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Date : 20051121

Dossier : IMM-2784-05

Référence : 2005 CF 1575

Ottawa (Ontario), le lundi 21 novembre 2005

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE SNIDER

ENTRE :

                                                                  GUI YING XU

                                                                                                                                    demanderesse

                                                                          - et -

                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                           défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE


[1]                La demanderesse est une résidente permanente du Canada qui souhaite parrainer sa fille. La demande de parrainage a été refusée par une décision datée du 11 janvier 2005 pour le motif que la demanderesse n'avait pas déclaré sa fille dans la demande de résidence permanente qu'elle avait présentée au Canada, comme l'exige l'alinéa 117(9)d) du Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (le Règlement). Comme l'autorise le paragraphe 63(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR), la demanderesse a interjeté appel devant la Commission de l'immigration et du statut de réfugié, Section d'appel de l'immigration (SAI), en déposant un avis d'appel - appel en matière de parrainage, auprès de la SAI le 3 février 2005.

[2]                La demanderesse a été informée, par une lettre datée du 28 février 2005, de la procédure à suivre à l'égard de son appel. Cette lettre fait l'objet d'une analyse approfondie à partir du paragraphe 14 des présents motifs.

[3]                Le 3 mars 2005, l'avocat de la demanderesse a écrit à la SAI pour l'informer que l'appel serait fondé [traduction] « sur des motifs juridiques, notamment sur l'allégation selon laquelle l'alinéa 117(9)d) est inconstitutionnel et a été appliqué à la demanderesse selon une procédure inéquitable » . Dans la lettre, l'avocat demandait que le dossier du tribunal lui soit communiqué avant de présenter ses arguments. Il semble qu'il ait également demandé que la SAI tienne une audience. La SAI n'a pas donné suite à ses demandes. Dans une décision datée du 20 avril 2005, elle a rejeté l'appel pour le motif que la personne parrainée ne faisait pas partie de la catégorie du regroupement familial.

[4]                La demanderesse sollicite le contrôle judiciaire de cette décision et, dans le cas où elle obtiendrait gain de cause, elle demande à la Cour de faire savoir à la SAI que la procédure que celle-ci a adoptée à l'égard de ses appels est illégale et qu'elle doit tenir une audience sur tous les aspects de l'appel, y compris sur les arguments fondés sur des considérations humanitaires.


Les questions en litige

[5]                Les questions en litige dans la présente demande sont les suivantes :

1.          La SAI a-t-elle violé un principe d'équité procédurale en omettant de communiquer à la demanderesse le dossier du tribunal?

2.          La procédure adoptée par la SAI a-t-elle pour effet de limiter les droits de la demanderesse quant à l'appel interjeté aux termes du paragraphe 63(1) de la LIPR?

Analyse

Question no 1 :      Y a-t-il eu violation de l'équité procédurale?

[6]                Le défendeur admet qu'il y a eu violation de l'équité procédurale en l'espèce. La SAI a commis une erreur lorsqu'elle n'a pas donné suite à la demande de la demanderesse présentée le 3 mars 2005. Dans une requête déposée le 11 octobre 2005, le défendeur a demandé à la Cour de rendre une ordonnance faisant droit à la demande de contrôle judiciaire, annulant la décision de la SAI et renvoyant l'appel de la demanderesse à une formation de la SAI différemment constituée pour nouvel examen.

[7]                La demanderesse a refusé de donner son aval à cette demande. Ce refus se fonde sur l'idée que la Cour devrait ordonner à la SAI de tenir une audience pour entendre l'appel, et tous les moyens invoqués, y compris les moyens fondés sur des considérations humanitaires. La demanderesse ne veut pas que la SAI examine à nouveau l'appel en utilisant la procédure actuelle.

[8]                Je reconnais avec le défendeur que la SAI a commis une erreur lorsqu'elle n'a pas donné une suite appropriée à la demande présentée par l'avocat le 3 mars 2005. Pour ce motif, il sera fait droit à la demande de contrôle judiciaire et à la requête du défendeur. L'opportunité d'ajouter des conditions à mon ordonnance est examinée dans le cadre de l'analyse de la question suivante.

Question no 2 :      La procédure adoptée par la SAI a-t-elle pour effet de limiter les droits de la demanderesse quant à l'appel interjeté aux termes du paragraphe 63(1) de la LIPR?

