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Date : 20040614

Dossiers : IMM-5077-04

IMM-5079-04

Référence : 2004 CF 874

Vancouver (Colombie-Britannique), le lundi 14 juin 2004

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE VON FINCKENSTEIN

ENTRE :

                                                      AMIR HOMAN KAZEMIAN

                                                                                                                                           demandeur

                                                                             et

                                          LE SOLLICITEUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                                                                             défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]         Les deux contrôles judiciaires en l'espèce concernent les décisions défavorables de l'agent A. Bremer relativement à :

a)          une demande de résidence permanente fondée sur des considérations humanitaires (demande CH) faite à partir du Canada; et

b)          une demande d'examen des risques avant renvoi (demande d'ERAR)

Ces deux décisions ont été communiquées au demandeur le 2 juin 2004.


[2]         Les parties ont convenu que les deux demandes de sursis seraient entendues conjointement. De plus, à la demande des deux parties, j'ai ordonné que, à la lumière du récent remaniement ministériel, l'intitulé soit modifié de façon à ce que le Solliciteur général du Canada remplace le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration en tant que partie défenderesse.

[3]         Pour avoir gain de cause dans ces deux demandes, le demandeur doit satisfaire au critère conjonctif à trois volets établi dans l'arrêt Toth c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, (1988) 86 N.R. 302.

[4]         La norme de contrôle applicable dans les demandes de sursis est énoncée brièvement dans la décision Singh c. Canada (M.C.I.), [2003] A.C.F. no 1665, au paragraphe 10, où le juge Lemieux résume la jurisprudence applicable comme suit :

[...] dans le contexte d'une demande de sursis, on ne demande pas à la Cour de trancher la question de savoir si le demandeur aurait gain de cause dans sa demande de contrôle judiciaire si une autorisation était accordée, mais plutôt de déterminer si la demande révèle une affaire qui n'est ni frivole ni vexatoire et si le demandeur subira, selon la prépondérance des probabilités, un préjudice irréparable (voir à cet égard l'arrêt RJR MacDonald Inc. c. Canada (P.G.), [1994] 1 R.C.S. 311).

Par conséquent, pour ce qui est du premier volet du critère de l'arrêt Toth, la question est de savoir si la question à juger est sérieuse, et non frivole ou vexatoire. Relativement au deuxième volet du critère de l'arrêt Toth, la question pertinente est de savoir si le demandeur a démontré suivant la prépondérance des probabilités qu'il subira un préjudice irréparable si le sursis n'est pas accordé.


[5]         Le demandeur est un citoyen iranien qui est entré au Canada en 1997. Sa demande d'asile et sa demande de contrôle judiciaire de la décision de la CISR ont toutes deux été rejetées.

[6]         Il a par la suite déposé sa demande CH et sa demande d'ERAR. Ayant vu ses deux demandes rejetées, le demandeur a présenté deux demandes d'autorisation et de contrôle judiciaire. Il cherche maintenant à obtenir un sursis jusqu'à ce qu'il soit statué sur ces deux demandes de contrôle judiciaire.

[7]         Les arguments du demandeur relativement au volet « préjudice irréparable » du critère de l'arrêt Toth sont les suivants :

a)          les autorités iraniennes vont le persécuter parce qu'il a renié sa foi (il s'est converti au christianisme);

b)          il a un père bien connu des autorités iraniennes et il va être persécuté parce qu'il est le fils d'un critique bien en vue du régime; et

c)          il existe un lien émotif fort entre sa mère lui et leur séparation va mettre leur santé fragile en danger.

[8]         Je ne crois que le demandeur ait établi, suivant la prépondérance des probabilités, qu'il sera persécuté en Iran.


[9]         Vu qu'il s'est converti de l'islam au christianisme, il est effectivement considéré comme une personne ayant renié sa foi. Toutefois, la preuve abondante examinée par l'agent d'ERAR indique que, bien qu'il existe une loi interdisant de renier sa foi, celle-ci n'est appliquée que contre les personnes qui cherchent activement à convertir les musulmans. Le demandeur affirme ce qui suit dans son FRP : [traduction] « Lorsque j'étais en Iran, j'allais régulièrement à l'église chrétienne. J'étais très discret quant à mes croyances religieuses et je n'en parlais à personne. » (Dossier du défendeur, à la page 19.)

[10]       Le Département d'État, dans l'analyse de la situation en Iran contenue dans ses Country Reports de 2002, cite les propos du président d'Iran selon lesquels personne dans le pays ne devrait être persécuté du fait de ses croyances religieuses. (Dossier du défendeur, à la page 105.)

[11]       De même, le Country Report du R.-U. publié en 2004 indique ce qui suit en ce qui concerne la situation en Iran :

[traduction] En pratique, les musulmans qui se convertissent au christianisme peuvent subir des inconvénients, notamment, qu'on refusera de les admettre à l'université ou de leur délivrer un passeport. Toutefois, même les musulmans qui se sont convertis à une autre religion semblent dans les faits pouvoir pratiquer leur nouvelle foi jusqu'à un certain point. Cela signifie qu'il est possible d'aller à l'église chaque semaine. Par ailleurs, ceux qui affichent activement leur nouvelle foi en public, en particulier ceux qui font du prosélytisme, peuvent s'attendre à faire l'objet d'une répression sévère, même si leur conversion remonte à des décennies.

                                                                                  [Dossier du demandeur, à la page 310.]

