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                                                                                                                               Date :    20040618

                                                                                                                                Dossier :    P-4-01

                                                                                                                 Référence :    2004 CF 871

Ottawa (Ontario), le 18 juin 2004

PRESENT:     MONSIEUR LE JUGE BLANCHARD, Évaluateur adjoint

ENTRE :

                                                                 FERME SICLO

                                                                                                                                            Appelante

                                                                             et

                    MINISTRE DE L'AGRICULTURE ET DE L'AGROALIMENTAIRE

                                                                                                                                                  Intimé

                                         MOTIFS DE JUGEMENT ET JUGEMENT

INTRODUCTION_


[1]                Il s'agit de deux appels interjetés par la Ferme Siclo_ (l'appelante), devant l'évaluateur à l'encontre des indemnités accordées par l'intimé, le ministre de l'agriculture et de l'agroalimentaire (le ministre) pour la destruction d'ovins (moutons) et de caprins (chèvres) atteints d'une maladie connue sous le nom de « tremblante du mouton » (la maladie). Une    directive pour joindre les deux appels en un seul dossier a été émise par l'honorable juge Allan Lutfy le 18 décembre 2001. L'audition a eu lieu le 12 janvier 2004 devant moi, l'évaluateur adjoint, pour l'insuffisance de l'indemnité accordée en vertu de l'article 56 de la Loi sur la santé des animaux, L.R.C. 1990, c. 21 (la Loi).

LES FAITS

[2]                L'appelante est une entreprise familiale, propriété de Serge Sigouin et de Clodine Côté. Les propriétaires de cette ferme sont producteurs agricoles et éleveurs d'ovins et de caprins._

[3]                Le ministère est responsable de l'application de la Loi et des règlements afférents à cette Loi, notamment le Règlement sur l'indemnisation en cas de destruction d'animaux, DORS/2000-233, (le Règlement).

[4]                Un premier dépeuplement a été effectué le 21 décembre 2000 et n'est pas contesté dans cet appel. M. Peter Conway, un producteur d'ovins ayant 20 ans d'expérience, a été mandaté par l'intimé pour évaluer le troupeaux de l'appelante. L'évaluateur de l'intimé a estimé la valeur totale du troupeau à 199 200 $ (environ 550 $ par tête) qui a été accordée par la suite à l'appelante pour la compenser pour la destruction de 468 moutons et de 2 chèvres. L'appelante était satisfaite de l'indemnité accordée.


[5]                En février 2001, l'appelante a acheté un nouveau troupeau de mouton de M. Jean-Luc Dupras. Le père de M. Dupras est décédé et vu qu'il ne voulait pas continuer cette exploitation agricole, il a entrepris de vendre rapidement le troupeau au nom de la succession de son père. Ce troupeau, selon l'appelante, a été acquis pour un prix très favorable et n'avait aucune mesure avec la valeur marchande du troupeau. Le troupeau acheté était de provenance des races Romanoff et Dorsett, et selon l'appelante, répond à toutes les exigences d'un producteur d'ovins tant par la qualité générale du troupeau qu'à la facilité à l'accouplement désaisonnalisé du troupeau.

[6]                À deux reprises le ministre a ordonné, en vertu de la Loi, l'abattage des ovins de l'appelante qui étaient contaminés ou soupçonnés d'être atteints par la maladie.

Premier abattage: le 20 septembre 2001

[7]                Le Dr. Denis Bouvier, vétérinaire et inspecteur pour l'Agence canadienne d'inspection des aliments (l'Agence), a ordonné au nom du ministre, selon les termes de l'article 48 de la Loi, l'abattage de 11 ovins qu'il soupçonnait atteints de la maladie.

[8]                Le 19 septembre 2001, Dr. Bouvier a procédé à l'évaluation de la valeur marchande des 11 ovins. Le paragraphe 51(1) de la Loi prévoit que le ministre peut ordonner le versement d'une indemnité au propriétaire de l'animal détruit au titre de la Loi. Cette indemnité doit être "...égale à la valeur marchande, selon l'évaluation du ministre, que l'animal aurait eue au moment de l'évaluation...".


