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Date : 19990915


Dossier : T-1874-97

OTTAWA, ONTARIO, CE 15ème JOUR DE SEPTEMBRE 1999

Présent(s) :      L"HONORABLE JUGE NADON

     DANS L"AFFAIRE d"une demande de redressement

     en vertu du paragraphe 77(1) de la

     Loi sur les langues officielles

     1985, L.R.C. 4e supplément, c. 31

Entre :

     DANIEL DUGUAY


Requérant

     (Partie demanderesse)

ET:


SA MAJESTÉ LA REINE


- et -


DÉFENSE NATIONALE


Intimés

     (Parties défenderesses)

ET:

     COMMISSARIAT AUX LANGUES OFFICIELLES


Mis-en-cause


     ORDONNANCE


     La requëte est accueillie en partie. Les intimés sont condamnés à payer au requérant la somme de 6 000$, avec frais.

     Marc Nadon

     JUGE

















        


Date : 19990915


Dossier : T-1874-97

     DANS L"AFFAIRE d"une demande de redressement

     en vertu du paragraphe 77(1) de la

     Loi sur les langues officielles

     1985, L.R.C. 4e supplément, c. 31

ENTRE :

     DANIEL DUGUAY


Requérant

     (Partie demanderesse)

ET:


SA MAJESTÉ LA REINE


- et -


DÉFENSE NATIONALE


Intimés

     (Parties défenderesses)

ET:

     COMMISSARIAT AUX LANGUES OFFICIELLES


Mis-en-cause

     MOTIFS DE L"ORDONNANCE

LE JUGE NADON


Il s'agit d'une demande de réparation conformément à l'article 77 de la Loi sur les langues officielles, S.C. 1988, c. 38. (la LLO). En vertu de cet article, le tribunal peut accorder la réparation qu'il estime appropriée eût égard aux circonstances s'il est d'avis qu'une institution fédérale ne s'est pas conformée à la LLO.


Le requérant était un militaire francophone qui a été affecté à la base des Force canadiennes (BFC) Greenwood, une base unilingue anglaise. Il a plus tard été libéré des Forces armées canadiennes (FAC) en raison d"une inconduite sexuelle. Le requérant allègue que le milieu de travail à Greenwood était non propice à l'utilisation du français, et qu"on lui avait interdit de s'exprimer dans cette langue. Cette situation lui a causé de l"angoisse, qui aurait contribué au comportement qui a conduit à sa libération des FAC.

FAITS

Le requérant s'est enrôlé dans les FAC en juin 1981 au sein du Royal 22e Régiment. Il s'est marié en 1984 et le couple a deux fils, nés respectivement en 1987 et en 1990.


En 1991, le requérant a quitté l"infanterie pour devenir pompier. Il a été admis pour une formation de pompier, niveau de qualification 3, débutant le 2 avril 1991 et se terminant le 12 juillet 1991 sur la base des Forces canadiennes (BFC) de Borden, en Ontario. En août 1991, il a été affecté au sein du service de pompier sur la BFC Greenwood en Nouvelle-Écosse, pour y suivre la formation de niveau 4.


La langue de travail sur la BFC Greenwood est l"anglais. Le requérant éprouvait des difficultés à s'exprimer dans cette langue. Ceci aurait affecté ses relations avec ses collègues et sa performance au travail, et lui aurait occasionné beaucoup d'anxiété et de stress. Dès le début de ce repositionnement, le requérant a informé ses supérieurs à plusieurs reprises du fait qu'il n'avait pas le niveau de qualification requis dans la langue anglaise pour le poste occupé.


En janvier 1992, le requérant a été assigné à donner un cours sur la science du feu à des collègues. Deux de ses supérieurs, ayant assisté au cours, ont noté l'incapacité du requérant à transmettre ses connaissances dans la langue anglaise. Avec l'aide d"un supérieur bilingue, le requérant a rédigé un mémo en anglais, en date du 12 février 1992, demandant un cours de formation pour améliorer son utilisation de la langue anglaise. Par la suite, il a rencontré le capitaine Millman, qui l'a autorisé à passer des tests pour vérifier son niveau de compétence dans la langue anglaise. Le requérant a échoué le test d'aptitude.




