Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

                                                                                                                                 Date : 20040623

                                                                                                                    Dossier : IMM-5929-03

                                                                                                       Référence neutre : 2004 CF 901

OTTAWA (Ontario), le 23 juin 2004

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE PHELAN

ENTRE :

                                                      MENGISTU KEBEDE SIDA

                                                    EMEBET TADESSE GEBRIE

                                                        ABENEZER MENGISTU

                                                         SELEHOM MENGISTU

                                                                                                                                        demandeurs

                                                                             et

                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                           défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

NATURE DE L'INSTANCE

[1]                Les demandeurs, tous membres d'une même famille, contestent la décision du seul membre (le commissaire) de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) qui a conclu qu'ils n'étaient pas des réfugiés au sens de la Convention ni des personnes à protéger.


[2]                Les demandeurs soulèvent trois questions :

a)          le commissaire n'a pas examiné comme il le devait, ou en fait, il n'a absolument pas examiné l'article 97 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés (la Loi);

b)          le commissaire a appliqué la mauvaise norme de preuve en statuant que les demandeurs n'avaient pas établi qu'il y avait une possibilité raisonnable qu'ils soient persécutés;

c)          le commissaire n'a pas examiné le risque que couraient les demandeurs d'être considérés à leur retour comme des transfuges.

CONTEXTE

[3]                Les demandeurs sont quatre membres d'une famille éthiopienne. Le principal demandeur (Sida) a énoncé les motifs sur lesquels se fonde la revendication du statut de réfugié.

[4]                M. Sida était un haut fonctionnaire (conseiller commercial) à l'ambassade de l'Éthiopie à Rome où il a été en poste pendant huit ans. Au cours de réunions du personnel, M. Sida a fait des observations négatives au sujet du dossier des droits de la personne en Éthiopie et de l'effet négatif que ce dossier avait à l'extérieur du pays. Il a également exprimé son opposition à la guerre déclarée contre l'Érythrée. À cause de cela, il croit avoir attiré l'attention des cadres politiques, probablement des politiques influents du parti au pouvoir.


[5]                Sida a conclu qu'il avait été démis de son poste de premier secrétaire et qu'on lui avait ordonné de rentrer en Éthiopie à cause de ces commentaires politiques. Le commissaire a rejeté les conclusions de Sida en concluant qu'il n'avait pas en fait été rétrogradé, et que son rappel était simplement le retour normal d'un diplomate dans son pays d'origine à l'issue de son mandat d'affectation à l'étranger.

[6]                Toutefois, un élément d'importance doit être souligné. Sida soupçonne que son bureau a été fouillé par les cadres politiques parce qu'ils ont fait référence à des renseignements (probablement au cours de réunions et à d'autres occasions semblables) qui ne pouvaient venir que des documents conservés dans son bureau. Ses soupçons lui ont été confirmés par un concierge en mai 2001; les demandeurs se sont enfuis au Canada en juin 2002.

[7]                Le commissaire a statué, à l'égard de cette question, que les demandeurs n'avaient pas quitté l'Italie pour le Canada aussitôt que Sida avait appris que son bureau avait fait l'objet d'une fouille. Le commissaire n'a tiré aucune conclusion à l'égard du fait que l'incident n'aurait pas eu lieu ou qu'il ne serait pas produit à la date alléguée, comme le prétend Sida.

[8]                Sida est retourné en Éthiopie à au moins quatre (4) occasions depuis 1997, qui est l'année du début de ses difficultés avec le gouvernement. Ces faits, jumelés à l'avis de cinq mois l'informant de son rappel en Éthiopie, et son retard à quitter le pays après la fouille de son bureau ont amené le commissaire à conclure que ses gestes n'étaient pas compatibles avec une crainte subjective et que la preuve objective ne supportait pas ses prétentions.

[9]                Le commissaire a tiré des conclusions défavorables sur la crainte subjective de Sida du fait qu'il a tardé à quitter l'Italie, du fait qu'il est retourné en Éthiopie à quatre reprises, qu'il n'a pas quitté le pays quand il a reçu la lettre de rappel et du fait qu'il n'a pas réclamé la protection offerte aux réfugiés alors qu'il était en Italie ou dans tout autre pays de l'Union européenne.


[10]            La situation qui règne en Éthiopie n'est pas favorable. Toutefois, le commissaire a statué que cette situation était moins pertinente qu'elle aurait pu l'être si la prétention des demandeurs selon laquelle ils risquaient de subir un préjudice grave avait été acceptée.

[11]            À la fin, le commissaire a décidé de refuser le statut de réfugié et de rejeter la demande de protection.

ANALYSE

[12]            La décision du commissaire se fonde largement sur les faits. En règle générale, elle a été prise de façon consciencieuse, minutieuse et bien raisonnée. La norme de contrôle applicable aux conclusions de fait est la décision manifestement déraisonnable. C'est donc avec une certaine prudence que je conclus que dans des domaines limités, mais importants, il existe des conclusions qui sont manifestement déraisonnables.