[9]                L'intimé soutient que le Dr. Bouvier, afin de déterminer la valeur marchande du troupeau de l'appelante, a fait maintes recherches auprès du marché et a vérifié la valeur d'animaux semblables soumis à l'abattage dans d'autres districts. Suite à son évaluation, il a déterminé que la valeur marchande des 11 animaux abattus variait entre 100 $ à 400 $ par tête.

[10]            Il a évalué 3 des 11 animaux à une valeur marchande de 100 $ basée sur le fait qu'ils étaient destinés à un encan, notamment « Encans de la Ferme (1984) Inc. » . Le montant a été obtenu en calculant la moyenne des sommes obtenues par l'appelante dans le passé pour des animaux semblables au même encan.

[11]            Par avis intitulé « Obligation de disposer et octroi d'une indemnité » daté du 20 septembre 2001, l'appelante fut informée que les 11 ovins soupçonnés d'être atteints par la maladie devaient être abattus avant le 1er octobre 2001 en vertu du paragraphe 48(1) de la Loi et que la valeur marchande de ces ovins, payable à l'appelante, était de 2 750 $.

[12]            Par lettre à la Cour fédérale datée du 25 octobre 2001, l'appelante fait état de son insatisfaction et interjette appel de la décision du ministre pour insuffisance d'indemnité. Le juge en chef Lutfy, agissant comme l'évaluateur, a ordonné que cette lettre soit considérée comme un avis d'appel en vertu de l'article 56 de la Loi.

Deuxième abattage: le 8 novembre 2001_


[13]            Un deuxième avis, intitulé « Obligation de disposer et octroi d'une indemnité » daté du 2 novembre 2001, informe l'appelante que le reste des ovins dans le troupeau soupçonné d'être atteint de la maladie, devaient être abattus avant le 15 novembre 2001en vertu du paragraphe 48(1) de la Loi.

[14]            Le 8 novembre 2001, 502 ovins et 22 caprins ont été détruits conformément à l'article 51 de la Loi.

[15]            Le ministre a fait appel à M. Alain Juneau pour évaluer les animaux tandis que l'appelante, pour sa part, a obtenu les services de M. Mathieu Forand._ Les Docteurs Hurtubise et Allard, vétérinaires-inspecteurs de l'Agence, étaient aussi présent durant l'évaluation.

[16]            Les circonstances de l'évaluation sont telles que les deux évaluateurs en sont arrivés à des valeurs marchandes différentes et n'ont pas pu atteindre un consensus._ Selon le témoignage de M. Sigouin, M. Forand décide de quitter les lieux devant l'attitude intransigeante de M. Juneau. M._ Sigouin témoigne que c'est alors que M. Hurtubise intervient et exige de M. Forand qu'il mentionne des prix par groupe d'animaux sur un document préparé à la hâte. M. Forand est en désaccord avec cette démarche et en désaccord avec les prix inscrits sur le document en question où l'on retrouve néanmoins sa signature. M. Forand refuse de témoigner devant la Cour sur les circonstances de l'évaluation. _

[17]            Les prix fixés par les deux évaluateurs se retrouvent dans le rapport de l'inspecteur daté le 17 janvier 2002. Ces prix sont fixés selon les catégories suivantes: les adultes au prix duquel était ajouté un facteur de gestation , les animaux nés en l'an 2000, les agneaux de plus d'un mois mâles et femelles, et les agneaux de moins d'un mois.


[18]            Le tableau ci-dessous reflète les prix fixés par les deux évaluateurs pour les différentes        catégories.

TABLEAU - VALEUR MARCHANDE DES ANIMAUX ATTEINTS DE LA MALADIE

Catégories d'animaux

Monsieur Forand- Évaluateur expert pour l'appelante

Monsieur Juneau- lvaluateur-expert pour l'Agence canadienne d'inspection des aliments

Adultes (296 animaux)

450 $ pour les gestantes

(gestantes 78%)

290 $ +50 $ pour gestation (moyenne)

*le 1 novembre 2001, M. Forand a indiqué que M. Juneau serait d'accord de changer le montant ci-haut mentionné pour le prix adulte à 310 $ + 50 $ pour gestation.

