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Date : 20200129


Dossier : IMM-1041-19

Référence : 2020 CF 163

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 29 janvier 2020

En présence de monsieur le juge Norris

ENTRE :

XUEJIA GONG

YUNFU ZHANG

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  APERÇU

[1]  La demanderesse principale, Xuejia Gong, et son époux, Yunfu Zhang, sont des citoyens de la République populaire de Chine. Ils ont présenté une demande d’asile au Canada au motif qu’ils craignent avec raison d’être persécutés en Chine parce qu’ils sont des adeptes du Falun Gong.

[2]  Les demandeurs sont arrivés au Canada le 4 août 2015 munis de visas de visiteur valides qui leur avaient été délivrés le 23 juillet précédent. Ils n’ont présenté leurs demandes d’asile qu’en mai 2016. Ces demandes ont été instruites par la Section de la protection des réfugiés [SPR] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié [CISR] le 17 octobre 2017. Pour les motifs datés du 27 octobre suivant, la SPR a rejeté ces demandes pour des raisons de crédibilité.

[3]  Les demandeurs ont interjeté appel de cette décision devant la Section d’appel de réfugiés [SAR] de la CISR. Pour les motifs datés du 21 janvier 2019, la SAR a rejeté l’appel et confirmé les conclusions de la SPR au titre des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR].

[4]  Les demandeurs sollicitent à présent le contrôle judiciaire de la décision de la SAR aux termes du paragraphe 72(1) de la LIPR. Ils affirment que l’évaluation de la preuve par la SAR est déraisonnable.

[5]  Comme je l’expliquerai dans les motifs qui suivent, je ne suis pas d’accord. La demande de contrôle judiciaire sera donc rejetée.

II.  CONTEXTE

[6]  Mme Gong et M. Zhang étaient respectivement âgés de vingt‑cinq et de vingt‑sept ans lorsqu’ils sont arrivés au Canada. Leur fils, né en juillet 2009, est resté en Chine.

[7]  Mme Gong prétend qu’environ dix jours après la naissance de son fils, une série d’événements lui ont causé d’importants problèmes de santé. En 2013, un médecin lui a diagnostiqué des [traduction] « symptômes post-partum » et prescrit des médicaments. N’ayant obtenu aucun soulagement, elle s’est adressée à un autre médecin, mais sa santé ne s’est pas améliorée.

[8]  À l’appui de leur demande d’asile, les demandeurs ont déposé une copie de ce qu’ils ont décrit comme le dossier de soins ambulatoires de Mme Gong provenant de l’hôpital populaire de Rushan. La première entrée était datée du 11 mars 2013, et la dernière du 12 août 2013.

[9]  En août 2014, une amie de Mme Gong lui a suggéré de se joindre à un groupe de pratique du Falun Gong. Mme Gong était initialement hésitante étant donné que les adeptes du Falun Gong sont persécutés par le gouvernement chinois, mais son amie l’a convaincue d’assister à une séance chez elle.

[10]  Mme Gong a commencé à assister régulièrement à des séances de pratique. Pour des raisons de sécurité, ces séances étaient organisées dans différentes résidences. En plus des exercices, Mme Gong participait également à des séances d’étude et de discussions sur la philosophie du Falun Gong. Elle avait l’impression que tout cela lui était bénéfique. Sur son invitation, M. Zhang s’est également joint à la pratique du groupe en décembre 2014.

[11]  Les demandeurs affirment que, le 6 juin 2015, leur séance de pratique de groupe a été interrompue par une descente du Bureau de la sécurité publique [BSP]. Ils ont réussi à s’échapper et sont allés se réfugier chez la tante de Mme Gong. Le lendemain, les parents de Mme Gong ont contacté la tante pour l’informer que le BSP était à la recherche des demandeurs, qu’il avait laissé à leur intention un chuanpiao, à savoir une assignation ou citation à comparaître, et qu’il avait arrêté certains des adeptes présents à la réunion.

[12]  Les demandeurs prétendent qu’ils ont obtenu l’assignation que le BSP avait laissée à leur intention. Le document a été déposé à l’appui de leurs demandes d’asile le 21 juillet 2016. L’assignation, datée du 7 juin 2015 et adressée aux deux demandeurs, leur ordonnait de se présenter devant la 4e chambre du tribunal populaire de Rushan, dans la province de Shandong, le 8 juin 2015, et précisait qu’il était question [traduction] « de participation à des activités illégales de Falun Gong et de sabotage de l’ordre social ».

