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Date : 20200128


Dossier : T-1498-16

Référence : 2020 CF 146

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Montréal (Québec), le 28 janvier 2020

En présence de madame la juge Roussel

ENTRE :

BOWDY’S TREE SERVICE LTD.

demanderesse

et

THERIAULT INTERNATIONAL LTD.

défenderesse

et

CRAIG THERIAULT

Auteur d’outrage au tribunal

ORDONNANCE ET MOTIFS

[1]  Dans l’ordonnance du 25 octobre 2019 [ordonnance pour outrage] que j’ai rendue, le défendeur, monsieur Craig Theriault, a été reconnu coupable d’outrage au tribunal pour défaut de se conformer à l’ordonnance du 11 janvier 2019 rendue par monsieur le juge Robert L. Barnes. Aux termes de cette ordonnance [ordonnance de production], M. Theriault devait, au nom de la défenderesse, Theriault International Marine and TI Marine 2018 Ltd [collectivement désignées comme les entités Theriault], produire pour examen, dans le cadre d’un interrogatoire à l’appui d’une exécution forcée, certains documents relevant de dix‑sept (17) catégories de renseignements.

[2]  Cette procédure pour outrage a été disjointe afin de traiter séparément la conclusion d’outrage et la détermination de la peine, vu la décision rendue par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Winnicki c Canada (Commission des droits de la personne), 2007 CAF 52, et l’absence de M. Theriault à l’audience pour outrage du 6 mai 2019. Comme le prévoyait l’ordonnance pour outrage, l’audience de détermination de la peine s’est tenue le 9 janvier 2020 par vidéoconférence : la demanderesse a comparu devant la Cour fédérale à Vancouver (Colombie‑Britannique) tandis que M. Theriault a comparu en personne devant la Cour fédérale à Fredericton (Nouveau‑Brunswick).

[3]  Le 2 janvier 2020, la demanderesse a sollicité l’autorisation de déposer des observations écrites, auxquelles étaient jointes une liste de sources et l’ébauche d’un mémoire de frais, aux fins de l’audience prévue de détermination de la peine. J’ai fait droit à sa demande le lendemain dans une instruction verbale, en précisant que si M. Theriault souhaitait déposer des observations écrites en réponse à celles de la demanderesse sur la détermination de la peine, il devait les lui signifier et les déposer auprès de la Cour avant la fin de la journée le 8 janvier 2020. M. Theriault ne s’est pas prévalu de cette opportunité.

[4]  Lorsque l’audience a débuté le 9 janvier 2020, j’ai demandé aux parties si elles avaient l’intention de produire des éléments de preuve avant de présenter leurs observations sur la sanction qu’il convenait d’imposer pour l’outrage au tribunal. L’avocat de la demanderesse a répondu par la négative. M. Theriault a indiqué pour sa part qu’il souhaitait témoigner en faveur d’une peine plus clémente.

[5]  M. Theriault a déclaré durant son témoignage qu’il n’avait pas pu se conformer à l’ordonnance de production, car son épouse, qui faisait « partie » de la défenderesse, avait dû quitter le pays en raison des allégations de fraude faites par l’avocat de la demanderesse, dans la déclaration introductive d’instance et dans la correspondance entre les parties avant que ladite déclaration ne soit transmise. Durant son témoignage, M. Theriault a déclaré avec insistance que les allégations de fraude en question étaient fausses et qu’il avait dû signaler cela aux autorités de l’immigration étant donné qu’une demande d’immigration au titre du programme fédéral de parrainage des époux avait été soumise au nom de son épouse. Après que celle-ci a été sommée de quitter le Canada, il n’a pas pu se défendre contre l’action de la demanderesse parce qu’il était une [traduction« épave mentalement et émotionnellement », un état qui a duré pendant environ deux (2) ans. Il a vu son épouse pour la dernière fois en juin 2016. Comme elle faisait partie « de la défenderesse », l’entreprise a été dissoute après son départ. Dans les grandes lignes, M. Theriault reproche à l’avocat de la demanderesse de lui avoir enlevé son épouse.

[6]  Après avoir entendu M. Theriault, je l’ai invité ainsi que la demanderesse à présenter des observations concernant la peine appropriée.

