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Date : 20041123

Dossier : T-2012-01

Référence : 2004 CF 1644

                                                                             

Ottawa (Ontario), le 23 novembre 2004

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE HENEGHAN                         

ENTRE :

                                        SOUTH YUKON FOREST CORPORATION

                                                                                                                                    demanderesse

                                                                             et

                                                        SA MAJESTÉ LA REINE

                                                                                                                                      défenderesse

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Sa Majesté la Reine (la défenderesse) a également présenté une requête dans laquelle elle sollicite les réparations suivantes :

(1)            que la demanderesse fournisse un cautionnement pour les dépens, sur quoi :

(2)            que la demanderesse signifie un affidavit de documents exact et complet dans les 30 jours du prononcé de l'ordonnance;

(3)            que la demanderesse révèle dans un affidavit tous les documents qui sont en la possession ou sous le pouvoir ou le contrôle de toute personne physique ou morale contrôlée directement ou indirectement par la demanderesse;

(4)            que Donald Oulton soit contre-interrogé au sujet des affidavits de la demanderesse;


(5)            les dépens de la présente requête payables sur-le-champ par la demanderesse.

[2]                La défenderesse a produit l'affidavit de Me D. Malcolm Florence à l'appui de la présente requête. Me Florence est un avocat du ministère fédéral de la Justice. Il est au courant du déroulement de l'action jusqu'à présent et des frais entraînés par les mesures préparatoires au procès, dont les interrogatoires préalables. Il a déposé que le montant des débours de la défenderesse, jusqu'au 31 décembre 2003, s'élève à 65 276,92 $.

[3]                Il a examiné un projet de mémoire de dépens qui estime à 127 976,92 $ les dépens de la défenderesse taxables conformément à la colonne III du tarif B des Règles, selon la note de service du 26 mars 2004 adressée au juge en chef de la Cour d'appel fédérale. Le projet de mémoire de dépens est calculé en fonction d'une durée estimée de vingt jours de procès ce qui, reconnaît-on, est inférieur au temps réellement nécessaire. Il ressort d'ailleurs du dossier que la demanderesse prévoit un procès d'une durée de soixante jours.

[4]                La défenderesse cite les déclarations faites par M. Alan Kerr, le représentant de la demanderesse, qui a été interrogé au préalable. M. Kerr déclare que la demanderesse est incapable de respecter ses engagements financiers. La défenderesse se fonde sur ce témoignage et sur la qualité de fiduciaires de divers coentrepreneurs de la demanderesse pour appuyer son argument que la demanderesse ne dispose pas d'actifs réalisables suffisants au Canada pour faire face à une condamnation aux dépens.


[5]                Il ressort par ailleurs de l'affidavit de Me Florence que la demanderesse a fait enregistrer des certificats sous le régime de lois sur les valeurs mobilières du Yukon, de la Colombie-Britannique et de l'Alberta. Il y a aussi des prêts hypothécaires en cours enregistrés au nom du gouvernement du Yukon.

[6]                La défenderesse mentionne aussi une vérification qui a eu lieu en mars 2001 et elle signale qu'à l'époque, la valeur de l'usine de Watson Lake était estimée à quatre millions de dollars et que sa valeur de récupération tournait autour de 657 900 $. La valeur de récupération correspond à environ 25 pour 100 des dettes de la demanderesse. La défenderesse affirme que, dans ces conditions, la Cour est justifiée de prononcer une ordonnance de cautionnement pour les dépens en vertu de l'alinéa 416(1)b).

[7]                Suivant la défenderesse, la demanderesse n'a pas produit l'affidavit de documents complet exigé par les Règles.

[8]                La défenderesse réclame aussi l'accès à tous les documents pertinents qui se trouvent en la possession ou sous le pouvoir ou le contrôle de toute personne morale ou personne physique qui est contrôlée directement ou indirectement par la demanderesse. Cette demande est également autorisée par les Règles.

[9]                La défenderesse réclame aussi la possibilité de contre-interroger l'auteur de l'affidavit de la demanderesse, M. Donald Oulton. Elle justifie cette demande par le fait que, jusqu'à maintenant, la demanderesse a signifié cinq affidavits de documents et qu'en dépit de sa réponse à la présente requête, la demanderesse a produit un document qu'elle n'avait pas encore divulgué. La défenderesse souhaite contre-interroger M. Oulton pour s'assurer que tous les documents pertinents sont disponibles en vue de leur production.