Compte tenu de ses difficultés, le requérant a alors convenu avec ses supérieurs qu'il ne parlerait que l'anglais au travail, afin d"améliorer sa maîtrise de cette langue. Il s'est réservé le droit de poser des questions en français, pour s'assurer d'avoir bien compris les directives. Pourtant, deux semaines plus tard, on lui interdisait de parler français. Un confrère francophone s'est fait reproché le fait de lui avoir adressé la parole en français dans la salle d"alerte. Quelques mois plus tard, le 11 juin 1992, lors d"une réunion des chefs de la caserne de pompiers, il fut décidé que toutes les opérations dans la salle d"alerte seraient effectuées en anglais pour des raisons de sécurité.


Plusieurs semaines après avoir échoué le test d'aptitude en anglais, on a permis au requérant de suivre un cours d'anglais à la base militaire de St. Jean, soit du 24 août 1992 au 30 octobre 1992. À la fin du cours, le requérant a atteint la norme de 2221, alors que le niveau de compétence fonctionnel requis pour suivre un cours tel que la formation de pompier niveau 4 en anglais est de 3333.


À son retour à la BFC Greenwood, le 2 novembre 1992, la police militaire a interrogé le requérant au sujet d'allégations d'agression sexuelle envers son fils aîné. La police a déposé des accusations auxquelles le requérant a plaidé non-coupable le 17 décembre 1992 devant la Cour provinciale de Nouvelle-Écosse. Ces accusations ont été retirées en juillet 1993.


Le requérant a été référé pour obtenir une évaluation psychiatrique en rapport aux allégations d"agression sexuelle. Il a rencontré, les 20 et 26 janvier 1993, le major Louis Bérard, psychiatre dans les FAC. Au cours de la session, le requérant a révélé qu'il avait agressé une fille de cinq ans alors qu'il était adolescent. Dans son rapport d"évaluation, le major Bérard concluait à une pédophilie mixte à l'endroit du requérant. Il recommandait, s"il était décidé de laisser le requérant poursuivre sa carrière militaire, de le muter en milieu francophone pour fins de traitement.


Le 5 mars 1993, l'officier du génie de construction de la BFC Greenwood, qui est responsable du service d'incendie, recommandait à la Direction des carrières militaires - Personnel non officier (DCMP) de libérer le requérant en raison de son inconduite sexuelle en vertu du motif 5d) du tableau ajouté à l'article 15.01 des Ordonnances et Règlements Royaux applicables aux Forces Armées1. Il donne les raisons suivantes:

     Vous avez démontré une forme de conduite sexuelle qui n'est pas conforme à des standards moraux acceptables, ce qui vous rend inadéquat et indésirable pour une carrière dans les Forces canadiennes. Par conséquent, votre libération des FC ... est présentement sous considération.

Le 11 mars 1993, le requérant a signé l'avis de libération projetée et ne s'est pas opposé à sa libération des FAC. Le requérant n'a reçu aucun traitement pendant que sa libération était prise en délibéré. Le 16 mars, au nom du commandant de la base, l'officier des services techniques de la base a informé la DCMP de sa recommandation de libérer le requérant. Il a aussi informé la DCMP que le requérant avait demandé de suivre une psychothérapie, mais qu'il n'y donnerait pas suite avant qu'une décision ne soit prise au sujet de la libération par le Conseil des révisions des carrières.


Le 23 août 1993, le commandant de l'Escadre de la BFC Greenwood a informé la DCMP que les Services à la famille et à l'enfance du gouvernement provincial voulaient séparer le requérant de sa famille, vu que celui-ci n'avait pas encore suivi de traitement. Le directeur de la DCMP a répondu au commandant le 1er septembre 1993 que l'administration des traitements n'était pas du ressort de la DCMP, mais que son personnel en avait discuté avec la Direction du service de santé - Soins (DSSS). Selon les politiques et la pratique médicales des FAC, le requérant aurait dû recevoir le traitement dont il avait besoin. S'il existait des difficultés à trouver un psychiatre francophone, le médecin de la base devait consulter celui du commandement aérien ou la DSSS. Le directeur de la DCMP indiquait que si une mutation en milieu francophone était nécessaire pour la prestation de traitement, il fallait discuter des dispositions appropriées à prendre avec la DCMP. Enfin, le directeur précisait que l'absence de traitement devenait un facteur de plus en plus important dans cette affaire.