[7]  La demanderesse fait valoir que la Cour devrait imposer à M. Theriault une amende allant de 2 000 à 3 000 $, et l’obliger aussi à acquitter les dépens s’élevant à 5 662 $, comme l’indique l’ébauche révisée de son mémoire de frais. Elle sollicite également une ordonnance enjoignant à M. Theriault de produire dans les trente (30) jours de la présente ordonnance de détermination de la peine les documents mentionnés dans l’ordonnance de production, mais elle ne réclame pas de peine d’emprisonnement automatique en cas de non-conformité.

[8]  M. Theriault fait valoir qu’il a suffisamment été puni par la « perte » de son épouse.

[9]  L’article 472 des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106 [les Règles], porte sur les peines, y compris les amendes et les incarcérations, qui peuvent être imposées après une conclusion d’outrage au tribunal. Cette disposition prévoit :

472 Lorsqu’une personne est reconnue coupable d’outrage au tribunal, le juge peut ordonner :

472 Where a person is found to be in contempt, a judge may order that

a) qu’elle soit incarcérée pour une période de moins de cinq ans ou jusqu’à ce qu’elle se conforme à l’ordonnance;

(a) the person be imprisoned for a period of less than five years or until the person complies with the order;

b) qu’elle soit incarcérée pour une période de moins de cinq ans si elle ne se conforme pas à l’ordonnance;

(b) the person be imprisoned for a period of less than five years if the person fails to comply with the order;

c) qu’elle paie une amende;

(c) the person pay a fine;

d) qu’elle accomplisse un acte ou s’abstienne de l’accomplir;

(d) the person do or refrain from doing any act;

e) que les biens de la personne soient mis sous séquestre, dans le cas visé à la règle 429;

(e) in respect of a person referred to in rule 429, the person’s property be sequestered; and

f) qu’elle soit condamnée aux dépens.

(f) the person pay costs.

[10]  Les principes applicables à la détermination de la peine dans les instances d’outrage au tribunal ont récemment été examinés par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Tremaine c Canada (Commission des droits de la personne), 2014 CAF 192 [Tremaine]. La Cour a rappelé les principes suivants aux paragraphes 19 à 26 :

[19]  Dans les cas d’outrage de nature civile, les principes ordinaires de détermination de la peine en matière d’outrage de nature criminelle jouent (Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c. Canadian Liberty Net, [1996] 1 C.F. 787, [1996] A.C.F. no 100 (C.A.), à la page 801 [Liberty Net]; 9038-3746 Quebec Inc. C. Microsoft Corporation, 2010 CAF 151, [2010] A.C.F. no 758, au paragraphe 5) […]

[21]  Afin de déterminer ce qui constitue une peine « indiquée » dans un cas donné, le juge chargé de la détermination de la peine doit tenir compte de l’échelle des peines infligées relativement à des infractions similaires dans la jurisprudence et ajuster la peine en fonction des objectifs de détermination de la peine et de toute circonstance aggravante ou atténuante pertinente à l’affaire dont il est saisi (R. c. Nasogaluak, 2010 CSC 6, [2010] 1 R.C.S. 206, au paragraphe 43; Institut professionnel de la fonction publique du Canada c. Bremsak, 2013 CAF 214, [2013] A.C.F. no 1009, au paragraphe 33 [Bremsak]).

[22]  Le juge doit également tenir compte de l’importance de la dissuasion spécifique et générale pour préserver la confiance du public envers l’administration de la justice, tout en respectant le principe de la proportionnalité en matière de détermination de la peine (Canada (Ministre du Revenu national) c. Marshall, 2006 CF 788, [2006] A.C.F. no 1008, au paragraphe 16 [Marshall].

