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Dossier : IMM‑3057‑19

Référence : 2020 CF 158

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 28 janvier 2020

En présence de monsieur le juge Brown

ENTRE :

RAJINDER KUMAR WATTS,

SARITA WATTS

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Nature de l’affaire

[1]  La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire des décisions par lesquelles une agente des visas [l’agente] a rejeté les demandes de visa de résident temporaire [VRT] des demandeurs [les décisions contestées]. Les deux demandes ont été rejetées le 29 avril 2019 dans des lettres et des notes du Système mondial de gestion des cas [SMGC] distinctes, mais essentiellement identiques.

II.  Faits

[2]  Les demandeurs sont mari et femme; ils sont tous deux ressortissants de l’Inde. Les demandeurs ont demandé des visas pour entrées multiples pour se rendre en Ontario (Canada), à l’été 2019. Ils avaient l’intention de prendre des vacances et de voyager pendant 15 jours, du 1er au 15 juin 2019, à Toronto et dans les environs, pour faire du tourisme.

[3]  On leur avait déjà refusé deux fois des visas. Les éléments de preuve dont était saisie l’agente indiquaient que les demandeurs géraient deux petites laiteries en Inde. Dans leurs observations, présentées par l’intermédiaire de leur avocat, les demandeurs ont fourni un état de leurs actifs, qui a été préparé par des comptables agréés, ainsi que des documents à l’appui sous forme de relevés bancaires, de déclarations d’impôt sur le revenu et d’autres documents. L’avocat a également déclaré que les demandeurs possédaient un avoir combiné d’une valeur de [traduction« 1 93 30 000 roupies indiennes, ce qui équivaut à environ 3 72 315 $ CA » et qu’ils détenaient un dépôt combiné d’au moins [traduction« 15 16 000 roupies indiennes en date du 19 mars 2019 [...] qui équivaut à environ 29 150 $ CA ».

[4]  Malheureusement, ces montants ne sont pas énoncés correctement; ils ne respectent pas les règles d’écriture relatives aux devises canadiennes. Quoi qu’il en soit, il semble que le total des dépôts bancaires des demandeurs était de 29 150 $, et que la valeur totale de tous leurs actifs en Inde, y compris les laiteries, sept petites propriétés (dont le revenu de location total est de 410 $ par mois), l’or et les bijoux, était de 434 500 $.

[5]  Le revenu annuel combiné des deux demandeurs était d’environ 14 800 $. Le voyage devait durer 15 jours, et les demandeurs prévoyaient visiter de nombreux sites touristiques importants à Toronto et dans les environs, de Niagara Falls à Cobourg, en Ontario. Le défendeur a estimé le coût du voyage à environ 7 000 $, ce qui n’a pas été contesté par les demandeurs.

[6]  Les deux enfants des demandeurs vivent en Inde et sont âgés de 6 et 14 ans.

III.  Décision faisant l’objet du contrôle

[7]  Le 29 avril 2019, les deux demandeurs ont chacun reçu une lettre indiquant que l’agente avait déterminé que leur demande ne répondait pas aux exigences de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR], et du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 [RIPR]. Plus précisément, chaque lettre disposait :

[traduction]

Je rejette votre demande pour les motifs suivants :

  Je ne suis pas convaincue que vous quitterez le Canada à la fin de votre séjour à titre de résident temporaire, aux termes de l’alinéa 179b) du RIPR, compte tenu de l’objet de votre visite.

  Je ne suis pas convaincue que vous quitterez le Canada à la fin de votre séjour à titre de résident temporaire, aux termes de l’alinéa 179b) du RIPR, compte tenu de vos actifs personnels et de votre situation financière.