[9]                La demanderesse soutient que la question en litige porte sur [traduction] « la pratique inéquitable qu'a adoptée la SAI d'imposer une condition assimilable à une autorisation, notamment, aux appelants faisant partie de la catégorie du regroupement familial à qui la LIPR donne un droit d'appel » . Que veut dire la demanderesse par « condition assimilable à une autorisation » ? Il semble que la demanderesse interprète la lettre que lui a envoyée la SAI comme si elle fixait une condition préalable à l'examen de l'appel. J'estime que le processus adopté par la SAI peut être qualifié de deux façons :

1.          Selon la première qualification, la SAI aurait ajouté une condition procédurale qui doit être remplie avant que celle-ci n'entende l'appel. Dans ce cas, la SAI refuserait d'entendre l'appel tant que certaines conditions n'auraient pas été remplies. La demanderesse soutient que c'est exactement ce qu'a fait la SAI; ce n'est que si l'appelant réussit à convaincre la Commission que cette « condition assimilable à une autorisation » est remplie qu'il poursuivre son appel.


2.          Selon la seconde qualification, la SAI aurait mis sur pied une procédure comprenant plusieurs étapes. Dans ce cas, la SAI adopte une procédure qui porte sur une question qui, si elle est résolue de façon défavorable à l'appelant, rend inutile la poursuite de l'examen du dossier. Si l'appelant convainc la SAI sur cette première question, la SAI examine alors les autres questions soulevées par l'appel. Selon cette interprétation, l'appel de l'appelant commence par cette première étape; celle-ci fait partie de l'appel et ne constitue pas une condition préalable à l'appel.

[10]            Étant donné que la demanderesse a un droit d'appel légal (paragraphe 63(1)), la première interprétation de la pratique adoptée par la SAI pourrait susciter des problèmes et donner lieu à des allégations selon lesquelles la SAI refuse d'exercer une obligation légale. Cependant, la seconde interprétation a des chances de déboucher sur un processus qui serait non seulement légal mais constituerait une façon efficace d'entendre les appels. Si les dispositions légales énoncent qu'une décision sur le premier point détermine l'issue de l'appel et rend donc les autres décisions inutiles, pourquoi la SAI et les appelants devraient-ils gaspiller du temps et des ressources à l'examen de questions dont l'issue est déjà connue? Je dois donc trancher la question suivante : comment faut-il qualifier la procédure mise sur pied par la SAI?

[11]            Le premier élément dont il faut tenir compte pour trancher cette question est le cadre légal. La loi fixe-t-elle un seuil ou un élément déterminant? Je pense qu'elle le fait.

[12]            En l'espèce, le droit de la demanderesse d'interjeter appel de la décision relative au parrainage prise par l'agent d'immigration est exposé au paragraphe 63(1) de la LIPR qui énonce :

63. (1) Quiconque a déposé, conformément au règlement, une demande de parrainage au titre du regroupement familial peut interjeter appel du refus de délivrer le visa de résident permanent.

63. (1) A person who has filed in the prescribed manner an application to sponsor a foreign national as a member of the family class may appeal to the Immigration Appeal Division against a decision not to issue the foreign national a permanent resident visa.

[13]            Cette disposition crée manifestement un droit d'appel mais elle doit toutefois s'interpréter avec l'article 65 de la LIPR qui énonce :

65. Dans le cas de l'appel visé aux paragraphes 63(1) ou (2) d'une décision portant sur une demande au titre du regroupement familial, les motifs d'ordre humanitaire ne peuvent être pris en considération que s'il a été statué que l'étranger fait bien partie de cette catégorie et que le répondant a bien la qualité réglementaire.

65. In an appeal under subsection 63(1) or (2) respecting an application based on membership in the family class, the Immigration Appeal Division may not consider humanitarian and compassionate considerations unless it has decided that the foreign national is a member of the family class and that their sponsor is a sponsor within the meaning of the regulations.

Interprétées ensemble, ces deux dispositions établissent un cadre qui non seulement autorise mais exige le recours à un processus comportant deux étapes. Appliqué aux faits de l'espèce, l'article 65 énonce la condition selon laquelle les motifs d'ordre humanitaire ne peuvent être pris en considération que si la SAI décide que l'étranger (en l'espèce, la fille de la demanderesse) fait partie de la catégorie du regroupement familial et que le répondant (la demanderesse) est bien un répondant au sens du Règlement. Autrement dit, le législateur a mis sur pied un appel comportant deux étapes pour les affaires de ce genre, la première étape consistant à décider si l'étranger fait partie de la catégorie du regroupement familial et la deuxième étape - qui n'est suivie que lorsque le premier obstacle a été surmonté - étant consacrée aux motifs d'ordre humanitaire.