[23]  La jurisprudence consacre la gamme de circonstances aggravantes et atténuantes que le juge peut prendre en compte au moment d’infliger une amende et/ou une peine d’emprisonnement relativement à une déclaration de culpabilité pour outrage. Par exemple, le juge a pour directive d’examiner la gravité de l’outrage au regard des faits de l’affaire dont il est saisi, sur le plan de l’administration de la justice (voir Baxter Travenol Laboratories of Canada, Ltd. c. Cutter Canada, Ltd., [1987] 2 C.F. 557, [1987] A.C.F. no 205, à la page 562 (C.A.) [Baxter]; Winnicki c. Canada (Commission des droits de la personne), 2007 CAF 52, [2007] A.C.F. no 56, au paragraphe 17 [Winnicki], citant avec approbation Lyons Partnership, L.P. c. MacGregor, 186 F.T.R. 241, [2000] A.C.F. no 341). Sont visées notamment « la gravité objective du comportement constituant un outrage au tribunal [et] la gravité subjective de ce comportement (à savoir si le comportement constitue un manquement de forme ou si le contrevenant a agi de façon flagrante en sachant bien que ses actions étaient illégales) » (voir Marshall au paragraphe 16; Bremsak au paragraphe 35). La jurisprudence qualifie parfois la gravité de l’infraction de « circonstance aggravante » (voir, par ex., Marshall, au paragraphe 16). Toutefois, dans d’autres cas, la jurisprudence relève simplement que la gravité de l’infraction doit être prise en compte; l’on peut en inférer que si la gravité est au bas de l’échelle, elle peut également constituer une circonstance neutre ou atténuante (voir, par ex., Baxter, à la page 562; Canada (Revenu National) c. Ryder, 2014 CF 519, [2014] A.C.F. n561, au paragraphe 8).

[24]  Quant aux autres circonstances atténuantes à prendre en compte, il faut rechercher s’il s’agit d’une première infraction (p. ex., Canada (Procureur général) c. De L’Isle, [1994] A.C.F. no 955, 56 C.P.R. (3d) 371 (C.A), au paragraphe 10; Winnicki, au paragraphe 17) et si le contrevenant s’est excusé, s’il a admis sa responsabilité ou s’il a fait des efforts de bonne foi pour se conformer à l’ordonnance (Bremsak, au paragraphe 35, citant avec approbation Marshall, au paragraphe 16).

[25]  En revanche, lorsque le contrevenant a enfreint à maintes reprises des ordonnances judiciaires ou a refusé de s’excuser ou de prendre des mesures pour se conformer à l’ordonnance, il peut y avoir circonstances aggravantes (ibidem, au paragraphe 16).

[26]  Ces circonstances donnent des indications utiles aux fins de la détermination de la peine, mais elles ne sont pas exhaustives. Le juge dispose d’un large pouvoir discrétionnaire pour déterminer la sanction appropriée en cas d’outrage de nature civile, en se fondant sur les faits de l’affaire dont il est saisi (Bremsak, au paragraphe 36).

[11]  S’agissant d’appliquer ces principes à la présente affaire, je conviens avec la demanderesse que les instances d’outrage au tribunal liées au non-respect d’ordonnances rendues en vertu de l’article 231.7 de la Loi de l’impôt sur le revenu, LRC 1985, c 1 (5e suppl.), et au défaut de fournir des renseignements et des documents précis réclamés par le ministre du Revenu national sont suffisamment semblables aux ordonnances de production de documents rendues dans le cadre d’actions coercitives. Je suis convaincue que les directives qu’elles fournissent permettront de déterminer la peine appropriée dans les circonstances de la présente affaire.

[12]  Les décisions suivantes illustrent l’éventail des amendes et des dépens ayant été adjugés dans des affaires où des ordonnances de production n’avaient pas été respectées :

a)  Canada (Revenu national) c Gray, 2019 CF 352 [Gray] : Il a été ordonné au défendeur de verser une amende de 3 000 $ et d’acquitter les dépens s’élevant à 2 384,86 $. Parmi les facteurs considérés, la Cour a fait remarquer que le défendeur ne s’était pas présenté à l’audience de détermination de la peine et qu’il était important de s’assurer qu’il ne désobéisse pas de nouveau aux ordonnances de la Cour. S’agissant des circonstances atténuantes, la Cour a souligné qu’elle ne disposait d’aucune preuve établissant que le défendeur avait déjà manqué de se conformer à des ordonnances judiciaires ou qu’il avait été reconnu coupable d’outrage au tribunal (para. 9 et 10, 12 et 13);

  • b) Canada (Revenu national) c Chi, 2018 CF 897 : Il a été ordonné au défendeur de verser une amende de 2 000 $ et d’acquitter les dépens s’élevant à 3 500 $. Parmi les facteurs considérés, la Cour a relevé la gravité de l’outrage au tribunal et le fait qu’aucune excuse raisonnable n’avait été fournie pour justifier la non‑conformité. Parmi les circonstances atténuantes figuraient les excuses présentées par le défendeur, la production de certains des renseignements et documents réclamés au titre de la demande de renseignements et le fait qu’il s’agissait de sa première infraction (par. 55);