[13]  Les parents de Mme Gong ont de nouveau contacté la tante le 9 juin 2015 et lui ont dit que le BSP avait encore demandé où se trouvaient les demandeurs et pourquoi ils n’avaient pas obtempéré à l’assignation. La tante de Mme Gong a donc fait appel à un passeur pour qu’il aide les demandeurs à quitter la Chine.

[14]  À l’aide du passeur, les demandeurs ont pu se rendre à Vancouver. Ils ont quitté la Chine munis de leurs propres passeports chinois et, comme je l’ai déjà noté, ils sont donc entrés au Canada grâce à des visas de visiteur valides. Nous ne savons pas exactement la nature de l’aide qu’ils ont demandée au passeur. Les demandeurs affirment qu’ils ont été transportés dans une ferme en Colombie‑Britannique où ils ont dû travailler jusqu’au remboursement de la somme qu’ils devaient au passeur. Ils ont finalement été autorisés à partir en mai 2016 et se sont ensuite rendus à Toronto, où ils ont présenté leurs demandes d’asile.

[15]  Mme Gong affirme dans l’exposé circonstancié de son formulaire Fondement de la demande d’asile [FDA] qu’à un moment donné après son arrivée au Canada, elle a appris en appelant sa tante que le BSP se rendait [traduction] « constamment » chez elle et qu’il recherchait le couple. Mme Gong n’explique pas comment sa tante l’avait appris. Il n’est mentionné nulle part dans l’exposé circonstancié que Mme Gong a contacté ses parents directement (lorsqu’elle était en Chine ou par la suite) même si c’est avec eux que le BSP s’était entretenu au sujet des demandeurs.

[16]  À l’audition de leurs demandes devant la SPR le 17 octobre 2017, les demandeurs ont relaté leurs expériences en Chine et invoqué aussi la preuve attestant la poursuite de la pratique du Falun Gong par Mme Gong depuis son arrivée à Toronto.

[17]  Pour les motifs datés du 27 octobre 2017, la SPR a rejeté les demandes d’asile. Elle a reconnu l’identité des demandeurs, mais a rejeté les demandes pour des motifs liés à la crédibilité. En bref, la commissaire a tiré les conclusions clés suivantes :

  • Mme Gong n’a pas expliqué de manière crédible pourquoi les entrées dans le carnet médical qu’elle a produit pour corroborer les problèmes de santé qui, à l’en croire, l’ont amenée à se tourner vers le Falun Gong, remontaient seulement à 2013, alors qu’elle prétendait que ses problèmes avaient débuté en 2009. Par ailleurs, un carnet médical peut facilement être fabriqué. Le document ne présentait donc aucune valeur pour ce qui était de confirmer que Mme Gong avait des problèmes médicaux qui l’ont amenée à chercher un soulagement dans le Falun Gong.

  • Les demandeurs ont fourni des récits contradictoires quant à la fréquence à laquelle le BSP s’était présenté à leur recherche.

  • Les disparités relevées entre l’assignation produite par les demandeurs et les spécimens authentiques du Cartable national de documentation [CND] de la CISR ont amené la SPR à conclure que l’assignation produite par les demandeurs [traduction] « n’est pas un document digne de foi ». Par conséquent, les demandeurs n’ont pas établi que le BSP avait laissé une assignation à leur intention ou que la police était à leur recherche parce qu’ils sont des adeptes du Falun Gong.

  • Compte tenu de la preuve relative au traitement des membres de la famille des adeptes du Falun Gong en Chine, le fait que les demandeurs ont reconnu que leur fils pouvait être scolarisé sans problème en Chine contredisait l’allégation selon laquelle ils étaient recherchés par les autorités parce qu’ils sont des adeptes du Falun Gong.

  • Les informations obtenues de Mme Gong quant à sa pratique du Falun Gong au Canada contredisaient celles contenues dans une lettre rédigée par un de leurs camarades qui pratiquerait le Falun Gong avec eux au Canada.

  • Les réponses fournies par les demandeurs aux questions de la SPR concernant la doctrine et la pratique du Falun Gong avaient été [traduction] « répétées » ou « mémorisées »; la SPR a donc jugé qu’ils n’avaient pas été des adeptes sincères, que ce soit en Chine ou au Canada. Elle a conclu qu’ils n’avaient pas démontré [traduction] « un lien ou un engagement véritable à l’égard de la philosophie du Falun Gong ou une compréhension approfondie de ses principes » et que « les connaissances qu’[ils] avaient acquises visaient à faire avancer et à étayer leurs demandes d’asile ».

