Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date: 19990625

Dossier : IMM-5935-98

OTTAWA (Ontario), le 25 juin 1999

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE MacKAY

ENTRE :

                                       ILIR NALLBANI et MAJLINDA NALLBANI

                                          et XHENI, KRISTI et MEGI NALLBANI,

                                                                                                                                       demandeurs,

                                                                             et

                    LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

                                                                                                                                          défendeur.

            VU la demande de contrôle judiciaire de la décision de la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié, prononcée de vive voix le 12 août 1998, par laquelle la Commission a conclu que les demandeurs n'étaient pas des réfugiés au sens de la Convention, et vu la demande d'une ordonnance annulant cette décision;

            VU les présentations des avocats des parties à Halifax (Nouvelle-Écosse) le 14 juin 1999, la décision étant alors différée, et vu l'examen des arguments présentés;

                                                           O R D O N N A N C E

            LA COUR ORDONNE QUE la demande de contrôle judiciaire soit rejetée.

                                                                                                            W. Andrew MacKay

                                                                                                                                                   JUGE                       


Traduction certifiée conforme

Bernard Olivier



Date : 19990625

Dossier : IMM-5935-98

ENTRE :

                                       ILIR NALLBANI et MAJLINDA NALLBANI

                                          et XHENI, KRISTI et MEGI NALLBANI,

                                                                                                                                       demandeurs,

                                                                             et

                    LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

                                                                                                                                          défendeur.

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE MacKAY

I.           Les demandeurs sollicitent le contrôle judiciaire d'une décision de la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié, ainsi qu'une ordonnance l'annulant. La décision contestée a été rendue de vive voix le 12 août 1998, et confirmée par des motifs écrits en date du 30 octobre 1998. Elle concluait que les demandeurs ne sont pas des réfugiés au sens de la Convention, selon la définition de cette expression au paragraphe 2(1) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, modifiée (la Loi).


Contexte

II.          Le demandeur adulte est originaire de l'Albanie. Marié et père de trois enfants, il est arrivé au Canada avec sa famille en décembre 1997. Par la suite, ils ont revendiqué le statut de réfugié au sens de la Convention, les revendications des membres de sa famille à sa charge étant liées à la sienne. Il soutient craindre d'être persécuté en Albanie du fait de ses opinions politiques.

III.        Le demandeur soumet que lorsqu'il était en Albanie, il exprimait ses opinions politiques de façon très directe et il était très actif dans la vie politique du pays. Membre du Parti démocratique de 1990 à 1992, il a quitté ce parti pour rejoindre l'Alliance démocratique. Ce dernier parti a pris des positions très critiques face aux partis Démocratique et Communiste, dans le but d'assurer l'avenir démocratique de l'Albanie.

IV.        Par suite de son implication politique, y compris nombre de discours et activités de nature politique, le demandeur a été arrêté et emprisonné à cinq occasions entre 1990 et 1996. Il a chaque fois été détenu pendant un certain temps, étant alors battu, torturé, affamé et assoiffé, ainsi que menacé de mort.

V.         Le 11 juin 1996, le palais de justice de Tirana a envoyé au demandeur une citation à comparaître le 1er juillet 1996. Cette citation faisait suite aux accusations du Parti démocratique contre le demandeur, suite à une entrevue que ce dernier a accordé à la BBC (British Broadcasting Corporation) le 7 juin 1996. Dans l'entrevue en question, le demandeur dénonçait la manipulation des suffrages et la corruption électorale auxquels le Parti démocratique s'était livré à l'occasion de l'élection du 26 mai 1996. Il a aussi accusé le Parti démocratique d'avoir exercé de violents sévices contre la population et notamment contre les membres des partis d'opposition. Comme il avait passé beaucoup de temps en prison et fait l'objet d'importants sévices, le demandeur a craint pour sa vie s'il se rendait à la convocation. Il ne s'est par présenté au tribunal, mais s'est caché au domicile du cousin de son épouse en banlieue de Tirana. Il est resté caché pendant plus d'un an, période durant laquelle il a préparé son départ permanent de l'Albanie avec sa famille. Munis de faux passeports slovènes, lui et sa famille ont quitté l'Albanie en novembre 1997 pour le Canada, via l'Italie et la Belgique.

