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     Date : 19990401

     Dossier : T-1531-98

Ottawa (Ontario), le 1er avril 1999

En présence de Monsieur le juge Lutfy

     INSTANCE relative à la Loi sur la citoyenneté,

     L.R.C. (1985), ch. C-29

     ET à l'appel formé contre la décision

     d'une juge de la citoyenneté

Entre

     LA MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     appelante,

     - et -

     SHIH-YUAN CHEN,

     intimé

     ORDONNANCE

     LA COUR,

     VU l'appel formé contre la décision en date du 3 juin 1998 de la juge de la citoyenneté Jane E. Van Roggen,

     APRÈS AUDITION de cet appel le 24 février 1999 en la ville de Vancouver (C.-B.),

     ORDONNE CE QUI SUIT :

     L'appel est rejeté.

     Signé : Allan Lutfy

     ________________________________

     J.C.F.C.

Traduction certifiée conforme,

Laurier Parenteau, LL.L.

     Date : 19990401

     Dossier : T-1531-98

     INSTANCE relative à la Loi sur la citoyenneté,

     L.R.C. (1985), ch. C-29

     ET à l'appel formé contre la décision

     d'une juge de la citoyenneté

Entre

     LA MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     appelante,

     - et -

     SHIH-YUAN CHEN,

     intimé

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

Le juge LUTFY

[1]      Dans sa décision du 3 juin 1998, la juge de la citoyenneté a conclu que l'intimé remplissait les conditions de résidence prévues à l'alinéa 5(1)c) de la Loi sur la citoyenneté. Il se trouvait au Canada 390 jours sur les 1 095 jours de résidence requis, durant les quatre années qui précédaient la date de sa demande de citoyenneté. Cette décision est portée en appel par la ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration en application du paragraphe 14(5) de la Loi et de la règle 300c) des Règles de la Cour fédérale (1998).

[2]      L'intimé a présenté lui-même ses conclusions à l'audience, sans objection de la part de l'avocate de l'appelante bien qu'il n'eût pas déposé son dossier conformément à la règle 310.

[3]      L'intimé, qui a 45 ans, est entré au Canada le 26 avril 1994 en qualité d'immigrant investisseur, en compagnie de sa femme et de leur fils qui avait 10 ans. Quelque deux semaines après leur arrivée au Canada comme résidents permanents, ils sont revenus à Taiwan, leur pays natal et ancien pays de résidence, principalement pour permettre à l'enfant d'y finir son année scolaire. Ils se sont également occupés de questions restées en souffrance du fait de leur déménagement au Canada. Durant leur premier séjour en avril 1994, ils ont acheté une demeure en copropriété à Burnaby (C.-B.). Ce n'est qu'en août 1994 qu'ils ont emménagé au Canada pour de bon. L'enfant s'est inscrit à l'école en septembre 1994. En mai 1996, le couple a acheté à Vancouver une nouvelle résidence qui convenait mieux aux besoins de la famille. Bien que l'intimé fût arrivé au Canada la première fois en 1992, il n'y a aucune preuve qu'il ait séjourné dans ce pays de façon plus ou moins permanente avant l'acquisition du droit d'établissement en avril 1994.

[4]      Il déposa sa demande de citoyenneté en juin 1997, quelque deux mois après le troisième anniversaire de l'établissement de la famille au Canada. Voici les motifs pris par la juge de la citoyenneté pour conclure qu'il remplissait les conditions de résidence bien qu'il lui manquât 705 jours :

     [TRADUCTION]

     Le demandeur allait à Taiwan pour affaires. Avocat de son état, il est le conseiller juridique d'une entreprise de construction à Taiwan. Il avait du mal à trouver du travail au Canada, mais envisage entre autres d'y ouvrir une société commerciale, à Vancouver. C'est un philanthrope, gentil et plein d'égards pour ses voisins, un bon élément pour la communauté. Il est propriétaire d'une maison à Vancouver, paie l'impôt sur le revenu et l'impôt foncier, et est un client estimé de la Banque royale du Canada. Depuis la date de sa demande, il a encore passé du temps à Vancouver. Tous les documents ont été examinés. Sa femme et son enfant vivent à Vancouver. Demande de citoyenneté approuvée.         

L'appelante reproche à la juge de la citoyenneté d'avoir passé sous silence l'obligation qui incombe à l'intimé de faire la preuve que sa vie était centrée au Canada et que de ce fait, il a continué à être véritablement présent dans ce pays malgré ses fréquents voyages à l'étranger. Selon l'appelante, la décision de la juge de la citoyenneté était erronée et fondée sur des considérations sans rapport avec l'affaire.