Animaux nés en 2000 (109 animaux)

300 $

225 $ + 30 $ pour gestation (moyenne)

Mâles 2001 qui ont plus de 1 mois (46 animaux)

175$

175 $

Femelles 2001 qui ont plus de 1 mois (46 animaux)

200 $

200 $

Agneaux qui ont moins de 1 mois (3 animaux)

100 $

100 $

[19]            Suite à l'évaluation, le ministre, conformément à l'article 51 de la Loi, a versé une indemnité qu'il croyait correspondre à la valeur marchande déterminée par leur évaluateur, M. Alain Juneau. Par avis daté le 2 novembre 2000, le ministre offre une indemnité de 160 350 $ à l'appelante pour 502 ovins_ et 22 caprins qui devaient être détruits.


[20]            L'appelante encore une fois interjette appel de la décision du ministre pour insuffisance d'indemnité par voie d'une deuxième lettre à la Cour fédérale datée le 6 novembre 2001.

QUESTION EN LITIGE

[21]            La question en litige est la suivante :        Les indemnités qui ont été octroyées à l'appelante par le ministre pour les abattages du 20 septembre 2001 et du 8 novembre 2001 étaient-elles équivalentes à la valeur marchande des animaux en question et étaient-elles raisonnables?

DISPOSITIONS LÉGISLATIVES - LA LOI SUR LA SANTÉ DES ANIMAUX

[22]            L'article 48 de la Loi sur la santé des animaux permet au ministre d'ordonner la destruction des animaux qui sont contaminés ou soupçonnés d'être contaminés par une maladie. Lorsque les animaux du propriétaire sont détruits, le ministre, en vertu de l'article 51 peut ordonner le versement d'une indemnité au propriétaire. Par contre, selon le paragraphe 51(2), l'indemnité payable au propriétaire doit correspondre à la valeur marchande de l'animal moins la valeur de son cadavre, basé sur l'évaluation du ministre, au moment de l'évaluation si sa destruction n'avait pas été ordonné.    L'article 48 prévoit :



48. (1) Le ministre peut prendre toute mesure de disposition, notamment    de destruction, - ou ordonner à leur propriétaire, ou à la personne qui en a    la possession, la responsabilité ou la charge des soins, de le faire - à    l'égard des animaux ou choses qui:

a)__soit sont contaminés par    une maladie ou une substance toxique, ou soupçonnés de l'être;

b)__soit ont été en contact    avec des animaux ou choses de la catégorie visée à l'alinéa a) ou se sont    trouvés dans leur voisinage immédiat;

c)__soit sont des substances    toxiques, des vecteurs ou des agents causant des maladies, ou sont soupçonnés    d'en être.

48. (1) The Minister may dispose of an animal or thing, or require its owner or any person having the possession, care or control of it to dispose of it, where the animal or thing

(a) is, or is suspected of being, affected or contaminated by a disease or toxic substance;

(b) has been in contact with or in close proximity to another animal or thing that was, or is suspected of having been, affected or contaminated by a disease or toxic substance at the time of contact or close proximity; or

(c) is, or is suspected of being, a vector, the causative agent of a disease or a toxic substance.


[23]            L'article 51 prévoit :



51. (1) Le ministre peut ordonner le versement, sur le Trésor, d'une indemnité au propriétaire de l'animal :

a)    soit détruit au titre de la présente loi, soit dont la destruction a été ordonnée par l'inspecteur ou l'agent d'exécution mais mort avant celle-ci;       

b) blessé au cours d'un examen ou d'une séance de traitement ou d'identification effectués, au même titre, par un inspecteur ou un agent d'exécution et mort ou détruit en raison de cette blessure;

c) affecté à des expériences au titre du paragraphe 13(2).

(2) Sous réserve des paragraphes (3) et (4), l'indemnité payable est égale à la valeur marchande, selon l'évaluation du ministre, que l'animal aurait eue au moment de l'évaluation si sa destruction n'avait pas été ordonnée, déduction faite de la valeur de son cadavre._

(3) La valeur marchande ne peut dépasser le maximum réglementaire correspondant à l'animal en cause. (4) L'indemnisation s'étend en outre, lorsque les règlements le prévoient, aux frais de disposition, y compris de destruction.