[8]  Les notes du SMGC font partie des décisions contestées :

[traduction]

J’ai examiné tous les documents déposés à l’appui de cette demande. Voici un résumé de mes principales constatations : – Les éléments de preuve concernant la situation financières sont insuffisants / les fonds indiqués au dossier ne semblent pas être suffisants pour le voyage au Canada, compte tenu de sa durée; selon les documents versés au dossier à l’appui du degré d’établissement économique et compte tenu de l’objet de la visite, je suis d’avis que le voyage proposé au Canada n’est pas une dépense raisonnable ou abordable; voir la preuve de fonds versée au dossier – Le DP et sa famille ne démontrent pas un établissement suffisant ou des liens suffisants pour motiver leur retour – L’absence de voyages antérieurs a été constatée; les voyages antérieurs auraient pu servir à évaluer la conformité antérieure du DP aux lois sur l’immigration de pays présentant des facteurs d’attirance importants en matière d’immigration. Étant donné ce qui précède, le DP n’a pas démontré un établissement suffisant ou des liens suffisants pour motiver son retour. Je ne suis pas convaincue, selon la prépondérance des probabilités, que le DP est un visiteur de bonne foi au Canada et qu’il quittera le pays à la fin de sa période de séjour autorisée. Demande refusée.

[Non souligné dans l’original.]

IV.  Question préliminaire

[9]  Le défendeur soulève une question préliminaire. Il soutient que l’affidavit conjoint des demandeurs produit à l’appui de la présente demande de contrôle judiciaire est irrégulier.

[10]  Je suis d’accord. Le paragraphe 80(1) des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106, exige que les affidavits soient rédigés à la première personne et qu’ils soient établis selon la formule 80A, qui ne permet qu’un seul auteur. Le défendeur cite à juste titre les propos tenus par la juge Heneghan dans la décision Henderson c Première Nation de Sioux Valley Dakota, 2008 CF 794, au para 33 :

[33]  Comme je l’ai mentionné, les demandeurs ont souscrit et déposé des affidavits conjoints. Les Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106 (les « Règles ») ne prévoient pas le dépôt d’affidavits conjoints. Sur ce point, je rappelle la règle 80(1), qui prévoit :

80(1) Forme
Les affidavits sont rédigés à la première personne et sont établis selon la formule 80A.

80(1) Form of affidavits
Affidavits shall be drawn in the first person, in Form 80A.

[11]  De même, comme l’a déclaré le juge Rennie (tel était alors son titre) dans la décision Elhatton c Canada (Procureur général), 2013 CF 71, aux para 72 et 73 :

[72]  Deuxièmement, le commissaire a admis parmi les nouveaux éléments de preuve un [traduction] « affidavit conjoint », signé par la gendarme Elhatton et son fiancé. Or, l’affidavit conjoint n’existe pas dans notre système juridique. Il y a à cela de bonnes raisons, notamment qu’il dénote par essence la concertation de deux témoins distincts et fait obstacle à la fonction de recherche de la vérité qu’on assigne au contre‑interrogatoire. Pour ce qui concerne l’affidavit qui nous occupe, son auteur déclare que le contenu en est fondé sur une connaissance directe, alors que ce n’est manifestement pas le cas : il regorge en effet du ouï‑dire le plus évident.

[73]  Le commissaire s’est fondé sur l’affidavit conjoint pour exposer les résultats de l’enquête relative à l’imputation de parjure et conclure que la crédibilité de la gendarme Elhatton resterait intacte. S’il est vrai que le commissaire n’est pas soumis à toute la rigueur des règles de preuve, il manque néanmoins à la norme du raisonnement solide formulée dans Dunsmuir en basant sur l’affidavit conjoint cette conclusion touchant la crédibilité. De ce qu’on n’ait pas inculpé la gendarme Elhatton, il ne suit pas nécessairement que sa crédibilité serait restée la même devant le comité d’arbitrage.

[12]  Dans leur réponse, les demandeurs soutiennent qu’ils sont disposés à déposer des affidavits distincts, avec l’autorisation de la Cour, en déposant une requête visant à autoriser l’affidavit en tant qu’affidavits distincts. Aucune requête à cet effet n’a été déposée.

[13]  À mon avis, l’affidavit conjoint n’est pas conforme aux règles. Je n’en tiendrai aucunement compte. De toute façon, comme je l’ai noté à l’audience, le contrôle judiciaire est fondé sur le dossier dont est saisi le décideur et n’est pas une occasion de remettre une affaire en litige et de présenter de nouveaux éléments de preuve, sauf dans des circonstances très limitées, dont aucune ne s’applique en l’espèce : Association des universités et collèges du Canada c Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22, le juge Stratas, au para 20.

V.  Questions en litige

[14]  Les demandeurs soutiennent que les questions suivantes doivent être tranchées :

[15]  À mon avis, la seule question soulevée dans les observations des demandeurs est celle de savoir si les décisions contestées sont raisonnables.

