Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision


Date : 19990329


Dossier : T-398-99

             AFFAIRE INTÉRESSANT les articles 18, 18.1 et 18.2 de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7.         
             ET la Loi sur les aliments et drogues, L.R.C. (1985), ch. F-27 et le Titre 8 du Règlement connexe.         
             ET le paragraphe 55.2 (4) de la Loi sur les brevets et le Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93-133.         

ENTRE :


MERCK & CO. INC. et

MERCK FROSST CANADA & CO.,

demanderesses,


- et -


LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA,

LE MINISTRE DE LA SANTÉ

et NU-PHARM INC.,

défendeurs.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE GIBSON

[1]      Par un avis de demande déposé le 5 mars 1999, les demanderesses sollicitent ce qui suit :

     A.      Une ordonnance annulant la décision du ministre de la Santé (le ministre) de délivrer un avis de conformité (ADC) en vertu de l'article C.08.004 du Règlement sur les aliments et drogues à Nu-Pharm Inc. (Nu-Pharm) relativement au Nu-Enalapril sous forme posologique de 2,5, 5, 10 et 20 mg (la drogue) qui contient un composé pharmaceutique actif appelé maléate d'énalapril qui est visé par les revendications 1 à 5 et 8 à 17 des lettres patentes canadiennes no 1,275,349 (le médicament) valides jusqu'au 16 octobre 2007 (le brevet 349).                 
     B.      Une ordonnance portant que la décision du ministre de délivrer l'ADC pour le Nu-Enalapril est illégale et annulant la décision du ministre à cet égard.         
     C.      Une ordonnance interdisant au ministre, par suite d'une ordonnance visée aux paragraphes A ou B susmentionnés, d'examiner la présentation de drogue nouvelle (PDN) de la défenderesse Nu-Pharm et ses modifications ou de délivrer un ADC pour la drogue, sauf en conformité avec les dispositions du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) (Règlement sur les médicaments brevetés).         
     D.      Une ordonnance interdisant au ministre, par suite d'une ordonnance visée aux paragraphes A ou B susmentionnés, de prendre quelque mesure que ce soit afin d'examiner une PDN de la défenderesse Nu-Pharm et ses modifications pour le maléate d'énalapril sauf si ladite défenderesse a signifié un avis d'allégation à Merck Frosst, la première personne qui a déposé une liste de brevets dans laquelle est mentionné le brevet 349.         
     E.      Une ordonnance conformément au paragraphe 6(7) du Règlement sur les médicaments brevetés enjoignant à Nu-Pharm de remettre aux demanderesses toute partie pertinente de la demande d'ADC déposée par Nu-Pharm auprès du ministre de la Santé aux fins du règlement des questions en litige en l'espèce, y compris toute présentation de drogue nouvelle et fichier principal invoqués, visés ou incorporés dans lesdites présentations de drogue nouvelle, relatifs à la drogue en la possession de Nu-Pharm ou du ministre, de même qu'une ordonnance enjoignant au ministre de s'assurer que toutes les parties desdites présentations déposées par Nu-Pharm correspondent exactement aux renseignements contenus dans la présentation.         
     F.      Une ordonnance interdisant au ministre de délivrer à Nu-Pharm et interdisant à Nu-Pharm de demander et d'utiliser un ADC l'autorisant à fabriquer, à utiliser ou à vendre les médicaments visés par les revendications 1 à 5 du brevet 349 et de formuler, d'utiliser ou de vendre la drogue formulée à partir des médicaments visés par les revendications 8 à 15 du brevet 349 en contrefaçon d'une ou de plusieurs revendications du brevet 349.         
     G.      Une ordonnance enjoignant au ministre et à Nu-Pharm de révéler à la Cour et aux demanderesses l'identité du fabricant du médicament et la drogue.         
     H.      Une ordonnance provisoire, conformément à l'article 18.2 de la Loi sur la Cour fédérale, suspendant l'ADC délivré le 25 février 1999 à Nu-Pharm relativement au Nu-Enalapril sous forme posologique de 2,5, 5, 10 et 20 mg, et interdisant à Nu-Pharm de vendre ou d'annoncer le Nu-Enalapril, qui est la drogue définie plus haut, jusqu'à ce que la Cour ait statué sur l'espèce.         
     I.      Toute autre réparation que la Cour peut juger équitable.         
     J.      Les dépens de la demande.         