  • Enfin, la SPR a conclu que les photographies qui représentaient les demandeurs pratiquant le Falun Gong au Canada étaient insuffisantes pour dissiper les préoccupations en matière de crédibilité relatives à la sincérité de leur adhésion au mouvement.

[18]  En résumé, la SPR a conclu que les demandeurs n’avaient pas établi qu’ils étaient des adeptes sincères du Falun Gong, qu’ils étaient recherchés en Chine, ou qu’ils risquaient d’être persécutés s’ils retournaient dans ce pays.

III.  DÉCISION SOUS CONTRÔLE

[19]  Les demandeurs ont interjeté appel de cette décision devant la SAR. Leurs observations écrites mentionnent une nouvelle preuve, mais aucune preuve de cette nature n’a été produite. La commissaire de la SAR a conclu que cette mention d’une nouvelle preuve était une erreur. Les demandeurs ne contestent pas cette conclusion.

[20]  Les demandeurs ont fait valoir que la SPR avait commis une erreur :

  • a) en évaluant les documents justificatifs qu’ils avaient fournis (c.‑à‑d. l’assignation et le carnet médical);

  • b) en n’évaluant pas la sincérité de leur adhésion au Falun Gong et en imposant une norme trop élevée pour démontrer leur connaissance des principes de ce mouvement;

  • c) en interprétant la preuve relative aux visites que le BSP avait effectuées chez eux;

  • d) en évaluant la preuve concernant la fréquentation scolaire de leur enfant en Chine.

[21]  La commissaire de la SAR s’est fondée sur les indications données dans l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c Huruglica, 2016 CAF 93 [Huruglica], notant en particulier que pour évaluer les questions liées à la crédibilité des témoignages oraux, « la SAR peut faire preuve de déférence à l’égard de la SPR en fonction des circonstances de l’affaire ». Cependant, aucune des questions soulevées en appel ne semble avoir été tranchée en défaveur des demandeurs en raison d’une déférence témoignée à la SPR.

[22]  Premièrement, s’agissant de l’assignation, la commissaire de la SAR a confirmé la conclusion de la SPR portant qu’il ne s’agissait pas d’un document digne de foi étant donné qu’il était incompatible avec le spécimen du CND. Ayant convenu avec les demandeurs que la SPR n’avait fourni aucun détail étayant la conclusion qu’il existait des différences importantes entre leur document et le spécimen contenu dans le CND, la commissaire de la SAR a effectué sa propre analyse du document. D’après elle, la structure et la présentation de l’assignation étaient incompatibles avec le spécimen du CND. Or, le CND indiquait que le document avait une présentation type et qu’il n’y avait pas eu de changement à cet égard depuis 2003. La commissaire de la SAR a également relevé plusieurs problèmes particuliers en ce qui concerne la présentation du document des demandeurs, à savoir: (i) « l’identifiant du dossier et la date sont absents du coin supérieur droit, au‑dessus de l’encadré »; (ii) les caractères chinois et le libellé des troisième et quatrième cases étaient incompatibles avec le spécimen; (iii) le numéro de dossier sur la première case du texte encadré ne figurait pas dans les spécimens; (iv) les instructions au bas de l’assignation à comparaître étaient incompatibles avec la structure du spécimen du CND.

[23]  La commissaire de la SAR a noté par ailleurs que d’après les renseignements du CND, le défaut de se conformer à une assignation entraînait depuis janvier 2013 la délivrance d’un « avis de comparution obligatoire ». Comme les demandeurs n’ont jamais prétendu avoir reçu un tel avis, il était encore plus douteux qu’ils aient reçu une assignation authentique comme ils le prétendaient.

[24]  La commissaire de la SAR a également fait remarquer que les demandeurs avaient pu quitter la Chine munis de leurs propres passeports malgré le fait que le BSP avait, à ce qu’ils prétendaient, délivré des assignations contre eux. Suivant le guide jurisprudentiel dans le dossier TB6‑11632, la commissaire a conclu qu’en l’absence d’une explication de la façon dont les demandeurs avaient réussi à passer les procédures de contrôle de l’aéroport en présentant leurs propres passeports alors que le BSP était à leur recherche pour les interroger, il était encore plus douteux qu’ils aient reçu une assignation authentique comme ils l’affirmaient.