51. (1) The Minister may order compensation to be paid from the Consolidated Revenue Fund to the owner of an animal that is

(a) destroyed under this Act or is required by an inspector or officer to be destroyed under this Act and dies after the requirement is imposed but before being destroyed;

(b) injured in the course of being tested, treated or identified under this Act by an inspector or officer and dies, or is required to be destroyed, as a result of the injury; or

(c) reserved for experimentation under paragraph 13(2)(a).

(2) Subject to subsections (3) and (4), the amount of compensation shall be

(a) the market value, as determined by the Minister, that the animal would have had at the time of its evaluation by the Minister if it had not been required to be destroyed minus

(b) the value of its carcass, as determined by the Minister.

(3) The value mentioned in paragraph (2)(a) shall not exceed any maximum amount established with respect to the animal by or under the regulations.

(4) In addition to the amount calculated under subsection (2), compensation may include such costs related to the disposal of the animal as are permitted by the regulations.


[24]            De plus, l'article 2 du Règlement sur l'Indemnisation en cas de destruction d'animaux fixe un plafond pour l'indemnité versée par le ministre à 600 $ pour les ovins. L'article 2 prévoit :


2._ Pour l'application du    paragraphe 51(3) de la Loi, la valeur marchande d'un animal qui est détruit ou    qui doit l'être en application du paragraphe 48(1) de la Loi ne peut dépasser    :

a) le montant prévu à la colonne 3 de l'annexe, pour tout animal visé à la colonne 1;

Mouton (Ovis aires)---------    600_

2. For the purpose of subsection 51(3) of the Act, the amount that is established as the maximum amount with respect to an animal that is destroyed or required to be destroyed under subsection48(1) of the Act is

(a) if the animal is set out or included in column 1 of an item of the schedule, the amuont set out in column 3 of that item;

Sheep (Ovis aires) ----------600


POSITION DE L'APPELANTE

[25]            L'appelante n'est pas satisfaite avec l'indemnité versée par le ministre pour les deux abattages qui ont eu lieu et croit que le montant ne reflète pas la valeur marchande.


[26]            L'appelante était satisfaite du montant reçu pour le dépeuplement en décembre 2000. À cette époque l'indemnité attribuait 550 $ pour des brebis gestantes et 400 $ pour les brebis non gestantes. L'appelante soutient que le montant attribué était plus raisonnable que celui attribué pour les deux abattages subséquents. L'appelante maintient qu'il est injuste, 10 mois plus tard, lors de l'abattage du 25 octobre 2001, que les brebis gestantes soient évaluées à 400 $ et les brebis non gestantes soient évaluées entre 100 $ à 400 $. L'appelante est également insatisfaite de l'indemnité payée par le ministre suite au deuxième abattage contesté effectué le 8 novembre 2001.

[27]            L'appelante n'accepte pas l'évaluation documentée par les deux évaluateurs. Selon elle, même l'évaluation de M. Forand, malgré le fait qu'elle est plus favorable que celle effectuée par M. Juneau, est inacceptable puisqu'elle fut préparée en hâte sous l'insistance du Dr. Hurtubise. Selon M. Sigouin, M. Forand était insatisfait avec les circonstances de l'évaluation et en désaccord avec l'évaluation de M. Juneau et les prix qu'il a dû préparer à l'insistance du Dr. Hurtubise.

[28]            L'appelante soumet que M. Juneau dans la préparation de son évaluation aurait omis de considérer plusieurs facteurs pertinents. Il a refusé de considérer les critères d'évaluation qui ont été suggérés par M. Forand; il n'a pas tenu compte de l'âge des animaux; il n'a pas tenu compte du type de moutons; il n'a pas tenu compte du type d'élevage; il n'a pas tenu compte de l'état de gestation réelle des brebis; il a refusé d'examiner en détail le registre du troupeau.