[2]      Dans une demande déposée le 8 mars 1999 à laquelle se rapportent les présents motifs, Merck sollicite la mesure provisoire énoncée au paragraphe H susmentionné de même que les dépens.

[3]      Le défendeur, le ministre de la Santé (le ministre), a d'abord décidé de refuser d'examiner la présentation abrégée de drogue nouvelle (PADN) de la défenderesse Nu-Pharm Inc. (Nu-Pharm) et de lui délivrer un avis de conformité pour la drogue Nu-Enalapril. La PADN de Nu-Pharm a été déposée sans qu'il y soit fait mention des six listes de brevets soumises au ministre par Merck conformément au paragraphe 4(1) du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité). Chacune des listes mentionnait les lettres patentes canadiennes no 1,275,349 valides jusqu'au 16 octobre 2007 (le brevet 349) dont Merck & Co., Inc. est propriétaire et dont Merck Frosst Canada & Co. est le seul titulaire de licence. Le brevet 349 vise l'énalapril et son sel, le maléate d'énalapril. En outre, la PADN a été rédigée de manière à ce qu'il soit impossible de savoir, à partir des dossiers publics, qu'il s'agissait du Nu-Enalapril, la drogue à laquelle elle était comparée, et de connaître le fabricant de cette drogue.

[4]      Aucun avis d'allégation découlant de la PADN de Nu-Pharm n'a été envoyé à Merck. En conséquence, Merck ignorait l'existence de la PADN de Nu-Pharm et le refus du ministre de l'examiner.

[5]      Nu-Pharm a présenté à la Cour une demande de contrôle judiciaire de la décision du ministre de refuser d'examiner sa PADN et de lui délivrer un avis de conformité. Encore une fois, Merck n'était pas au courant de la demande.

[6]      Dans une ordonnance datée du 19 novembre 19981, le juge Cullen a ordonné que la décision du ministre soit annulée et que la PADN de Nu-Pharm soit renvoyée au ministre pour qu'il la réexamine et prenne une nouvelle décision en conformité avec ses motifs de jugement. À la fin de ses motifs, le juge Cullen a dit2 :

         Le paragraphe 18.1(3) de la Loi sur la Cour fédérale énumère les réparations qui peuvent être accordées une fois que le demandeur a réussi à établir l'existence d'un motif légitime de contrôle judiciaire. Ainsi, l'alinéa a) permet à la Cour d'ordonner à l'auteur de la décision d'accomplir tout acte "qu'il a illégalement omis ou refusé d'accomplir", ce qui constitue essentiellement une permission de délivrer un bref de mandamus . La demanderesse [Nu-Pharm] exhorte la Cour d'ordonner au défendeur [le procureur général du Canada et le ministre de la Santé] de délivrer un avis de conformité à l'égard de sa version du médicament X [maléate d'énalapril]. Les modalités complexes qui régissent la délivrance des avis de conformité, notamment la présentation de preuves scientifiques complexes destinées à être examinées par des techniciens et des scientifiques qualifiés, expliquent mes réticences à accéder à la requête de la demanderesse. Je me fonde plutôt sur l'alinéa 18.1(3)b) de la Loi sur la Cour fédérale pour annuler la décision du ministre de refuser d'examiner la demande et pour renvoyer l'affaire à la Direction générale des produits thérapeutiques du ministère de la Santé nationale et du Bien-être social pour qu'elle procède à un nouvel examen et qu'elle prenne une nouvelle décision en conformité avec les motifs qui précèdent.         

[7]      Merck allègue qu'elle n'a appris l'existence de l'instance qui a entraîné l'ordonnance du juge Cullen et les motifs susmentionnés que le 26 janvier 1999. Elle a demandé à être constituée partie défenderesse ou à être autorisée à intervenir dans cette instance, une prorogation du délai pour interjeter appel de l'ordonnance du juge Cullen, un sursis de l'exécution de l'ordonnance du juge Cullen en attendant l'audition et la décision dans l'appel ainsi que d'autres mesures de redressement subsidiaires.