Le 9 septembre 1993, le requérant déposait une lettre d'opposition à sa libération. Dans cette lettre, Il affirmait avoir droit de recevoir des soins dans sa langue maternelle et demandait une affectation pour motifs personnels dans le Royal 22e régiment.


Le 24 septembre suivant, le requérant rencontrait à ses frais le Dr. Galarneau, un psychologue francophone de Moncton, au Nouveau-Brunswick. Celui-ci diagnostiquait le requérant comme étant un pédophile régressif. Typiquement, ce genre de contrevenant commet des agressions sexuelles de façon épisodique, dans des moments d'angoisse ou de perte d'estime de soi. Selon le Dr. Galarneau, le stress occasionné par l'apprentissage d'un nouveau travail et d'une nouvelle langue en même temps pouvait avoir contribué au déclenchement du comportement qui est reproché au requérant. Le Dr. Galarneau soulignait que le requérant devait suivre une thérapie en français, et qu"on devrait envisager la possibilité de le muter en milieu francophone.


Le 22 octobre 1993, après étude du dossier du requérant et examen de la preuve, le Conseil des révisions des carrières recommandait la libération du requérant en raison de son inconduite sexuelle. La libération du requérant a été confirmée par les FAC trois jours plus tard.


Le 15 novembre 1993, un policier militaire signait une dénonciation selon laquelle le requérant avait agressé son fils aîné sexuellement durant la période de janvier 1991 au 31 décembre 1991. Le requérant plaidait coupable au chef d"accusation contenu dans cette dénonciation le 28 avril 1994.


Le 27 janvier 1995, le requérant déposait une plainte au bureau régional de Montréal du Commissariat aux langues officielles (CLO). Le rapport rédigé par l'enquêteur du CLO expose l'allégation comme suit:

     Le Requérant n'a pas pu obtenir de services psychiatriques en français, ce qui a contribué à son renvoi des FAC. Il a également déclaré que le milieu de travail à la Base des Forces canadiennes Greenwood (Nouvelle-Écosse) était non propice à l'utilisation du français. Il a mentionné qu'un superviseur lui avait interdit de parler en français avec ses collègues. Il a déclaré que cette situation lui avait causé du stress et que cela avait contribué au comportement qui a mené à son congédiement.

L"enquêteur de la CLO a conclu dans son rapport que les FAC n'avaient pas respecté les droits linguistiques du requérant, d'une part, en le mutant dans une base unilingue anglaise, et d'autre part en ne lui octroyant pas le traitement médical demandé dans sa langue maternelle. Le requérant était défavorisé par rapport à ses collègues anglophones. La CLO a donc recommandé au ministère de la Défense nationale:

     1)      dorénavant, de prendre toutes les mesures nécessaires pour s'assurer que les pompiers affectés à une installation militaire dont la langue d'opération n'est pas la leur possèdent d'abord une compétence en langue seconde au niveau fonctionnel.
     2)      modifier, dans les plus brefs délais, toute instruction pertinente afin de s"assurer que des militaires dont le cas est examiné par un Comité de révision des carrières puissent recevoir, dans leur langue officielle préférée, les traitements médicaux dont ils ont besoin.


ANALYSE

La requête vise l'obtention d'une déclaration de cette Cour que les droits linguistiques du requérant ont été violés par les FAC et une déclaration qu'il a été injustement libéré en raison de de cette violation.


Le requérant demande une ordonnance le réintégrant dans les FAC au grade de caporal. Il réclame des dommages-intérêts pour perte de salaire, perte d'opportunité d'avancement, perte de jouissance de vie et humiliation totalisant 180 250$, ainsi que des dommages-intérêts exemplaires de 30 000$. Enfin, il demande une ordonnance rétablissant son fond de pension.