VI.  Norme de contrôle et dispositions législatives applicables

A.  Norme de contrôle

[16]  La présente demande de contrôle judiciaire a été entendue peu après que la Cour suprême du Canada a rendu sa décision dans les affaires Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65, motifs de la majorité rédigés par le juge en chef Wagner [Vavilov], et Société canadienne des postes c Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes, 2019 CSC 67, motifs de la majorité rédigés par le juge Rowe [Postes Canada]. Les parties ont présenté leurs observations initiales conformément au cadre d’analyse énoncé dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9 [Dunsmuir]. J’appliquerai le cadre d’analyse relatif à la norme de contrôle établi dans les arrêts Vavilov et Postes Canada. Aucune injustice ne s’est produite; avant l’audience, j’ai invité les parties à présenter des observations concernant l’application du cadre d’analyse relatif à la norme de contrôle établi dans l’arrêt Vavilov. Aucune des parties n’a présenté d’observations à cet égard.

[17]  En ce qui concerne la norme de contrôle, dans l’arrêt Postes Canada, le juge Rowe a noté que, dans l’arrêt Vavilov, la Cour suprême du Canada avait établi un cadre d’analyse révisé permettant de déterminer la norme de contrôle applicable à l’égard des décisions administratives. Il existe une présomption d’application de la norme de la décision raisonnable, qui n’a pas été réfutée en l’espèce. Par conséquent, la norme de contrôle applicable aux décisions contestées est celle de la décision raisonnable.

[18]  Le contrôle judiciaire selon cette norme est à la fois rigoureux et adapté au contexte : Vavilov, au para 67. Appliquant le cadre d’analyse établi dans l’arrêt Vavilov, le juge Rowe a expliqué, dans l’arrêt Postes Canada, ce qui est exigé pour conclure qu’une décision est raisonnable et ce qui est attendu d’un tribunal qui applique la norme de la décision raisonnable :

[31]  La décision raisonnable « doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Vavilov, par. 85). Par conséquent, lorsqu’elle procède au contrôle d’une décision selon la norme de la décision raisonnable, « une cour de révision doit d’abord examiner les motifs donnés avec “une attention respectueuse”, et chercher à comprendre le fil du raisonnement suivi par le décideur pour en arriver à [l]a conclusion » (Vavilov, par. 84, citant Dunsmuir, par. 48). Les motifs devraient être interprétés de façon globale et contextuelle afin de comprendre « le fondement sur lequel repose la décision » (Vavilov, par. 97, citant Newfoundland Nurses).

[32]  La cour de révision devrait se demander si la décision dans son ensemble est raisonnable : « ce qui est raisonnable dans un cas donné dépend toujours des contraintes juridiques et factuelles propres au contexte de la décision particulière sous examen » (Vavilov, par. 90). Elle doit se demander « si la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si la décision est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle‑ci » (Vavilov, par. 99, citant Dunsmuir, par. 47 et 74, et Catalyst Paper Corp. c. North Cowichan (District), 2012 CSC 2, [2012] 1 R.C.S. 5, par. 13).

[33]  Lors d’un contrôle selon la norme de la décision raisonnable, « [i]l incombe à la partie qui conteste la décision d’en démontrer le caractère déraisonnable » (Vavilov, par. 100). La partie qui conteste la décision doit convaincre la cour de justice que « la lacune ou la déficience [invoquée] [...] est suffisamment capitale ou importante pour rendre [la décision] déraisonnable » (Vavilov, par. 100). En l’espèce, ce fardeau incombe au Syndicat.

[19]  De plus, le juge en chef, s’exprimant au nom des juges majoritaires, a noté ce qui suit dans l’arrêt Vavilov :

D. Les motifs écrits d’une décision devraient être interprétés à la lumière du dossier et en tenant dûment compte du contexte administratif dans lequel ils sont fournis

Une cour de révision doit se rappeler que les motifs écrits fournis par un organisme administratif ne doivent pas être jugés au regard d’une norme de perfection. Le fait que les motifs de la décision « ne fassent pas référence à tous les arguments, dispositions législatives, précédents ou autres détails que le juge siégeant en révision aurait voulu y lire » ne constitue pas un fondement justifiant à lui seul d’infirmer la décision : Newfoundland Nurses, par. 16. On ne peut dissocier non plus le contrôle d’une décision administrative du cadre institutionnel dans lequel elle a été rendue ni de l’historique de l’instance.