VI.        Arrivée à Toronto en décembre 1997, la famille n'y est restée qu'à peu près deux semaines avant de se rendre à Halifax. La revendication de statut de réfugié a donc été entendue en Nouvelle-Écosse, province où l'aide juridique n'est généralement pas disponible en matière d'immigration. Les demandeurs n'ont donc reçu aucun conseil juridique avant et pendant l'audition de leur affaire devant un tribunal de la Section du statut en août 1998, alors que leurs revendications ont été examinées et rejetées.

VII.       La décision du tribunal est rédigée en partie de la façon suivante :

LE PRÉSIDENT DE L'AUDIENCE

Pour être très honnête, le tribunal pourrait considérer que votre affaire est justifiée si le Parti démocratique était toujours au pouvoir. Or, il ne l'est plus depuis juin 1997 et c'est le Parti socialiste qui est maintenant au pouvoir. Le Parti démocratique n'est plus au pouvoir. Pour le dire autrement en utilisant notre terminologie habituelle, il y a eu dans votre pays un changement de circonstances. La situation en vertu de laquelle vous déclarez avoir été persécuté n'existe plus et les agents du pouvoir qui vous ont persécuté ne sont plus les maîtres.

...

Rien dans la preuve qui nous est soumise ne démontre que le gouvernement actuel persécute ou réprime les membres actuels ou les anciens membres du Parti démocratique. Nous constatons que le Parti démocratique est représenté au sein du nouveau parlement.

Aujourd'hui, vous nous avez présenté une citation à comparaître que nous admettons comme pièce C7, document que vous déclarez avoir reçu de votre père. L'accusation dans cette citation porte que, et je cite, vous êtes un participant et un fauteur de troubles -- [traduction] « en tant que participant et fauteur de troubles politiques initiés par le Parti démocratique » . Nous ne considérons pas cette citation à comparaître comme très plausible pour deux raisons. Nous trouvons que la langue utilisée est tellement vague qu'elle n'a pas vraiment de sens. Ensuite, et plus important encore, nous ne considérons pas plausible que le gouvernement aurait un intérêt à vous poursuivre en mai 1998, alors que vous avez quitté le Parti démocratique en 1992, étant donné ce que la preuve documentaire nous apprend sur les relations du gouvernement actuel avec le Parti démocratique.

Je veux aussi dire en passant, même si ce n'est pas une conclusion mais seulement un commentaire, qu'il n'est guère plausible que vous ayez pu économiser 10 000 $US avec votre épouse depuis 1990, en travaillant comme journalier et en peignant des meubles. Nous ne considérons pas ceci plausible, car 10 000 $US est une somme importante, surtout dans un pays comme l'Albanie.

À ce moment-ci, je demanderais à mon collègue s'il a quelque chose à ajouter.

LE DEUXIÈME MEMBRE

Oui, je désire ajouter quelque chose. Vous avez écrit dans votre relation des faits que le gouvernement a un plan pour tuer tous les opposants et créer un État dominé par un parti unique. Je vous ai demandé comment vous aviez pu prendre connaissance de ce plan, ainsi que des détails à son sujet, et je constate que vous ne m'avez pas répondu. Je vous ai posé cette question parce que votre déclaration que le nouveau gouvernement a comme projet de tuer tous les opposants est en contradiction flagrante avec toute la documentation que nous avons sur votre pays. Mon collègue et M. Audet ont d'ailleurs cité une partie de cette documentation, notamment celle qui se trouve sous R1, onglet7.

Questions en litige

VIII.      Dans leur demande de contrôle judiciaire, les demandeurs soulèvent les questions suivantes que je traiterai successivement :

i)que le tribunal a commis une erreur dans l'évaluation de leur crédibilité;

ii)que le tribunal a commis une erreur dans son examen de la preuve, notamment en ce qui concerne le demandeur, ainsi que dans son évaluation d'un changement de circonstances en Albanie; et

iii)que des services d'interprétation inadéquats ont eu une incidence négative sur le déroulement de l'instance.

IX.        Les difficultés du demandeur auraient été aggravées, nous dit-on, du fait qu'il ne pouvait se payer un avocat et qu'il ne pouvait obtenir l'aide juridique à cette étape de l'instance, ce qui fait que le demandeur adulte n'a reçu aucun conseil juridique avant et pendant l'audition de sa revendication de statut de réfugié.