[5]      Dans Papadogiorgakis, [1978] 2 C.F. 208 (1re inst.), le juge en chef adjoint Thurlow s'est prononcé en ces termes, pages 213 et 214 :

     Il me semble que les termes " résidence " et " résident " employés dans l'alinéa 5(1)b ) de la Loi sur la citoyenneté ne soient pas strictement limités à la présence effective au Canada pendant toute la période requise, ainsi que l'exigeait l'ancienne loi, mais peuvent aussi comprendre le cas de personnes ayant un lieu de résidence au Canada, qu'elles utilisent comme un lieu de domicile dans une mesure suffisante pour prouver le caractère effectif de leur résidence dans ce lieu pendant la période pertinente, même si elles en ont été absentes pendant un certain temps.         

Le même principe a été rappelé par le juge Dubé dans Re Banerjee (1994), 25 Imm. L.R. (2d) 235 (C.F. 1re inst.), par cette formule laconique en page 238 : " C'est la qualité de l'attachement au Canada qui doit être examinée ".

[6]      Dans Re Koo, [1993] 1 C.F. 286 (1re inst.), pages 293 et 294, Mme le juge Reed, après avoir passé en revue la jurisprudence de notre Cour à la suite de la décision Papadogiorgakis, qui remonte à quelque 15 ans, a conclu qu'il s'agit de se demander si l'intéressé " vit régulièrement, normalement ou habituellement " au Canada ou si sa vie y est centrée. Dans cet examen, dit-elle, les facteurs déterminants doivent comprendre la durée des séjours de l'intéressé au Canada, le lieu de résidence de sa famille immédiate et étendue, la durée et les raisons de ses absences, la qualité de ses liens avec le Canada par comparaison aux liens avec tout autre pays, et la question de savoir si le Canada est le pays où il revient chez lui chaque fois et non pas simplement un lieu de visite.

[7]      Comme noté supra, le principal motif d'appel contre la décision de la juge de la citoyenneté est qu'elle n'a pas examiné si au départ, la vie de l'intimé était centrée de façon continue au Canada. L'avocate de l'appelante conteste aussi certains éléments spécifiques des motifs de cette décision. La constatation que l'intimé se rendait à Taiwan pour affaires est incomplète en ce qu'elle ne fait pas état de quatre longs séjours qu'il y a faits pour prendre soin de sa mère. La conclusion que l'intimé est un avocat est erronée. Il a fait des études de droit du premier cycle, mais son travail est celui d'un clerc d'avocat. Son emploi dans une entreprise de construction de Taiwan représente un lien avec ce dernier pays et non avec le Canada. La mention qu'il envisage d'ouvrir une société commerciale au Canada n'est pas, selon l'avocate de l'appelante, un motif valide. Tout en reconnaissant que le dossier révèle certains dons faits aux organismes caritatifs par chèques tirés sur le compte joint du couple, l'appelante souligne que ces chèques étaient signés par l'épouse de l'intimé. Selon l'appelante, le fait que l'intimé peut être un " client estimé " d'un établissement financier n'est d'aucun secours en raison du compte joint. Enfin, elle soutient à juste titre que la juge de la citoyenneté n'aurait pas dû tenir compte du temps que le demandeur a passé au Canada depuis le dépôt de sa demande de citoyenneté.

[8]      L'intimé fait savoir qu'il a obtenu le droit d'établissement au Canada par suite d'un placement de 250 000 $ dans un fonds consortial, ce qui explique l'importance de son revenu de placement figurant dans ses déclarations d'impôt sur le revenu au Canada de 1994 à 1996 inclusivement. Ces déclarations ne font état d'aucun revenu d'emploi ou d'entreprise. S'il a fait de fréquents voyages à Taiwan, c'était pour y liquider ses affaires et aliéner son actif dans une conjoncture économique difficile. Sa mère, qui a 77 ans, n'est pas bien portante et il est l'un de ses enfants qui doivent prendre soin d'elle de temps en temps. Il fait valoir que sa vie est centrée au Canada puisque sa famille y est installée, son fils y va à l'école, il y a acquis une maison à deux reprises et séjourne continuellement à Vancouver.