  • c) Canada (Revenu national) c Blake, 2017 CF 901 : Il a été ordonné à la défenderesse de verser une amende de 3 000 $ et d’acquitter les dépens s’élevant à 3 969,63 $. Parmi les facteurs considérés, la Cour a relevé le défaut de la défenderesse de se présenter, l’absence d’observations sur la peine appropriée, l’opportunité qui lui a été offerte de se libérer de sa condamnation pour outrage et son défaut de fournir une explication raisonnable pour ses actes et omissions (par. 22);

  • d) Canada (Revenu national) c Schimpf, 2015 CF 1354 : Il a été ordonné à la défenderesse de verser une amende de 3 000 $ et d’acquitter les dépens s’élevant à 7 000 $. Parmi les facteurs considérés, la Cour a souligné l’absence de preuve attestant des condamnations précédentes pour outrage au tribunal, tout en précisant que la défenderesse avait refusé de se présenter en Cour pour faire valoir d’éventuelles circonstances atténuantes (par. 25);

  • e) Canada (Revenu national) c Bélanger, 2014 CF 127 : Il a été ordonné au défendeur de verser une amende de 1 500 $ et d’acquitter les dépens s’élevant à 2 500 $. Parmi les facteurs pris en compte, la Cour a souligné qu’il s’agissait de la première déclaration de culpabilité du défendeur et qu’il avait comparu à l’audience pour outrage. Elle a également fait remarquer que même s’il avait produit certains documents, le défendeur ne s’était pas conformé à l’ordonnance puisqu’il n’avait pas produit la totalité d’entre eux et qu’il avait aussi tenté de s’esquiver en ne rendant pas des appels téléphoniques. Comptable agréé de profession, il était bien placé pour comprendre ses obligations fiscales (par. 35);

  • f) Canada (Revenu national) c Cameron, 2014 CF 482 : Il a été ordonné au défendeur de verser une amende de 5 000 $ et d’acquitter les dépens s’élevant à 5 822,34 $. La Cour a souligné que le défendeur avait commis l’infraction intentionnellement et nonobstant sa comparution à l’audience pour outrage, il avait refusé de reconnaître les exigences contenues dans les ordonnances de la Cour ou la compétence de la Cour sur sa personne (par. 8);

  • g) Canada (Revenu national) c Vallelonga, 2013 CF 1155 : Il a été ordonné au défendeur de verser une amende de 3 000 $ et d’acquitter les dépens s’élevant à 14 731,59 $. La Cour a tenu compte de la conduite du défendeur tout au long de l’instance, en particulier le fait qu’il avait complètement ignoré la demande de renseignements, n’avait jamais affiché d’intention véritable de collaborer avec le demandeur, n’avait pas donné suite à plusieurs lettres envoyées ni aux invitations à des rencontres organisées par le demandeur; et lorsqu’il avait donné suite à ces lettres, ses réponses avaient consisté en de longues lettres rébarbatives exigeant le paiement immédiat de coûts payés d’avance entre autres choses. S’agissant des circonstances atténuantes, la Cour a souligné que le défendeur s’était présenté devant la Cour et engagé à fournir au demandeur les renseignements demandés; il s’agissait aussi de sa première infraction (par. 27 et 28).

Voir également :  Canada (Revenu national) c Ryder, 2014 CF 519

(Amende : 1 250 $; dépens : 1 100 $)

Canada (Revenu national) c Marangoni, 2013 CF 1154

(Amende : 500 $; dépens : 1 000 $)

Canada (Revenu national) c Bosnjak, 2013 CF 399

(Amende : 3 000 $; dépens : 4 115,59 $)

[13]  En plus d’imposer les amendes et dépens susmentionnés aux auteurs d’outrage au tribunal, la Cour a également ordonné la conformité totale aux ordonnances initiales dans un délai moyen de trente (30) à soixante (60) jours.