B.  Dispositions législatives applicables

[20]  Les demandes de VRT sont régies par l’alinéa 20(1)b) de la LIPR, ainsi que par le paragraphe 7(1) et l’article 179 du RIPR. L’alinéa 20(1)b) de la LIPR prévoit ce qui suit :

Obligation à l’entrée au Canada

Obligation on entry

20 (1) L’étranger non visé à l’article 19 qui cherche à entrer au Canada ou à y séjourner est tenu de prouver :

20 (1) Every foreign national, other than a foreign national referred to in section 19, who seeks to enter or remain in Canada must establish,

[…]

b) pour devenir un résident temporaire, qu’il détient les visa ou autres documents requis par règlement et aura quitté le Canada à la fin de la période de séjour autorisée.

(b) to become a temporary resident, that they hold the visa or other document required under the regulations and will leave Canada by the end of the period authorized for their stay.

[21]  Le paragraphe 7(1) et l’article 179 du RIPR prévoient ce qui suit :

Résident temporaire

Temporary resident

7 (1) L’étranger ne peut entrer au Canada pour y séjourner temporairement que s’il a préalablement obtenu un visa de résident temporaire.

7 (1) A foreign national may not enter Canada to remain on a temporary basis without first obtaining a temporary resident visa.

[…]

Délivrance

Issuance

179 L’agent délivre un visa de résident temporaire à l’étranger si, à l’issue d’un contrôle, les éléments suivants sont établis :

179 An officer shall issue a temporary resident visa to a foreign national if, following an examination, it is established that the foreign national

a) l’étranger en a fait, conformément au présent règlement, la demande au titre de la catégorie des visiteurs, des travailleurs ou des étudiants;

(a) has applied in accordance with these Regulations for a temporary resident visa as a member of the visitor, worker or student class;

b) il quittera le Canada à la fin de la période de séjour autorisée qui lui est applicable au titre de la section 2;

(b) will leave Canada by the end of the period authorized for their stay under Division 2;

c) il est titulaire d’un passeport ou autre document qui lui permet d’entrer dans le pays qui l’a délivré ou dans un autre pays;

(c) holds a passport or other document that they may use to enter the country that issued it or another country;

d) il se conforme aux exigences applicables à cette catégorie;

(d) meets the requirements applicable to that class;

e) il n’est pas interdit de territoire;

(e) is not inadmissible;

f) s’il est tenu de se soumettre à une visite médicale en application du paragraphe 16(2) de la Loi, il satisfait aux exigences prévues aux paragraphes 30(2) et (3);

(f) meets the requirements of subsections 30(2) and (3), if they must submit to a medical examination under paragraph 16(2)(b) of the Act; and

g) il ne fait pas l’objet d’une déclaration visée au paragraphe 22.1(1) de la Loi.

(g) is not the subject of a declaration made under subsection 22.1(1) of the Act.

VII.  Contexte administratif

[22]  La Cour est invitée à prendre connaissance d’office, et prend connaissance d’office, du contexte administratif dans lequel l’agente a rendu ses décisions. Comme le soutient l’avocat du ministre, les représentants du ministre ont approuvé 1 438 633 demandes de visa de visiteur temporaire en 2017, selon le Rapport annuel au Parlement sur l’immigration : 2018. Je reconnais que les représentants du ministre ont probablement examiné de nombreuses autres demandes de visa temporaire, qui ont été rejetées, comme celles qui nous occupent. C’est un très grand nombre de demandes et, bien entendu, chacune d’elle pourrait être soumise au même examen lors d’un contrôle judiciaire.