[9]      Dans Re Huang (1997), Imm. L.R. (2d) 113 (C.F. 1re inst.), le juge Dubé fait observer à juste titre que " l'indice le plus éloquent de résidence est l'établissement d'une personne et de sa famille dans ce pays, en plus de la manifeste intention de faire de l'établissement leur foyer permanent ". Les séjours que faisait l'intimé au Canada entre ses voyages à Taiwan en 1996 et 1997 étaient de durée bien plus longue que ses séjours en 1994 et au début de 1995. Cet état de choses s'accorde avec son affirmation que l'un des buts principaux de ses voyages à Taiwan était d'y aliéner ses avoirs. La durée plus longue des séjours au Canada démontre aussi son lien avec ce pays.

[10]      Dans Re Lam (25 mars 1999), T-1310-98 (C.F. 1re inst.), je suis revenu, à la lumière de deux faits nouveaux, sur la question de la norme de contrôle applicable dans les appels en matière de citoyenneté. En premier lieu, le juge saisi ne fait plus fonction de juge des faits depuis l'entrée en vigueur des Règles de la Cour fédérale (1998), mais entend l'appel à titre de demande visée à la règle 300c). En second lieu, on prévoit l'adoption d'une nouvelle loi sur la citoyenneté qui apporterait de profonds changements au processus d'instruction des demandes de citoyenneté et à la fonction de contrôle de notre Cour. Après avoir relevé certains facteurs objectifs qui imposeraient une plus grande retenue au juge judiciaire, j'ai conclu, eu égard à la période transitoire, qu'il ne fallait pas trop dévier de la norme de contrôle actuellement en vigueur (paragraphe 33) :

     La justice et l'équité, pour ceux qui cherchent à acquérir la citoyenneté canadienne comme pour le ministre, requièrent une certaine continuité dans la norme de contrôle tant que la loi actuelle demeure en vigueur, et ce bien que le procès de novo n'ait plus cours en la matière. La norme qui s'impose dans ces conditions est toute proche de celle du bien-jugé. Dans le cas cependant où le juge de la citoyenneté, par des motifs clairs qui attestent sa connaissance de la jurisprudence, conclut légitimement des faits que le demandeur remplit la condition légale de l'alinéa 5(1)c), telle qu'il la comprend, il ne faut pas que le juge saisi de l'appel substitue arbitrairement à cette décision sa propre conception de la condition de résidence. Telle est la limite de la retenue à observer par le juge judiciaire durant cette période transitoire, eu égard aux connaissances et à l'expérience spécialisées du juge de la citoyenneté.         

[11]      J'estime, à la lumière des précédents Papadogiorgakis et Re Koo, que la juge de la citoyenneté était en droit de tirer une conclusion favorable à l'intimé. La présence de la famille de celui-ci au Canada depuis 1994 et ses retours au Canada à des intervalles plus fréquents et pour des séjours de plus en plus longs s'accordent avec le sens général de cette jurisprudence. Il se peut que les motifs écrits de décision de la juge de la citoyenneté eussent dû porter davantage sur le point de savoir si la vie de l'intimé est centrée dans ce pays. Sa prise en compte du temps qu'il passe à Vancouver après la date de sa demande de citoyenneté n'est pas valide pour la computation des jours de résidence requis mais, dans son esprit, pourrait être un indice de son attachement au Canada. Compte tenu du manque de 705 jours, la décision dont est appel pourrait être à la limite de ce qui est acceptable dans ces conditions. En dernière analyse, elle n'est pas entachée d'erreurs qui puissent m'engager à y substituer ma propre décision.

[12]      Par ces motifs, l'appel est rejeté.

     Signé : Allan Lutfy

     ________________________________

     J.C.F.C

Ottawa (Ontario),

le 1er avril 1999

Traduction certifiée conforme,

Laurier Parenteau, LL.L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS ET AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER No :              T-1531-98

INTITULÉ DE LA CAUSE :      La ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration

                     c.

                     Shih-Yuan Chen

LIEU DE L'AUDIENCE :          Vancouver (Colombie-Britannique)

DATE DE L'AUDIENCE :      24 février 1999

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PRONONCÉS PAR LE JUGE LUTFY

LE :                      1 er avril 1999

ONT COMPARU :

Mme Larissa Easson                  pour l'appelante

M. Shih-Yuan Chen                  l'intimé pour lui-même

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Ministère de la Justice              pour l'appelante

Vancouver (Colombie-Britannique)

M. Shih-Yuan Chen                  l'intimé pour lui-même

Vancouver (Colombie-Britannique)

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