La question de la crédibilité

X.         La question de la crédibilité trouve sa source dans la décision du tribunal de conclure à l'implausibilité de la citation à comparaître de 1988 adressée au demandeur adulte et produite par ce dernier, dans la référence à un sentiment d'implausibilité du tribunal quant à la capacité du demandeur d'économiser 10 000 $US, ainsi que dans le refus du tribunal d'accepter la déclaration du demandeur que le gouvernement actuel projetait de tuer tous les opposants. Bien que le tribunal ait sollicité du demandeur la production d'une preuve à l'appui de cette dernière déclaration, ou d'expliquer de quelle façon il en avait pris connaissance, il n'a reçu aucune réponse. Quant au fait que le demandeur n'aurait pu économiser les 10 000 $US, la chose n'est pas présentée comme une conclusion de fait et elle n'est pas, à mon avis, un facteur sur lequel la décision a été fondée. Bien que le tribunal mette en doute la plausibilité de la citation à comparaître de 1988 en partie parce que le langage qu'on y trouve serait [traduction] « tellement vague qu'elle n'a pas vraiment de sens » , le véritable fondement de la décision du tribunal est que cette citation lui a semblé non plausible au vu de la preuve documentaire portant sur l'attitude du gouvernement actuel, élu en 1997, vis-à-vis le Parti démocratique et ses anciens membres.

XI.        Le demandeur fait valoir que le tribunal n'a pas indiqué pour quel motif précis il concluait que la preuve qu'il a présentée n'était pas crédible. Pourtant, si l'on regarde les trois aspects que je viens de mentionner, les motifs du tribunal sont clairement exprimés. Ces motifs ne sont d'ailleurs pas vraiment contestés et, dans les circonstances, ils semblent justifiés. L'évaluation du tribunal vient donc appuyer sa conclusion principale, savoir que compte tenu du changement de gouvernement en 1997, la preuve que le demandeur a présenté pour étayer sa crainte d'être poursuivi dans l'avenir n'a pas établi, sur le plan objectif, le bien-fondé de sa revendication.

XII.       Je ne suis pas convaincu que le tribunal a commis une erreur en évaluant la plausibilité de certaines parties de la preuve présentées par le demandeur. Ceci se reflète dans son évaluation de la crédibilité des prétentions du demandeur, en ce sens que le tribunal n'était pas convaincu qu'il pouvait fonder de façon objective une conclusion que le demandeur adulte serait vraisemblablement persécuté pour des motifs politiques s'il retournait en Albanie.


L'examen de la preuve par le tribunal

XIII.      La crainte du demandeur d'être persécuté aurait son origine dans la première citation à comparaître qu'il a reçue en 1996, citation fondée sur des accusations présentées par le Parti démocratique, alors au pouvoir. Le tribunal a conclu que le Parti démocratique n'étant plus au pouvoir depuis 1997, les agents de cette persécution présumée ne sont plus dans une situation leur permettant de persécuter le demandeur.

XIV.     Le tribunal n'a pas considéré que la citation à comparaître de 1998 avait un caractère de plausibilité, puisque le demandeur a quitté le Parti démocratique en 1992 et que la preuve documentaire au sujet du nouveau gouvernement ne démontre pas que le Parti socialiste, actuellement au pouvoir, s'en prend aux anciens membres du Parti démocratique. Le tribunal a aussi conclu que rien dans la preuve documentaire ne vient appuyer les déclarations du demandeur quant à l'existence d'un plan conçu par le nouveau gouvernement pour assassiner tous les opposants et créer un État à parti unique.

XV.       Le changement de circonstances est un facteur pertinent que doit considérer le tribunal pour décider si le demandeur est un réfugié au sens de la Convention. Le tribunal a examiné la preuve documentaire et la preuve testimoniale dont il était saisi et en a conclu que les demandeurs pouvaient retourner en Albanie sans risque de persécution. Il a conclu qu'il n'y avait pas de fondement objectif à la crainte de persécution du demandeur, qui trouve son origine dans la citation à comparaître de 1996, vu le changement de gouvernement et ce qu'indique la preuve documentaire quant à la politique du nouveau gouvernement face aux opposants. À part la déclaration du demandeur, rien dans la preuve ne vient appuyer sa crainte que le gouvernement actuel exercera des représailles à son égard par suite de son statut d'ancien membre d'autres partis.