VIII.  Analyse

[23]  En ce qui concerne les VRT, la décision qui fait autorité est la décision Rahman c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 793, rendue par la juge Strickland, qui énonce les considérations pertinentes au paragraphe 16 :

[16]  La LIPR exige qu’un étranger, préalablement à son entrée au Canada, demande un visa (paragraphe 11(1)), prouve qu’il détient un tel visa et qu’il quittera le Canada à la fin de la période de séjour autorisée (alinéa 20(1)b)). En ce qui concerne les visas de résidence temporaire, le paragraphe 7(1) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 (le RIPR) prévoit qu’un étranger ne peut entrer au Canada pour y séjourner temporairement que s’il a préalablement obtenu un visa de résident temporaire. L’article 179 du RIPR énonce les conditions qui doivent être remplies pour qu’un agent puisse délivrer un visa de résidence temporaire. Parmi celles‑ci figure l’exigence voulant que l’agent des visas soit convaincu que l’étranger quittera le Canada à la fin de la période de séjour autorisée. Il existe une présomption légale selon laquelle l’étranger qui cherche à entrer au Canada est présumé être un immigrant, et il lui appartient de réfuter cette présomption (Obeng, au paragraphe 20). Par conséquent, en l’espèce, il incombait à la demanderesse de prouver à l’agent qu’elle n’était pas une immigrante et qu’elle quitterait le Canada à la fin de la période de séjour demandée (Chhetri, au paragraphe 9).

[24]  Pour commencer, les demandeurs soutiennent que l’agente a tiré des conclusions déraisonnables, sans tenir compte du dossier. Ils font valoir qu’ils ont fourni tous les renseignements nécessaires au traitement de leur demande et que l’agente n’a pas tenu compte de ces éléments de preuve. Cette affirmation est fondée sur le fait qu’aucun des éléments de preuve dont il est question ci‑dessus n’est mentionné dans les lettres de l’agente ou dans les notes du SMGC.

[25]  Par conséquent, les demandeurs soutiennent qu’aucun motif n’a été donné et demandent à la Cour d’accueillir leur demande de contrôle judiciaire.

[26]  En toute déférence, je ne suis pas d’accord.

[27]  À mon humble avis, les demandeurs ont mal interprété le libellé des décisions contestées. Tout d’abord, il n’est pas nécessaire qu’un agent énumère en détail les éléments de preuve sur lesquels il s’est fondé dans ses motifs, ce que les demandeurs auraient aimé que l’agente fasse en l’espèce. Il suffit que l’agent donne des motifs qui répondent aux critères établis dans l’arrêt Vavilov. Les notes de l’agente consignées dans le SMGC énoncent ces motifs après l’énoncé [traduction« Voici un résumé de mes principales constatations ». Ces motifs sont repris ici par souci de commodité :

[traduction]

J’ai examiné tous les documents déposés à l’appui de cette demande. Voici un résumé de mes principales constatations : – Les éléments de preuve concernant la situation financière sont insuffisants / les fonds indiqués au dossier ne semblent pas être suffisants pour le voyage au Canada, compte tenu de sa durée; selon les documents versés au dossier à l’appui du degré d’établissement économique et compte tenu de l’objet de la visite, je suis d’avis que le voyage proposé au Canada n’est pas une dépense raisonnable ou abordable; voir la preuve de fonds versée au dossier – Le DP et sa famille ne démontrent pas un établissement suffisant ou des liens suffisants pour motiver leur retour – L’absence de voyages antérieurs a été constatée; les voyages antérieurs auraient pu servir à évaluer la conformité antérieure du DP aux lois sur l’immigration de pays présentant des facteurs d’attirance importants en matière d’immigration. Étant donné ce qui précède, le DP n’a pas démontré un établissement suffisant ou des liens suffisants pour motiver son retour. Je ne suis pas convaincue, selon la prépondérance des probabilités, que le DP est un visiteur de bonne foi au Canada et qu’il quittera le pays à la fin de sa période de séjour autorisée. Demande refusée.

[Non souligné dans l’original.]

[28]  Interprété correctement, le libellé des décisions de l’agente ne permet pas à la Cour de conclure qu’aucun motif n’a été donné. Si je comprends bien, l’agente a adopté une approche en quatre étapes dans ses décisions. Premièrement, elle a renvoyé au dossier, préparé par les demandeurs, qu’elle a examiné. Deuxièmement, elle a résumé ses principales constatations, c’est‑à‑dire qu’elle a évalué les facteurs importants et a fourni ses motifs à l’égard de chacun de ceux‑ci. Troisièmement, en se fondant sur ses constatations, elle a tiré une conclusion, à savoir que les demandeurs n’étaient pas des visiteurs de bonne foi au Canada qui quitteraient le pays à la fin de leur période de séjour autorisée. Cette conclusion était fondée sur le dossier et sur ses motifs. Enfin, elle a rendu sa décision, dictée par la loi compte tenu de sa conclusion selon laquelle les demandeurs ne respectaient pas les conditions prévues par la loi, et a rejeté les deux demandes.

