintégration est la réparation souhaitable dans les circonstances.

[71]       Malheureusement, je ne suis pas convaincu qu'il n'a pas été indûment influencé dans sa décision par sa prémisse de départ, à savoir qu'il devait ordonner la réintégration si le lien de confiance n'était pas irrémédiablement rompu. Ce faisant, il a clairement commis une erreur de droit qui peut avoir eu des répercussions sur l'issue finale du litige. Pour ce motif, il m'apparaît que le dossier doit lui être retourné pour qu'il puisse évaluer la réparation appropriée sans appliquer la présomption fautive, mais en tenant compte uniquement des facteurs généralement considérés et dont on trouve une liste utile dans l'ouvrage de Geoffrey England, Roderick Wood et Innis Chrisitie, Employment Law of Canada, 4e édition, vol. 2, LexisNexis Butterworths, édition à feuilles mobiles, au paragraphe 17.153.

[72]       Il est vrai que la Cour suprême, dans la décision récente Alberta Union of Provincial Employees c. Lethbridge Community College (précité), a semblé considérer que la réintégration devait être la norme. L'avocat du défendeur a d'ailleurs soutenu que les décisions de la Cour d'appel fédérale devaient en conséquence être réévaluées pour tenir compte de ce nouveau développement. Pourtant, certaines nuances s'imposent.

[73]       D'abord, il convient de noter que cette décision portait sur un congédiement effectué en violation des droits reconnus par une convention collective. La convention ne comportant pas de disposition relativement aux mesures qui pouvaient être prises en cas de contravention, le Labour Relations Code de la province (R.S.A. 2000, ch. L-1, art. 142(2)) prévoyait que l'arbitre pouvait substituer au congédiement par l'employeur « la sanction qu'il estime juste et raisonnable eu égard à toutes les circonstances » . C'est donc dans le contexte d'une relation où les droits et les responsabilités de chaque partie ont été négociés et ont fait l'objet d'une entente que la Cour suprême s'est prononcée; il n'est pas du tout certain que les mêmes principes trouveraient application lorsque les obligations de l'employeur découlent uniquement de la volonté du législateur.

[74]       Au demeurant, la Cour suprême a lourdement insisté dans cette affaire sur la nécessité pour l'arbitre de tenir compte de toutes les circonstances pertinentes pour apporter une solution durable et définitive au différend qui oppose les parties. Au nombre de ces circonstances, la viabilité de la relation employeur-employé revêtira évidemment une importance cruciale. Mais d'autres facteurs pourront également être pris en considération. Le juge Iacobbucci devait d'ailleurs conclure à cette occasion que le conseil d'arbitrage n'avait pas agi de façon déraisonnable en substituant une indemnité de quatre mois de salaire à la réintégration, en s'appuyant sur le fait que le poste de la plaignante avait disparu à l'issue d'une réorganisation effectuée de bonne foi, sur la difficulté de la réaffecter et sur la probabilité que la réintégration ne ferait que reporter le règlement définitif de la question.

[75]       Bref, je ne crois pas que cette décision de la Cour suprême ait pour effet de renverser les jugements clairs de la Cour d'appel fédérale dans les arrêts Énergie Atomique du Canada Ltée (précité) et Chalifoux (précité). Ces décisions s'appuient sur un texte clair qui donne toute la latitude à l'arbitre pour déterminer la réparation appropriée, et c'est au législateur qu'il appartient d'intervenir s'il veut circonscrire cette discrétion ou l'infléchir dans un sens donné.

[76]       Étant donné les conclusions partagées auxquelles j'en suis arrivé, chaque partie assumera ses frais dans la présente instance. D'autre part, il n'y a pas lieu d'intervenir en égard à la décision de l'arbitre ordonnant à la demanderesse de rembourser la moitié des frais légaux encourus par le défendeur dans le cadre de la procédure d'arbitrage. La Cour d'appel fédérale a souligné que la révision d'une conclusion sur les frais est soumise à la norme de la décision manifestement déraisonnable (Fraser c. Bank of Nova Scotia, [2001] F.C.J. No. 1404).

En l'occurrence, j'estime que la décision de l'arbitre se défend parfaitement et qu'elle s'inscrit dans la logique de son raisonnement sur l'ensemble de l'affaire. La demanderesse ne m'a pas convaincu qu'il avait commis une erreur flagrante.

                                                                                                                 « Yves de Montigny »

    JUGE


                                                       COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER:                                                T-1298-04

INTITULÉ:                                               DEFENCE CONSTRUCTION CANADA            LTD. v. YVES GIRARD

LIEU DE L=AUDIENCE:                       OTTAWA, ONTARIO

DATE DE L=AUDIENCE:                      LE 17 MAI 2005

MOTIFS DE L=ORDONNANCE:         THE HONOURABLE MR. JUSTICE

DE MONTIGNY

DATE DES MOTIFS:                              LE 29 AOÛT 2005

COMPARUTIONS:

M. Jock Climie                                            POUR LA DEMANDERESSE

Me Denis Bonneville                                    POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Emond Harden LLP                                    POUR LA DEMANDERESSE

Ottawa, Ontario                                         

Cain Lamarre Casgrain Wells         POUR LE DÉFENDEUR

Chicoutimi, Québec

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