[8]      Le juge Blais a entendu la demande de Merck le 4 février 1999. Il a rendu sa décision à l'audience. Il a constitué Merck partie défenderesse au dossier T-2552-97, et il lui a accordé une prorogation du délai pour interjeter appel de l'ordonnance du juge Cullen; il a toutefois refusé de surseoir à l'exécution de l'ordonnance pour le motif que Merck n'avait pas établi qu'elle subirait un tort irréparable si l'exécution de la décision du juge Cullen n'était pas suspendue. Dans ses motifs rendus le 17 février 1999, le juge Blais a invoqué la décision du juge Richard (tel était alors son titre) dans l'arrêt Nu-Pharm c. Procureur général du Canada et al.3 et celle de la Cour d'appel confirmant la décision du juge Richard4, décisions qui, a fait valoir Merck, portaient sur des questions identiques à celles dont avait été saisi le juge Cullen, mais qui n'avaient pas été invoquées devant lui, et qui, encore une fois selon Merck, l'auraient amené à rendre une décision différente. Le juge Blais a écrit :

         Comme il n'a pas eu l'occasion d'examiner ces décisions et qu'il n'était pas dans l'intérêt de Nu-Pharm de les porter à son attention, le juge Cullen a fait droit à la demande de contrôle judiciaire en se fondant exclusivement sur la thèse proposée par Nu-Pharm, et la question du respect du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) n'a pas été abordée.                 
         Quant à l'avocat du ministre de la Santé, qui agissait comme défendeur dans l'instance en contrôle judiciaire, il n'a pas non plus soulevé la question lors de l'audience qui s'est déroulée devant le juge Cullen.                 

[9]      Ayant été constituée partie défenderesse dans l'affaire T-2552-97, Merck a demandé de comparaître devant le juge Cullen afin de lui demander de modifier son ordonnance. L'avocat de Merck a été informé par une lettre datée du 24 février 1999 que le juge Cullen avait refusé de réexaminer l'affaire. Le juge Cullen s'est exprimé en ces termes :

         [traduction]

         L'ordonnance du juge Blais offrait deux possibilités, nouvel examen ou appel de ma décision. Je n'ai pas l'intention de réexaminer ma décision puisque je serais alors en position de partialité étant donné que j'ai déjà rendu une décision. Les parties devront interjeter appel de ma décision.                 

[10]      L'avocat de Merck a ensuite demandé au juge en chef adjoint de nommer un autre juge pour entendre la demande de modification de la décision du juge Cullen. Le juge en chef adjoint a refusé.

[11]      Le 25 février 1999, le ministre a délivré un ADC à Nu-Pharm relativement au Nu-Enalapril. Les éléments de preuve produits en l'espèce indiquent que Merck a appris cette décision du ministre le 4 mars 1999. La demande qui m'a été soumise a été présentée environ quatre (4) jours plus tard.

[12]      Lors de l'audience, j'ai été informé que Merck avait interjeté appel de l'ordonnance du juge Cullen5.

[13]      C'est dans ce contexte étrange et compliqué que Merck demande un redressement interlocutoire contre la décision du ministre de délivrer l'ADC à Nu-Pharm. Ce redressement est essentiellement le même que celui sollicité dans une demande de réexamen de l'ordonnance du juge Cullen. Ce dernier a rejeté la demande de réexamen de son ordonnance. Le juge en chef adjoint a refusé de nommer un autre juge pour entendre la demande de réexamen. Le juge Blais a refusé de surseoir à l'exécution de l'ordonnance du juge Cullen.