[29]  Deux décisions ont été portées à mon attention pour contester l’analyse qui précède. La première est la décision Ogunfowora c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 471 [Ogunfowora], rendue par le juge Lagacé. Toutefois, cette décision a été rendue avant l’arrêt Dunsmuir et bien avant l’arrêt Vavilov; par conséquent, son utilité est limitée.

[30]  La seconde est la décision Groohi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 837 [Groohi], où le juge Zinn a déclaré ce qui suit, au paragraphe 14 :

[14]  Les présentes demandes doivent être accueillies pour la simple raison que l’agente des visas n’a pas procédé à une véritable analyse de la preuve. Il est bien établi en droit que le simple fait d’énumérer une série de facteurs et d’énoncer une conclusion ne suffit généralement pas à satisfaire le critère de la raisonnabilité, la raison étant qu’il est impossible pour la cour de révision d’examiner et d’évaluer le fil des idées ou la logique du décideur. C’est précisément la lacune qui se dégage des dossiers en l’espèce.

[Souligné dans l’original.]

[31]  En toute déférence, la situation décrite dans la décision Groohi se distingue de celle en l’espèce. Dans l’affaire qui nous occupe, l’agente n’a pas simplement énuméré une série de facteurs et énoncé une conclusion. Elle a fourni des motifs après l’énoncé [traduction« Voici un résumé de mes principales constatations », puis, en se fondant sur ses motifs et sur les conclusions qui en ont découlé, elle a décidé de rejeter les deux demandes.

[32]  À mon avis, les motifs en l’espèce répondent au critère énoncé dans l’arrêt Vavilov, c’est‑à‑dire qu’ils permettent à la Cour de vérifier le raisonnement de l’agente. Dans l’arrêt Vavilov, au paragraphe 102, la Cour suprême affirme que la cour de révision « doit être en mesure de suivre le raisonnement du décideur sans buter sur une faille décisive dans la logique globale; elle doit être convaincue qu’“[un] mode d’analyse, dans les motifs avancés, [...] pouvait raisonnablement amener le tribunal, au vu de la preuve, à conclure comme il l’a fait” ». C’est le cas en l’espèce : les motifs de l’agente sont convenablement résumés après l’énoncé [traduction« Voici un résumé de mes principales constatations » (voir le passage en question, reproduit ci‑dessus).

[33]  Malgré les observations très habiles de l’avocat des demandeurs, je ne suis pas convaincu que l’une quelconque des constatations de l’agente soit déraisonnable ou que ses constatations soient déraisonnables dans leur ensemble. Les principales constatations de l’agente consignées au dossier mènent directement à la conclusion selon laquelle les demandeurs ne satisfont pas au critère établi par le législateur, et sa décision de rejeter les demandes en l’espèce allait de soi compte tenu de ses motifs et des directives données par le législateur à l’alinéa 179b) de la LIPR.

[34]  À cet égard, les demandeurs soutiennent que l’agente a agi de façon déraisonnable en concluant que l’absence de voyages antérieurs était un facteur négatif justifiant le rejet de leur demande. Les demandeurs s’appuient sur les décisions Dhanoa c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 729, rendue par le juge Harrington, et Ogunfowora, précitée. Je conviens que, en l’espèce, les voyages étaient un facteur neutre, mais je conclus néanmoins que les voyages ont été correctement examinés par l’agente et évalués dans la matrice factuelle. La mention des voyages par l’agente ne rend pas la décision inacceptable compte tenu des conclusions raisonnables de l’agente concernant le manque de fonds. Il ne s’agit pas d’une faille décisive visée au paragraphe 102 de l’arrêt Vavilov. En ce qui concerne l’évaluation financière globale, je suis d’avis qu’il est pertinent que le coût des vacances proposées équivalait à environ la moitié du revenu annuel combiné des demandeurs. Les motifs de l’agente sont les suivants : [traduction« les fonds indiqués au dossier ne semblent pas être suffisants pour le voyage au Canada, compte tenu de sa durée » et [traduction« je suis d’avis que le voyage proposé au Canada n’est pas une dépense raisonnable ou abordable ». Il était loisible à l’agente de tirer ces conclusions.

