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     Date : 19980417

     Dossier : IMM-4361-96

Ottawa (Ontario),le 17 avril 1998

En présence de Monsieur le juge Pinard

Entre :

     HING TO LAU,

     demandeur,

     - et -

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

     ET DE L'IMMIGRATION,

     défendeur.

     ORDONNANCE

     La demnde de contrôle judiciaire est accueillie. La décision que l'agent des visas D. Vaughan a rendue le 26 septembre 1996 est infirmée, et l'affaire est renvoyée à un agent des visas différent pour que celui-ci procède à une nouvelle audition et statue à nouveau sur l'affaire, et ce, en tenant compte des motifs d'ordonnance que j'ai prononcés en ce jour.

         YVON PINARD

                                             JUGE

Traduction certifiée conforme

Christiane Delon, LL.L.

     Date : 19980417

     Dossier : IMM-4361-96

Entre :

     HING TO LAU,

     demandeur,

     - et -

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

     ET DE L'IMMIGRATION,

     défendeur.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE PINARD

[1]      Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire d'une décision rendue le 26 septembre 1996 par laquelle un agent des visas, D. Vaughan, a rejeté sa demande de résidence permanente parce que sa fille, Lau Wai Kwan, entre dans la catégorie de personnes non admissible décrite au sous-alinéa 19(1)a)(ii) de la Loi sur l'immigration (la Loi).

[2]      La Commission du Canada a reçu à Hong Kong, le 2 mai 1995, la demande de résidence permanente du demandeur, accompagné de son épouse et de ses quatre enfants à titre de personnes à charge, dans la catégorie des investisseurs.

[3]      Le demandeur a reçu une " lettre d'équité " datée du 12 janvier 1996, lui donnant l'occasion de répondre dans un délai de trente (30) jours à une évaluation médicale, datée du 31 octobre 1995, à laquelle avait procédé le Dr Giovinazzo à l'égard de sa fille, Wai Kwan Lau, faute de quoi sa demande serait automatiquement refusée. L'évaluation médicale en question comprenait les observations suivantes :

         [TRADUCTION]         
         L'intéressée souffre d'arriération mentale modérée et a un QI global de 40. Elle devra suivre des cours spéciaux pendant toute la durée de ses études, et bénéficier ensuite d'une instruction professionnelle spéciale et fort probablement d'un milieu de type atelier protégé.                 
         Il y a peu de chance qu'elle soit un jour capable de subvenir à ses propres besoins ou de vivre de manière autonome, mais elle continuera d'avoir besoin d'un certain degré de surveillance et d'assistance.                 
         Cela causerait vraisemblablement un fardeau excessif pour les services sociaux, et l'intéressée n'est donc pas admissible en vertu du sous-alinéa 19(1)a)(ii) de la Loi sur l'immigration.                 

[4]      Dans sa réponse, datée du 12 février 1996, à la " lettre d'équité ", l'avocat du demandeur a contesté l'évaluation médicale et demandé plus d'informations. Ses arguments datés du 12 février 1996 ont été transmis par l'agent des visas à la section médicale compétente le 8 mai 1996, après avoir reçu du demandeur l'autorisation voulue.

[5]      Après avoir examiné les arguments et consulté le médecin agréé (Dr Giovinazzo), le Dr Hutchings a révisé la déclaration médicale, mais sans changer d'opinion au sujet de la non-admissibilité pour raisons d'ordre médical de la fille du demandeur. L'évaluation médicale révisée, datée du 23 septembre 1996, comprenait les observations suivantes :

         [TRADUCTION]
         Cette personne souffre d'arriération mentale modérée et a un QI global de 40. Bien qu'elle soit indépendante dans les activités de base de la vie de tous les jours, il ressort de son évaluation générale qu'elle a besoin d'une surveillance et de soins permanents. Si elle obtenait le droit d'établissement, elle serait admissible à toutes sortes de services financés par l'État, comme des études spéciales continues, une formation professionnelle, une aide à l'emploi et une aide à la vie autonome.                 
         Il s'agit là de modalités coûteuses et, dans ce contexte, on s'attend à ce qu'elle impose un fardeau excessif pour ces services sociaux. Elle n'est donc pas admissible en vertu du sous-alinéa 19(1)a)(ii) de la Loi sur l'immigration.                 

[6]      Étant donné que le demandeur avait été informé de l'évaluation médicale initiale concernant l'état de sa fille et qu'il y avait répondu, l'agent des visas a statué sur la demande après avoir reçu la déclaration médicale révisée le 26 septembre 1996. Il a ensuite écrit au demandeur pour lui indiquer que les renseignements que ce dernier avait transmis en réponse à l'évaluation médicale de sa fille n'avaient pas fait changer d'avis les médecins agréés quant à l'état de santé de celle-ci. Le texte de l'évaluation médicale datée du 23 septembre 1996 était joint à la lettre de refus. L'agent des visas a donc déclaré au demandeur que sa fille Wai Kwan Lau se range dans la catégorie de personnes non admissible décrite au sous-alinéa 19(1)a)(ii) de la Loi, en ce sens qu'elle souffre d'une maladie ou d'une invalidité dont la nature, la gravité ou la durée probable sont telles qu'un médecin agréé, dont l'avis est confirmé par au moins un autre médecin agréé, conclut que son admission entraînerait ou risquerait d'entraîner un fardeau excessif pour les services sociaux ou de santé au Canada. Par conséquent, a-t-il expliqué, il lui était impossible de délivrer des visas d'immigrant au demandeur ou aux personnes à sa charge, en application de l'alinéa 9(1)a) de la Loi.