La présente requête soulève les questions suivantes:

1.      Est-ce que les FAC ont violé les droits linguistiques du requérant?
2.      Si oui, est-ce que la violation des droits linguistiques a contribué au comportement inapproprié du requérant envers son fils, et donc à sa libération des FAC?
3.      Quelle est la réparation appropriée?

1. Les droits linguistiques du requérant

a. L'affectation à la BFC Greenwood

L'article 36 de la Partie V de la LLO prévoit que les institutions fédérales doivent veiller à ce que le milieu de travail respecte l'emploi dans les deux langues officielles et soit propice à leur usage dans les régions désignées et la région de la capitale nationale. L"article se lit comme suit:

36. (1) Il incombe aux institutions fédérales, dans la région de la capitale nationale et dans les régions, secteurs ou lieux désignés au titre de l'alinéa 35(1)a)_:



a) de fournir à leur personnel, dans les deux langues officielles, tant les services qui lui sont destinés, notamment à titre individuel ou à titre de services auxiliaires centraux, que la documentation et le matériel d'usage courant et généralisé produits par elles-mêmes ou pour leur compte;






b) de veiller à ce que les systèmes informatiques d'usage courant et généralisé et acquis ou produits par elles à compter du 1er janvier 1991 puissent être utilisés dans l'une ou l'autre des langues officielles;

c) de veiller à ce que, là où il est indiqué de le faire pour que le milieu de travail soit propice à l'usage effectif des deux langues officielles, les supérieurs soient aptes à communiquer avec leurs subordonnés dans celles-ci et à ce que la haute direction soit en mesure de fonctionner dans ces deux langues.






36(2) Il leur incombe également de veiller à ce que soient prises, dans les régions, secteurs ou lieux visés au paragraphe (1), toutes autres mesures possibles permettant de créer et de maintenir en leur sein un milieu de travail propice à l'usage effectif des deux langues officielles et qui permette à leur personnel d'utiliser l'une ou l'autre.

36. (1) Every federal institution has the duty, within the National Capital Region and in any part or region of Canada, or in any place outside Canada, that is prescribed for the purpose of paragraph 35(1)(a), to

(a) make available in both official languages to officers and employees of the institution

(i) services that are provided to officers and employees, including services that are provided to them as individuals and services that are centrally provided by the institution to support them in the performance of their duties, and

(ii) regularly and widely used work instruments produced by or on behalf of that or any other federal institution;


(b) ensure that regularly and widely used automated systems for the processing and communication of data acquired or produced by the institution on or after January 1, 1991 can be used in either official language; and

(c) ensure that,

(i) where it is appropriate or necessary in order to create a work environment that is conducive to the effective use of both official languages, supervisors are able to communicate in both official languages with officers and employees of the institution in carrying out their supervisory responsibility, and

(ii) any management group that is responsible for the general direction of the institution as a whole has the capacity to function in both official languages.

36(2) Every federal institution has the duty to ensure that, within the National Capital Region and in any part or region of Canada, or in any place outside Canada, that is prescribed for the purpose of paragraph 35(1)(a), such measures are taken in addition to those required under subsection (1) as can reasonably be taken to establish and maintain work environments of the institution that are conducive to the effective use of both official languages and accommodate the use of either official language by its officers and employees.

L'Ordonnance administrative des Forces canadiennes (OAFC) 9-53, portant sur la langue d'instruction dans les deux langues officielles, a pour objectif de garantir à tous les membres des FAC l'égalité d'accès à des chances d'avancement en offrant les programmes d'instruction individuelle et de perfectionnement professionel dans les deux langues officielles, en conformité avec l'esprit de la Loi sur les langues officielles. L'OAFC 9-53 précise que si une formation n'est pas disponible dans la première langue officielle des candidats, ils devront posséder au minimum un niveau de compétence fonctionnel dans leur langue seconde, c'est-à-dire le niveau 3333, avant de suivre la formation.


La politique du ministère de la Défense nationale prévoit que le personnel unilingue n'est généralement pas affecté dans des unités fonctionnant dans une langue autre que la leur. Il peut arriver cependant, selon les besoins des FAC, qu'un membre soit affecté à une unité linguistique différente. Dans de telles circonstances, si possible, on offre au membre une formation linguistique. L'envoi d'un membre dans une région linguistique différente sans formation n'a lieu seulement que dans des circonstances exceptionnelles.


