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     T-2831-94

OTTAWA (ONTARIO), LE 27 OCTOBRE 1997

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE JOYAL

Entre :

     CONTINUOUS COLOUR COAT LIMITED,

     appelante,

     - et -

     LE SOUS-MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

     DOUANES ET ACCISE,

     intimé.

     JUGEMENT

     La Cour déboute l'appelante de son recours, et dit que les parties assumeront leurs frais et dépens respectifs.

     Signé : L.-Marcel Joyal

     ________________________________

     Juge

Traduction certifiée conforme      ________________________________

     F. Blais, LL. L.

     T-2831-94

Entre :

     CONTINUOUS COLOUR COAT LIMITED,

     appelante,

     - et -

     LE SOUS-MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

     DOUANES ET ACCISE,

     intimé.

     MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge JOYAL

     Il y a en l'espèce recours introduit en application de l'article 68 de la Loi sur les douanes1 contre la décision du Tribunal canadien du commerce extérieur (le Tribunal) portant confirmation du numéro tarifaire appliqué par le sous-ministre du Revenu aux marchandises de l'appelante. Il échet au premier chef d'examiner si le Tribunal a commis une erreur de droit en confirmant la décision du sous-ministre2.

     Les marchandises en question sont des feuilles de plastique, produites aux États-Unis par Dunmore Corporation de Newtown, en Pennsylvanie, et importées au Canada par l'appelante qui s'en sert comme enduit pour ses produits d'acier et d'aluminium. Ces feuilles résultent de la lamination d'un film de téréphthalate de polyéthylène teint (la couche de PET) sur un film support de chlorure de polyvinyle (la couche de PVC). La couche de PET représente à peu près 10 p. 100 du poids total du produit, et la couche de PVC plus de 85 p. 100. Ces feuilles de plastique sont utilisées dans la fabrication d'une vaste gamme de produits avec du métal plaqué laiton, or ou argent,

     Le sous-ministre a jugé à deux reprises que ce produit est soumis au droits de douane sous le numéro tarifaire 3920.42.00 de l'annexe I du Tarif des douanes3, comme suit :

-      Autres plaques, feuilles, pellicules, bandes et lames, en matières plastiques non alvéolaires, non renforcées ni stratifiées, ni pareillement associées à d'autres matières, sans support.
-      En polymères du chlorure de vinyle
-      Souples.

     Les autres dispositions du Tarif qui nous intéressent en l'espèce sont les suivantes :

1.      L'article 1 des Règles générales pour l'interprétation du système harmonisé :

     Le libellé des titres de Sections, de Chapitres et de Sous-Chapitres est considéré comme n'ayant qu'une valeur indicative, le classement étant déterminé légalement d'après les termes des positions et des Notes de Sections ou de Chapitres, d'après les Règles suivantes"         

2.      La note 4 du chapitre 39 du Tarif :

     Sauf dispositions contraires, au sens du présent Chapitre, les copolymères (y compris les copolycondensats, les produits de copolyaddition, les copolymères en bloc et les copolymères greffés) et les mélanges de polymères relèvent de la position couvrant les polymères du comonomère qui prédomine en poids sur tout autre comonomère simple, les comonomères dont les polymères relèvent de la même position étant à considérer comme constituant un comonomère simple.         
     Si aucun comonomère simple ne prédomine, les copolymères ou mélanges de polymères, suivant le cas, relèvent de la dernière par ordre de numérotation des positions qui pourraient être retenues pour leur classement.         
     On entend par copolymères tous les polymères dans lesquels la part d'aucun monomère ne représente 95 % ou davantage en poids de la teneur totale du polymère.         
3.      La note de sous-position 1 du chapitre 39 du Tarif :
     À l'intérieur d'une position du présent Chapitre, les copolymères (y compris les copolycondensats, les produits de copolyaddition, les copolymères en bloc et les copolymères greffés) sont à classer dans la même sous-position que les homopolymères du comonomère prédominant et les polymères modifiés chimiquement des types mentionnés dans la Note 5 du Chapitre sont à classer dans la même sous-position que le polymère non modifié, pour autant que ces polymères ou ces polymères modifiés chimiquement ne soient pas repris plus spécifiquement dans une autre position ou qu'il n'existe pas de sous-position résiduelle dénommée " Autres " dans la série des sous-positions en cause. Les mélanges de polymères sont à classer dans la même sous-position que les copolymères (ou les homopolymères, suivant le cas) obtenus à partir des mêmes monomères dans les mêmes proportions.         