[13]            Pour régler la question de la norme de contrôle, lorsque la question porte sur l'application des faits au droit, la norme est celle de la décision raisonnable; lorsqu'il s'agit d'une question de droit, la norme est celle de la décision juste.

[14]            À l'égard de la première question concernant l'article 97, les demandeurs prétendent qu'une crainte subjective n'est pas pertinente à cet article et que, par conséquent, le commissaire n'a pas effectué un examen approprié et distinct fondé sur l'article 97.


[15]            Dans la décision Bouaouni c. Canada (MCI) [2003] A.C.F. no 1540, la présente Cour a statué que l'omission d'analyser les motifs prévus à l'article 97 séparément de ceux de l'article 96 constituait une erreur. Toutefois, il faut examiner l'ensemble de la décision pour déterminer si l'analyse a été effectuée au même moment que l'analyse de l'article 96, ce qui est autorisé.

[16]            La crainte subjective n'est pas un élément non pertinent à un examen fondé sur l'article 97. Bien que cet examen ne permette pas de se prononcer de façon décisive sur le risque, il a néanmoins trait au risque personnalisé et au fondement permettant de conclure objectivement qu'un tel risque existe. Par ailleurs, l'absence d'un risque subjectif crédible ne signifie pas que la situation qui règne dans le pays est telle qu'un demandeur n'a pas besoin de protection.

[17]            C'est à cet égard que le commissaire a commis une erreur en rejetant tout examen de la situation qui règne dans le pays. Son rejet de la preuve subjective l'a mené à ignorer la situation du pays.

[18]            Le commissaire a conclu que les demandeurs n'avaient pas quitté suffisamment tôt après la fouille du bureau pour lui permettre de conclure qu'il y avait un risque, autant objectif que subjectif.

[19]            Toutefois, la preuve indique que, bien que l'effraction se soit produite avant mai 2001, Sida n'avait que des doutes sur son existence. Ce n'est qu'en mai que ses soupçons ont été confirmés par le concierge. Dans l'espace d'à peu près un mois à la suite de cette confirmation, les demandeurs ont quitté l'Italie et ont présenté leur revendication.


[20]            En toute déférence pour le commissaire, j'estime qu'il est manifestement déraisonnable de conclure que le retard, soit à partir de la naissance des doutes ou du moment de la confirmation, a été trop long. Il faut tenir compte du fait que Sida ne pouvait agir avant de connaître les véritables circonstances, qu'il avait une famille dont il devait organiser le départ et que le risque qu'il courait ne se concrétiserait qu'à son retour en Éthiopie en juin, et non pas pendant son séjour à Rome.

[21]            En supposant que l'effraction a eu lieu (le commissaire n'a tiré aucune conclusion à l'effet contraire), la preuve laisse entendre que la situation dans le pays est très pertinente au risque objectif. La situation dans le pays à son retour nous informe de la nature du risque que courait Sida. Par conséquent, la conclusion du commissaire à l'égard de la pertinence de la situation dans le pays est une erreur.

[22]            Pour ce qui est de la question de la norme de preuve, la déclaration du commissaire selon laquelle Sida n'a pas persuadé la formation que les événements [traduction] « indiquaient nécessairement qu'il y avait un risque raisonnable de persécution dans un avenir immédiat » n'est pas l'application d'une norme de preuve erronée.

[23]            Même si la déclaration ne reprenait pas le libellé de la Loi, une analyse de l'examen qui a été effectué confirme que le commissaire a appliqué la norme de contrôle appropriée.

[24]            Pour ce qui est de l'omission d'envisager que Sida puisse être considéré comme un transfuge à son retour, les demandeurs n'ont jamais soulevé cette question dans le cadre de leur revendication. Ils ne peuvent donc se plaindre que le commissaire n'ait pas examiné des questions que les parties n'ont pas soulevées.

[25]            Étant donné que cette question sera renvoyée à la Commission et qu'elle se fonde presque essentiellement sur les faits, il n'y a pas de question à certifier.


                                                                ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE DONC CE QUI SUIT :

a)          la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision de la Commission est annulée et l'affaire lui est renvoyée pour être décidée par une formation que la Commission juge appropriée;

b)          aucune question n'est certifiée.

                                                                                                                           « Michael L. Phelan »            

                                                                                                                                                     Juge                         

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                                                             COUR FÉDÉRALE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                               IMM-5929-03

INTITULÉ :                                              Mengistu Kebede Sida,

Emebet Tadesse Gebrie,

Abenezer Mengistu,

Selehom Mengistu c. M.C.I.

LIEU DE L'AUDIENCE :                        Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                      le 23 mars 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                              le juge Phelan

DATE DES MOTIFS :                             le 23 juin 2004

COMPARUTIONS :

Michael Crane                                                                                         POUR LES DEMANDEURS

Neeta Logsetty                                                                                              POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Michael Crane

Toronto (Ontario)                                                                                    POUR LES DEMANDEURS

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)                                                                                           POUR LE DÉFENDEUR

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.