Selon les informations recueillies par l'enquêteur du CLO, les nouveaux pompiers reçoivent une formation initiale (niveau 3) à l'école de pompiers sur la BFC de Borden. Ils sont ensuite affectés à une caserne située dans une installation militaire, où ils reçoivent une formation en cours d'emploi. Au moment où le requérant a été muté à la BFC Greenwood, la formation en cours d'emploi (niveau 4) était disponible en français sur la BFC de Bagotville au Québec.


Je suis d'avis que les droits linguistiques du requérant ont été violés par son affectation à suivre la formation de pompier dans une base militaire unilingue anglaise. À son arrivée à Greenwood, le requérant possédait des compétences linguistiques inférieures au niveau fonctionnel exigé par l'OAFC 9-53. Pourtant, il a dû suivre le cours de pompier en anglais. Ce n'est qu'un an après son arrivée qu'il a pu s'inscrire à un cours d'anglais pour améliorer ses compétences dans cette langue. À la suite de ce cours, il a obtenu le niveau 2221, soit un niveau inférieur au niveau fonctionnel.

b. L'absence de traitement médical

La preuve démontre qu'il y a eu mésentente entre les dirigeants de la BFC Greenwood et la DCMP au sujet de l'interprétation des politiques régissant la disponibilité de traitement et les affectations lorsqu'un cas est à l'étude devant un Comité. Ces divergences d'opinion ont fait en sorte que le requérant n'a pu bénéficier de traitement pendant plus de neuf mois.     


Il ressort du rapport d'enquête du CLO que le requérant avait droit à un traitement médical selon la pratique et la politique des FAC. Ceci est confirmé par un message signé par le major-général Wendy A. Clay, Directeur général des services de santé des FAC émis en septembre 1997 suite à la réception du rapport d"enquête du CLO:

     Ce bureau a été informé récemment par DLOPPS qu'u militaire des FC n'avait pas reçu tous les soins psychiatriques/psychologiques requis puisqu'on avait eu de la difficulté à lui donner ces soins dans la langue officielle de son choix. Il semble que, dans le cas précis de ce militaire, les autorités médicales avaient pris les mesures appropriées puisqu'elle avaient recommandé que ce militaire soit muté aussitôt que possible dans une unité où le traitement dans la langue officielle du militaire était facilement accessible. Malheureusement il semble que, en raison d'une libération imminente, la mutation n'a pas eu lieu. Par conséquent, le militaire n'a pas reçu le traitement médical optimum.
     On rappelle à tout le personnel médical que les militaires des FC doivent recevoir, en tout temps, les soins médicaux requis par leur état de santé. Dans certains cas, en particulier quand des soins psychologiques ou psychiatriques sont recommandés, il peut devenir nécessaire de fournir ces soins dans la langue officielle du militaire. Le personnel médical devrait s'assurer que de tels soins soient donnés, que le militaire soit sur le point d'être libéré des FC ou non.


Le requérant avait besoin de suivre un traitement psychiatrique en français. L'article 36 de la LLO prévoit que des services personnels doivent être offerts dans les deux langues officielles dans les régions bilingues. Comme la BFC Greenwood est située dans une région désignée unilingue anglaise, le demandeur n'avait pas le droit de se faire soigner en français à cet endroit en vertu de la LLO. Cependant, l'absence de traitement français découle du fait d'avoir été muté sur une base unilingue anglaise en violation de ses droits linguistiques. Il aurait été approprié de muter le requérant à une autre base afin qu"il reçoive des traitements dans sa langue. Le fait que sa libération avait été recommandée n'affectait pas son droit d"obtenir des services médicaux en français.


Les FAC possèdent des règles régissant les statuts particuliers et l'affectation de militaires pour des motifs personnels. Selon l'OAFC 20-4, un militaire au prise avec un problème d'ordre personnel qui l'empêche d'occuper un emploi sans restriction peut demander une nouvelle affectation. Même si le commandement de la BFC Greenwood ne possédait pas l'autorité pour approuver le déménagement du requérant en milieu francophone, je suis d'avis, cependant, que le commandement aurait dû prendre les mesures pour demander aux autorités compétentes au quartier général de muter le requérant à un endroit où il pouvait recevoir les soins appropriés. Ceci n'a jamais été fait.