[14]            Après avoir précisé le cadre légal, j'examine maintenant la procédure qu'a suivie la SAI, notamment la lettre, dans le but de décider si la procédure de la SAI est conforme à la LIPR. La lettre à laquelle s'oppose la demanderesse a été envoyée par Susan Wilfong, coordonnatrice de la procédure auprès de la SAI, le 28 février 2005. Je vais examiner les différentes parties de la lettre pour déterminer s'il est possible d'interpréter cette lettre comme mettant sur pied un processus « assimilable à une autorisation » .

[15]            Après avoir accusé réception de l'avis d'appel, la lettre énonce, en partie, ce qui suit :

[TRADUCTION] D'une façon générale, aux termes de l'article 67 de la LIPR, avant de faire doit à l'appel, la SAI doit être convaincue que la décision attaquée est erronée ou qu'il existe des motifs d'ordre humanitaire. Cependant, l'article 65 de la LIPR énonce que la SAI ne peut examiner les motifs d'ordre humanitaire si celle-ci décide que l'étranger parrainé n'est pas membre de la catégorie du regroupement familial par rapport au répondant. Dans ce cas, la SAI est tenue de rejeter l'appel.

[Souligné dans l'original.]

[16]            La lettre poursuit en décrivant l'article 117 du Règlement et énonce ce qui suit :

[TRADUCTION] Il semble que l'alinéa 117(9)d) vous soit applicable. Cet alinéa est rédigé comme suit :

(9) Ne sont pas considérés comme appartenant à la catégorie du regroupement familial du fait de leur relation avec le répondant les personnes suivantes :

d) sous réserve du paragraphe (10), dans le cas où le répondant est devenu résident permanent à la suite d'une demande à cet effet, l'étranger qui, à l'époque où cette demande a été faite, était un membre de la famille du répondant n'accompagnant pas ce dernier et n'a pas fait l'objet d'un contrôle.


Une note en bas de page invite le destinataire de la lettre à [traduction] « examiner les paragraphes 117(10) à (12) du Règlement, qui concernent certaines situations qui peuvent avoir une incidence sur l'application de l'alinéa 117(9)d) » .

[17]            La lettre énonce ensuite ceci :

[TRADUCTION] L'examen des documents figurant dans le dossier d'appel semble indiquer que les étrangers que vous avez parrainés n'ont pas été examinés à titre de membres de la famille du répondant ne l'accompagnant pas à l'époque où vous avez immigré au Canada. Si l'alinéa 117(9)d) s'applique, alors votre appel sera rejeté.

Les passages de la lettre que je viens de reproduire contiennent un énoncé exact des faits ou une description de la procédure de la SAI ou du droit applicable. Je ne vois là aucune pratique de la SAI susceptible d'être interprétée comme une limite au droit d'appel de la demanderesse.

[18]            Le paragraphe suivant est celui qu'invoque la demanderesse pour montrer que la procédure de la SAI est « assimilable à une autorisation » :

[TRADUCTION] Si vous estimez que la SAI doit poursuivre l'examen normal de l'appel, vous êtes tenue de fournir une copie des renseignements ou des arguments que vous présentez à l'appui de votre position à notre agent du greffe de la SAI et à l'avocat du ministre.

[Souligné dans l'original.]

[19]            Le reste de la lettre décrit la procédure à suivre pour déposer des renseignements et pour la prise de décision par la SAI, et elle termine ainsi :

[TRADUCTION] La SAI est autorisée à prendre sa décision en se fondant sur les documents fournis par les parties dans les délais mentionnés ci-dessus. Veuillez noter que si les parties ne fournissent pas les renseignements dans les délais prescrits ci-dessus, la SAI prendra une décision en se fondant sur l'information figurant au dossier et ne prendra pas en considération les renseignements communiqués en retard.


Si le membre de la SAI décide que l'étranger parrainé n'appartient pas à la catégorie du regroupement familial, il peut rejeter l'appel parce que la décision de refuser d'accorder le visa de résident permanent est fondée. Si l'appel est rejeté, les parties recevront un avis de la décision et les motifs sur lesquels elle s'appuie. Si le commissaire ne rejette pas l'appel, les parties en seront informées par écrit et la SAI poursuivra le processus normal d'examen de l'appel.

[Souligné dans l'original.]