[25]  Se fondant sur ces éléments, la commissaire de la SAR a conclu que la SPR n’avait pas eu tort de n’accorder aucun poids à l’assignation. Se basant sur sa propre analyse, la commissaire a souscrit à la conclusion de la SPR selon laquelle l’assignation n’était pas authentique, et cela justifiait par ailleurs de tirer une inférence défavorable quant à la crédibilité des demandeurs. Comme l’assignation a été jugée frauduleuse, et comme les demandeurs avaient de leur propre aveu réussi à quitter la Chine munis de leurs propres passeports, la commissaire de la SAR a conclu qu’ils n’étaient pas recherchés par le BSP comme ils le prétendaient et qu’en fait, ils n’étaient pas présents lors de la descente du BSP à la pratique de groupe du Falun Gong.

[26]  Deuxièmement, s’agissant du carnet médical, la commissaire de la SAR a confirmé la conclusion de la SPR selon laquelle ce document n’était pas digne de foi. D’après les demandeurs, rien ne démontrait que le carnet était frauduleux à première vue, rien n’indiquait qu’ils avaient voulu fournir des documents frauduleux, et la SPR avait reconnu l’authenticité de leurs papiers d’identité. Ils ont également fait valoir que la conclusion de la SPR quant au caractère frauduleux du carnet médical était conjecturale et arbitraire et que toute inférence défavorable tirée de l’incapacité de Mme Gong à se souvenir du nom d’un médecin reposait sur des disparités mineures qui étaient d’importance secondaire quant à la demande.

[27]  La commissaire de la SAR a rejeté ces prétentions. Elle a noté que la page couverture du carnet indiquait qu’il avait été délivré en 2013. Mme Gong était alors âgée de vingt‑trois ans. Cette dernière n’a fourni aucune preuve établissant qu’elle avait eu un autre carnet avant cela, malgré le fait qu’il était obligatoire d’en avoir un et qu’elle avait eu un enfant. La commissaire a également jugé douteux que les seules mentions dans le carnet concernaient les prétendus symptômes post-partum qui, à en croire Mme Gong, l’avaient amenée à se tourner vers la pratique du Falun Gong. Enfin, la commissaire a noté que la SPR a rejeté l’explication de Mme Gong selon laquelle ses visites avant 2013 n’avaient pas été consignées parce qu’elles avaient été brèves. Après avoir soupesé ces éléments, la commissaire de la SAR a conclu que, selon la prépondérance des probabilités, le carnet médical avait simplement été préparé pour appuyer la demande d’asile, et que cela justifiait par ailleurs de tirer une inférence défavorable quant à la crédibilité des demandeurs.

[28]  Troisièmement, la commissaire de la SAR a jugé que la SPR n’avait pas eu tort de conclure que les demandeurs n’avaient pas établi, selon la prépondérance des probabilités, qu’ils étaient des adeptes sincères du Falun Gong en Chine ou au Canada. Ces derniers soutenaient que la SPR avait commis une erreur dans son évaluation de la preuve et que leurs réponses concernant les principes fondamentaux de la religion auraient dû suffire à établir qu’ils étaient des adeptes sincères. La commissaire de la SAR n’était pas d’accord et a conclu, en se fondant sur l’ensemble de la preuve, que les demandeurs n’avaient pas établi, selon la prépondérance des probabilités, qu’ils pratiquaient le Falun Gong en Chine. La commissaire a également rejeté leurs demandes sur place au motif qu’ils avaient pratiqué le Falun Gong au Canada dans le but de faire avancer leurs demandes d’asile et que leurs connaissances au sujet de ce mouvement avaient été acquises uniquement à cette fin.