2. Le comportement inapproprié du requérant

La réclamation principale du requérant est que le stress causé par son affectation à une base unilingue anglaise, sans avoir eu d'abord une formation en anglais, a mené à son inconduite sexuelle envers son fils, et est directement responsable de sa libération de l'armée.


Cette allégation, à mon avis, est totalement dénuée de fondement. Tout d'abord, le chef d'accusation auquel le requérant a plaidé coupable rapporte qu'il aurait agressé son fils entre le 1er janvier et le 31 décembre 1991. Or, le requérant n'a été muté à Greenwood qu'en août 1991. Les agressions sexuelles auraient commencé bien avant le déménagement dans un milieu anglophone et de l'angoisse qui en a résulté.


De même, l'allégation du requérant n'est pas supportée par la preuve médicale. Dans son rapport, le major Bérard, psychiatre au service des FAC, signale que le requérant avait été évalué au plan psychiatrique lorsqu'il avait 15 ans en raison d'une agression sexuelle qu'il avait commis sur une fille de cinq ans. Il a diagnostiqué le requérant comme étant un pédophile mixte. En d'autre mots, la pédophilie du requérant n'a pas de spécificité: il a déjà agressé une fille comme un garçon, et a agressé l'enfant d'une autre personne aussi bien que le sien. Le rapport du major Bérard ne traite pas de l'existence possible d'un lien entre l'agression commise et le stress vécu dans le milieu de travail du requérant.


Un deuxième rapport, celui du Dr. Galarneau, le psychologue consulté par le requérant, a été soumis. Le passage pertinent du rapport se lit comme suit:

     In summary, this is a 31-year-old married man who present many traits of what is referred to in the literature as a "regressed pedophile". Such an individual is characterized by a previous level of adequate adjustment but reverts back to inappropriate sexual partners, as a substitute for their adult relationship, when it has become conflictual and emotionally unfulfilling. Typically, such an offender will commit sexually abusive acts on an episodic basis, often in time of extreme stress or loss of self-esteem. Conversely, a "fixated" pedophile is someone who always had a sexual preference for children and who displays a chronic level of maladapted socio-sexual adjustment.
     The phallometric results support this hypothesis and, thus, would suggest that Mr. Duguay's sexual acting-out is not rooted in deviant sexual behaviour per se. Other dynamics seem to be at play here. Although this should be investigated further, it would appear that Mr. Duguay's social and personal situation at the time of the offense, i.e. stress of learning a new job and a new language simultaneously was an important precipitating factor. (je souligne)

Il est important de noter que le rapport du Dr. Galarneau, comme celui du major Bérard, a été déposé comme pièce à l"affidavit du requérant. Le Dr. Galarneau et le major Bérard n"ont pas signé d"affidavit qui a été déposé en preuve. Par conséquent, ni le Dr. Galarneau, ni le major Bérard, n"ont fait l'objet d'un contre-interrogatoire. Je m"empresse d"ajouter que dans son rapport, le Dr. Galarneau reconnaît que son hypothèse, selon laquelle le stress subi par le requérant serait à la source de l"agression, requiert une évaluation plus approfondie.


Par ailleurs, l'affidavit de John L. Dimock, psychiatre en pratique privée, a été déposé en preuve par les intimés. Les paragraphes 9 à 16 de l"affidavit du Dr. Dimock sont pertinents et je les reproduis:

9.      THAT I have read Daniel Duguay"s military medical file. The file reveals that Mr. Duguay was treated as an in-patient for thirteen days between January 20 and February 2, 1993 at the military hospital at CFB Valcartier.
10.      THAT I am of the opinion that further to that period of hospitalization an appropriate diagnosis of pedophilia was made.
11.      THAT the diagnosis and treatment of pedophilia is a specialized and lengthy process which must be conducted by a forensic psychiatrist.
12.      THAT patients who want to obtain treatment for pedophilia are placed on a waiting list for admission to a forensic psychiatric unit.
13.      THAT the absence of psychological support between the time his diagnostic was made by Major L. Bérard in February 1993 and the day of his release from the Canadian Armed Forces would not aggravate his condition of pedophilia.
14.      THAT pedophilia as a medical condition leads to sexual preference but does not lead to incompetence in terms of choosing when to exercise that preference.
15.      THAT at all times and in spite of his condition as a pedophile, Mr. Duguay was competent to make a decision regarding his sexual conduct.
16.      THAT pedophilia is biologically driven and is not caused in any way by external factors such as stress. Stress however may be a contributing factor.