Examinée dans son ensemble, je suis convaincue que la lettre ne met pas sur pied une procédure « assimilable à une autorisation » . La lettre a deux buts : a) informer l'appelant du droit applicable, droit qui prévoit une procédure à deux étapes; et b) informer l'appelant de la procédure prévue pour la première étape obligatoire de l'appel. La lettre ne vient limiter aucunement le droit de la demanderesse d'interjeter appel. Elle contient des renseignements et est uniquement de nature procédurale; elle ne prétend pas exiger et n'exige pas que le demandeur fournisse par écrit des arguments avant d'exercer son droit d'appel aux termes du paragraphe 63(1) de la LIPR.

[20]            L'affirmation que l'on trouve dans un paragraphe selon laquelle [traduction] « si vous estimez que la SAI doit poursuivre l'examen normal de l'appel » n'est pas très claire. Il est évident que la demanderesse a interprété ces mots comme s'ils énonçaient que l'appel ne commencera pas tant que cette étape procédurale n'aura pas été suivie. Cependant, même s'il était possible d'interpréter cet énoncé de cette façon (ce dont je doute), il doit s'interpréter en tenant compte du contexte. Le reste de la lettre indique clairement que l'appel interjeté par la demanderesse est en train d'être examiné. La demanderesse accorde une importance démesurée à cette phrase.


[21]            Pour résumer cette question, je suis convaincue que le processus en deux étapes adopté par la SAI, tel qu'il est décrit dans la lettre du 28 février 2005, est conforme à la LIPR. La procédure adoptée par la SAI en l'espèce n'a pas pour effet d'imposer « une condition assimilable à une autorisation » , ayant pour effet d'obliger la demanderesse à fournir des arguments à la SAI par écrit, avant de pouvoir exercer les droits que lui attribue le paragraphe 63(1) de la LIPR. Par conséquent, je ne suis pas disposée à fournir à la SAI des directives sur la façon d'examiner à nouveau l'appel de la demanderesse.

Conclusion

[22]            En conclusion, il sera fait droit à la demande de contrôle judiciaire. Il sera également fait droit à la requête du défendeur parce qu'elle recherche le même résultat. Aucune condition ne sera imposée à la SAI sur la façon de procéder au nouvel examen de l'appel.

[23]            Dernière remarque : je note que la demanderesse a sollicité, par un avis de requête déposé le 4 octobre 2005, une ordonnance autorisant le dépôt hors délai d'un affidavit. L'affidavit a été déposé par l'avocat chargé de la présente demande et est donc irrégulier. La requête sera rejetée. De toute façon, compte tenu des conclusions auxquelles j'en suis arrivée sur la seconde question en litige, les renseignements contenus dans cet affidavit n'ont aucune influence sur l'issue de la cause.

[24]            La demanderesse a demandé que la question suivante soit certifiée :

[TRADUCTION] La SAI a-t-elle le pouvoir d'obliger le répondant à lui fournir par écrit des arguments avant que celui-ci puisse exercer tous les droits d'appel que lui attribue le paragraphe 63(1) de la LIPR?

J'estime que cette question n'est pas applicable, étant donné que je suis convaincue que la procédure adoptée par la SAI, telle que reflétée dans la lettre du 28 février 2005, n'a pas pour effet de restreindre les droits d'appel de la demanderesse. Aucune question ne sera certifiée.

                                        ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.          La demande de contrôle judiciaire et la requête du défendeur, déposée le 11 octobre 2005, sont accueillies;

2.          La décision de la SAI, datée du 20 avril 2005, est annulée;

3.          L'appel est renvoyé à la SAI pour nouvel examen par une formation différemment constituée;

4.          La requête de la demanderesse déposée le 4 octobre 2005 est rejetée;


5.          Aucune question de portée générale n'est certifiée.

                                                                              « Judith A. Snider »             

                                                                                                     Juge                          

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes, LL.B.


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                   IMM-2784-05

INTITULÉ :                                  GUI YING XU

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :            VANCOUVER (COLOMBIE-BRITANNIQUE)

DATE DE L'AUDIENCE :          LE 8 NOVEMBRE 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                 LA JUGE SNIDER

DATE DES MOTIFS :                 LE 21 NOVEMBRE 2005

COMPARUTIONS :

Lawrence Wong                              POUR LA DEMANDERESSE

Caroline Christiaens                         POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Cabinet Wong Pederson                  POUR LA DEMANDERESSE

Vancouver (Colombie-Britannique)

John H. Sims, c.r.                            POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada


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