[29]  Quatrièmement, la commissaire de la SAR a jugé que la SPR n’avait pas eu tort de conclure que le récit de Mme Gong des visites du BSP était incohérent et qu’il n’était donc pas crédible. Les demandeurs faisaient valoir que la SPR s’était attardée sur une question mineure de terminologie et n’avait pas compris que lorsque Mme Gong avait dit que le BSP faisait [traduction« constamment » des visites, elle n’avait pas voulu dire ces visites avaient été nombreuses, ce qui, de leur propre admission, contredirait son témoignage. La commissaire de la SAR a rejeté cette explication, faisant remarquer que l’exposé circonstancié joint au FDA de Mme Gong et daté du 20 mai 2016 décrivait deux visites du BSP avant son départ de Chine. L’exposé circonstancié indique ensuite ce qui suit : [traduction] « J’ai appelé ma tante qui m’a dit que le BSP se présentait constamment chez moi et qu’il nous recherchait, moi et mon époux ». Bien que la date de cet appel n’ait pas été précisée, il ressort clairement du contexte qu’il a été fait du Canada. Cependant, Mme Gong a déclaré devant la SPR que le BSP s’était présenté chez elle une fois seulement après son départ de Chine ‑ en juillet 2016. Cette date était toutefois postérieure à la rédaction de l’exposé circonstancié du FDA. La commissaire de la SAR a conclu que la SPR ne s’était pas attardée sur une question mineure de « terminologie » et qu’elle avait plutôt convenablement relevé une contradiction directe entre l’exposé circonstancié du FDA de Mme Gong et le témoignage qu’elle lui avait présenté.

[30]  Enfin, la commissaire de la SAR a convenu avec les demandeurs que la SPR avait fait une erreur en concluant que l’absence de persécution de leur fils en Chine prouvait qu’ils n’étaient pas des adeptes sincères du Falun Gong. Les demandeurs soutenaient que la SPR avait mal interprété la preuve documentaire lorsqu’elle avait conclu que tous les membres de la famille des adeptes du Falun Gong étaient maltraités. Ils ont également signalé des éléments de preuve documentaire montrant que ces mauvais traitements n’étaient pas uniformes. La commissaire de la SAR a examiné la réponse à la demande d’information citée par la SPR à cet égard et conclu qu’elle n’établissait pas qu’il y avait persécution systématique des membres de la famille des adeptes du Falun Gong. La commissaire de la SAR a néanmoins conclu que cette erreur n’était pas fatale compte tenu des autres conclusions défavorables en matière de crédibilité tirées par la SPR que la SAR a confirmées.

[31]  Pour ces motifs, la SAR a rejeté l’appel et confirmé les conclusions de la SPR.

IV.  NORME DE CONTRÔLE

[32]  Il est bien établi que les conclusions tirées par la SAR à l’égard de questions de fait et de questions de fait et de droit sont assujetties à la norme du caractère raisonnable (Huruglica, para 35).

[33]  Le caractère approprié de cette norme a récemment été confirmé par l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov], dans lequel la majorité de la Cour a énoncé un cadre révisé aux fins de la détermination de la norme applicable au contrôle d’une décision administrative sur le fond (para 10). D’après l’arrêt Vavilov, rien ne justifie de déroger à la présomption de contrôle de la décision de la SAR selon la norme du caractère raisonnable.

[34]  Dans l’arrêt Vavilov, la majorité s’est également efforcée de préciser les modalités d’application de la norme du caractère raisonnable (para 143). Les principes soulignés par la majorité provenaient dans une large mesure de la jurisprudence antérieure, en particulier de l’arrêt Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, [2008] 1 RCS 190, 2008 CSC 9 [Dunsmuir]. Quoique la présente demande ait été débattue avant la publication de l’arrêt Vavilov, le fondement sur lequel les parties ont fait valoir leurs positions respectives quant au caractère raisonnable de la décision de la SAR est compatible avec le cadre de l’arrêt Vavilov. J’ai appliqué ce cadre pour conclure que la décision de la SAR est raisonnable, mais l’issue aurait été la même suivant le cadre de l’arrêt Dunsmuir.

[35]  Comme cela est énoncé dans l’arrêt Vavilov, l’exercice de tout pouvoir public « doit être justifié, intelligible et transparent non pas dans l’abstrait, mais pour l’individu qui en fait l’objet » (Vavilov, para 95). C’est pour cette raison que le décideur administratif est tenu « de justifier, de manière transparente et intelligible pour la personne visée, le fondement pour lequel il est parvenu à une conclusion donnée » (Vavilov, para 96). Une décision raisonnable « doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Vavilov, para 85). L’évaluation du caractère raisonnable d’une décision doit être sensible et respectueuse, mais aussi rigoureuse (Vavilov, aux para 12 et 13). En l’espèce, il incombe aux demandeurs de démontrer que la décision de la SAR est déraisonnable. Avant que la décision puisse être infirmée pour ce motif, je dois être convaincu qu’elle « souffre de lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence » (Vavilov, para 100).