[10]            La demanderesse s'oppose à la requête. Elle se fonde sur l'affidavit de M. Kerr qui a été déposé en réponse à la requête en cautionnement pour les dépens de la défenderesse, de même que sur l'affidavit déposé en réponse à sa requête en jonction et en modification de la déclaration.

[11]            La demanderesse conteste la valeur attribuée à l'usine de Watson Lake et ajoute qu'elle s'est acquittée de la dette qu'elle avait contractée envers la Banque de Nouvelle-Écosse, bien qu'aucun élément de preuve documentaire n'ait été produit en ce sens. Elle fait valoir que la requête devrait être rejetée parce que la défenderesse a attendu avant de réclamer une ordonnance de cautionnement pour les dépens.

[12]            Elle soutient aussi que, même si elle dispose d'actifs suffisants, elle a une cause valable et que la Cour devrait exercer son pouvoir discrétionnaire en rejetant la requête, compte tenu du bien-fondé de sa demande.

[13]            La demanderesse s'oppose aussi à la demande visant à faire produire M.Oulton pour qu'il soit contre-interrogé. Bien qu'elle reconnaisse que l'alinéa 227a) permet un tel contre-interrogatoire, la demanderesse explique que ce type d'interrogatoire est exceptionnel et qu'aucun motif justifiant le prononcé d'une telle ordonnance n'a été invoqué en l'espèce. La demanderesse explique aussi qu'elle a tout simplement respecté l'article 226 des Règles, qui oblige les parties à produire un affidavit supplémentaire si elles se rendent compte que leur affidavit est incomplet ou insuffisant, lorsqu'elle a produit quatre affidavits supplémentaires en plus de son affidavit original.

[14]            Je suis d'accord avec la demanderesse pour dire qu'une ordonnance de cautionnement pour les dépens suppose l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire, ainsi qu'il ressort du libellé de l'alinéa 416(1)b) :


416. (1) Lorsque, par suite d'une requête du défendeur, il paraît évident à la Cour que l'une des situations visées aux alinéas a) à h) existe, elle peut ordonner au demandeur de fournir le cautionnement pour les dépens qui pourraient être adjugés au défendeur :

...

b) le demandeur est une personne morale ou une association sans personnalité morale ou n'est demandeur que de nom et il y a lieu de croire qu'il ne détient pas au Canada des actifs suffisants pour payer les dépens advenant qu'il lui soit ordonné de le faire;                                                      

416. (1) Where, on the motion of a defendant, it appears to the Court that

...

(b) the plantiff is a corporation, an unincorporated association or a nominal plaintiff and there is reason to believe that the plaintiff would have insufficient assets in Canada available to pay the costs of the defendant if ordered to do so,

...

the Court may order the plaintiff to give security for the defendant's costs.



[15]            Selon la décision du protonotaire Hargrave dans l'affaire Early Recovered Resources Inc. c. Gulf Log Salvage Co-Operative Association et al., (2001), 205 F.T.R. 127, c'est au défendeur qu'il incombe dans un premier temps de démontrer qu'il existe de bonnes raisons de penser que le demandeur ne détient pas d'actifs suffisants pour payer les dépens auxquels il pourrait être condamné. Une fois cette preuve faite, le fardeau de la preuve est déplacé sur le demandeur, qui doit démontrer soit qu'il possède des actifs suffisants, soit qu'il a une bonne cause qui mérite d'être instruite.

[16]            En l'espèce, je suis convaincue que la défenderesse s'est acquittée du fardeau de preuve dont elle devait se décharger pour obtenir une ordonnance de cautionnement pour les dépens. La demanderesse serait une fiduciaire qui ne possède aucun intérêt bénéficiaire dans les actifs de Watson Lake. La défenderesse a démontré que les dettes inscrites contre la demanderesse dépassent deux millions de dollars et ce, même en acceptant que la créance de la Banque de Nouvelle-Écosse a été payée. La demanderesse n'a pas démontré qu'elle possède des actifs suffisants pour acquitter les dépens.