[35]  Les demandeurs soutiennent que, si l’agente avait des préoccupations concernant les renseignements financiers, elle aurait dû leur remettre une lettre d’équité procédurale. La question se pose, car rien ne montre d’où proviennent les fonds dans les comptes bancaires des demandeurs. Je ne suis pas convaincu qu’une lettre d’équité procédurale était nécessaire, même s’il s’agissait là de la préoccupation de l’agente. Voir les motifs de la juge Gagné (maintenant juge en chef adjointe) dans la décision Bautista c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 669, au para 17 (il était question dans cette affaire d’un permis de travail et non d’un visa de vacances) :

[17]  Je n’étais pas non plus convaincu[e] par l’argument de la demanderesse selon lequel l’agent des visas aurait dû donner à l’employeur l’occasion de réfuter ses conclusions avant de refuser la demande de permis de travail de la demanderesse. Il incombe à la demanderesse de convaincre l’agent des visas par rapport à tous les éléments de sa demande. En général, offrir la possibilité aux demandeurs de permis de travail de répondre aux préoccupations d’un agent des visas ne consiste pas en une exigence d’équité procédurale. Cela est d’autant plus vrai lorsque, en l’espèce, rien ne laisse croire que la demanderesse subira de graves conséquences découlant du refus de sa demande de permis de travail, étant donné qu’elle peut refaire une demande, et rien n’indique que cela lui causerait préjudice (Qin c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 815, au paragraphe 5; Singh Grewal c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 627, au paragraphe 19). Il n’appartient pas à l’agent des visas d’interroger la demanderesse ni de prendre d’autres mesures pour répondre à ses préoccupations découlant de tout document présenté par la demanderesse.

[36]  Je m’appuie également sur les motifs du juge LeBlanc dans la décision Sulce c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1132, au paragraphe 10 :

[10]  Il est de jurisprudence constante qu’il revient à celui qui présente une demande de permis de travail temporaire de fournir tous les documents à l’appui pertinents et de présenter suffisamment d’éléments de preuve crédibles pour convaincre l’agent des visas qu’il est en mesure de satisfaire aux exigences de l’emploi. En d’autres termes, il incombe au demandeur de présenter la meilleure preuve possible (Silva c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 733 au paragraphe 20; Grusas, précitée, au paragraphe 63; Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 115 au paragraphe 25 [Singh]). Dans ces conditions, et compte tenu du fait que les demandes de visas ne font pas intervenir de droits substantiels étant donné que les demandeurs de visas n’ont pas un droit absolu d’entrer au Canada, un degré peu élevé d’équité procédurale est dû, et il n’exige généralement pas que l’on accorde aux personnes qui demandent un permis de travail temporaire la possibilité de répondre aux préoccupations de l’agent des visas (Grusas, précitée, au paragraphe 63; Ali c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1247, 398 FTR 303 au paragraphe 85; Grewal, précitée, au paragraphe 18). Ceci est d’autant plus vrai lorsque rien ne permet de penser que le demandeur subirait des conséquences graves, dans les cas, par exemple, où il est en mesure de présenter une nouvelle demande de permis de travail et que rien ne permet de penser que cette démarche lui causerait un préjudice (Qin c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 815, [2002] ACF no 1098 au paragraphe 5; Masych c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 1253 au paragraphe 30).

[Non souligné dans l’original.]

IX.  Conclusion

[37]  En prenant du recul et en adoptant une approche holistique, je suis d’avis que les décisions contestées répondent aux critères de la décision raisonnable énoncés dans les arrêts Postes Canada et Vavilov. Les décisions étaient fondées sur des motifs intrinsèquement cohérents et sont justifiées au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles l’agente était assujettie. En outre, elles sont transparentes et intelligibles. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

X.  Question à certifier

[38]  Aucune partie n’a proposé de question de portée générale, et aucune n’est soulevée.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑3057‑19

LA COUR DÉCLARE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question de portée générale n’est certifiée et aucuns dépens ne sont adjugés.

« Henry S. Brown »

Juge

 



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