[14]      Je conclus qu'on me demande en fait encore une fois de réexaminer l'ordonnance du juge Cullen ou de réexaminer la décision du juge Blais de refuser de surseoir à l'exécution de l'ordonnance du juge Cullen. Le présent tribunal a déjà refusé cette invitation, sous diverses formes, à trois reprises. Compte tenu des circonstances, je ne suis pas disposé à exercer mon pouvoir discrétionnaire en faveur de Merck. Le faire serait, selon moi, présumer de l'appel interjeté contre l'ordonnance du juge Cullen, manquer de respect à l'égard de la décision de mon collègue le juge Cullen de ne pas réexaminer l'affaire dont il avait été saisi, ne pas respecter la décision du juge en chef adjoint de ne pas nommer un autre juge pour qu'il revoit la décision du juge Cullen et ne pas respecter l'ordonnance de mon collègue le juge Blais qui a refusé de surseoir à l'exécution de l'ordonnance du juge Cullen.

[15]      Avant l'adoption des Règles de la Cour fédérale (1998)6 qui sont entrées en vigueur le 25 avril 1998, la Section de première instance examinait les demandes de surseoir à l'exécution des ordonnances et des décisions de la Section de première instance lorsqu'un appel avait été déposé ou était sur le point de l'être. Cette pratique a maintenant changé lorsqu'un appel est interjeté. La règle 398(1) prévoit :


398.(1) On the motion of a person against whom an order has been made,

398.(1) Sur requête d'une personne contre laquelle une ordonnance a été rendue :

     (a) where the order has not been appealed, the division of the Court that made the order may order that it be stayed; or
     a) dans le cas où l'ordonnance n'a pas été portée en appel, la section de la Cour qui a rendu l'ordonnance peut surseoir à l'ordonnance;
     (b) where a notice of appeal of the order has been issued, a judge of the division of the Court that is to hear the appeal may order that it be stayed.
     b) dans le cas où un avis d'appel a été délivré, seul un juge de la section de la Cour saisie de l'appel peut surseoir à l'ordonnance.

[16]      Maintenant que l'ordonnance du juge Cullen a été portée en appel, je suis encore plus convaincu que le fait d'accorder à Merck la réparation demandée porterait atteinte au principe qui a entraîné le transfert à la Section d'appel du pouvoir d'accorder un sursis d'exécution. Ce que la demanderesse sollicite en l'espèce est un sursis d'exécution, sauf que le ministre a déjà respecté les termes de l'ordonnance du juge Cullen et qu'en conformité avec le pouvoir qui lui est conféré, il a délivré un ADC; en réalité, la demanderesse sollicite le sursis d'exécution de l'ADC lui-même plutôt que de l'ordonnance du juge Cullen.

[17]      Pour les motifs qui précèdent, la demande est rejetée. Les dépens suivront l'issue de la cause.

                                
                                     Frederick E. Gibson

Ottawa (Ontario)

29 mars 1999

Traduction certifiée conforme

Suzanne Bolduc, LL.B.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :              T-398-99
INTITULÉ DE LA CAUSE :      MERCK & CO., INC. et MERCK FROSST CANADA & CO.

                     c.

                     LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA, LE MINISTRE DE LA SANTÉ ET NU-PHARM INC.         
LIEU DE L'AUDIENCE :          Ottawa (Ontario)

                    

DATE DE L'AUDIENCE :      18 mars 1999

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DU JUGE GIBSON en date du 29 mars 1999

ONT COMPARU :

Me G.A. Macklin, c.r.          pour les demanderesses
Me F.B. Woyiwada              pour les défendeurs, le procureur général et le ministre de la Santé

Me H.B. Radomski              pour la défenderesse Nu-Pharm Inc.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Gowling, Strathy & Henderson      pour les demanderesses

Me Morris Rosenberg          pour les défendeurs, le procureur général et le
Sous-procureur général du Canada      ministre de la Santé

Goodman Phillips & Vineberg      pour la défenderesse Nu-Pharm Inc.


__________________

1      Voir Nu-Pharm Inc. c. Procureur général du Canada et ministre de la Santé, T-2552-97 (C.F. 1re inst.).

2      [1988] F.C.J. no 1721 (Q.L.).

3      (1997), 73 C.P.R. (3d) 510.

4      (1988), 80 C.P.R. (3d) 74.

5      A-161-99, appel interjeté le 16 mars 1999.

6      DORS/98-106.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.