[14]  S’agissant de l’affaire qui nous occupe, je dois souligner que la désobéissance à une ordonnance de la Cour est grave (Gray, au par. 10). Comme le faisait remarquer la Cour dans Canada (Ministre du Revenu national) c Marshall, 2006 CF 788 [Marshall], le « but principal des sanctions imposées est d’assurer le respect des ordonnances du tribunal. La dissuasion, particulière et générale, est importante afin de maintenir la confiance du public envers l’administration de la justice » (Marshall, au par. 16; Tremaine, au par. 22). La production de documents pour examen dans le cadre d’un interrogatoire à l’appui d’une exécution forcée, aux fins de l’exécution d’un jugement, fait partie intégrante de l’administration de la justice et il est essentiel que les parties se conforment aux ordonnances de production de la Cour.

[15]  Après avoir examiné le dossier de la Cour, j’estime que M. Theriault a plusieurs fois fait preuve de mépris à l’égard des ordonnances et du processus de la Cour. Il n’a pas déposé de défense au nom de la défenderesse lorsque la déclaration introductive d’instance lui a initialement été signifiée, si bien qu’un jugement par défaut défavorable à cette dernière a été rendu le 28 juin 2017. Lorsqu’il a dû se présenter à l’interrogatoire à l’appui d’une exécution forcée, il n’a produit que quatre (4) pages de relevés bancaires alors qu’il était tenu, au nom des entités Theriault, de produire des documents relevant de dix‑sept (17) catégories de renseignements. Il a également pris la liberté de caviarder certains des renseignements contenus dans les relevés bancaires, et même s’il a apporté des documents qu’il a décrits comme les documents constitutifs de TI Marine 2018 Ltd, il a refusé de les laisser au mandataire de la demanderesse. De plus, il a décidé de ne pas comparaître à l’audience pour outrage du 6 mai 2019 alors qu’il avait reçu une signification en bonne et due forme, et il n’a pas avisé la Cour de son absence.

[16]  J’ai examiné le témoignage de M. Theriault selon lequel il ne peut pas obtenir les documents demandés parce qu’il a besoin pour ce faire de la signature et de l’autorisation de son épouse. Il prétend que cette dernière fait « partie » de la défenderesse et qu’il n’est plus en contact avec elle depuis qu’elle a dû partir du Canada à cause des actions de l’avocat de la demanderesse.

[17]  Je ne suis pas convaincue par l’explication de M. Theriault.

[18]  Premièrement, l’ordonnance de production prévoyait expressément que si M. Theriault souhaitait être dispensé de l’obligation de produire l’un des documents énumérés, dans sa version originale ou reproduite, il pouvait présenter une requête à cet effet dans les quatorze (14) jours de la signification de l’ordonnance de production. M. Theriault n’a pas déposé de telle requête auprès de la Cour.

[19]  Deuxièmement, en dehors de son témoignage, M. Theriault n’a produit aucune preuve établissant que son épouse était administratrice, dirigeante ou mandataire de l’une des entités Theriault. En fait, la preuve au dossier montre qu’en date du 19 septembre 2016, M. Theriault était le seul directeur, dirigeant et mandataire reconnu de la société défenderesse, et qu’il l’est resté au moins jusqu’au 26 juin 2018 (voir les pièces D et E auxquelles renvoie l’affidavit de l’avocat de la demanderesse, déposé à l’appui de l’avis de requête ex parte présenté par cette dernière relativement à l’interrogatoire à l’appui d’une exécution forcée aux pages 53 et 54, 59 et 60). Le profil de la société défenderesse indique par ailleurs que le dernier changement d’administrateurs est survenu le 6 mai 2014. La période à l’égard de laquelle M. Theriault était tenu de produire les renseignements et les documents allait du 1er janvier 2015 au 11 janvier 2019. Il n’a pas expliqué de manière raisonnable et convaincante pourquoi il n’a pas pu accéder aux documents concernant la défenderesse lorsqu’il en était le seul administrateur, dirigeant et mandataire reconnu.

[20]  Compte tenu de ce qui précède, je ne suis pas convaincue que la désobéissance de M. Theriault à l’ordonnance de production équivaille à une violation technique ou à un malentendu.