Le Dr. Dimock possède une expertise dans le domaine des agressions et des déviances sexuelles. Il a revisé le dossier médical du requérant et est d'avis que le diagnostic effectué par le major Bérard est exact. Selon le Dr. Dimock, la pédophilie est une condition médicale causant une préférence sexuelle pour les jeunes enfants. Cette condition est causée par des facteurs biologiques, et non par des facteurs externes comme le stress, quoique le stress peut être un facteur contributif. Il demeure cependant que la pédophilie n'affecte aucunement le jugement d'une personne au moment d'exercer cette préférence. Donc, même angoissé, le requérant était parfaitement capable de faire une décision concernant sa conduite sexuelle. C'est sa propre inconduite qui a mené à la perte de son emploi.


Je préfère l"opinion du Dr. Dimock à celle du Dr. Galarneau. Comme je l"ai indiqué plus tôt, Dr. Dimock est le seul expert qui a déposé un affidavit. Par conséquent, le requérant aurait pu le contre-interroger, ce qu"il n"a pas fait. J"accepte sans hésitation l"opinion du Dr. Dimock, et par conséquent, j"en viens donc à la conclusion que la libération du requérant des FAC ne résulte aucunement de la violation de ses droits linguistiques.

3. La réparation appropriée

Les alinéas 77(1) et 77(4) de la LLO donne à la Cour fédérale un pouvoir discrétionnaire d'accorder une réparation à l'égard de la violation des droits linguistiques protégés par la LLO. L'article se lit comme suit:

77(1) Quiconque a saisi le commissaire d'une plainte visant une obligation ou un droti prévus aux articles 4 à 7 et 10 à 13 ou aux parties IV ou V, ou fondée sur l'article 91 peut former un recours devant le tribunal sous le régime de la présente partie.

(4) Le tribunal peut, s'il estime qu'une institution fédérale ne s'est pas conformée à la présente loi, accorder la réparation qu'il estime convenable et juste eu égard aux circonstances.

77 (1) Any person who has made a complaint to the Commissioner in respect of a right or duty under sections 4 to 7, sections 10 to 13 or Part IV or V, or in respect of section 91, may apply to the Court for a remedy under this Part.


(4) Where, in proceedings under subsection (1), this Court concludes that a federal institution has failed to comply with this Act, the Court may grant such remedy as it considers appropriate and just in the circumstances.

L'accord de dommages-intérêts est du ressort du tribunal. Dans Lavigne c. Canada2, le juge Pinard écrivait ce qui suit:

     Finalement, la Loi sur les langues officielles de 1988 est une loi destinée à créer des droits et des obligations efficaces et pratiques. Pour atteindre cet objectif, et pour s'assurer que la Loi sert efficacement à protéger les droits linguistiques des Canadiens, les dommages-intérêts doivent faire partie de la panoplie des réparations que peut accorder la Cour conformément au paragraphe 77(4). J'estime la possibilité pour la Cour d'adjuger des dommages-intérêts essentielle à la mise en vigueur des droits quasi-constitutionnels garantis.

                                            

En l'espèce, le requérant a été défavorisé par rapport à ses collègues anglophones ou bilingues. La seule partie de l'apprentissage du métier de pompier qu'il a réussi après trois tentatives fut le test de conduite du camion de pompier. Cette situation lui a causé de l'angoisse et du stress. Le requérant a dû être hospitalisé à deux reprises pour des douleurs abdominales alors qu'il était à St. Jean. Il affirme que ces problèmes étaient liés au stress causé par sa situation. De plus, le requérant aurait dû recevoir un traitement psychiatrique en français durant la période de mars à octobre 1993. En l'espèce, je suis d'avis que des dommages-intérêts de 6 000$ constituent une réparation appropriée dans les circonstances.