La décision du Tribunal

     Le Tribunal a confirmé en appel la décision du sous-ministre, en se fondant sur la note 4 du chapitre 39 de l'annexe I du Tarif, qui régit la classification des " copolymères " et des " mélanges de polymères ". Selon le Tribunal, le Tarif, ou plus précisément le troisième paragraphe de la note 4, donne de " copolymère " une définition plus large que la définition scientifique que faisait valoir l'expert cité par l'appelante à titre de témoin. Le Tribunal conclut que les deux polymères différents qui forment ces feuilles de plastique contribuent au " contenu polymérique total " du produit et que de ce fait, conformément aux prescriptions de troisième paragraphe de la note 4 et de la note de sous-positions 1 du chapitre 39, ce produit doit être considéré comme étant les " copolymères " du polymère qui prédomine, savoir du chlorure de vinyle.

L'argumentation des parties

     L'appelante conteste l'interprétation faite par le Tribunal du terme " copolymère " figurant au troisième paragraphe de la note 4; elle y voit une erreur de droit à redresser par la Cour. Elle soutient que les feuilles de plastique en cause sont un produit composite à classer comme tel, selon les Règles générales d'interprétation applicables aux produits composites.

     De son côté, l'intimé soutient que la décision du Tribunal est fondée sur une interprétation raisonnable des éléments de preuve à sa disposition, et doit être confirmée.

Analyse

     La principale question à résoudre en l'espèce concerne l'interprétation par le Tribunal de la note 4 du chapitre 39 de l'annexe I du Tarif, telle qu'elle s'applique au produit de l'appelante.

     Le paragraphe 68(1) prévoit clairement que les recours introduits sous son régime ne portent que sur les questions de droit. Il y a une abondante jurisprudence sur les motifs propres à justifier l'intervention de la Cour4. Le juge Heald a parfaitement résumé en ces termes la norme de contrôle judiciaire à observer :

     L'interprétation du Tarif des douanes est une question de droit mais la question de savoir si le produit de l'appelante est compris dans la définition légale qu'en donne le Tarif est une question de fait. La Cour est justifiée d'annuler la décision de la Commission en raison d'une erreur de droit uniquement lorsque, de l'avis de la Cour, la Commission s'est prononcée sans preuves ou lorsqu'elle a rendu une décision qu'aucune personne ayant une connaissance suffisante du droit et agissant dans le respect du processus judiciaire n'aurait pu rendre.5         

     La Cour n'annule le jugement d'un tribunal administratif spécialisé que si, à ses yeux, l'appréciation des faits sur laquelle repose ce jugement est déraisonnable6. La question de savoir si un produit donné relève d'un numéro tarifaire ou d'un autre est une question de fait complexe et, si le Tribunal dispose d'éléments de preuve dont il pourrait raisonnablement tirer la conclusion comme il l'a fait en l'espèce, la Cour n'interviendra pas quand bien même elle aurait tiré une conclusion différente.

     L'avocat de l'appelante soutient que le Tribunal a commis une erreur en jugeant qu'un produit formé de deux couches distinctes de polymères est un copolymère. Le Tribunal est parvenu à cette conclusion après avoir retenu la définition large de " copolymère " figurant à la note 4 et à la note de sous-position 1 du chapitre 39 de l'annexe I, conjuguée avec la prescription du Comité du Système harmonisé.

     Dans l'interprétation des lois, les mots doivent s'entendre selon leur sens ordinaire et usuel; il faut éviter les définitions scientifiques et techniques. Une règle d'interprétation bien établie pose que les dispositions d'un texte de loi ne doivent pas s'interpréter isolément et que, pour en découvrir le sens véritable, on doit considérer ce texte dans son ensemble ainsi que les dispositions connexes.

     Si on s'en tient aux définitions données par le Gage Canadian Dictionary des mots " polymère "7, " copolymère "8 et " polymériser "9, on est enclin à conclure qu'un copolymère n'est pas un polymère tant qu'il n'a pas été polymérisé. Cette définition plus restrictive, que confirme le témoignage de l'expert, pourrait être considérée comme participant de la " démarche scientifique " pour qualifier ce qui constitue un copolymère. Mais si on considère les dispositions en jeu dans leur ensemble, la note 4 donne une définition large du terme " copolymère ", par lequel " on entend " tous les polymères ".