[29]            De surplus, l'appelante prétend que M. Juneau n'est pas un producteur d'ovins; il a des connaissances limitées dans la production d'ovins; il n'a pas pu préciser avec facilité les critères qu'il a utilisé pour son évaluation; il a reconnu que le maximum prévu au règlement d'indemnisation était de 600 $ par tête et a néanmoins admis qu'il n'avait jamais accordé plus de 360 $ par tête pour une brebis; il a évalué les brebis à 310 $ par tête et a ajouté 50 $ pour la gestation pour un total de 360 $ par tête le 31 octobre 2001; il ne pouvait pas expliquer la différence de valeur entre l'évaluation faite par Peter Conway en 2000; il a mentionné à plusieurs reprises qu'il avait été peu impressionné par l'état de chair du troupeau de l'évaluation du 31 octobre 2001 même s'il ne connaissait pas l'état de chair du troupeau; il a admis qu'il était normal que l'état de chair des animaux ait diminué car le troupeau, en vu du dépeuplement, était nourri seulement avec du foin.

[30]            L'appelante prétend qu'il n'y a aucun motif pour qu'on lui attribue moins d'argent pour son troupeau en 2001 que son troupeau en 2000. D'autant plus, il allègue que le troupeau de 2001 est de meilleure qualité que celui de 2000.

POSITION DE L'INTIMÉ

[31]            Pour ce qui en est du premier abattage qui a eu lieu le 20 septembre 2001, l'intimé déclare que l'indemnité octroyée à l'appelante pour ses onze (11) animaux est égale à la valeur marchande.


[32]            L'intimé affirme que l'évaluateur, Dr. Bouvier, jouit d'une excellente réputation dans l'évaluation d'ovins et ses services ont été utilisés à de nombreuses reprises par le ministre. L'évaluateur a pris toutes les démarches raisonnables pour déterminer la valeur marchande des animaux. Il a fait plusieurs vérifications auprès du marché et a comparé la valeur d'animaux semblables dans d'autres districts. Dr. Bouvier a tenu compte du fait que l'appelante avait l'intention d'envoyer trois animaux à l'encan et du prix moyen obtenu à l'encan en question dans les années antérieurs. Selon l'intimé, l'évaluation du Dr. Bouvier est raisonnable et devrait être retenue.

[33]            En ce qui a trait au deuxième abattage du 8 novembre 2001, M. Juneau fut l'évaluateur pour le ministre et M. Forand pour l'appelante.

[34]            Comme les deux évaluateurs n'ont pas réussi à s'entendre sur la valeur marchande, le ministre soumet qu'il était justifié de retenir l'évaluation de son évaluateur, soit une valeur marchande de 160 350 $ pour 502 ovins et 22 caprins.

[35]            Il convient de noter qu'après l'indemnité payée à l'appelante, le ministre a remarqué qu'il y avait une erreur de calcul d'environ 14 000 $ en faveur de l'appelante. Le ministre n'a pas exigé le remboursement de ce montant auprès de l'appelante.

[36]            Le ministre affirme également qu'il a obtenu les factures pour l'achat du troupeau en février 2001 et que l'appelante a payé 52 000,00$ pour son troupeau, ce qui constitue une somme de beaucoup inférieure à celle attribuée par le ministre.

[37]            Ainsi, l'intimé allègue que la somme de 163 100 $ versée à l'appelante suite aux deux dépeuplements représente la valeur marchande des animaux et la somme était tout à fait raisonnable.


[38]            L'intimé soumet que la valeur marchande devrait s'exprimer par des données fiables provenant notamment de ventes comparables, de transactions courantes aux enchères ou aux encans. À l'audition, les experts de l'intimé ont également témoigné que la valeur marchande selon eux est établie en fonction de certains facteurs dont notamment la race, le mérite génétique, le sexe, le stade de gestation.

[39]            De plus, le registre du troupeau de l'appelante, selon les Dr. Hurtubise et Bouvier, les témoins de l'intimé, était en forme d'un grand carton affiché sur une porte. Les informations étaient incomplètes; il était impossible de déterminer les périodes d'accouplement, les agnelages depuis l'achat du troupeau en février 2001 ou même les liens entre les agneaux et leurs mères.

[40]            De plus, les deux témoins mentionnés ci-haut avaient été impliqués lors du dépeuplement en 2000, ont eu la chance d'examiner le troupeau en 2000 et ont pu constater que la qualité du registre du troupeau était bien supérieure à celle de 2001.