[21]  J’aimerais également formuler des commentaires au sujet du témoignage de M. Theriault selon lequel son épouse est partie du Canada en raison des allégations de fraude avancées par l’avocat de la demanderesse. M. Theriault maintient que la correspondance des parties et la déclaration introductive d’instance contenaient des allégations de fraude, qu’il a été obligé de rapporter aux autorités de l’immigration. Il n’a pas clairement expliqué la teneur des allégations en question, mais il conteste, semble-t-il, l’argument de la demanderesse portant que la défenderesse lui a vendu un moteur marin tout à fait différent de celui qu’elle s’était engagée par contrat à lui vendre et à lui livrer. M. Theriault n’a pas expliqué de façon raisonnable quelle autorité l’avait obligé à signaler les soi‑disant allégations de fraude, et je ne peux dans le contexte de la présente audience de détermination de la peine, infirmer un jugement par défaut.

[22]  J’estime également que le défaut de M. Theriault de présenter des excuses pour le non‑respect de l’ordonnance de production ou d’assumer la moindre responsabilité à l’égard de sa conduite sont des facteurs aggravants. Même s’il a reconnu qu’il n’avait pas respecté les conditions de l’ordonnance de production, il était apparent durant l’audience de détermination de la peine qu’il tenait l’avocat de la demanderesse responsable de la « perte » de son épouse et de son incapacité à produire les documents requis pour examen. Je souligne aussi que, à ce jour, il n’a pas fourni les renseignements demandés.

[23]  Au moment de déterminer la peine appropriée, je me dois également de prendre en compte toutes les circonstances atténuantes qui appuieraient une peine plus clémente. Dans les circonstances de la présente affaire, je souligne que M. Theriault a participé à l’instance de détermination de la peine et qu’aucun autre élément de preuve au dossier n’indique qu’il a déjà contrevenu à une ordonnance de la Cour. De plus, même si les circonstances ayant entouré le départ de son épouse demeurent pour moi obscures, je crois comprendre de son témoignage que ce départ lui a causé de la douleur et a affecté sa conduite.

[24]  Après avoir examiné la jurisprudence pertinente et les circonstances particulières de la présente affaire, je suis convaincue, dans l’exercice de mon pouvoir discrétionnaire, qu’une amende de 2 000 $ refléterait comme il se doit la gravité de l’outrage ainsi que l’intérêt public quant à la dissuasion.

[25]  S’agissant des dépens, la jurisprudence de la Cour reconnaît que la partie qui aide la Cour à faire exécuter ses ordonnances et à en assurer le respect ne devrait pas être mise à contribution (Canada (Ministre du Revenu national) c Bjornstad, 2006 CF 818, au par. 12). Bien que la demanderesse sollicite des dépens de 5 662 $ suivant la colonne V du tarif B des Règles, j’estime que des dépens de 4 000 $, incluant les taxes et les débours, sont plus raisonnables et qu’ils concordent davantage avec les dépens adjugés dans les affaires susmentionnées, la nature de l’outrage et la somme due par la défenderesse aux termes du jugement par défaut.

[26]  M. Theriault sera également tenu de se conformer à l’ordonnance de production.

[27]  Le paiement de l’amende et l’acquittement des dépens de la demanderesse, ainsi que la communication des renseignements et des documents énumérés dans l’ordonnance de production doivent avoir lieu dans les soixante (60) jours de la signification de la présente ordonnance. À l’audience, l’avocat de la demanderesse a indiqué avec insistance qu’il ne demandait pas à ce que M. Theriault se voie imposer une peine d’emprisonnement automatique au cas où il ne paierait pas les sommes ordonnées et ne fournirait pas les documents et les renseignements dans le délai prescrit. Même si je crains que la présente affaire soit de nouveau renvoyée devant la Cour si une telle ordonnance n’est pas rendue, j’estime qu’il convient d’accorder à M. Theriault l’opportunité de se conformer aux ordonnances de la Cour avant d’envisager une peine d’emprisonnement.