[12]       Vu la description qu'a donnée le demandeur quant à sa conception de la religion, l'expérience antérieure du demandeur en Iran et l'absence de toute preuve suivant laquelle le demandeur avait l'intention de faire du prosélytisme, je ne vois comment on peut dire qu'il est probable que le demandeur soit persécuté du fait de sa religion.


[13]       Quant à l'allégation du demandeur suivant laquelle il sera persécuté à cause des activités de son père, il convient de noter que ce dernier a quitté l'Iran et vit maintenant au R.-U. Les problèmes qu'a eus le demandeur en Iran en raison des activités de son père remontent aux années 80 et le dernier incident dont il a été victime s'est produit en 1989. Il a vécu en Iran pendant encore huit ans et a quitté le pays en 1997 muni d'un passeport valide et d'un visa. Il faut se demander pourquoi les autorités le pourchasseraient maintenant alors qu'elles l'ont laissé tranquille de 1989 à 1997, période pendant laquelle il vivait en Iran. Cette question a été examinée à fond à deux reprises. Elle l'a été tout d'abord par la CISR, puis par l'agent d'ERAR, qui ont tous deux conclu que rien n'indiquait que le demandeur risquait vraisemblablement d'être persécuté. Il n'y a rien dans les faits dont je suis saisi qui me permette de remettre en cause l'une ou l'autre de ces conclusions.

[14]       Finalement, relativement à l'incidence du départ du demandeur sur la mère de celui-ci et au lien émotif qui existe entre eux, le demandeur n'a produit aucun élément de preuve quant à la façon dont sa mère et lui se soutiennent l'un l'autre. Le demandeur et sa mère vivent séparément et le demandeur ne pourvoit pas aux besoins financiers de celle-ci. La seule preuve est qu'ils sont tous deux en mauvaise santé. Pour remettre la situation du demandeur dans son contexte, il faut rappeler la conclusion du juge Pelletier dans la décision Melo c. Canada (M.C.I.), [2000] A.C.F. no 403, au paragraphe 20, où il a dit :


Comme je l'ai déjà mentionné dans un autre contexte, il y a des précédents à la Cour d'appel fédérale selon lesquels un préjudice lié aux intérêts économiques ou autres du demandeur peut satisfaire à l'exigence du critère du préjudice irréparable. En l'espèce, le demandeur perdra un emploi de loin meilleur que tous ceux qu'il a pu obtenir auparavant, qui lui permet de subvenir aux besoins de sa présente famille et aussi de contribuer, pour un montant qui n'est pas divulgué, au soutien de ses filles. Il y a aussi la question de l'effet de son expulsion sur son traitement en cours. Son psychiatre a témoigné que la perte des structures de soutien mises en place pour M. Melo au Canada pourrait bien avoir comme résultat la perte des progrès réalisés grâce à la thérapie au cours d'une longue période. Enfin, il y a l'impact du départ de M. Melo sur ses filles. La preuve établit qu'elles seront consternées. Elles auront éventuellement à faire face à cet événement malheureux, étant donné que rien ne garantit qu'un réexamen de l'appel mènera à un résultat différent. Rhonda Sullivan a dit dans son affidavit qu'elle et Eduardo accompagneront M. Melo s'il advenait qu'il soit expulsé, ce qui a pour effet de ne soulever aucune question quant à l'effet que pourrait avoir l'expulsion sur eux.

Ce sont là les conséquences déplaisantes et désagréables d'une expulsion. Mais pour que l'expression « préjudice irréparable » conserve un peu de sens, elle doit correspondre à un préjudice au-delà de ce qui est inhérent à la notion même d'expulsion. Être expulsé veut dire perdre son emploi, être séparé des gens et des endroits connus. L'expulsion s'accompagne de séparations forcées et de coeurs brisés. Il n'y a rien de plus dans la situation de M. Melo que les conséquences normales d'une expulsion.

[15]       La simple allégation du soutien émotif que le demandeur et sa mère s'apportent l'un l'autre n'établit pas l'existence d'un préjudice irréparable ou d' « un préjudice au-delà de ce qui est inhérent à la notion même d'expulsion » .

[16]       En conséquence, les deux présentes requêtes en sursis seront rejetées. Vu que le demandeur n'a pas réussi à établir l'existence d'un « préjudice irréparable » à l'aide du critère conjonctif de l'arrêt Toth, je n'ai pas besoin d'examiner les questions de la « question sérieuse » et de la « prépondérance des inconvénients » .


                                        ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que les requêtes en sursis à la mesure d'expulsion dans les dossiers IMM-5077-04 et IMM-5079-04 soient par les présentes rejetées.

« K. von Finckenstein »

Juge

Traduction certifiée conforme

Julie Boulanger, LL.M.


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIERS :                                                   IMM-5077-04 ET IMM-5079-04

INTITULÉ :                                                    AMIR HOMAN KAZEMIAN

c.

LE SOLLICITEUR GÉNÉRAL DU CANADA

LIEU DE L'AUDIENCE :                              VANCOUVER (COLOMBIE-BRITANNIQUE)

DATE DE L'AUDIENCE :                            LE 14 JUIN 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                    LE JUGE VON FINCKENSTEIN

DATE DES MOTIFS :                                   LE 14 JUIN 2004

COMPARUTIONS :

Bediako Buahene                                              POUR LE DEMANDEUR

R. Keith Reimer                                                 POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Bediako Buahene                                              POUR LE DEMANDEUR

Avocat

Vancouver (Colombie-Britannique)

Morris Rosenberg                                              POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)


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