[7]      Aux termes du sous-alinéa 19(1)a)(ii) de la Loi, il incombe aux médecins agréés de déterminer si l'état médical d'une personne " entraînerait ou risquerait d'entraîner un fardeau excessif pour les services sociaux ou de santé " si on lui accordait l'admission au Canada.

[8]      L'argument principal du demandeur est que les médecins agréés ont omis de prendre en considération l'ensemble des circonstances personnelles de sa fille avant de déclarer qu'elle n'était pas admissible pour des raisons d'ordre médical. Plus précisément, le Dr Gordon Hutchings, de même que l'agent des visas, ont rejeté l'idée d'un appui de la part de la famille au moment de déterminer si la fille était admissible ou non pour des raisons d'ordre médical.

[9]      Le Dr Hutchings et l'agent des visas ont tous deux fourni des affidavits à l'appui de la position du défendeur, et tous deux ont été contre-interrogés sur ces derniers. En contre-interrogatoire, chacun a exprimé l'avis qu'il n'y avait aucune certitude que l'appui de la famille se poursuivrait à l'avenir, en raison d'impondérables. Le Dr Hutchings a répondu ce qui suit :

         [TRADUCTION]         
         217.      Q. Très bien. Revenons à une chose que vous avez dite, que le Dr Chung See Yuen, tout d'abord, ne serait pas en mesure de prévoir si cette jeune fille continuerait de vivre auprès de sa famille.                 
             R. Non.                 
         218.      Q. Très bien, c'est ce que vous avez dit?                 
             R. Ouais.                 
         219.      Q. Maintenant, avez-vous une raison quelconque de croire le contraire? Je veux dire, je me souviens que vous avez dit plus tôt que, dans votre propre déclaration médicale, le fait de savoir si elle avait eu accès à des services sociaux était un facteur dont il fallait tenir compte.                 
             R. Oui.                 
         220.      Q. Maintenant, avez-vous une raison quelconque de ne pas ajouter foi à la conclusion du Dr Chung See Yuen, qu'elle...                 
             R. Si j'ai des preuves solides pour contrer cet avis? Non.                         
         221.      Q. Non. Est-ce que cette opinion vous préoccupe de quelque manière?                 
             R. Je ne crois pas qu'il soit réellement possible pour nous d'être absolument exacts et de dire ce qu'il adviendra de cette jeune personne dans quelques années. Voudra-t-elle continuer de vivre avec sa famille? Qu'arrivera-t-il si ses parents... décident de suivre le Queensway.         
             222.      Q. Oui?                         
             R. Vous savez, je pense que personne ne peut vraiment prévoir ce qui va se passer.         

                         (Non souligné dans le texte original)

L'agent des visas a répondu dans le même sens :

         [TRADUCTION]         
         143.      Q. Mais vous avez dit plus tôt à titre informatif que vous examiniez cette personne " pour la vie "; et non le fait que, vous savez, elle est une personne à charge aujourd'hui et serait admise avec son père et sa mère à titre de personne à charge, mais le fait qu'elle entrerait à l'âge adulte au Canada.                 
             Ne tiendriez-vous pas compte de facteurs liés à l'appui de sa famille et de la question de savoir quels étaient les plans de la fille ou ceux de la famille au sujet de cette fille désavantagée d'un point de vue mental?                 
             R. Il faudrait prendre en considération... vous savez, nous n'avons aucune garantie. Ils ont peut-être des plans pour aujourd'hui, mais nous ne savons pas ce qui va arriver. Rien n'est garanti. Donc, même si nous sommes sûrs de certaines choses pour le présent, nous ne savons rien de l'avenir.                 