ORDONNANCE dans le dossier T-1498-16

LA COUR ORDONNE que :

  1. La demanderesse signifie sur‑le‑champ à M. Craig Theriault et à la défenderesse une copie certifiée de la présente ordonnance et de ses motifs par signification substitutive, selon les modalités suivantes :

  • a) par courrier, aux adresses suivantes :

(i)  Boîte postale 561, Florenceville-Bristol (N.‑B.) E2J 2C3;

(ii)  337, avenue Rothesay, bureau 168, Saint John (N.‑B.) E7L 1Y8;

  • b) par courriel, aux adresses suivantes :

(i)  captaintheriault@icloud.com;

(ii)  mail@timarine.com;

(iii)  craig@timarine.com;

  1. La demanderesse dépose la preuve de cette signification substitutive auprès du greffe de la Cour au plus tard cinq (5) jours après la signification;

  2. Cette signification substitutive prenne effet le 10e jour suivant la date de la mise à la poste des documents, conformément au paragraphe 143(2) des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106 [les Règles];

  3. M. Theriault, dans les soixante (60) jours de la signification effective de la présente ordonnance :

  • a) paie une amende de 2 000 $ à la Cour conformément au paragraphe 149(1) des Règles;

  • b) verse à la demanderesse les dépens s’élevant à 4 000 $;

  • c) remette à la demanderesse les renseignements et les documents énumérés dans l’ordonnance de la Cour du 11 janvier 2019, jointe à la présente ordonnance à l’annexe A;

  1. Si M. Theriault ne se conforme pas aux conditions de la présente ordonnance, la demanderesse pourra présenter une requête en délivrance d’un mandat afin de le faire arrêter et de le présenter à un juge de notre Cour à qui il expliquera pourquoi il ne devrait pas être incarcéré pendant un temps ou jusqu’à ce qu’il se conforme à l’ordonnance de la Cour du 11 janvier 2019.

« Sylvie E. Roussel »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 19e jour de mars 2020.

Claude Leclerc, traducteur


ANNEXE A

En-tête de la Cour fédérale et ses armoiries

Date : 20190111

Dossier : T-1498-16

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Vancouver (Colombie‑Britannique), le 11 janvier 2019

En présence de monsieur le juge Barnes

ENTRE :

BOWDY’S TREE SERVICE LTD.

demanderesse

et

THERIAULT INTERNATIONAL LTD.

défenderesse

 

 

ORDONNANCE

  COMPTE TENU DE LA REQUÊTE EX PARTE DE LA DEMANDERESSE datée du 27 décembre 2018 et visant à obtenir un jugement au titre des articles 82, 87, 91, 94 et 369 des Règles des Cours fédérales;

ET COMPTE TENU de l’affidavit de Keith Boutwell, établi sous serment le 22 décembre 2018; de J. William Perrett, établi sous serment le 10 décembre 2018; de J. William Perret, établi sous serment le 25 décembre 2018; de Keith Boutwell, établi sous serment le 15 mai 2018 (précédemment déposé); de Keith Boutwell, établi sous serment le 20 juin 2017 (précédemment déposé); de Darlene Jamieson, établi sous serment le 7 avril 2017 (précédemment déposé), et des autres éléments contenus dans le dossier de requête de la demanderesse;

  LA COUR ORDONNE que :

1.  La demanderesse (créancière judiciaire) puisse transmettre, par signification substitutive, à monsieur Craig Theriault, le seul administrateur, dirigeant et mandataire de la défenderesse (débitrice judiciaire), Theriault International Marine and T1 Marine 2018 Ltd, une assignation à comparaître selon la formule 91, au moins quinze (15) jours avant la date de l’interrogatoire, selon les modalités suivantes :

a.  envoi par courrier ordinaire d’une copie de l’assignation à comparaître ainsi que d’une copie de la présente ordonnance aux adresses suivantes : Boîte postale 561, Florenceville Bristol (Nouveau‑Brunswick) E2J 2C3; 337, avenue Rothesay, bureau 168, Saint John (Nouveau‑Brunswick) E7L 1Y8, à l’attention de Theriault International Marine; TI Marine 2018 et de M. Craig Theriault;

b.  envoi par courriel d’une copie de l’assignation à comparaître et d’une copie de la présente ordonnance aux adresses suivantes : captaintherialut@icloud.com; et mail@timarine.com

2.  L’interrogatoire soit mené par vidéoconférence; qu’il se déroule à l’adresse suivante : 82, rue Westmorland, bureau 100, Fredericton (Nouveau‑Brunswick) E3B 3L3; à la date et à l’heure fixées dans l’assignation à comparaître;