[41]            L'intimé soumet que la preuve prépondérante est à l'effet que l'appelante présentait en 2001 un registre d'élevage déficient, ce qui expliquerait les valeurs marchandes attribuées à ses animaux. Il était impossible de déterminer quelles brebis étaient gestantes, de déterminer le stade de gestation des brebis possiblement gestantes et de relier entre eux les agneaux et leurs mères.


[42]            Aussi, M. Juneau, l'évaluateur pour l'intimé et témoin expert lors de l'audition, a pu décrire ses qualifications et a soumis qu' il a oeuvré dans le milieu des ovins depuis de nombreuses années, notamment à titre d'évaluateur de la valeur marchande.

[43]            M. Juneau a témoigné que l'état du troupeau était bien en bas de la moyenne et que l'état de chair laissait à désirer. Il a aussi témoigné qu'il n'avait vu un troupeau aussi déficient au niveau du registre d'élevage. Tous les animaux étaient mélangés et n'étaient pas regroupés par stade de gestations et séparés des non gestantes.

[44]            Pour ce qui en est du registre qui était un morceaux de carton affiché à la porte, M. Juneau a admis qu'il n'a pas pu tenir compte des données car il n'y avait rien de pertinent qui était inscrit pour l'aider dans sa détermination de la valeur marchande.

[45]            De plus, le Dr. Bouvier a affirmé avec certitude que les animaux de 2000 étaient en meilleur état de chair, plus gras et plus vigoureux que les animaux de 2001. Aussi, le troupeau de 2000 était différent car il constituait plusieurs pur-sang et aucun pur-sang n'a été identifié dans le troupeau de 2001.


[46]            Pour ce qui en est du stade de gestation, l'intimé soumet que l'appelante n'a pas été en mesure d'indiquer quels animaux étaient gestantes et depuis quand. Ainsi, étant donné que l'évaluation s'est tenue le 31 octobre 2001, soit au milieu de la période naturelle d'accouplement, M. Juneau a élaboré un calcul par moyenne ou il a estimé que 50% des brebis étaient gestantes de 75 jours, 30% des brebis étaient gestantes de 45 jours et 20% des brebis étaient gestantes_de 15 jours. Un montant moyen de 50 $ a donc été accordé. L'intimé argumente que cette méthode est raisonnable étant donné l'impossibilité pour l'appelante de démontrer le stade de gestation.

[47]            Finalement, l'intimé maintient que l'appelante n'a soumis aucun registre des naissances qui aurait permis à l'intimé d'évaluer si les brebis méritaient plus au niveau de la valeur marchande.

[48]            Pour ce qui en est du mérite génétique, M. Juneau, lors de l'audition, a expliqué que si on ne lui soumet pas de papier ou d'enregistrement démontrant que les animaux sont des pur-sang, il ne peut pas leur accorder une valeur marchande supérieure. Il n'y a pas eu de documentation écrite afin de fonder les allégations de M. Sigouin que des ovins pur-sang se retrouvaient dans son troupeau.

[49]            De plus, le témoignage de Mari-Ève Tremblay, agro-économiste au sein de la Fédération des producteurs d'agneaux et de moutons du Québec, a expliqué que sans enregistrement un pur-sang « allégué » n'est tout simplement pas considéré comme un vrai pur-sang, il est considéré comme un sujet croisé.


[50]            Selon l'intimé, la seule documentation soumise par l'appelante est l'extrait de la Société canadienne d'enregistrement des animaux, qui nous indique quels pur-sang appartenant à Luc Dupras étaient enregistrés auprès de ladite Société. L'appelante prétend que les brebis souches de son troupeau de 2001 étaient des pur-sang ayant appartenues à Luc Dupras. Par contre, selon le témoignage de Mari-Ève Tremblay, aucun descendant de ces animaux n'a été enregistré auprès de la Société. Donc, aucune preuve n'a été soumise relativement à la nature et à la qualité de cette descendance.

[51]            En ce qui a trait au stade de gestation à l'époque de l'évaluation, l'intimé soumet que si des brebis étaient à leur dernier stade de gestation, des signes apparents auraient pu être vu dès les premiers 120 jours avant l'évaluation. M. Juneau a témoigné qu'il n'avait pas vu de brebis en agnelage ou près de le devenir.