    

[10]      À mon avis, les médecins agréés ont omis de respecter l'obligation de procéder à une évaluation individualisée quand on évalue un cas de non-admissibilité pour raisons d'ordre médical. Il ressort clairement de la jurisprudence qu'une conclusion de non-admissibilité pour raisons d'ordre médical ne peut reposer uniquement sur l'état de santé qui est évalué; il faut plutôt examiner soigneusement les circonstances personnelles de l'intéressé. Le juge Cullen a exprimé cette obligation en termes concis dans l'arrêt Poste c. Canada (M.C.I.) (22 décembre 1997), IMM-4601-96, aux pages 20 et 21 :

             Les médecins agréés sont tenus d'évaluer la situation de chaque personne qui se présente devant eux en fonction de son caractère unique. Les médecins agréés sont maintenant tenus de par la loi de donner une opinion sur le fardeau susceptible d'être imposé aux services sociaux. Il ne suffit pas qu'un médecin agréé donne une opinion sur ce fardeau en général; l'opinion doit être ancrée fermement sur la situation personnelle de la personne en cause et l'ensemble des circonstances de l'espèce. Celles-ci inclueraient le degré de soutien de la famille et son engagement envers la personne, ainsi que les ressources particulières de la collectivité. Lorsqu'une personne risque d'entraîner un fardeau excessif dans un cas, dans un cadre différent, il se peut que la même personne n'entraîne qu'un léger fardeau, voire aucun. Les médecins agréés doivent examiner la situation particulière de la personne en cause. Autrement, il est fait abstraction d'une preuve convaincante, et les opinions concernant le fardeau imposé aux services sociaux ne sont plus fondées et ne peuvent être confirmées par la présente Cour.                 

[11]      Ainsi qu'on peut le voir dans ce passage, le juge Cullen a accordé beaucoup d'importance à l'effet de l'appui de la famille sur le fardeau que l'état de santé d'une personne peut imposer aux services sociaux et de santé du Canada.

[12]      Le juge Heald a imposé une norme stricte pour ce qui est de contrôler l'avis de médecins agréés, de même que la décision d'agents des visas, dans une affaire récente intitulée Fei c. Canada (M.E.I.) (30 juin 1997), IMM-741-96. Il a néanmoins conclu qu'indépendamment de la norme à appliquer, les médecins agréés avaient commis une erreur au sujet du besoin de surveillance constante de la fille du demandeur, car la question de la capacité de la famille d'assurer une surveillance à domicile n'avait jamais été soulevée auprès de cette dernière. Il a cité les propos suivants du juge Rothstein dans l'arrêt Litt c. Canada (M.C.I.) (1995), 93 F.T.R. 305 (1re inst.), à la page 307 :

                 
         [...] Sans trancher la question de savoir si la possibilité d'un manque de soutien familial était à proprement parler une question devant le médecin, par opposition à l'agent des visas, il ne semble pas qu'il existait suffisamment d'éléments de preuve pour amener le médecin à se demander si ce soutien venait à manquer. Je ne doute pas que le processus décisionnel devrait inclure la question du soutien familial et qu'il est loisible aux décideurs compétents, pour des motifs valables, d'écarter ou de rejeter les engagements faits par les membres de la famille.                 
         [...]                 

[13]      En l'espèce, ni le docteur Hutchings ni l'agent des visas ne semblent avoir accepté le soutien de la famille comme un facteur au moment de déterminer si l'état de santé de la fille du demandeur imposerait un fardeau excessif aux services sociaux ou de santé. Contrairement à l'argument de l'avocate du défendeur, selon moi les réponses citées plus tôt, que le Dr Hutchings et l'agent des visas ont données en contre-interrogatoire, signifient que les besoins de la fille en divers services sociaux professionnels demeurent excessifs, même avec l'appui de sa famille. Si c'est bien là ce que le médecin agréé et l'agent des visas avaient à l'esprit, ils auraient pu le dire clairement et auraient dû le faire.

[14]      Dans les circonstances, je suis d'avis que le fait de n'avoir pas pris dûment en considération la question du " soutien familial " constitue une omission flagrante de prendre en compte l'ensemble des éléments de preuve relatifs aux circonstances personnelles exposées dans le dossier du demandeur, et ce fait justifie une intervention de la présente Cour.

[15]      La demande de contrôle judiciaire est donc rejetée, la décision de l'agent des visas D. Vaughan, datée du 26 septembre 1996, est infirmée, et l'affaire est renvoyée à un agent des visas différent pour que celui-ci procède à une nouvelle audition et statue à nouveau sur l'affaire, et ce, en tenant compte des présents motifs d'ordonnance.

[16]      Je suis d'accord avec les avocats des parties que l'affaire ne soulève aucune question grave de portée générale à certifier.     

     YVON PINARD

                                             JUGE

OTTAWA (ONTARIO)

Le 17 avril 1998

Traduction certifiée conforme

Christiane Delon, LL.L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     NOMS DES AVOCATS ET AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

NE DU GREFFE :               IMM-4361-96
INTITULÉ DE LA CAUSE :      HING TO LAU c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :          Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :          Le 9 avril 1998

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PRONONCÉS PAR MONSIEUR LE JUGE PINARD

EN DATE DU :              17 avril 1998

ONT COMPARU :

Me Cecil L. Rotenberg, c.r.              POUR LE DEMANDEUR

et Me Mary Lam

Me Marie-Louise Wcislo              POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Me Cecil L. Rotenberg, c.r. et          POUR LE DEMANDEUR

Me Mary Lam

Toronto (Ontario)

Me George Thomson                  POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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