     Il faut reconnaître qu'il n'est pas facile d'interpréter les dispositions en jeu. On pourrait soutenir que le produit en question peut être classé sous trois numéros tarifaires différents ou davantage, dont chacun pourrait être légitime ou jugé raisonnable. C'est ce qui explique le rôle limité de la juridiction d'appel en la matière. Elle ne doit pas seulement décider lequel des différents numéros tarifaires est celui qui convient, mais doit, en premier lieu, analyser le jugement du tribunal administratif. Si celui-ci est logique, ou n'est pas déraisonnable, il faut le respecter.

     En l'espèce, je ne suis pas convaincu que l'interprétation faite par le Tribunal soit déraisonnable de quelque manière que ce soit. Saisi de témoignages différents sur la définition de polymère, il a opté pour la définition large figurant dans la Loi, et non pour la définition " scientifique " plus restrictive. Cette conclusion est conforme aux règles d'interprétation établies et n'est nullement moins raisonnable que celle de l'appelante.

Décision

     En conclusion et malgré l'argumentation de l'avocat de l'appelante, je dois déférer à l'avis des membres du Tribunal. Leur décision est confirmée et l'appelante déboutée de son recours. Les parties assumeront leurs frais et dépens respectifs.

     Signé : L.-Marcel Joyal

     ________________________________

     Juge

OTTAWA (Ontario),

le 27 novembre 1997

Traduction certifiée conforme      ________________________________

     F. Blais, LL. L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

NUMÉRO DU GREFFE :          T-2831-94

INTITULÉ DE LA CAUSE :      Continuous Colour Coat Limited

                     c.

                     Le sous-ministre du Revenu national, Douanes et Accise

LIEU DE L'AUDIENCE :          Ottawa

DATE DE L'AUDIENCE :      2 juin 1997

MOTIFS DU JUGEMENT PRONONCÉS PAR LE JUGE JOYAL

LE :                      27 octobre 1997

ONT COMPARU :

Peter E. Kirby                  pour l'appelante

R. Jeff Anderson                  pour l'intimé

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

Gottlieb & Pearson                  pour l'appelante

Montéral

George Thomson                  pour l'intimé

Sous-procureur général du Canada

__________________

1      L.R.C. (1985) (2e suppl.), ch. 1.

2      Les termes du paragraphe 68(1) de la Loi sur les douanes ne laissent aucun doute que les recours exercés sous son régime ne portent que sur les questions de droit. Voici ce qu'il prévoit : " La décision sur l'appel prévu à l'article 67 est, dans les quatre-vingt-dix jours suivant la date où elle est rendue et avec l'autorisation d'un juge de la Cour fédérale, susceptible de recours devant celle-ci sur tout point de droit, de la part de toute partie à l'appel, à savoir : a) l'appelant; b) le sous-ministre; quiconque a remis l'acte de comparution visé au paragraphe 67(2). "

3      L.R.C. (1985) (3e suppl.), ch. 41.

4      The Deputy Minister of National Revenue for Customs and Excise v. Parke, Davis & Comp. Ltd., [1954] R.C.É. 1, page 20; The Deputy Minister of National Revenue for Customs and Excise v. General Supply Company of Canada Ltd., [1954] R.C.É. 248, page 251; Sous-ministre du Revenu national, Douanes et Accise c. Ferguson Industries Ltd., [1973] R.C.S. 21, pages 25 à 27; et plus récemment, Ministre du Revenu national (Douanes et Accise) c. Callpro Canada Inc. (1994), 85 F.T.R. 209, page 216; Praher Canada Products Ltd. et al c. Ministre du Revenu national (Douanes et Accise) (1995), 97 F.T.R. 97, pages 98 à 100.

5      Cyanamid Canada Inc. c. Sous-ministre du Revenu national, Douanes et Accise (1983), 5 C.E.R. 463, page 466.

6      Sous-ministre du Revenu national, Douanes et Accise c. Hydro-Québec, [1994] A.C.F. no 963 (C.A.), motifs prononcés par le juge Marceau, pages 17 et 18.

7      [TRADUCTION] Polymère : l'un quelconque d'un grand nombre de composés naturels ou synthétiques, organiques ou inorganiques, résultant de l'association chimique de très grosses molécules. Dossier d'appel, p. 288.

8      [TRADUCTION] Copolymère : composé chimique formé de grosses molécules par polymérisation de deux composés différents (monomères) au moins. Dossier d'appel, page 289.

9      [TRADUCTION] Polymériser : 1. Transformer en polymère; " 2. Être transformé en polymère. Dossier d'appel, page 288.

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