3.  M. Theriault, au nom de la défenderesse, Theriault International Marine et TI Marine 2018 Ltd, produise, pour examen durant l’interrogatoire, les originaux des documents suivants existants (ou qui pourraient avoir existé à la date de la présente requête et, s’ils ne sont pas normalement disponibles, des copies) :

a.  tous les dépôts de noms de sociétés par actions, de sociétés de personnes ou d’entreprises du 1er janvier 2015 à aujourd’hui;

b.  les dossiers indiquant le nom de chaque actionnaire/associé et des administrateurs/dirigeants depuis le 1er janvier 2015 jusqu’à ce jour, ainsi que des précisions sur les actions détenues dans les sociétés par actions ou l’intérêt dans les sociétés de personnes;

c.  les états financiers annuels de chaque société par actions ou dénomination sociale du 1er janvier 2015 à ce jour;

d.  les documents indiquant l’endettement de chacun ainsi que les montants et les copies de tout contrat de garantie;

e.  les documents fournissant les détails de tout prêt accordé à des actionnaires ou sociétés de personnes;

f.  les documents indiquant le nombre de personnes/administrateurs/dirigeants/associés employés ou autrement engagés du 1er janvier 2015 à ce jour;

g.  les documents bancaires ou autres documents financiers se rapportant à la période allant du 1er janvier 2015 à ce jour (y compris les détails relatifs aux comptes de chacun);

h.  l’ensemble des transactions financières ou autres perceptions d’intérêts conclues entre les entreprises/sociétés de personnes et/ou entre les actionnaires/sociétés de personnes /entreprises/ sociétés de personnes du 1er janvier 2015 à ce jour;

i.  les documents indiquant les noms de tous les « mandataires reconnus » pour chaque société par actions, la date de leur nomination et, le cas échéant, les dates auxquelles ils ont cessé de l’être;

j.  les documents relatifs aux biens immobiliers dont chacun est propriétaire ou locataire/bailleur et les éventuels contrats de sûreté afférents;

k.  les documents relatifs à tout autre bien dans lequel chacun a un intérêt en droit ou en equity;

l.  les documents liés aux investissements financiers de chacun;

m.  les documents relatifs à toutes les dispositions de biens personnels ou réels de chacun d’entre eux, que ce soit au titre d’une vente/d’un transfert ou d’une cession, depuis le 1er janvier 2015;

n.  les documents relatifs aux comptes débiteurs de chaque société par actions de mai 2017 jusqu’à la date de production;

o.  les déclarations de revenus de chaque société par actions et de M. Theriault, du 1er janvier 2015 à la date de production;

p.  les documents indiquant tous les paiements versés à chacun des actionnaires/administrateurs/dirigeants/associés, du 1er janvier 2015 à ce jour, et la raison des paiements;

q.  les documents indiquant toutes les révisions de sites Web par des sites faisant référence à chacune des entités depuis le 1er janvier 2015, à l’exception des modifications apportées aux marchandises vendues à des tiers.

4.  Si la défenderesse ou M. Theriault (la personne qui doit être interrogée pour le compte de la défenderesse) souhaite être dispensé de l’obligation de produire les versions originales ou les copies existantes des documents énoncés dans l’ordonnance aux fins d’examen, la défenderesse ou M. Theriault peut présenter une requête à cet effet dans les quatorze (14) jours de la signification de l’ordonnance;

5.  L’interrogatoire sera ajourné sine die pour que la demanderesse puisse déterminer si les documents produits par l’une ou l’ensemble des parties sont conformes à l’ordonnance;

6.  La Cour autorise par la présente l’avocat de la demanderesse à déposer son affidavit daté du 10 et du 25 décembre 2018 et de présenter à la Cour des arguments fondés en partie sur ledit affidavit.

« R.L. Barnes »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1498-16

INTITULÉ :

BOWDY’S TREE SERVICE LTD. c THERIAULT INTERNATIONAL LTD.

LIEU DE L’AUDIENCE :

FREDERICTON (Nouveau‑BRUNSWICK)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 9 janvier 2020 (en personne et par vidéoconférence)

ORDONNANCE ET MOTIFS :

Madame la juge ROUSSEL

DATE DE L’ORDONNANCE ET DES MOTIFS :

Le 28 janvier 2020

COMPARUTIONS :

J. William Perrett

pour lA DEMANDERESSE

Craig Theriault

pour lA DÉFENDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

J. William Perrett Law Corp

Avocats

Vancouver (Colombie‑Britannique)

pour lA DEMANDERESSE

 

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