Étant donné ma conclusion que le requérant n'a pas établi un lien causal entre la violation de ses droits linguistiques par les FAC et sa libération, il n'a droit à aucune compensation pour la perte de salaire et d'avantages sociaux.


Pour ce qui est de la demande de dommages-intérêts exemplaires, le juge McIntyre, de la Cour suprême du Canada, écrivait dans dans Vorvis c. Insurance Corporation of British Columbia, [1989] 1 R.C.S. 1085 à la page 1107:

     De plus, il n'est possible d'accorder des dommages-intérêts punitifs qu'à l'égard d'un comportement qui justifie une peine parce qu'il est essentiellement dur, vengeur, répréhensible et malicieux. Je ne prétends pas avoir énuméré tous les qualificatifs aptes à décrire un comportement susceptible de justifier l'attribution de dommages-intérêts punitifs, mais de toute façon, pour que de tels dommages-intérêts soient accordés, il faut que le comportement soit de nature extrême et mérite, selon toute norme raisonnable, d'être condamné et puni.

Le requérant affirme qu'on l'avait empêché de parler en français. Or, la preuve démontre que le requérant avait conclu une entente avec la direction du Service des incendies, selon laquelle il ne devait parler qu"en anglais pour améliorer sa maîtrise de cette langue. Le rapport de l"enquêteur de la CLO indique que le requérant s'était fait reproché par un supérieur d'avoir parler en français. Une personne interrogée par l'enquêteur à ce sujet a cependant mentionné que les remarques n'avaient pas été faites de façon désagréable, et visaient à rappeler au requérant qu'il devait utiliser l'anglais pour apprendre cette langue plus rapidement.


Certes, le milieu de travail au Service des incendies de la BFC Greenwood favorisait l'usage de l'anglais. Les entrevues effectuées par l'enquêteur de la CLO confirment que les militaires affectés à la salle d'alerte étaient tenus de parler en anglais pour des raisons de sécurité. Cependant, comme l'enquêteur rapporte:

     Il se dégage également de ces entrevues que le milieu de travail ne semblait pas être discriminatoire envers les francophones, malgré les affirmations contraires du plaignant. Les gens que nous avons rencontrés nous ont indiqué que les francophones, lorsqu'ils n'étaient pas dans la Salle d'alerte, pouvaient normalement parler en français entre eux. Nous avons également appris que des francophones ayant davantage de difficultés que le plaignant en anglais travaillaient en même temps à la BFC Greenwood et que cela ne les avaient pas empêchés d'apprendre le métier de pompier.

Le requérant n'a pas établi que les FAC ont agi de façon malveillante, dure, réprenhensible ou malicieuse. En conséquence, il n'y a pas lieu d'accorder des dommages-intérêts exemplaires.


La requête est accueillie en partie. Les intimés sont condamnés à payer au requérant la somme de 6 000$. Le requérant aura droit à ses frais.


     Marc Nadon

     JUGE


OTTAWA, Ontario

le 15 septembre 1999

__________________

     1      15.01 (1) Un officier ou militaire du rang ne peut être libéré au cours de son service militaire qu"en conformité du présent article et du tableau s"y rapportant:          Catégorie - Service terminé          Motifs de libération - Ne peut être employé avantageusement          Instructions spéciales - S"applique à la libération d"un officier ou militaire du rang:          -      à cause d"un manque inhérent d"habileté ou d"aptitude à répondre aux normes militaires de l"emploi ou du métier;          -      qui est incapable de s"adapter à la vie militaire          -      qui, soit entièrement soit principalement à cause des conditions de la vie militaire ou d"autres facteurs hors de son pouvoir, manifeste des faiblesses personnelles ou a des problèmes de famille ou personnels qui compromettent grandement son utilité ou imposent un fardeau excessif à l"administration des Forces canadiennes.

     2      [1991] 1 C.F. 305, conf. Par [1998] F.C.J. No. 686 (C.F.A.)

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