[52]            L'intimé a soumis que l'appelante n'a pas rencontré son fardeau afin de prouver que les valeurs marchandes en cause étaient déraisonnables.

ANALYSE

[53]            L'article 56 de la Loi donne droit à l'appelante d'interjeter appel du montant accordé par le ministre devant un évaluateur. L'article stipule que les appels sont limités aux questions de l'insuffisance de l'indemnité ou de la justification du refus de l'indemnité:


56.(1)_ Il peut être interjeté    appel devant l'évaluateur soit pour refus injustifié d'indemnisation, soit    pour insuffisance de l'indemnité accordée.

56._ (1) A person who claims    compensation and is dissatisfied with the Minister's disposition of the claim    may bring an appeal to the Assessor, but the only grounds of appeal are that    the failure to award compensation was unreasonable or that the amount awarded    was unreasonable.



[54]            Pour ce qui en est de l'insuffisance de l'indemnité, on doit se fonder sur le critère de ce qui est raisonnable. La juge Tremblay-Lamer,_ Évaluateur dans Ferme Avicole Héva Inc. c. Canada (Ministre de l' Agriculture) [1998] A.C.F. no. 1021 indique au paragraphe 9 :

En ce qui a trait à l'insuffisance de    l'indemnité, la jurisprudence interprétant l'article 56 a retenu, en se    fondant sur le libellé anglais de l'article, le critère de ce qui est "raisonnable".

[55]            De plus, le Juge Strayer, aussi cité par la Juge Tremblay-Lamer dans Ferme Avicole Héva Inc., précité, confirme le critère de raisonnabilité dans Nelson c. Canada (Minister of Agriculture) [1991] F.C.J. No.1003 :

The appeal is in effect a trial of the issue of whether the compensation ordered by the Minister was "unreasonable", presumably having regard to the criteria laid down for the Minister whereby he is to determine what in his opinion is the market value that the animal ... would have had immediately before it was destroyed under this Act ...

[56]            L'appelante maintient essentiellement que son troupeau dépeuplé en 2001 était de qualité supérieure ou équivalente au troupeau qu'elle possédait en l'an 2000. En conséquence, il est injuste et déraisonnable pour le ministre de verser une indemnité moins élevée pour le troupeau détruit en 2001 que l'indemnité payée en 2000.


[57]            La preuve ne me permet pas de conclure que le troupeau de 2001 était de qualité supérieure ou équivalente au troupeau dépeuplé en l'an 2000. La preuve démontre que le registre en 2000 permettait l'identification des animaux, soit par tatouages dans les oreilles, soit par des étiquettes à la naissance. Le registre en 2001 causa des difficultés car on ne pouvait pas clairement identifier les animaux. Comme expliqué par le Dr. Bouvier durant son témoignage, l'information qui était sur le registre de l'appelante était incomplète et il était impossible de déterminer les périodes d'accouplement, les agnelages depuis l'achat du troupeau 2001 ou même les liens entre les agneaux et leurs mères. Je suis aussi en accord avec les prétentions de l'intimé que la preuve prépondérante est à l'effet que l'appelante présentait en 2001 un registre d'élevage déficient, ce qui justifierait en partie les valeurs marchandes attribuées à ses animaux.

[58]            Pour ce qui en est du mérite génétique, il n'y avait aucun certificat d'enregistrement ou aucune documentation pour faire preuve du mérite génétique du troupeau en l'an 2001. De plus, aucun descendant des animaux qui appartenait à Luc Dupras et qui ont été achetés par l'appelante a été enregistré auprès de la Société canadienne d'enregistrement des animaux. Alors, à mon avis, M. Juneau était justifié de ne pas accorder un montant supérieur dans son évaluation en raison du mérite génétique pour le troupeau de 2001.