V.  QUESTION À TRANCHER

[36]  Les demandeurs contestent la décision de la SAR pour un certain nombre de motifs qui peuvent toutefois tous se résumer à une seule question : la décision de la SAR est‑elle déraisonnable?

VI.  ANALYSE

A.  L’assignation

[37]  Les demandeurs soutiennent que la conclusion de la commissaire de la SAR selon laquelle l’assignation n’était pas authentique n’est ni justifiée ni intelligible. Je ne suis pas d’accord.

[38]  Il était loisible à la SAR de remettre en cause l’authenticité de l’assignation des demandeurs sur la base de disparités, même négligeables, entre ce document et un équivalent authentique : voir Zhuang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 263, para 17 [Zhuang] et les décisions qui y sont citées. Comme l’a fait remarquer le juge en chef dans Jiang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 1064, para 31 [Jiang], c’est à travers des détails qu’une contrefaçon peut être révélée. L’évaluation par la SAR de tels documents appelle la retenue : voir Zhuang, para 17. Même pour l’œil non averti, la présentation de l’assignation des demandeurs diffère indéniablement du spécimen authentique contenu dans le CND. Aussi, bien que certains caractères chinois préimprimés soient identiques dans les deux documents, d’autres sont différents. Contrairement à ce que font valoir les demandeurs dans leurs observations, il n’est pas nécessaire de connaître le chinois pour pouvoir constater ces différences. La commissaire de la SAR a expressément mentionné les disparités qu’elle a relevées, ce que n’avait pas fait la SPR. Cela confère à sa conclusion quant à l’inauthenticité de l’assignation des demandeurs le degré requis de transparence et d’intelligibilité et, vu l’utilisation d’une assignation type, de justification. Nous pouvons ainsi établir une distinction entre la présente affaire et Feng c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 18, dans laquelle la SAR avait conclu qu’une assignation à comparaître était frauduleuse sans avoir pris la peine d’analyser le document lui‑même (para 31).

[39]  Il était également loisible à la commissaire de la SAR de conclure que la non-délivrance d’un avis de comparution obligatoire aux demandeurs alors qu’ils n’avaient pas répondu à l’assignation du 8 juin 2015 et qu’ils prétendaient que le BSP continuait à s’intéresser à eux confirmait que l’assignation n’était pas authentique : voir, par exemple, Yan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 146, para 23, et Lin c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 854, para 24.

[40]  La conclusion de la SAR selon laquelle l’assignation n’est pas authentique est à son tour susceptible d’appuyer plus généralement une conclusion défavorable quant à la crédibilité des demandeurs, compte tenu de la place centrale de ce document dans leur propre exposé circonstancié. L’assignation n’a pas été simplement présentée comme un élément de preuve corroborant. Il s’agit de la pierre angulaire de leur demande d’asile, conjointement avec les prétendus appels des parents de Mme Gong (attestés uniquement par le récit de seconde main des demandeurs). Ils affirment que c’est l’assignation qui leur a fait craindre d’être persécutés parce que ce document établissait qu’ils avaient été identifiés par le BSP comme des adeptes du Falun Gong. C’est la raison pour laquelle ils ont quitté la Chine. Le fait qu’ils n’ont pas réussi à établir que l’assignation est un document authentique soulève, de façon raisonnable, de sérieux doutes quant à l’ensemble de leur exposé circonstancié.

B.  Le carnet médical

[41]  Les demandeurs font valoir que la SAR a commis une erreur lorsqu’elle a conclu que le carnet médical n’était pas authentique. Ils affirment que la conclusion de la SAR selon laquelle un tel carnet doit être présenté à chaque rendez‑vous médical n’était pas appuyée par la preuve documentaire et que la SAR a eu tort de tirer une conclusion défavorable en matière de crédibilité en s’appuyant sur le fait que Mme Gong n’avait pas de carnet médical avant 2013.

[42]  Je ne suis pas d’accord.

[43]  La réponse à la demande d’information sur laquelle se fonde la commissaire de la SAR indique ce qui suit :

  • Les consultations médicales des patients externes sont consignées dans un petit carnet appelé [TRADUCTION] « Dossier médical des soins ambulatoires et d’urgence pour les hôpitaux et les cliniques », dans lequel le médecin consigne les symptômes du patient.