[17]            Je ne suis pas convaincue que la défenderesse a trop attendu pour solliciter la présente ordonnance. Le moment opportun pour présenter une telle requête varie d'une affaire à l'autre. Il ne conviendrait pas, à mon avis, de réclamer un cautionnement pour les dépens dès que l'action est entamée. En tout état de cause, il n'y a aucun élément de preuve qui permette de penser que la demanderesse a subi un préjudice.


[18]            Je suis disposée à faire droit à la requête de la défenderesse mais, exerçant mon pouvoir discrétionnaire, je fixe pour le moment à 20 000 $ le montant du cautionnement, ce qui représente moins de vingt pour cent des dépens taxables estimatifs de la défenderesse en date du 31 décembre 2003.

[19]            Je suis convaincue, sur le fondement des éléments de preuve soumis par la défenderesse et des arguments que j'ai entendus, qu'il y a lieu d'ordonner à la demanderesse de produire tous les documents pertinents se trouvant en la possession ou sous le pouvoir ou le contrôle de personnes physiques ou morales qui relèvent de son contrôle direct ou indirect. Il lui faudra pour ce faire préparer un affidavit de documents complet. Il semble que, jusqu'ici, la demanderesse ait produit des pièces de façon fragmentaire, ce qui ne respecte pas l'esprit des Règles.

[20]            Quant à la demande présentée par la défenderesse en vue d'obtenir l'ordonnance prévue à l'alinéa 227a), je ne suis pas persuadée qu'il y a lieu de rendre une telle ordonnance à ce moment-ci. Si la défenderesse peut démontrer que M. Kerr, qui représentait la demanderesse à l'interrogatoire préalable, n'est pas en mesure de bien reconnaître ou commenter les documents énumérés dans les affidavits de M. Oulton, elle peut déposer un autre avis en vue du contre-interrogatoire de M. Oulton.


[21]            Une question préliminaire a été soulevée à l'ouverture de l'audience sur la requête de la défenderesse au sujet du défaut de la demanderesse de se conformer à une directive de la Cour relativement au délai prévu pour le dépôt de sa réponse à la présente requête. Après avoir entendu les arguments des parties, j'ai adjugé à la défenderesse les dépens sur cette question préliminaire, indépendamment de l'issue de la cause. La défenderesse souhaite être entendue sur la question des dépens relatifs à l'instruction du fond du reste de la requête.

[22]            En conséquence, je vais recevoir les observations des parties. La défenderesse devra déposer et signifier ses observations dans les sept jours de la présente ordonnance et la demanderesse devra déposer et signifier ses observations dans les cinq jours de la réception des observations de la défenderesse. Il n'y aura pas d'observations en réponse.

                                        ORDONNANCE

La demanderesse fournira un cautionnement d'un montant de 20 000 $ dans les quinze (15) jours du prononcé de la présente ordonnance. L'action est suspendue en attendant le dépôt de ce cautionnement.

La défenderesse a droit aux dépens sur la question préliminaire débattue dans le cadre de la présente requête et ce, indépendamment de l'issue de la cause.

La demanderesse devra produire un autre affidavit de documents dans les quinze (15) jours de la présente ordonnance, de même que tous les documents pertinents se trouvant en la possession ou sous le pouvoir ou le contrôle des personnes physiques ou morales qui relèvent directement ou indirectement de son contrôle.


Les parties devront déposer et signifier leurs observations au sujet des dépens de la manière suivante : la défenderesse devra déposer et signifier ses observations dans les sept jours de la présente ordonnance et la demanderesse devra déposer et signifier ses observations dans les cinq jours de la réception des observations de la défenderesse. Il n'y aura pas d'actes de procédure en réponse.                                            

« E. Heneghan »           

                                                                                                     Juge                               

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL.L.


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                T-2012-01

INTITULÉ :               South Yukon Forest Corporation

c.

Sa Majesté la Reine

                                                     

LIEU DE L'AUDIENCE :                              Whitehorse (Yukon)

DATE DE L'AUDIENCE :                            Le 1er novembre 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                    LA JUGE HENEGHAN

DATE DES MOTIFS :                                   Le 23 novembre 2004

COMPARUTIONS :

Timothy S. Preston, c.r.                                                 POUR LA DEMANDERESSE

Gary W. Whittle                                                POUR LA DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Lackowicz Shier & Hoffman                                          POUR LA DEMANDERESSE

Whittle & Company                                           POUR LA DÉFENDERESSE


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