XVI.     Cette conclusion du tribunal n'est pas déraisonnable, compte tenu de la preuve dont il était saisi. Même si la preuve documentaire ne fait pas ressortir l'unanimité quant au changement de circonstances, le tribunal pouvait, au vu de la preuve qui lui était présentée, raisonnablement arriver à la conclusion que ce changement existait. Je ne suis pas convaincu que le tribunal devait conclure de façon expresse que ce changement de circonstances était profond et permanent. Il était suffisant qu'il constate, comme il l'a fait, que la revendication du demandeur n'était pas fondée pour l'avenir compte tenu du changement de circonstances.

XVII.    En fin de compte, le tribunal a fondé sa décision sur le changement de circonstances qui est survenu en Albanie. Il a considéré comme non plausible la preuve qui, selon le demandeur, établissait l'existence d'un risque de persécution malgré le changement de gouvernement. À mon avis, le tribunal pouvait faire une telle interprétation de la preuve. Rien dans l'examen de la preuve par le tribunal ne peut fonder une intervention de la Cour.

XVIII. Dans sa plaidoirie, l'avocat du demandeur a soulevé le fait que le tribunal n'a pas examiné si ce dernier pouvait se prévaloir de l'exception prévue au paragraphe 2(3) de la Loi sur l'immigration, qui prévoit :

                (3) Une personne ne perd pas le statut de réfugié pour le motif visé à l'alinéa (2)e) si elle établit qu'il existe des raisons impérieuses tenant à des persécutions antérieures de refuser de se réclamer de la protection du pays qu'elle a quitté ou hors duquel elle est demeurée de crainte d'être persécutée.

XIX.     À mon avis, la preuve présentée au tribunal ne peut fonder la conclusion que le demandeur a été soumis à une persécution telle en Albanie que cette expérience serait un motif incontournable de ne pas le renvoyer dans son pays d'origine, surtout que le tribunal a conclu, au vu de la preuve qui lui était présentée, qu'un changement de circonstances est venu éliminer tout fondement objectif à la crainte du demandeur.

La qualité des services d'interprétation

XX.       Les inquiétudes du demandeur quant aux services d'interprétation fournis à l'audience, qu'il prétend avoir été inadéquats, sont troublantes. Pourtant, une lecture de la transcription de l'audience ne révèle aucune preuve évidente de mauvaise interprétation, bien que la syntaxe anglaise soit quelque fois approximative. La transcription ne vient pas étayer la conclusion que l'interprétation était si fautive qu'elle aurait induit le tribunal en erreur, ou l'aurait amené à commettre des erreurs dans sa décision. Le demandeur fait maintenant valoir qu'il était préoccupé à l'époque de la qualité des services d'interprétation, mais il n'en a rien dit au tribunal à ce moment-là. En l'absence de toute indication de cette nature à l'audience, et à défaut de trouver une quelconque indication dans la transcription que le tribunal a été induit en erreur, ou que le témoignage du demandeur a été mal rendu par l'interprète, la Cour n'est pas fondée à intervenir.


Conclusion

XXI.     Pour les présents motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée dans une ordonnance distincte.

                                                                                                            W. Andrew MacKay

                                                                                                                                                           

                                                                                                                        JUGE

OTTAWA (Ontario)

le 25 juin 1999

Traduction certifiée conforme

Bernard Olivier


COUR FÉDÉRALEDU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                                AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :                                 IMM-5935-98

INTITULÉ DE LA CAUSE :ILIR NALLBANI ET AUTRES C. MINISTRE DE LA

CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                     HALIFAX (NOUVELLE-ÉCOSSE)

DATE DE L'AUDIENCE :                    LE 14 JUIN 1999

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DE M. LE JUGE MACKAY

EN DATE DU :                                     25 JUIN 1999

ONT COMPARU :

M. Scott SternsPOUR LE DEMANDEUR

M. Jonathan TarltonPOUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Mme Heather SandfordPOUR LE DEMANDEUR

Jamieson Sterns

Halifax (Nouvelle-Écosse)

M. Morris RosenbergPOUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.