  • La remise de ce carnet se fait sur une base obligatoire », et ce sont les patients, et non l’hôpital, qui le conservent. Par contre, les dossiers des patients hospitalisés sont conservés à la fois par l’hôpital et le patient.

[44]  Compte tenu de ces renseignements, il était raisonnable que la commissaire de la SAR cherche à savoir pourquoi Mme Gong n’avait pas de carnet médical antérieur à 2013. Il était également raisonnable qu’elle rejette l’explication de Mme Gong selon laquelle toutes les visites médicales avant 2013 étaient de simples consultations externes qui n’avaient pas été consignées en raison de leur brièveté. Par ailleurs, il était loisible à la commissaire de conclure que le contenu du carnet médical produit par les demandeurs soulevait des doutes quant à l’authenticité du document. Enfin, bien que la SAR ait fait remarquer qu’il est facile de se procurer des documents frauduleux en Chine, il ne s’agissait pas d’un motif indépendant permettant de conclure que le carnet avait été fabriqué, mais plutôt d’un fait qui n’a simplement pas permis de dissiper les autres doutes de la SAR quant à l’authenticité du document. Dans les circonstances, cette conclusion était raisonnable.

[45]  Dans leur mémoire des arguments, les demandeurs ont affirmé qu’on n’avait pas demandé à Mme Gong, à l’audience devant la SPR, si elle avait déjà eu un autre carnet médical ni pourquoi elle ne disposait d’aucun document médical concernant sa grossesse ou la naissance de son fils. Cette affirmation n’était appuyée ni par un affidavit de Mme Gong ni par aucun autre élément de preuve. À juste titre, il n’a pas été avancé lors de l’audition de la présente demande.

C.  La capacité des demandeurs à quitter la Chine

[46]  Les demandeurs font valoir que la commissaire de la SAR a commis une erreur lorsqu’elle a conclu que leur capacité à quitter la Chine munis de leurs propres passeports alors qu’ils avaient reçu une assignation du BSP justifiait d’inférer que l’assignation n’était pas authentique. La commissaire de la SAR a eu tort, selon eux, de ne pas tenir compte du fait crucial qu’ils avaient uniquement été assignés comme témoins et non comme suspects. Ils n’étaient pas recherchés en vue d’être arrêtés. La commissaire de la SAR n’aurait pas dû présumer qu’il leur aurait été aussi difficile de ne pas se faire détecter étant donné que le guide jurisprudentiel indique que ce sont les individus recherchés par la police à titre de suspects ou de défendeurs qui connaissent de telles difficultés. Selon les demandeurs, cette erreur est déterminante au regard de la demande, car toutes les autres conclusions défavorables concernant leur crédibilité en découlent.

[47]  Je ne suis pas d’accord.

[48]  Je commencerais par faire remarquer que le guide jurisprudentiel sur lequel la commissaire de la SAR s’est appuyée a été révoqué par le président de la CISR le 28 juin 2019, car il était basé (en partie) sur des renseignements erronés ou dépassés concernant le contrôle des passagers aériens quittant la Chine. Cela s’est produit après que les demandeurs ont sollicité l’autorisation d’introduire la présente demande, mais avant que ladite autorisation ne soit accordée. Même s’ils ont eu la possibilité de soulever d’autres problèmes liés au fait que la commissaire de la SAR s’était fondée sur un guide jurisprudentiel à présent révoqué, les demandeurs n’ont pas allégué qu’elle avait commis d’autres erreurs que celles mentionnées précédemment.

[49]  S’agissant du bien‑fondé de leur argument, la commissaire de la SAR n’a pas eu tort, à mon avis, de s’appuyer sur le guide jurisprudentiel comme elle l’a fait. Les demandeurs font remarquer à juste titre que contrairement à l’affaire à l’origine du guide jurisprudentiel, ils n’alléguaient pas que le BSP les poursuivait activement comme s’ils étaient des criminels en fuite. Ils ont toutefois affirmé que le BSP était activement à leur recherche dans le cadre d’une enquête criminelle. Plus important, même en acceptant pour les besoins de la discussion, et comme le font valoir les demandeurs, qu’il existe une distinction valide en l’espèce entre la qualité de suspect ou de défendeur dans une affaire criminelle et celle de simple témoin, les demandeurs n’ont cité aucune preuve indiquant que ces deux catégories sont traitées différemment par le BSP lorsqu’il enquête sur des individus soupçonnés de se livrer à la pratique du Falun Gong ou dans le cadre de l’opération Bouclier d’or ou d’autres mesures de sécurité aéroportuaires.