[59]            Afin de calculer le montant octroyé pour la gestation, M. Juneau a fait état d'un montant accepté par les évaluateurs d'ovins au Québec, soit 1$ par journée de gestation, pour un maximum de 150 $ étant donné que la gestation d'un ovin est d'environ 150 jours maximum. Étant donné que l'évaluation s'est tenue le 31 octobre 2001, soit au milieu de la période naturelle d'accouplement M. Juneau a élaboré un calcul par moyenne plus particulièrement décrit au paragraphe 43 de ces motifs. Ce qui en résulte est un montant fixé à 50$ pour le facteur de gestation. Donc, il a établi que les valeurs marchandes des brebis gestantes à 360 $ et des brebis non gestantes à 310 $. Aucune preuve a été soumise pour contredire ce calcul. À mon avis, cette méthodologie me parait acceptable et à défaut de preuve contraire, je conclu que le calcul qui en résulte est raisonnable.


[60]            M. Juneau a aussi témoigné que l'état du troupeau en 2001 était bien en bas de la moyenne et que l'état de chair laissait à désirer. Le Dr. Bouvier a affirmé avec certitude que les animaux de 2000 étaient en meilleur état de chair, plus gras et plus vigoureux que les animaux de 2001. L'appelante soumet qu'au moment ou elle a su que les animaux allaient être dépeuplés, elle les a nourris uniquement avec du foin, qui selon elle, était le résultat de leur chair qui était en bas de la moyenne. L'appelante argumente que ce fait n'était pas considéré par M. Juneau lors de son évaluation. Cet argument ne peut avoir de portée. L'indemnité payable au propriétaire est basée sur la valeur marchande de l'animal au moment de l'évaluation selon le paragraphe 51(2) de la Loi.

[61]            M. Juneau a oeuvré dans le milieu des ovins depuis de nombreuses années notamment à titre d'évaluateur de la valeur marchande. Il a pu décrire les critères qu'il a utilisé en effectuant son évaluation. Je suis satisfait que son évaluation était faite avec rigueur, je reconnais son expertise et j'accepte son opinion en ce qui a trait à la valeur marchande du troupeau qui fait l'object de ce litige. Il n'y a aucune autre preuve d'expert pour miner l'opinion exprimée par M. Juneau._ Je reconnais que M. Sigouin a témoigné honnêtement sur les circonstances de l'évaluation et a fait état de ses préoccupations. Tout de même, je n'ai pas entendu son évaluateur, M. Forand. Ce dernier n'était pas présent pour témoigner. Je ne vois rien dans la preuve qui me permet de conclure que l'évaluation effectuée par M. Juneau est déraisonnable.


CONCLUSION

[62]            L'ensemble de la preuve me permet de conclure que l'évaluation du troupeau de l'appelante dépeuplé en 2001, effectuée par M. Juneau, et sur laquelle le ministre fonde sa décision sur le montant d'indemnité payable à l'appelante n'est pas déraisonnable. Je suis d'avis que cette évaluation représente la valeur marchande des ovins et caprins détruits lors du dépeuplement. L'appelante n'a pas rencontré son fardeau de prouver que les valeurs marchandes en cause étaient déraisonnables. En conséquence, l'appel est rejeté.

                                                                   JUGEMENT

Les appels interjetés par la Ferme Siclo_ devant l'évaluateur à l'encontre des indemnités accordées par le ministre de l'agriculture et de l'agroalimentaire pour la destruction d'ovins (moutons) et de caprins (chèvres) atteints d'une maladie connue sous le nom de « tremblante du mouton » sont rejetées.

                                                                                                                      « Edmond P. Blanchard »             

                                                                                                                                  Évaluateur adjoint               


                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

                                                                             

DOSSIER :                                         P-4-01

INTITULÉ :                                        Ferme Siclo c. Ministre de l'agriculture et de l'agroalimentaire

LIEU DE L'AUDIENCE :                  Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                12 janvier 2004

MOTIFS [de l'ordonnance ou du jugement] : Le juge Blanchard

DATE DES MOTIFS :                       le 18 juin 2004

COMPARUTIONS :

Me Paul Claude Bérubé                                                 POUR L'APPELANTE

Me Patricia Gravel                                                         POUR L'INTIMÉ

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Me Paul Claude Bérubé                                                 POUR L'APPELANTE

225-145, boul. St-Joseph

Saint-Jean-sur-Richelieu (Qc) J3B 1W5

Morris Rosenberg                                                          POUR L'INTIMÉ

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Qc) H2Z 1X4


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