[50]  Quoi qu’il en soit, même si la commissaire de la SAR n’aurait pas dû présumer que les demandeurs auraient été traités comme des suspects ou des défendeurs dans une affaire criminelle en raison du fait qu’ils avaient pu quitter la Chine munis de leurs propres passeports, cette question est loin d’être déterminante. La SPR n’a tiré aucune conclusion concernant le Bouclier d’or ou la capacité des demandeurs à quitter la Chine. Par conséquent, les demandeurs n’ont soulevé aucun motif d’appel à cet égard. La commissaire de la SAR a plutôt mentionné elle‑même ce point comme raison additionnelle de douter de l’authenticité de l’assignation qu’ils avaient produite. Les autres motifs pour lesquels elle doutait de l’authenticité de ce document ‑ examinés précédemment ‑ sont à eux seuls susceptibles d’étayer le caractère raisonnable de cette conclusion, avec toutes les conséquences que cela suppose raisonnablement quant à la crédibilité des demandeurs.

D.  La demande sur place des demandeurs

[51]  Pour la commissaire de la SAR, comme les demandeurs n’étaient pas des adeptes du Falun Gong en Chine et qu’ils n’étaient pas recherchés par les autorités de ce pays à ce titre, ils avaient documenté leur pratique du Falun Gong au Canada et acquis une connaissance des doctrines en la matière « dans le seul but d’appuyer une demande d’asile frauduleuse ». Les demandeurs soutiennent que cette conclusion est déraisonnable, car elle a été tirée en l’absence de preuve directe établissant leur intention frauduleuse. Je ne suis pas d’accord.

[52]  La demande sur place des demandeurs était un élément secondaire de leur demande de protection qu’ils fondaient principalement sur ce qui leur serait arrivé en Chine. La commissaire de la SAR a rejeté, selon la prépondérance des probabilités, le récit de leurs expériences en Chine au motif qu’ils n’avaient pas pratiqué le Falun Gong dans ce pays et qu’ils n’étaient pas recherchés par les autorités chinoises à ce titre. La SAR peut évaluer l’aspect sur place d’une demande d’asile à la lumière des préoccupations en matière de crédibilité qu’elle pourrait avoir à l’égard de la demande initiale : voir Li c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 454, para 24; Li c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 877, para 29; et Jiang, para 26 à 28. Par ailleurs, pour évaluer une demande sur place, la SAR peut tenir compte de la raison pour laquelle le demandeur d’asile s’est livré aux activités en question : voir Su c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 518, para 17 et 18. Même en l’absence d’une preuve directe d’un motif frauduleux, il était raisonnablement loisible à la commissaire de la SAR, compte tenu de l’ensemble de la preuve et des conclusions factuelles raisonnables qu’elle en a tiré, de conclure que la pratique du Falun Gong par les demandeurs au Canada ne reposait pas sur une adhésion sincère à la doctrine, mais visait plutôt à étayer une demande de protection frauduleuse.

E.  La fréquence des visites du BSP

[53]  Dans leur mémoire des arguments, les demandeurs contestaient également la conclusion de la SAR quant à la contradiction entre l’exposé circonstancié contenu dans le FDA et le témoignage de Mme Gong en ce qui touchait la fréquence des visites du BSP. Ce motif n’a pas été plaidé dans les arguments oraux. Il est infondé.

VII.  CONCLUSION

[54]  Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

[55]  Les parties n’ont soulevé aucune question grave de portée générale aux fins de certification au titre de l’alinéa 74d) de la LIPR. Je conviens qu’aucune question de ce type ne se pose.


JUGEMENT dans le dossier IMM-1041-19

LA COUR DÉCLARE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Aucune question de portée générale n’est formulée.

« John Norris »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-1041-19

 

INTITULÉ :

XUEJIA GONG ET AUTRE c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENTION :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 30 septembre 2019

 

jugement et motifs :

lE JUGE NORRIS

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

Le 29 janvier 2020

 

COMPARUTIONS :

Chloe Turner Bloom

 

pour les demandeurs

 

Matthew Siddall

 

pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Lewis & Associates

Avocats

Toronto (Ontario)

 

pour les demandeurs

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

pour le défendeur

 

 

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